USA / L’impeachment de Donald Trump : Un exemple pour les régimes autoritaristes

Par Arezki Ighemat

Introduction

Le 18 décembre 2019, le président Trump a été «impeached», c’est-à-dire soumis à la procédure dite de l’«impeachment». Qu’est-ce que ce terme – moins connu dans le système européen et encore moins usité dans les pays du tiers-monde – veut dire ? Pourquoi Trump a-t-il été «impeached» et quelles sont les charges invoquées contre lui ? Ce sont des questions auxquelles nous répondrons dans la première partie de cet article.

En quoi cette procédure constitue-t-elle un véritable test de la résilience et de la solidité de la démocratie américaine ? Quelle(s) leçon(s) cette procédure peut-elle donner aux pays à régimes autoritaristes et aux «présidents-à-vie» du tiers-monde ? Nous répondrons à ces deux dernières questions dans la seconde partie du présent article.

Il faut rappeler que le président Trump n’en est pas à sa première mise en accusation. Pendant près de deux ans, il a été accusé d’avoir permis à la Russie d’intervenir dans l’élection présidentielle américaine de 2016 qui a conduit à la nomination de Trump et à la défaite de sa concurrente démocrate, Hillary Clinton, et cela, selon les allégations des démocrates, grâce à l’ingérence de la Russie dans le processus électoral. Une enquête, qui aura duré près de deux ans, conduite par Robert Muller, ancien directeur du FBI, a donné lieu au rapport du même nom, qui a conclu que Trump n’a pas joué directement un rôle dans cette affaire mais qui a permis de mettre en prison un certain nombre de ses associés.

Avec la procédure actuelle de l’impeachment, c’est un autre pays de l’Europe, en l’occurrence l’Ukraine, dont il est en question et qui se trouve au centre de cette procédure qui se poursuit à l’heure où nous écrivons. Si le président Trump est «impeached», et surtout si, à la suite de cet impeachment, il est forcé de quitter le pouvoir, ce sera le troisième président dans l’histoire politique américaine qui aura été démis de ses fonctions, les deux autres, Andrew Johnson (impeached en 1968) et Bill Clinton (1998). Le président Richard Nixon, aussi impliqué dans un scandale politique, avait préféré, quant à lui, démissionner en 1974 avant que la procédure d’impeachment ne soit lancée contre lui.

Qu’est-ce que l’«impeachment» et quels sont les motifs d’accusation proférés contre Trump ?

L’impeachment est une procédure par laquelle une personne ayant une position importante dans l’Etat est mise en accusation pour avoir commis, dans le cadre de ses fonctions, des actes contraires à la Constitution. Dans le cas du président Trump, il a été accusé de deux charges considérées comme graves par la Constitution américaine. Avant de parler de ces charges, il est utile de savoir ce que précisément stipule la Constitution américaine en matière d’impeachment. La Constitution invoque la procédure d’impeachment dans plusieurs de ses articles.

Tout d’abord, l’article 1, section 2, clause 5 prévoit : «La Chambre des Représentants (House of Representatives) est la seule à avoir le pouvoir de procéder à l’impeachment». L’article 1, section 3, clauses 6 et 7 stipule : «Le Sénat est le seul à avoir le pouvoir de la procédure de jugement (the trial) dans les cas d’impeachment. Lorsque le Sénat siège pour juger d’un cas d’impeachment, tous les sénateurs doivent prêter serment. Et si c’est le président des Etats-Unis qui est impeached [comme c’est le cas de Trump], le président de la Cour suprême (The Chief Justice) doit présider lui-même le jugement. Et une personne ne peut être accusée que si les 2/3 des sénateurs votent pour l’impeachment.

Le jugement ne doit porter que sur la mise en démission du président et son interdiction de briguer une haute fonction au sein de l’Etat». L’article 2, section 2, stipule, quant à lui : «Le président, le vice-président ou tout autre fonctionnaire civil des Etats-Unis doit être mis en démission s’il est accusé de trahison ou autre crime de corruption (treason or bribery) ou tout autre crime ou offense (High Crimes or Misdemeanors)». Rappelons aussi que le président est tenu, selon la Constitution, de prononcer le serment suivant : «Je jure (j’affirme), solennellement, que je vais exécuter, fidèlement, la fonction de président des Etats-Unis et je vais, au mieux de mes capacités, préserver, protéger, et défendre la Constitution des Etats-Unis».

Quelles sont les charges dont le président Trump est accusé par le Congrès ? La Chambre des Représentants, à la suite d’un processus de plusieurs de jours et, après avoir entendu – dans le cadre de ce qui est appelé «hearings» (auditions) – plusieurs témoins, a prononcé deux motifs d’accusation contre le président Trump. Ces motifs d’accusation portent le nom d’«Articles of Impeachment». Le premier de ces «articles» est «abus de pouvoir» (Abuse of Power).

Ce premier article accuse Trump d’avoir abusé de son pouvoir en pressurisant le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, de l’aider pour être réélu en révélant publiquement que son rival, le démocrate Joe Biden (ancient vice-président de Barak Obama) et son fils Hunter Biden, sont impliqués dans une affaire de corruption dans le cadre de l’entreprise ukrainienne où Hunter Biden travaillait comme conseiller.

Le second article charge Trump d’avoir fait obstruction au Congrès en dissimulant des documents importants pour son investigation et pour avoir empêché certains fonctionnaires de la Maison-Blanche de témoigner dans le cadre de cet Impeachment. Les principaux de ces fonctionnaires sont : Mick Mulvaney, le directeur de Management et du Budget à la Maison-Blanche, Robert B. Blair, John E. Eisenberg, Michael Ellis, Preston Wells Griffith, Russel T. Vought, Michael Duffey, Brian Mc Cormickm et T. Ulrich Brechbuhl, tous fonctionnaires à la Maison-Blanche.

Ces fonctionnaires sont considérés comme des témoins importants pour l’enquête du Congrès. D’autres membres du cabinet Trump sont également considérés comme des témoins vitaux pour l’enquête. Il s’agit de John Bolton, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité (qui a récemment démissionné et qui accuse, dans un livre à paraître en mars 2020, d’être impliqué personnellement dans l’affaire Trump-Ukraine) et de Mike Pompéo, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et ancien directeur de la CIA. Une fois ces deux «articles» adoptés par la Chambre des Représentants (The House of Representatives), il sont soumis au Sénat qui doit alors procéder à un jugement (trial) au cours duquel les sénateurs doivent décider d’accepter la demande d’impeachment ou de la refuser, et donc d’acquitter le président. Cette procédure de jugement est encore en cours de déroulement au moment où nous écrivons.

La procédure de jugement par le Sénat se déroule en deux temps. Dans un premier temps, les représentants désignés par la Chambre des Représentants (appelés «Impeachment Managers» ou «House Managers») présentent les deux «articles» devant les sénateurs. Dans un deuxième temps, l’équipe de défense du président Trump tentera de réfuter les arguments présentés par les «House Managers». Pour ce faire, Trump a désigné une équipe de neuf avocats célèbres pour conduire sa défense.

Ces avocats sont : Robert Ray (qui a participé à l’Impeachment de Bill Clinton), Pat Cipollone (le principal avocat de l’équipe), Jay Sekulow (l’avocat et principal conseiller de Trump dans l’affaire de l’ingérence russe qui a donné lieu au Rapport Muller), Pam Bondi (avocate), Patrick Philbin (avocat chargé de l’Impeachment, Jane Raskin (avocate ayant travaillé avec Jay Sekulow), Eric D. Herschman (avocat ayant travaillé pour l’entreprise de Trump pendant 15 ans), Alan Dershowitz (avocat et professeur à la Harvard Law School et connu pour avoir défendu les célébrités O. J. Simpson et Mike Tyson), et enfin, et pas le moindre, Kenneth Star (le fameux juge qui a conduit l’Impeachment de Bill Clinton).

Une fois cette deuxième étape terminée, les sénateurs sont alors appelés à voter pour décider d’adopter ou de réfuter les deux «articles et donc déclarer le président Trump non coupable des accusations proférées contre lui. Si la majorité des 2/3 des sénateurs (soit 67 sénateurs) votent pour l’Impeachment, en principe le président devrait quitter son poste et devrait être remplacé par le vice-président jusqu’à la fin du mandat actuel et l’élection d’un nouveau président. Il faut noter que le Sénat est actuellement composé dans sa grande majorité de Républicains favorables à Trump, mais qu’il y a aussi la possibilité que les Républicains «modérés» puissent être convaincus de la culpabilité du président.

L’Impeachment: Un test pour la démocratie américaine et un exemple pour les régimes autoritaristes

La démocratie est considérée par les leaders américains et par de nombreux experts politiques internationaux comme un modèle et une école de démocratie pour le monde. Par ailleurs, un des axes principaux de la politique étrangère américaine est d’encourager l’adoption et l’établissement des principes et des institutions démocratiques dans le monde considéré dans son ensemble et dans les pays à régimes autoritaires en particulier. Ceci peut aller de l’offre de conseils d’experts américains aux pays à déficit démocratique à ce qu’on appelle «régime change», c’est-à-dire le renversement, directement ou indirectement des régimes de ces pays.

Cependant, depuis plusieurs décennies, mais surtout aujourd’hui avec l’élection de Donald Trump à la présidence en 2016, le «modèle» démocratique américain commence à être mis en question. Un grand nombre d’analystes considèrent que la démocratie américaine est dans ses principes et institutions remise en cause par le gouvernement de Trump, ce qui a, entre autres, conduit à son impeachment.

En effet, Trump a complètement muselé la presse qu’il traite de «enemy of the people». Les conférences de presse quotidiennes qui se tenaient à la Maison-Blanche ont été tout simplement supprimées. Il a lancé, le 3 janvier dernier, une attaque en Irak qui a eu pour résultat l’assassinat du général iranien Soleimani, leader des Qods Forces, et cela sans consulter les services d’intelligence américains et sans l’accord du Congrès, comme le réclame la Constitution quand un acte de guerre est envisagé par le président. Par ailleurs, il a décidé unilatéralement et sans l’accord du Congrès de se retirer du Traité nucléaire de 2015 liant l’Iran et les principaux pays occidentaux (groupe P5+1) et a imposé de nouvelles sanctions économiques et diplomatiques contre l’Iran.

Il a aussi déclaré, unilatéralement et contre le droit international, Jérusalem comme capitale d’Israël, faisant fi des résolutions de l’ONU en la matière. Et il y a bien sûr la demande qu’il a faite au président ukrainien d’enquêter sur son rival aux élections de 2020, l’ancien vice-président Joe Biden et son fils Hunter Biden, demande qui a conduit au déclenchement de la procédure de l’Impeachment par le Congrès.

La manière dont cette procédure va se terminer – accusation du président Trump des deux charges proférées contre lui ou au contraire son acquittement – va être un test décisif pour la démocratie américaine. Si le président Trump est acquitté – ce que beaucoup d’observateurs prévoient et que la composition même du Sénat laisse entrevoir – les démocrates américains et les démocrates du monde entier vont croire que la démocratie américaine n’est plus le modèle que les Etats-Unis exportaient à l’étranger autrefois, que désormais le président américain est au-dessus de la loi et que le principe de la séparation des pouvoirs et des «Checks and Balances», qui est à la base de la démocratie américaine, ne fonctionne plus comme le prévoit la Constitution, ce qui fait rentrer, selon certains observateurs politiques, les Etats-Unis dans le club des «Banana Republics».

Quelle(s) leçon(s) l’Impeachment de Trump peut-il donner aux pays à régimes autoritaristes où existe un grand déficit démocratique ou une absence totale de démocratie ? Pour répondre à cette question, il faut rappeler que la plus grande majorité des pays du tiers-monde ne prévoient pas la procédure de l’Impeachment dans leur Constitution.

Dans un grand nombre de ces pays, le président est souvent élu (ou désigné) pour plusieurs décennies, voire pour la vie. Pour prendre un exemple que les Algériens connaissent très bien, le président Bouteflika a régné de 1999 à 2019, soit 20 ans, et il s’apprêtait à régner pendant cinq autres années si le peuple algérien ne s’était pas dressé comme un seul homme dans ce qui est appelé le «hirak» (ou la Révolution du sourire) pour l’arrêter dans sa tentative. Un autre exemple est celui de Hosni Mubarak, ancien président égyptien, qui – pour se prémunir contre des coups d’Etat éventuels – cumulait plusieurs fonctions.

Selon Nazih Ayubi, dans son ouvrage The State and Public Policies in Egypt since Sadat, Ithaca Press, 1991, p, 227, Moubarak briguait les fonctions suivantes : président de la République, commandant suprême des Forces armées, chef suprême des Forces de police, chef suprême de la justice, président du Parti national démocratique et commissaire aux Affaires militaires et économiques et des accords touchant à la sécurité nationale.

Toujours selon Ayubi, la fonction favorite de Moubarak était celle de «Elder of Egyptian Family» (L’aîné de la famille égyptienne), ce qui laissait entendre que l’Egypte était, en quelque sorte, sous un régime «patrimonialiste». Pour rester au pouvoir et jouir des avantages et privilèges procurés par la fonction présidentielle, les leaders du tiers-monde n’hésitent pas à modifier leur Constitution pour allonger le plus possible leur règne.

Par conséquent, en instituant la procédure de l’Impeachment et en la consignant noir sur blanc dans leur Constitution, les pays du tiers-monde ne pourraient plus avoir de présidents à vie et les gouvernants de ces pays ne pourraient plus abuser de leurs pouvoirs, comme par exemple celui de considérer leur Constitution comme des tableaux noirs sur les lesquels on peut ajouter ou effacer des clauses sans avoir à rendre compte à qui que ce soit et sans avoir à en payer un prix fort.

La procédure de l’Impeachment, une fois inscrite dans la Constitution, pourrait constituer un rempart contre l’abus de pouvoir et permettrait au peuple, par le biais de son Parlement, de mettre fin à l’autoritarisme outrancier des pays du tiers-monde et d’établir un système démocratique de gouvernance qui assurerait une alternance du pouvoir exécutif.

Conclusion

Nous avons vu, dans la première partie de cet article, que la procédure de l’Impeachment est un mécanisme constitutionnel institué aux Etats-Unis et dans un certain nombre de pays occidentaux pour empêcher que le président (et l’Exécutif au sens large) ainsi que les membres des deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire) de s’engager dans des actes contraires à la Constitution, notamment l’abus de pouvoir. C’est une procédure qui empêche que les gouvernants se placent au-dessus des lois et s’érigent en présidents-rois.

C’est notamment l’esprit du serment que tout président doit prêter avant de prendre ses fonctions. Nous avons vu que les charges retenues contre le président Trump (abus de pouvoir et obstruction du Congrès) sont des délits qui sont fréquemment commis par beaucoup d’autres présidents et gouvernants dans le monde, notamment dans le tiers-monde, mais qui malheureusement – parce que la procédure de l’Impeachment est absente dans leurs Constitutions – restent impunis. Nous avons également vu que cette procédure constitue un bon test de l’existence ou non de la démocratie dans un pays. Etant donné le déficit démocratique qui règne dans un grand nombre de pays du tiers-monde, l’institution de la procédure de l’Impeachment dans la Constitution de ces pays ne peut qu’y renforcer les institutions et les principes démocratiques. Cependant, cela est une condition nécessaire, mais pas suffisante.

Parallèlement à la procédure de l’Impeachment, ces pays doivent aussi avoir un Parlement en mesure de mettre cette procédure à exécution selon les stipulations de la Constitution. Et pour que cela puisse se faire, ces pays doivent avoir un pouvoir judiciaire totalement indépendant des deux autres pouvoirs et capable d’arbitrer les cas d’Impeachment.

Nous avons vu, enfin, que même aux Etats-Unis – considérés comme le modèle par excellence de la démocratie – la procédure actuelle d’Impeachment entamée contre le président Trump va démontrer si effectivement, comme le prévoit la Constitution de ce pays, «Nobody is above the Law, not even the president of the United States» (Nul n’est au-dessus de la loi, même pas le Président des Etats-Unis). C’est ce que Adam Schiff, le président de la Commission d’Intelligence de la «House of Representatives» souligne dans l’épigraphe indiquée au début de l’article : «Nothing could be more dangerous to a democracy than a Commander-in-Chief who believed that he could operate with impunity» (Rien n’est plus dangereux pour une démocratie qu’un commandant suprême des Armées qui croirait qu’il peut opérer en toute impunité).

Arezki Ighemat

Ph.D en économie. Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


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