LIVRES / LA FORCE DES MOTS, LE POUVOIR DE LA ‘COM’

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

LES MOTS AU MAGHREB. DICTIONNAIRE DE L’ESPACE PUBLIC – Sous la direction de Hassan Remaoun et de Ahmed Khouaja. Editions Crasc (Oran) et Diraset (Université de Tunis), Oran 2019, 422 pages, 3.000 dinars –

172 mots, 723 sources bibliographiques et 680 références signalées dans un index, chaque fiche explicative, longue ou courte mais toutes assez claires, accompagnée de corrélats facilitant la recherche… Un dictionnaire des «mots» à nul autre pareil qui, assurément, avec les développements sociaux politiques actuels, ici et là, va s’enrichir à une allure folle, démontrant que c’est l’espace public qui construit ou reconstruit une langue en mettant en relief puis en imposant – au fil du temps et des marches, devenues des arènes, des sphères et des lieux de médiation et de négociation de l’intérêt public – des expressions et des mots nouveaux.

On y retrouve donc un peu de tout. De l’ancien et du nouveau. Quelques extraits pour quelques exemples :

Hirak : le mot demeure, quelques mois après le début des grands rassemblements de contestation politique en Algérie, le 22 février 2019, le mot utilisé pour parler de cette dynamique de contestation… dans le sens où il est symbolique d’une situation d’effervescence, de vivacité et d’agitation… (B. Benzenine).

Aissaba : oligarchie. Dans l’espace public, on désigne les groupes mafieux de «issabet» ou «bandéâ»… ( Kh. Mokeddem).

Ghachi : Dans l’arabe classique, le mot renvoie à l’obscurité de la nuit. Dans le dialecte populaire algérien, il renvoie à la foule, au bas peuple, populace… Souvent, il est employé pour parler des gens ordinaires dans un sens péjoratif parfois… Dans les écrits de certains journalistes, arabophones surtout, le mot est utilisé pour montrer qu’il est question d’humiliation et de mépris de la part des élites intellectuelles et politiques… Selon un politologue (Tlemçani), il s’agit bien «d’un peuple mûr, avec ses problèmes et ses contradictions…» (B. Benzenine).

Harka (el) : alors qu’à sa naissance, elle visait à défendre la tribu, elle est devenue un instrument aux mains du colonisateur… A partir de la guerre de libération, le mot signifiait plus celui qui était du côté de la France, c’est-à-dire le traître, qu’autre chose (M. Kedidir).

Djumhûriya : nom de la formation étatique qui tire sa légitimité du peuple ou public au sens large, d’où l’étymologie latine de Res Publica, «chose publique» ,… un vocable qui a, en fait, remplacé un certain nombre d’autres appellations usitées… notamment celui de al-madina (la cité) (H. Remaoun).

Hizb frança : la formule a fondamentalement une charge politique et polémiste. C’est sans conteste une appellation dont le but est de jeter l’anathème et de déconsidérer l’Autre. Ce poncif exprime une présumée allégeance à l’ancien colonisateur… Dans la réalité, il est très difficile de situer celles et ceux qui sont dans cette catégorie… (A. Mohand-Amer).

Djayche : les marches et rassemblements des Algériens, sur l’ensemble du territoire national, depuis le 22 février 2019, ont fait intervenir l’institution militaire comme acteur majeur dans les inédits bouleversements que vit le pays depuis le 2 avril 2019 (départ de A. Bouteflika)… Le socle de l’Anp est l’armée des frontières… L’Armée des frontières est une institution qui s’est toujours considérée comme une force politique… In fine, l’Anp est une institution qui est encore dans la logique de la Guerre de libération nationale… (A. Mohand-Amer)

Chahid… Cha’b… Charabia… Chikour… Chrîki… Digoutage… Ghorba… Guesra… Ilmaniya… Nizam… Qahwa… Siyassa… Zarta… Zmane… A noter que, par ailleurs, des dico’ sont en préparation car, entre-temps, des mots nouveaux ont été créés et sont désormais couramment utilisés par les grands et les petits : BladBladna… Cachirist… Chardama… Chita… Digage… Doubab… Lmendjel… Khawakhawa… Novambriya… Silmya… Vendredire… et le très fameux Yetnahhaw gâa… et le très malheureux Zouaf. Vivement un deuxième tome !

Les Auteurs : Au total 40 contributeurs d’Algérie et de Tunisie… et de France, enseignants universitaires d’horizons divers, chercheurs en diverses spécialités, journaliste (1)… On a même un docteur en médecine, un docteur en psychologie clinique et psychopathologie… C’est dire la qualité du travail accompli et surtout la qualité et le sérieux de la coopération.

Extrait : «…des mots en usage et abordés…. (qui) ont un statut ambivalent parce que relevant d’un privé qui tendrait à déteindre ou même à se confondre avec le public, et d’un public assez souvent privatisé dans les faits» (p. 23).

Avis : un projet : «Les espaces publics au Maghreb, 2012-2019» dans le cadre d’un accord de coopération scientifique algéro-tunisien signé en 2012. Mais, déjà une coopération qui remonte à une quinzaine d’années et riche en rencontres, colloques, en séminaires… et, déjà, en la coédition de deux premiers ouvrages.

Prix assez élevé… mais, pour un dico’ à conserver… et, surtout, bien fait, contenu et contenant, le produit vaut largement le détour.

Citation : «En cette période d’ébullition politique au Maghreb et dans le Monde arabe, la vie publique entretient dans nos pays, plus qu’ailleurs sans doute, une relation extrêmement intime avec l’espace privé» (p. 23).

MEDIAS, COMMUNICATION ET SOCIÉTÉ DES TEMPS NOUVEAUX. Etudes présentées par Daho Djerbal et Belkacem Mostefaoui. Revue d’études et de critique sociale Naqd, Automne – Hiver 2019, n° 37, Alger 2020, 151 pages en français et 75 pages en arabe, 700 dinars.

Neuf études… toutes consacrées aux médias nationaux et à la communication dans le cadre d’une société algérienne qui appelle à des temps nouveaux. Vaste et ambitieux programme… et délicate exploration d’un «nouveau monde» !

Pour la revue «Naqd» dont toute l’existence, depuis sa création, et dans le sillage des mouvements sociaux d’Octobre 88 et de la libéralisation (relative et limitée cependant) du paysage médiatique national à partir de mars-avril 1990, n’a cessé de s’interroger sur les transformations sociétales dont beaucoup, sinon la plupart, sont nées avec les changements profonds enregistrés dans le paysage médiatique algérien qui s’était retrouvé, après l’acquisition par le public d’antennes paraboliques de dimensions variables, plongé quasi-brutalement dans des images et des sons venus du ciel et impossibles à «censurer», diffusés grâce aux nombreux satellites qui couvraient la totalité de la planète.

D’autres changements profonds vont suivre à la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec un nouveau régime politique (qui durera près de deux décennies entières) qui «favorisera» l’apparition de nouveaux acteurs et une autre organisation du paysage… pour mieux prendre en charge les usages… afin de les mettre, si possible, à son service. Un véritable logiciel «d’ouverture contrôlée»… une «ouverture» sans cesse bousculée et sans cesse prise entre une «enclume d’entrepreneurs» endogènes et/ou exogènes et de professionnels (pour la plupart jeunes et nouveaux dans la «profession») démultipliant les formats et les contenus, et à volonté indépendantiste… et un «marteau de pouvoirs politiques et économiques» ; pouvoirs pour les plus puissants, refusant (et réprimant) toute tentative de libération des idées et des projets. Les répercussions sur les pratiques journalistiques, sur les corps professionnels, sur l’organisation des entreprises et sur les contenus se feront assez vite sentir : un semblant de développement… et une paralysie des initiatives. On aboutira ainsi, et cela se verra, surtout à partir de 2011, avec l’émergence des télés offshore privées et très commerciales (plutôt «commerçantes»), avec des flux d’images débridées et souvent attentatoires aux principes d’éthique, voire de dignité humaine.

Le sommaire !

Belkacem Mostefaoui se penche sur les «Jeux de pouvoir dans la gouvernance des médias…» ;

Belkacem Ahcene-Djaballah sur l’ «Economie de la presse et de la communication… De l’aventure intellectuelle à la mésaventure économique» ;

Imad Eddine Raef sur les «Problèmes et facteurs sociaux dans les médias libanais…»… ou l’érosion de la presse traditionnelle à partir de 2007 ;

Nor El Hoda Bouzegaou sur «La publicité et la télévision publique… Le cas de l’Eptv»… ou la publicité au centre du débat ;

Fatma Kebour sur «Les médias, l’individu et les mouvements de protestation en Algérie depuis 2011»… ou l’Algérie, une exception «attire l’attention durant les événements du dit «Printemps arabe» ;

Afaf Zekkour sur «Les ulémas et le 1er Novembre 1954 : entre les attentes du Hirak…» ou l’instrumentalisation des médias avec l’emploi, entre autres, par l’ensemble des média et réseaux sociaux du slogan «Badissya Novembariya» ;

Aldjia Bouchaala et Aïssa Marah sur «Les mutations de l’espace public médiatique… Les journalistes hors-champ»… ou des changements qui n’ont pas produit de pluralité dans l’expression d’une identité claire, vécue et pensée au pluriel ;

Fateh Chemrik sur «la Presse, le football et la politique en Algérie…» …ou l’imbrication des stratégies populistes de captation et d’aliénation ; Et, enfin, Hakim Hamzaoui sur «La liberté d’expression à la Radio Algérienne…» … ou les origines de la révolte des journalistes radio durant le Hirak.

A noter que sur toutes les études, planent, et c’est tout à fait normal, l’ombre et parfois les réalités du Hirak populaire et du «Printemps arabe»…

Pour mon étude, je signale seulement une erreur d’inattention. Ainsi, en page 63, il faut lire «Bien sûr, il y avait la loi organique relative à l’Information du 12 janvier 2012 (et non «loi de janvier 1992») qui interdit la cession des agréments et la possession, le contrôle ou la direction par une même personne morale de plus d’une seule publication d’information générale de même périodicité»…

Les Auteurs : Belkacem Mostefaoui, Belkacem Ahcene-Djaballah, Imad Eddine Raef (en arabe et en français), Nor El Houda Bouzegaou, Fatma Kebour (en arabe et en français), Afaf Zekkour (en arabe et en français), Aldjia Bouchaala et Aïssa Marah, Fateh Chemrik, Hakim Hamzaoui.

Pour lecture (en cas de non-achat) voir… [email protected]/ [email protected]/ http://www.revue-naqd.org/http://www.cairn.info/revue-naqd.htm

Extraits : «Ce qui a accru le débat sur la présence de la publicité dans les télévisions publiques, c’est qu’il s’agit d’une ressource financière à la fois dynamique et mouvante…» (Nor El Houda Bouzegaou, p. 65). «En l’absence (de ce genre) de structures syndicales et interprofessionnelles, les journalistes algériens se trouvent incapables d’exercer ce travail de régulation et de constituer un quatrième pouvoir. Pour plus d’un observateur, la corporation est plus que jamais déstructurée et désolidarisée» (Aldjia Bouchaala et Aïssa Marah, p. 85).

Avis : Dossier thématique avec pour ambition l’interrogation des ressorts essentiels des réalités dans le domaine et leur mise en perspective. L’exploration avec une distance critique de ce qui s’est passé dans le domaine des médias comme au sein de la société algérienne durant ces trois dernières décennies.

Sujets au contenu accessible pour peu que l’on considère comme importants et essentiels, pour l’avenir de la société, les médias et la communication.

Citations : «L’Algérie est, aujourd’hui, dotée d’un espace médiatique «national» à double façade : d’un côté, des radios et télés étatiques encore très peu libérées… De l’autre, un nombre pléthorique de journaux et de télés de droit privé, en majorité domestiquées.» ( Belkacem Mostefaoui, résumé, p. 145). «Durant cette période (1991-2009), le football algérien, historiquement dirigé par l’Etat, a été «désarmé politiquement» (Fateh Chemrik, p. 103). «Le pouvoir algérien mise souvent sur le sport en général, le football en particulier, afin de ne pas éveiller l’esprit crique des citoyens» (Fateh Chemrik, p. 109). «Si le football peut servir à une stratégie de mobilisation, de contrôle et surtout d’«aliénation» des foules, celles-ci ne restent pas sans réaction» (Fateh Chemrik, résumé, p. 151).


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