LIVRES / SPORTS : LA RÉVOLTE DES «SAINS»

        par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                       Livres

Ma vie, un vrai marathon. Autobiographie de Abdelmajid Rezkane. A compte d’auteur, Alger 2021, 352 pages, 1 300 dinars

De toutes mes lectures, celles qui m’émeuvent le plus (en plus des recueils de poésie), ce sont les autobiographies, qu’elles soient signées de moudjahidine ou d’un citoyen (algérien) lambda. Pourquoi ? En ce sens que l’autobiographie nous présente -en des styles tout à fait différents de ceux des romanciers et des essayistes et encore plus des chercheurs universitaires- plusieurs vies dans une vie : la naissance, les conditions de vie (pour nous, les septuagénaires et plus), toujours difficiles, tout particulièrement durant la période coloniale, la famille, le père, la mamma, les frères, les sœurs, la tribu, le village, l’itinéraire scolaire, la carrière professionnelle, les enfants, les petits-enfants… les copains, les amis, les «coups fourrés», les obstacles et les écueils tant de la part d’individus que de la part de l’Administration… et les adversaires acharnés, bien sûr inévitables…

Abdelmadjid Rezkane, l’enfant de Laâqiba (Belouizdad), pour sa part, n’y est pas allé de main morte. En plus de 260 textes, concis et précis, il nous raconte sa vie professionnelle, allant dans le détail et ne prenant pas de gants pour décrire… tout en saluant, en égratignant et en dénonçant. On en apprend des choses sur le secteur des sports (mais pas que…) et on comprend mieux le déroulé de certains événements, les retards et/ou les reculs enregistrés et, surtout, les sacrifices, les engagements et les soutiens des uns et des autres ayant permis des réussites et des succès…

Le texte qui m’a le plus touché (plutôt une révolte légitime chez tous ceux et celles qui ont vécu le S.u.a dans les années 60 et 70) est celui consacré (p 84 et p 85) à la «régression du sport scolaire et universitaire». Rappelant que la pratique de l’Education physique et sportive scolaire -considérée dans le monde comme un moyen fondamental d’amélioration de la santé et de l’éducation des peuples particulièrement les jeunes – aujourd’hui marginalisée (les enseignants d’Eps ayant été alors affectés au secteur de l’Education nationale… «incompétent en matière d’organisation et d’enseignement de la matière et des compétitions sportives scolaires»), considérée comme matière secondaire à tous les paliers, avait été le vivier de l’émergence de grandes figures du mouvement sportif et, surtout (et, à mon avis, c’est là le point le plus important), avait permis de mobiliser une population juvénile en quête d’une vie communautaire, d’autonomie et de bien-être.

L’Auteur : Très longtemps cadre supérieur dans le secteur de la Jeunesse et des Sports (dont Dg du Psa), actuellement retraité et organisateur d’événements sportifs et touristiques (dont le très fameux Marathon des Dunes et le Marathon d’Alger)…, mais pas que. Voir son Cv détaillé p 335 à p 342.

Sommaire : Dédicace/ Préface de Kamel Bouchama/ Avant-propos de l’auteur/17 chapitres/ Hommages : Remerciements et reconnaissance/Qui est Abdelmadjid Rezkane ?

Extraits : «Très calme, comme du marbre. Au fait, vous savez que le marbre a plusieurs qualités :noble, beau, lourd, lisse, et cher ! Donc, mon père était semblable à ce matériau de valeur» (p 45), «Cette culture du Pap semble nous dispenser de stratégie dans tous les secteurs d’activités (…).Les Algériens, en véritables colonies de fourmis craignant un manque de produits alimentaires se précipitèrent sur les étals des grands magasins. Le Pap a produit l’effet inverse, celui qu’on voulait éviter» (p61), «Etre à la Faf, même dans une commission fédérale, toutes les portes s’ouvraient pour un accès à tous les privilèges. Un vrai souk, quoi !» (p159), «Le tourisme en Algérie ne pourra jamais se développer sans une volonté politique et une dynamique de coordination de plusieurs secteurs» (p296), «En ma qualité d’Algérien, j’avais honte, lorsque les services de sécurité redemandent le passeport à un étranger pour vérification alors qu’il venait de passer par la Police des frontières… et venant d’Alger, déjà contrôlé à deux reprises (lignes internationales et lignes intérieures).Une fausse note pour le tourisme algérien» (p 297), «Vous trouvez normal que durant deux années consécutives 2017 et 2018, toutes les correspondances adressées aux instances du Mjs disparaissent ou n’obtenaient aucune réponse» (p314)

Avis : Sans entrer dans les détails techniques (publier à compte d’auteur n’est pas, encore, chose aisée dans notre pays, d’autant que l’apport de spécialistes en mise en page et en contrôle de qualité est toujours nécessaire, on ne peut que saluer le geste et les efforts de l’auteur qui, à travers une carrière bien remplie, a légitimement souhaité laisser des traces… pour la plupart exemplaires. C’est, d’ailleurs, ce que je souhaite personnellement voir comme éclosion d’une littérature des «mémoires citoyennes», tout particulièrement celle produite par de hauts fonctionnaires qui connaissent le «système» de l’intérieur. Le temps fera le tri. Il effacera certaines traces, mais en retiendra un bon lot… C’est ce qui compte dans la vie d’un homme. Et, c’est ce qui améliorera le fonctionnement des Institutions. Bien qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions !

Citations : «L’opacité et le clanisme ne peuvent avoir raison d’exister dans le sport.Par contre, il devrait y avoir l’attachement, la loyauté au club, à la discipline en plus du bénévolat et de l’esprit sportif» (p90), «C’était l’époque du bénévolat, le sacrifice sans calcul, un esprit qui propulsa le sport amateur algérien» (p 95)

Mémoires d’un gardien de but. Témoignage de Mehdi Cerbah (par Sid Ahmed Bouaddou et préface de Hamid Tahri). Apic éditions, Alger 2021, 186 pages, 800 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com/sports/bibliothèque dalmanach).

Cerbah témoigne et raconte… Mehdi se livre et se raconte… Certes, on a déjà lu des ouvrages consacrés à des sportifs algériens de haut niveau (Rachid Mekhloufi, Abdelhamid Zouba et Hacène Lalmas les footballeurs, Salima Souakri la judoka, Abdelkader Ould Makhloufi, le boxeur…), mais, à mon humble avis de lecteur, mais aussi d’ancien (petit) footballeur, je n’ai jamais été autant ému.

Les raisons ? Les faits, d’abord, pour la plupart glorieux, en Algérie et à l’étranger, notre homme ayant été de bien des combats et ayant remporté avec ses co-équipiers bien des victoires et /ou des médailles (dont les historiques Jm 1975, les Ja 1978 et la participation à la Coupe du monde en Espagne en 1982, pour ne citer que ceux-là)… Puis, les épreuves traversées pour décrocher les victoires (pas toujours, cela va de soi, les rencontres sportives étant faites aussi de défaites, souvent inattendues)… Mais, aussi et surtout, la description des relations humaines tissées au sein des collectifs. Pas facile pour un bonhomme au caractère un peu refermé, «austère ?», mais décidé (ses co-équipiers l’appelaient la «Grinta») dont les sens sont et doivent être constamment au service presque exclusif de sa «cage» qu’il veut garder inviolée. (…) Ah, une autre raison ! Et, c’est peut-être celle que j’aimerais mettre le plus en exergue : le refus de se murer dans le silence, de se rendre complice d’un quelconque détournement de l’histoire du foot national ou permettre aux «fossoyeurs» de s’approprier des honneurs qui ne leurs sont pas dus.

Le football en particulier et le sport en général ont connu tellement de personnalités sportives de grande qualité… mais hélas, la plupart des hommages ne leur sont rendus qu’à titre posthume et le mouvement sportif national n’a pas su, ou pu ou voulu en tirer profit. Il est vrai que cela ne concerne pas ce seul secteur. La culture de l’oubli ! Après la mort physique, une seconde mort, celle-ci immatérielle, peut-être la plus importante.

L’Auteur : Né à Alger en 1953… un des plus remarquables gardiens de but du football algérien… et une carrière nationale et internationale très riche ayant marqué les générations des années 70/80

Table des matières : Préface/ Introduction/Mon enfance, mon premier club/Ma carrière senior en club/Ma carrière internationale

Extraits : « (Victoire aux JM 1975) Après les félicitations d’usage, on nous gratifia d’un carnet Cnep avec un montant de 2 000 DA. Sans commentaires. A ce jour, je n’arrive pas à trouver d’explications à ce «cadeau». La déception se lisait sur tous les visages…» (p 81), «La décennie noire qu’a connue l’Algérie durant les années 90 n’était pas sans affecter le football national, surtout dans le domaine sensible de la formation, laquelle a été complètement abandonnée par les clubs, au profit du résultat immédiat» (p158)

Avis : Des cris du cœur ! Et, droit au but. Prenant. Emouvant. Se lit d’un trait… par tous, sportifs ou non, footballeurs ou non, jeunes et vieux… car la belle aventure d’un homme faisant et aimant (toujours) passionnément son… métier

Citations : «Se murer dans un long silence, c’est permettre aux fossoyeurs de s’approprier des honneurs qui ne leurs sont pas dus, et au temps d’effacer et faire oublier les sacrifices et les exploits consentis par toute une génération» (Sid Ahmed Bouaddou), «Lorsqu’un compatriote censé vous défendre et vous protéger, vous dénigre et colporte des propos calomnieux à votre insu, il n’y a pas mieux qu’un étranger pour vous défendre et vous protéger» (p 179)

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