LIVRES / SKIKDA : 20 AOÛT 55

      par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                                Livres

Les galets de Sidi Ahmed. Recherche historique de Aziz Mouats (préface de Brahim Zeddour/, postface de Olivier Le Cour Grandmaison. Image de couverture: Samira Mouats). Editions el Qobia, Alger 2021, 274 pages, 1000 dinars)

Un récit ? Un roman ? Une histoire découpée en séquences filmiques ? Un peu de tout, de tout un peu, mais certainement un pan entier de la vie d’une population longtemps opprimée par la colonisation française (125 ans) et qui se révolte le 20 août 1955, tentant de tout balayer sur son passage. Avec les moyens de bord… et beaucoup de volonté et de foi. Une révolte populaire embras(s)ant la quasi-totalité de la région de Skikda (de Gastonville à Phillipeville en passant par Jemmapes et El Harrouch)… laquelle, au-delà de ses effets tragiques immédiats, a réussi, sous la direction de Zighoud Youssef, à faire rentrer la question algérienne à Manhattan/New York, au siège de l’Onu… et à amener une année plus tard, à la même date, à un Congrès historique, celui de la Soummam. Philippeville (Skikda) ! une ville portuaire de plus de 70 000 habitants dont une grande majorité de pieds-noirs, d’origine multiple et diverse : italienne, maltaise, corse… )… et une campagne verdoyante exploitée par les colons… exploitant les «indigènes».

L’auteur a bien vécu cette période bien qu’encore enfant… mais bon observateur et grand curieux des choses de la vie environnante, il avait (presque) tout enregistré. Il raconte donc, aujourd’hui, avec force détails, la répression féroce à travers la destruction totale de la mechta familiale (regroupée autour du mausolée de Sidi Ahmed Ech-Cherif) et l’assassinat de la presque totalité de la famille… : 23 hommes tués… alors que «pas une ferme, pas la moindre grange a n’été brulée… et des moudjahidine ayant même empêché de tuer les colons de la région». Assassinés par l’armée régulière coloniale accompagnée de miliciens armés : Que de noms de bourreaux responsables de la répression et donnant le vertige et alors régnant en maîtres ! Aussaresses, le militaire spécialiste en torture et futur assassin de Boumendjel, Issolah, Roger Kadida et Misery, des policiers, Bancquet Crevaux, le maire de Philippeville de l’époque (aujourd’hui Skikda)…

L’Auteur (car, c’est lui qui remonte – très douloureusement – le temps, recherchant des souvenirs qu’il croyait perdus mais, hélas, toujours enfouis en son subconscient) va nous raconter avec force détails les douleurs, les sacrifices et les prouesses de membres de sa tribu, de sa famille, de ses héros (dont Mouats Lyazid, l’oncle maternel), des oubliés, sans cependant tomber dans l’invective stérile et la condamnation sans appel à l’endroit d’une partie (minime certes, mais qui a tout de même existé) de fermiers d’origine européenne assez compréhensifs de l’ «Autre». A l’exemple de Roger Balestrieri et de son épouse Germaine qu’il ira «interviewé» en France où ils résident désormais, avec toujours Béni Mélek au cœur.

Au passage, l’auteur ne manque pas d’éclaircir tout ce qui a pu se (mé-)dire, tout particulièrement par le cinéaste algéro-français Jean Pierre Lledo, qui avait ravivé, à sa manière, par le biais d’un documentaire, la mémoire, sur le soulèvement populaire du 22 août à Skikda et ses environs…

Et, comme tout bon agronome des cuvées d’antan, il en profite pour nous en apprendre sur l’agriculture de la région, et d’ailleurs.

L’Auteur : Aziz Mouats, né en 1950 à Skikda, est de formation agronome. Installé à Mostaganem, après ses études à l’Ita, il a été, fort longtemps, journaliste (dont El Watan) et enseignant universitaire et… surtout un infatigable militant de la mémoire. Déjà auteur de plusieurs ouvrages… dont deux sous presse.

Table des matières : Préface/ Avant-propos/ 25 chapitres/Postface/Annexes/Biographie de Sidi Ahmed

Extraits : «La guerre d’indépendance est faite du mélange des lâchetés et des courages, des complicités et des duplicités, des trahisons et des générosités, de l’humanité et de la bassesse» (Jean Douchement, ancien professeur de français de l’auteur à Skikda, fin des années 60, début 70, extrait de lettre, cité p 25), «Sans doute que le rapport à cette mémoire ne représentait pour lui et pour les siens aucune importance. Preuve en est qu’une fois la guerre terminée dans les circonstances que l’on sait, avec le départ précipité des colons, une chape de plomb est venue recouvrir de son silence plus de sept années de guerre» (p 124), «Poser les chiffres disponibles et mettre à plat les responsabilités, c’est permettre une petite avancée de l’histoire, une fin de deuil pour les familles des victimes innocentes et oubliées, et tous les exilés de cette guerre» (p223)

Avis : A lire, à relire et à faire lire. Une fenêtre ouverte sur l’océan (démontée) de l’histoire de la guerre de libération nationale. «Une œuvre pleine d’intelligence et d’émotion» (Brahim Zeddour)

Citations : «Lorsqu’un fellah ne veut pas se libérer, c’est comme une huître qui se ferme à la vue du danger. Une fois fermée, impossible de l’ouvrir sans casser la carapace» (p 39), «Même devant la mort, nous ne sommes jamais égaux… c’est ce côté pervers et foncièrement injuste qui a mené à la révolte… Voyez-vous, un quart de siècle après cette tuerie froidement exécutée par le militaires français (Note : massacre d’habitants insurgés du Beni Mélek après le 20 août 55), la double injustice nous poursuit… » (p 134), « La France n’a rien vu venir (Note : Guellal)… C’est pas tout a fait exact, Guellal, je me permets de te corriger… elle n’a pas voulu comprendre que le monde ancien était terminé. (Note : Roger, l’ancien colon), «D’un côté, nous les pieds-noirs, avec notre culture, nos traditions et notre arrogance… et de l’autre, les Arabes comme on disait. Pour nous, le distinguo était vécu de manière naturelle. Eux, c’étaient nos ouvriers, il fallait qu’ils triment. Un point c’est tout. Et nous, nous étions les propriétaires, les colons, ceux qui pouvaient tout se permettre… Quand je voyais un Kabyle (Note : la région de Skikda a accueilli énormément de travailleurs venus de la Grande Kabylie et qui par la suite s’y sont installés définitivement), je voyais en lui le binage, le curage des fossés, l’ébourgeonnage de la vigne, le sulfatage, la récolte de la pomme de terre, des fèves, du raisin… c’était pratiquement toujours un outil, une serpe, un crochet, un cageot… je ne voyais même pas la sueur ni l’effort… d’ailleurs ils partaient au travail avant le lever du jour. Ils ne revenaient que parce qu’il faisait nuit… » (Roger, l’ancien colon, p 143), «Pour rechercher la vérité, il vaut mieux ne pas cultiver la moindre rancœur… ni moindre amertume» (p 192), «C’est une règle chez les pieds-noirs, lorsqu’il s’agit des leurs, ils gonflent exagérément les chiffres… et dès qu’il s’agit des Arabes… on fait comme si ça ne comptait pas… et ça remonte aux débuts de la colonisation. Comme il n’y a eu jamais de statistiques officielles… c’est à qui publiera les chiffres les plus invraisemblables» (p 183), «Les Algérianistes ? Ce sont généralement des radicaux d’extraction pied-noir, d’anciens membres de l’Oas… des nostalgiques de l’Algérie française… on les appelle aussi les «Nostalgériques» (p 193), «Dans son esprit d’enfant, il s’est dit qu’un homme qui pleur ne peut pas mentir. Ni manquer à sa parole» (p 218), «L’aveuglement de la France face à son passé colonial existe à l’évidence, même s’il est sans doute aujourd’hui davantage une construction politique délibérée» (Claire Mauss-Copeaux citée, p 229), «Dans la communauté pied-noir, il y a beaucoup qui sont dans le dénigrement, la réfutation, voire dans le négationnisme» (p 235),

Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres. Recherche historique de Claire Mauss-Copeaux, Editions Média Plus (Editions Payot et Rivages, Paris 2011), 279 pages, 1.300 dinars, Constantine 2012 (Chronique déjà publiée in Mediatic. Pour rappel)

Pas facile de remonter le cours du temps. Surtout lorsqu’il s’agit d’examiner sérieusement, scientifiquement, des événements douloureux que beaucoup voudraient bien enterrer à tout jamais, chacun ayant ses raisons, dont lui-même n’en saisit plus les réalités. On a donc, d’un côté, les «européens» (les «dominants», les FSE, Français de souche européenne, disait-on). Ne se résolvant pas, aujourd’hui encore, à faire leur deuil de l’Algérie coloniale, ils ne retiennent des faits que ce qui en avait été décrit alors par leur presse et leurs militaires et autres administrateurs, que l’aspect «massacres», oubliant le pourquoi du comment. Et, surtout, oubliant ce qui a suivi comme représailles et répression… et de «strafing» (un terme anglicisé d’origine… allemande et qui consiste à voler à basse altitude en mitraillant sans distinction tous ceux qui se trouvaient sous l’avion. C’est tout dire de la mentalité de l’Armée française coloniale ! De l’autre, les Algériens (les «dominés», les FSNA, Français de souche nord-africaine, disait-on) décidés à se débarrasser, une fois pour toutes et par tous les moyens, du colonialisme qui les avait réduits à n’être que des figurants sur leur propre terre.

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : d’un côté, sur un total de 71 personnes (d’origine européene) tuées dans le Constantinois, 42 l’ont été à El Alia et Ain Abid… et le reste dans une douzaine de centres et sur les routes qui y menaient. De l’autre côté… le total des victimes civiles algériennes des représailles qui ont suivi entre le 20 et le 25 août a été, selon les évaluations officieuses de militaires français, de 7 500 (tous identifiés comme «hors la loi»… et ce, afin de camoufler le massacre aveugle ). Mais, comme les représailles… «à chaud mais également à froid», se sont élargies à d’autres régions et ont duré des semaines et des semaines… ce sont plus de 12 000 Algériens (hommes, femmes, enfants) qui ont été tués. «Dans la formulation des bilans, seuls les Européens ont droit à la reconnaissance et au respect des comptabilités exactes. Tous, militaires et civils européens armés, sont réputés «massacrés». Quant aux civils algériens, tués par les militaires (et les civils) français, leur identification personnelle n’a pas été jugée nécessaire, car tous, armés ou non armés, sont identifiés comme «hors la loi».

Ombres non comptabilisées, «elles sont ensevelies dans les mémoires de leur proches». Le bull-dozer ayant servi à combler les fosses communes au stade de Skikda reste, encore aujourd’hui, le témoin le plus effrayant… d’une tentative de génocide, d’un véritable crime contre l’humanité. Comme en 45. Comme tous les massacres ayant accompagné la «conquête» coloniale.

Avis : Un livre poignant et douloureux. Une enquête menée avec minutie, sur le terrain, à travers des documents et des témoignages. A lire par beaucoup de nos auteurs et chercheurs, historiens ou mémorialistes afin de voir un travail «bien fait», rigoureux et sérieux.

Extraits : «Tant que les mémoires s’affrontent, la terminologie pose problème» (p 10), «Les mémoires ont droit au silence. En revanche, la diffusion de récits hasardeux, irrespectueux de la vérité, rend le silence délétère. Dans ce contexte, l’établissement des faits apparaît comme le seul recours. Car les victimes, toutes les victimes, ont droit à l’Histoire» (p 15), «Le couteau n’appartenait pas seulement à l’imaginaire, il était aussi l’arme des humiliés, des isolés qui se révoltaient. Avec le développement du nationalisme, le fusil s’est, peu à peu, imposé.

Le fusil, arme du colonisateur, est devenu l’arme des combattants du Fln» (p 51), «La recherche de la vérité se nourrit de réflexions, d’analyses, de critiques. Ce qui ne peut être précisé ne doit pas être paré des attributs de la vérité «(p 159), «Sans même remonter aux journées qui ont suivi le 8 mais 1945, depuis l’insurrection du 1er novembre 1954, chacun savait en Algérie que la moindre contestation de l’ordre colonial provoquait une répression démesurée. Préventive ou punitive, cela n’importait guère, elle s’imposait et prenait les formes extrêmes» (p 194), «La vie des Algériens ne tenait qu’à un fil. Militaire ou civil français, chacun pouvait le couper selon sa volonté» (p195)


   LIRE AUSSI :  De Gaulle se rend à l’évidence

                                  par Djaffar Lamani *

De Gaulle n’a pas donné l’indépendance à l’Algérie, il y a été amené, contraint et forcé. A son arrivée au pouvoir, son objectif premier et prioritaire, c’est l’anéantissement de la capacité et force de nuisance du FLN/ALN.

Tout le cheminement en méandres de sa politique s’inscrivait dans la constance de la position française des gouvernements de gauche comme ceux de droite : celle de «la France éternelle, qui s’étendrait de Dunkerque à Tamanrasset».Ni le bâton « du rouleau compresseur » des gigantesques opérations militaires ni la carotte des plans de type « Plan de Constantine » ne firent un quelconque effet : le problème algérien ne put jamais être définitivement enterré.

Les Changements de cap et tergiversations de de Gaulle restaient dans leur ensemble inscrits avec la velléité ancrée d’obtenir une reddition sans condition (paix des braves, couteau aux vestiaires…). Leur but demeurer le même : désarmer psychologiquement et physiquement l’ALN, et lui ôter son esprit d’engagement et de combativité mû par le serment de la déclaration du 1er Novembre 54.

Acculé, menacé par les chefs de ses armées, de Gaulle tendra au FLN la dernière nasse du type OSLO : « le cessez-le-feu d’abord et négociation ensuite » dont le FLN évente les dangers et rejettera sans pour autant refuser à s’asseoir à la table de négociations.

Le général, engagé dans l’impasse, dut alors décréter un cessez-le-feu unilatéral, initiative fortement médiatisée, présentée à l’opinion française comme conséquence et résultat de la destruction totale du FLN/ALN.

A cette initiative, lourde de sens et à interprétations multiples, la réactivité du FLN, réaffirmant son omniprésence et imposant son unique représentativité du peuple algérien, se manifesta alors, là où l’ennemi ne l’attendait pas, dans les maquis, dans les villes algériennes et y compris au cœur même de la capitale française par d’éclatantes actions militaires et politiques.

1. Objectif premier et prioritaire de la France l’anéantissement de la capacité de nuisance du FLN/ALN.

De Gaulle à son arrivée au pouvoir ne visait ni plus ni moins que l’anéantissement de la force et capacité de nuisance du FLN/ALN. Toutes ses entreprises entraient dans une unique stratégie, celle de désarmer sur les plans militaire, psychologique et politique le FLN /ALN.

Aussi, Le général a conjugué, en parallèle, toutes ses actions militaires, politiques et diplomatiques, au demeurant inefficaces, à des tentatives d’affaiblissement et de réduction de la représentativité légitime du FLN comme seul et unique interlocuteur.

Ses menaces et velléités de dissection du pays, soit par partition entre Algériens et Européens, soit pour ce qui concerne le Sahara, par partage, avec tous les pays limitrophes voisins que le général n’a pas manqué d’exhorter à revendiquer une part de ce grand et riche territoire du Sud ne furent pas en reste.

2. Le cheminement de la politique de de Gaulle : constance de la position française :

Il n’est pas inutile de remonter et décrire le cheminement de cette politique qui est restée balisée par les slogans de Mitterrand « la seule négociation, avec ces terroristes, c’est la guerre ! » et «la France éternelle s’étendrait de Dunkerque à Tamanrasset».

En effet, Le général est resté conforme et fidèle au contenu et à la logique de la politique des gouvernements de gauche précédents et tel qu’exprimé en 1954 par le ministre de l’Intérieur Mitterrand.

Rappelons comment ce dernier avait réagi aux propositions formulées par le FLN en 1954, dans la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui ouvrait, très tôt, la porte à une solution de paix au problème algérien.

Cette proposition, faite en des termes, on ne peut plus modérés, est la suivante :

«Pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous FLN, avançons une plateforme honorable de discussion aux autorités françaises, si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent, une fois pour toutes, aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes».

Elle fut accueillie avec dérision.

Et la réponse du ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand, faite, quelque jours plus tard, au mois de novembre 1954, a été : «la seule négociation, avec ces terroristes, c’est la guerre !»

Et Ainsi, on constate que la « gauche » comme la «droite» qui ont gouverné la France, se sont toujours rejoints sur la question de l’Algérie : «la France éternelle s’étendrait de Dunkerque à Tamanrasset».

Aussi, la solution militaire adoptée par de Gaulle a été caractérisée par ces fameuses opérations militaires que nous évoquerons ci-dessous, et qui ont été lancées dès son arrivée au pouvoir en 1958.

Elles ont été marquées, d’une part, par un gigantisme jamais égalé, d’autre part, par leur nombre. En comparaison avec la période allant de 1954 à janvier 1958, leur nombre a doublé de 1958 à 1960 avec de Gaulle.

Elles furent grandioses, par leur ampleur et leur étendue dans l’espace et le temps: puisqu’elles n’ont pas cessé de couvrir, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, l’ensemble du territoire national.

L’ampleur de l’une d’elle : l’opération « Jumelles » peut donner une idée de la volonté, et de la décision bien ancrée, de la France et de de Gaulle à venir définitivement à bout du FLN.

Le PC de cette opération « Jumelles », installé au sommet de l’Akfadou en Kabylie, et baptisé « Artois », ne comptait pas moins d’une dizaine de généraux.

Celle-ci, déclenchée en juillet 1959, a eu le privilège de la visite d’inspection du général de Gaulle lui-même le 30 août 1959. Et devant prendre fin en septembre 59, elle se prolongera jusqu’en avril 1960. Il faut retenir cette inspection qui fut à l’origine du fameux discours de septembre 1959.

Il s’agissait, pour ces opérations, de la mise en branle de toute une armée, l’armée française, membre de l’OTAN, dont les moyens humains et matériels étaient incommensurables, supérieurs à ceux des Algériens comme l’indiquent les quelques chiffres concernant les forces en présence.

Moyens Humains se répartissaient ainsi :

– Les forces françaises écrasantes représentaient: 520 000 militaires, 80 000 police, gendarme, CRS 180 000 harkis, GMS, GAD, ainsi que 130 000 Territoriaux, soit 910 000 hommes sans tenir compte du fait que tous les Européens étaient armés.

Nous remarquerons que ces forces avaient augmenté de 40.000 militaires dès l’arrivée de de Gaulle. En effet, il y avait 480.000 militaires, selon Chaban-Delmas, le ministre de la Défense du gouvernement précédent, qui comparaît cette force écrasante à celle dérisoire de l’ALN. Aussi triomphaliste, il affirmait déjà : « l’affaire est dans nos mains ».

De Gaulle dut, lui-même, un peu plus tard, affirmer devant les opposition et réticence des militaires à lui libérer le champ politique, que l’armée compte là-bas (en Algérie), 100.000 soldats de plus que n’en avait, de son temps, Napoléon à sa disposition, pour conquérir toute l’Europe. Et encore que Napoléon ne disposait pas de la supériorité de l’aviation comme en disposait l’armée française contre l’ALN. (*)

En face de ces forces écrasantes, le FLN ne disposait, pendant les périodes les plus fastes, que de 50 000 moujahids, 30 000 fidas et moussebeles, soit 80 000 dans le meilleur des cas.

La supériorité est également patente en matière d’états-majors et d’encadrement comme en matière de matériel, d’armement et de technologies :

o les troupes françaises ne comptaient pas loin de 100 généraux, 600 à 800 colonels et 1 300 à 1 500 commandants, 7 000 capitaines, 16 000 lieutenants, tous formés dans leurs grandes écoles militaires.

o Pour l’ALN, toujours dans le meilleur des cas, on pouvait compter : 6 colonels, une vingtaine de commandants, une cinquantaine de capitaines, 120 lieutenants, tous formés dans et sur le tas (au maquis), Notons ici que ces forces ne concernaient que ceux engagés sur le sol algérien tant pour le FLN que pour la France.

o Pour le matériel et l’armement, il ne peut être moins dit.

– La France disposait de près de 2 000 avions, 300 à 400 hélicoptères, près de 100 000 véhicules (de la moto au char). Les véhicules étaient munis d’armes lourdes. La marine restait en action sur toute la longueur des côtes maritimes et participait activement et de concert à ces opérations.

N’oublions pas enfin que, en tant que membre de l’OTAN, la France pouvait utiliser des forces de l’organisation atlantique.

-En face, du côté de l’ALN, des fusils de guerre ou de chasse et quelques centaines de pièces 24 FM ou 30 US constituaient l’essentiel du matériel de guerre.

La supériorité des forces en effectifs, armement, logistique, communication et media du colonisateur était si écrasante qu’on ne peut, sans pudeur, prétendre que le FLN a été battu au cours de cette guerre.

Personne n’a jamais prétendu que l’armée dans les rangs de laquelle combattait David (Sidna Daoud) était plus puissante que celle du géant Goliath (Jalout). Et pourtant ! A suivre

                 Forces en présence   —   effectifs et encadrement   —    % ALN/France

Encadrement  —  France  —  ALN/FLN         %

Généraux — 100 — 0 — 0%

Colonels — 800 — 6 — 1%

Commandants — 1500 — 24 — 2%

Capitaines — 7000 — 50 — 1%

Lieutenants — 16000 — 120 — 1%

Effectifs combattants — 910000 — 80000 — 9%

3-Ainsi, le problème algérien ne pouvant être définitivement enterré :

Changements de cap et tergiversations de de Gaulle avec la velléité ancrée d’obtenir une reddition qui ne dit pas son nom.

Oui, et pourtant, les faits sont têtus. Ces opérations militaires aussi grandioses qu’elles fussent n’ont pas atteint les résultats, promis et escomptés, par les généraux français et leurs états-majors: le FLN était là, quelque part, et restait toujours présent et indestructible, tel un sphinx qui renaissait de ses cendres, prenant les initiatives qui s’imposaient au moment voulu.

L’autre volet de la politique, celui de la carotte et du bâton, conçue par de Gaulle, en matière de politique sociale, avec ses promesses de plans mirifiques du type « Plan de Constantine », n’avaient pas non plus gagné l’adhésion des Algériens.

Quant aux appels de de Gaulle à la « paix des braves » ou aux « couteaux aux vestiaires », ils demeuraient inaudibles pour les combattants de l’ALN.

Rappelons ici le contenu de cette « paix des braves » qu’il proposa aux combattants des maquis, dans son discours du 23 octobre 1958. Rappelons cette demande de reddition qui ne disait pas son nom. :  » Je dis sans ombrage que pour la plupart d’entre eux, les hommes de l’insurrection ont combattu courageusement…, que vienne la paix des braves et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. J’ai parlé de la paix des braves. Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci, que ceux qui ont ouvert le feu le cessent, et qu’ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail. La vieille sagesse guerrière utilise depuis très longtemps. Quand on veut que se taisent les armes, le drapeau blanc des parlementaires. Et je réponds que, dans ce cas, les combattants seraient reçus et traités honorablement. Quant à l’organisation extérieure… qui du dehors s’efforce de diriger la lutte, je répète tout haut ce que j’ai déjà fait savoir. Si des délégués étaient désignés pour venir régler la fin des hostilités, ils n’auraient qu’a s’adresser à l’ambassade de France à Tunis ou à Rabat…. ».

N’est-ce pas qu’il ne cherchait là, qu’à désarmer psychologiquement et physiquement l’ALN, et lui ôter son esprit d’engagement et de combativité ?

Guerre à outrance, avantages de plans socioéconomiques subitement miroités, tentatives de division dans les rangs de l’ALN, kidnapping des chefs FLN par détournement d’avion, rien de tout cela n’a réussi à faire changer la situation sur le terrain : la population restait unie derrière le FLN qui se régénérait à travers elle, et demeurait de ce fait, omniprésent et n’a rien perdu de la combativité que visait à lui soustraire de Gaulle.

Le général se résout alors à changer de cap et de méthode pour sortir du bourbier algérien qui l’entraînait vers les abysses ou entreprenait d’amener son armée convertie à la politique. Cette dernière avait un besoin pressant de se redorer le blason par une petite victoire qui lui manquait tant, après ses défaites successives : lors de la Deuxième Guerre mondiale, comme celle de Suez, ou celle du Vietnam.

Ce changement esquissé par de Gaulle qui se retrouvait lui-même, avec la France et la notion de démocratie occidentale, menacés par: coups d’Etat, terrorisme OAS et autres, consistait à se mettre en position de négocier avec les Algériens, mais toujours avec la même velléité politique, toujours bien ancrée: celle de garder coûte que coûte, et d’une façon ou d’une autre, l’Algérie dans son giron.

La constance de la lutte armée amena de Gaulle à avancer, dans un de ses discours, à AÏn Témouchent, le 9 décembre 1960, l’idée d’une nouvelle Algérie :  » une Algérie algérienne  » en association étroite avec la France.

La réponse algérienne est venue immédiatement le 11 décembre 1960. Malgré une répression féroce, malgré les nombreux morts, la rue algérienne repositionnait derrière le FLN la question de fond en scandant :  » Algérie musulmane, vive Ferhat Abbas « .

Devant l’intransigeance du FLN, fortement justifiée par l’expérience des échecs d’une série de négociations initiées précédemment que nous évoquerons ci-dessous (*), ainsi que par le souvenir des issues d’accords ou traités reniés par la France qui mettaient fin aux nombreux et différents soulèvements de leurs aïeux, la position de la France évoluera et muera vers une deuxième mouture, celle de faire de l’Algérie  » une deuxième Afrique du Sud  » au seul bon profit des colonisateurs.

Après avoir relevé tous les défis, la déclaration de la révolution du 1er Novembre 54, évitant la nasse du type  » OSLO  » , donne une réponse adéquate à la dernière bravade de de Gaulle : à son ultimatum du cessez-le-feu unilatéral, ou la nouvelle version améliorée des « couteaux aux vestiaires et paix des braves ».

Pour marquer ce changement et devant les méfiances, et refus du FLN, particulièrement celui de le suivre dans sa logique de cessez-le-feu d’abord et négociation ensuite, de Gaulle prit la responsabilité de se résoudre à décréter un cessez-le-feu unilatéral.

Après tout, justifiait-on du côté français, les opérations militaires locales et quotidiennes, depuis l’opération Challe qui a concerné l’ensemble du territoire algérien, enserré entre les barrages infranchissables des frontières Est et Ouest, ces 16 dernières opérations grandioses entreprises sous son gouvernement (celui de de Gaulle), n’ont pas dû laisser grand monde dans les maquis de l’ALN.

Un tel cessez-le-feu, décrété unilatéralement que s’offrait la France, ne pouvait signifier en toute évidence que le FLN, décimé, comme voulaient bien continuer à le clamer les tenants de l’Algérie française et leurs généraux, n’existait plus. Il ne représentait plus grand-chose sur l’échiquier des négociations lors de prochains rounds et de ce fait, il ne peut être l’unique Interlocuteur.

Et ainsi différents scénarios, défavorables à la partie algérienne, se conjuguant à l’infini, en matière de remise en cause de la représentativité du FLN et de son poids en tant qu’interlocuteur unique, s’offraient à la France.

D’autant plus que pour « interlocuteurs » et nouvelles parties prenantes de dernière heure, la liste ne cessait de se peaufiner et s’allonger dans les arcanes et officines françaises aussi bien en Algérie qu’à Paris.

Le MNA d’ailleurs ressuscité, émit des prétentions de participation aux négociations.

Une fédération  » des élus  » en Algérie constituée de maires et autres élus asservis à la France ou faisant partie des promotions Lacoste, est créée, activée et mise à pied d’œuvre.

En parallèle sur le dossier du Sahara et pour en garder sa propre mainmise, la France ira jusqu’à inviter les pays limitrophes africains, Maroc, Tunisie, Libye, Niger, Mali de se porter parties prenantes d’une partie de ce Sud algérien. Ce que n’hésiteront pas, dans un premier temps, de revendiquer ouvertement la Tunisie et le MALI.

Sans vergogne, on menaçait même d’appeler d’autres pays du Nord, et d’abord ceux donnant sur la rive de la Méditerranée, pour participer au partage de « dépouilles » que constitueraient les richesses, fortement alléchantes, du sous-sol du Sud algérien.

Ce qui ressemble aux scenarios actuels qu’on apprête dans les officines occidentales et moyen-orientales pour l’Irak et pour la Syrie.

La sagesse d’une bonne lecture politique, faite par le FLN et partagée par les pays frères limitrophes , conduira à la réprobation unanime de cette tentative de démembrement du Sud. Ce sont des déclarations du type  » le Sahara est une terre africaine  » qui prévalurent en vue de l’unité territoriale du pays.

Si la nasse de négociation – du type  » OSLO  » dans laquelle se sont retrouvés enfermés et empêtrés les Palestiniens avec Israël, comme le Polisario avec le Maroc et à un degré moindre les Vietnamiens avec la France (qui a passé la main aux USA), a été éventée et évitée par les négociateurs du FLN qui refusait le cessez-le-feu, la position restait inconfortable face aux tractations de la partie adverse qui amoindrissait la représentativité du FLN comme seul et unique négociateur des Algériens.

5 Réactivité du FLN : réaffirmer son omniprésence, imposer son unique représentativité du peuple algérien par d’éclatantes actions.

La France allait vite en besogne – appuyant et justifiant sa décision prise, concernant le cessez-le-feu unilatéral, qui traduirait en fait la faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, du FLN – elle annonça à cor et à cri, que certaines régions, comme celles de Akbou, de Boghari, de Aïn M’lila et d’autres, présentées comme régions pilotes, étaient très sûres, totalement pacifiées puisque prétendument nettoyées de tout fellaga ou fidai.

Et c’est à ce moment ultime et crucial, que pour réaffirmer son omniprésence et confirmer sa capacité de maîtrise du terrain aussi bien dans les maquis que dans les villes, tant en Algérie qu’en France, que l’ALN prit l’initiative et se manifesta avec éclat.

C’est sur le terrain même, dans le djebel, les villes et campagnes, que la démonstration avait à se faire. La période connut alors, à l’initiative du FLN, une intensification de la lutte urbaine dans les grandes villes ainsi qu’une multiplication d’embuscades, d’attaques, de harcèlements ou prises de postes militaires dans le reste du pays.

Les manifestations en pleine capitale de la France, balisées par le FLN (par le biais de la Fédération de France du FLN, le 17 octobre 1961, est une autre action psychologique entreprise au cours des négociations d’Evian. Celles-ci ont permis d’ailleurs de mettre plus, à nu et au vu et au su du monde entier, la cruauté de la riposte française, aculée dans ses derniers retranchements.

Devant l’intensité de ces actions du FLN, dans les maquis, comme dans les villes algériennes et françaises, la France perd ses certitudes centenaires.

Elle redécouvre la réalité des choses.

Et sa première réaction a été alors de menacer de suspendre les négociations, Si le FLN n’arrête pas ses actions  » terroristes  » : c’est-à-dire cesser les attentats, les embuscades et les attaques et prise de postes militaires.

Mais c’est déjà, là, une reconnaissance, que l’ALN existait toujours et représentait bel et bien la seule force négociatrice du côté algérien. C’est bien la force qui a imposé la négociation et a déterminé le négociateur représentatif du peuple algérien.

La synchronisation, dans l’espace et dans le temps de telles opérations, à l’initiative du FLN/ALN, qui relève d’un haut niveau d’organisation et de préparation, mérite particulièrement d’être rapportée.

Nous avons choisi de parler ici de l’une de ces opérations sur laquelle nous avons pu ramasser une relative suffisante et objective documentation.

A l’instar d’autres nombreuses actions identiques, telle que l’embuscade de Miliana et autres, effectuées à la même époque à travers le territoire algérien, celle-ci a concerné la prise du poste militaire de Sidi Ayed situé près de Sidi Aïch (Akbou) dans la région de Béjaïa (WILAYA III ZONE I REGION 3), région qui figurait parmi celles considérées et présentées par les militaires français comme les régions pilotes des plus sûres, car censées avoir été totalement pacifiées, c’est-à-dire complètement nettoyées de tout fellaga ou fidai.

Cette opération réussie à cent pour cent – grâce à la perspicacité et à la vigilance du chef de région Bounouri Madani, dit Si Madani Oubaâdache (successeur de Si Arezki tombé au champ d’honneur le 20 janvier 1956 lors de l’accrochage de l’Oued Oumacine) s’est soldée par la destruction totale de ce poste militaire avancé de l’ennemi, par la neutralisation et mise hors de combat de tout l’effectif du poste et enfin par la récupération de tout l’armement se trouvant à l’intérieur, sans aucune perte du côté de l’Armée de libération nationale.

Il n’est pas nécessaire de rappeler que la version des media français, en ce qui concerne cette opération du FLN/ALN (la dépêche de Constantine, entre autres), est tout autre. Ils ont cherché à dénaturer les faits en prétendant que les auteurs étaient des harkas qui, tournant la veste, ont pris les armes et se sont ralliés au FLN et ce, en réaction au changement de politique du général de Gaulle qui abandonne l’idée d’une Algérie qui resterait française.

Pour ne pas ébruiter l’affaire de la prise du poste dans une telle région censée être nettoyée de l’ALN, l’unique soldat français survivant qui, ayant pu échapper aux attaquants et rejoint l’armée, dans un état de traumatisme psychologique catastrophique, fut gardé au secret total, au lieu d’être pris en charge par les médecins et psychologues ou du moins remis à sa propre famille.

Liste des membres de l’ALN ayant pris part à l’opération

BOUNOURI Madani dit Madani OUBAADACHE *

AIT AMARA Hocine dit Hocine OUKABIOU *

IZZA Boudjemaa *

YAYA Mouhoub **

AHFIR Laid dit Cheikh Laid **

KADRI Said **

BENAKILA Belkacem ***

OUATAH Rachid ***

SEDDIKI Rabia ***

SALHI Abdelkader **

AZZI Ferhat ***

MOHALBI Mohamed Arezki ***

ICHAALALAbdelkader dit BOUTMAZOUGHTE **

IFTICEN Madjid dit ZERZOUR *

BOUKERIA Hadi *

ADOUANE Lakhal ***

AIDLI Bouzid *

TIGHILT Smaïl *

* Tombé au champ d’honneur

** DCD après l’indépendance

*** toujours vivant

Le poste, cible de l’attaque:

Le poste était occupé par 11 militaires français et 14 appelés algériens. Ces derniers étaient choisis des autres régions du pays pour éviter tout contact, toute sympathie ou collusion avec la population locale de la région.

Dénommé « camp de regroupement », il était, en fait, un camp de concentration où les populations des villages des alentours étaient parquées autour du camp militaire et ou celles-ci crevaient de faim.

Le poste militaire se trouvait de ce fait au centre et bénéficiait d’une protection humaine, en sus des miradors et barbelés périphériques.

Préparation et exécution de l’attaque de la caserne ennemie  » Hammam Sidi Ayad  » :

La prise de ce poste militaire par l’ALN, fut facilitée grâce à la collaboration de la population de ce camp qui regroupait, comme nous l’avons dit, les populations de l’ensemble des villages de la région, décrétée zone interdite.

Contacts effectués à l’intérieur du poste :

les contacts secrets ont duré environ six mois avant le déclanchement de l’opération en question.

Ceux-ci ont été effectués dans le secret absolu avec 2 soldats algériens (appelés) par le biais de 03 femmes du village, dont l’épouse d’un responsable ALN de la région  » Si Omar « . Il s’agit de Lyakout épouse de Si Omar Benmamas, Harkel Louiza et Talmats Louiza.

Précautions prises et décisions arrêtées avant l’opération :

Avant l’assaut, nous avons pris l’initiative d’éloigner la femme de notre frère de combat, Si Omar, car nous savions qu’elle serait la première suspecte après l’opération.

Afin d’éviter des représailles postérieures par l’ennemi sur la population, ce qui était notre souci premier, il avait été décidé de : ne pas exécuter les soldats faits prisonniers, Ne laisser aucune trace de notre passage à l’intérieur du village pour éviter des soupçons sur la population.

NB : cette décision de ne pas exécuter les prisonniers à l’intérieur du poste, retenue avant l’opération, n’a pas été tenue en raison d’un imprévu que nous expliquerons ci-dessous.

Déclanchement de l’opération.

Une missive précise a été préalablement transmise au chef de l’opération  » Si Madani » par

les contacts de l’intérieur du poste qui y décrivent avec exactitude le procédé pour accueillir à l’intérieur du poste nos djounouds.

Déroulement de l’opération :

Et c’est le 20 Mai 1961 à 20 h précise que guidés par les appelés algériens de l’intérieur du poste, le groupe des 18 djounouds pénètre à l’intérieur du camp ennemi sous la direction de Si Madani. Il fallait agir avec une prudence extrême.

Surtout pas de bruit de pas, lors de notre avancée dans les couloirs,

Eviter de tirer pour ne pas donner l’alerte,

Entrée dans les chambres des militaires et leur neutralisation

Les soldats sont neutralisés par nos djounouds, dans leur chambre, sans aucun incident,

Les deux commandants du poste, n’ayant pas ouvert leurs portes, ont dû être mitraillés de l’extérieur.

Mais l’un d’eux a réussi à s’échapper tout déshabillé par la fenêtre. Il lui fallait moins d’une heure à travers les ravins et buissons pour arriver au poste de Sidi Aïch et donner l’alerte.

Le mitraillage des portes des deux commandants (dont l’un avait été exécuté) ainsi que l’alerte que ne manquerait pas de donner le fugitif à Sidi AICH, ont été les deux imprévus qui nous ont enlevé la possibilité de ramener vivants, lors de notre repli les prisonniers, comme prévu et sans risque d’être rattrapés.

Inventaire humain et matériel du poste ennemi détruit :

Effectif du poste: 25 soldats

Soldats ennemis neutralisés: 9

Soldats ennemis échappés : 2

Soldats algériens du poste et

Intégrés dans nos rangs : 14 appelés

Armes et munitions récupérées (**):

-01 mortier 60 01 fusil mitrailleur

-30 armes de guerre, Garat et Mat49

-12000 cartouches de différents calibres.

-Des grenades et des tenues militaires

(**) Le butin a été transporté par chacun des moudjahidine ainsi que par les militaires algériens qui ont accompagné le groupe de l’ALN après l’opération.

Résultats atteints

sur le plan militaire :

– La victoire de l’opération pour l’Armée de libération nationale dans une zone décrite par l’ennemi comme complètement pacifiée ;

– Relèvement du moral de la population qui a souffert lors de l’opération jumelle, dont l’intensité a fait décréter à l’ennemi que la Zone entière était sous contrôle;

– Récupération d’un important lot d’armes et de munitions dont l’ALN avait grand besoin et ce, depuis l’installation des lignes  » Challe et Maurice  » qui a drastiquement réduit l’approvisionnement de nos valeureux combattants.

– Elimination de tous les militaires français ; seul un officier a eu la vie sauve en se cachant dans un fût, ainsi qu’un sous-officier qui a réussi à prendre la fuite (*).

– Enrôlement des appelés militaires algériens dans les rangs de l’ALN (Ils ne furent même pas désarmés).

Sur le plan politique :

Ce fait d’armes, à l’instar de tous les autres, venait démentir de la façon la plus cinglante les allégations de toute la politique française en prouvant que :

l’ALN restait omniprésente sous le nez de l’armée colonialiste malgré les opérations gigantesques militaires ayant couvert tout le territoire national,

l’approvisionnement en armes et munitions se fait aussi auprès de l’armée française.

la population civile, même étroitement surveillée, restait pour l’ALN la source d’approvisionnement et d’enrôlement de combattants quand le besoin se faisait sentir,

les Algériens appelés en service militaire par la France étaient potentiellement disponibles dans leur majorité à collaborer avec leurs frères du maquis et s’intégrer si nécessaire dans leur rang.

la France, pays des droits de l’homme, en contradiction criarde des enseignements prodigués dans les manuels des écoles militaires françaises portant sur les thèmes de « l’étique du soldat français », de la « conviction d’humanité », de la « morale face aux armées françaises » et de  » la réflexion au cœur des conflits modernes « , supprimait elle-même, sans jugement, ses propres soldats (*) et maltraitait et mettait aux arrêts, sous étroite surveillance ses propres officiers (l’officier français chef de poste, rescapé de l’opération).

(*) Deux des Algériens  » appelés  » parmi les 14 qui ont accepté de se joindre à nous après la prise du poste, et qui n’ont pas supporté la vie du maquis, sont retournés à la caserne de SIDI AICH. Pour s’assurer de leur bonne foi, ils avaient à montrer patte blanche aux soldats français. Pour cela il a été exigé d’eux d’indiquer l’emplacement où les armes lourdes et munitions, prises du poste, avaient été cachées en leur présence.

Les fouilles ont été effectuées à l’endroit exact où ces armes ont bien été cachées en leur présence et sous leurs yeux. Grande surprise ! Les armes n’y étaient plus.

Ils furent abattus sur place par l’armée française.

En effet, pour des raisons de sécurité, le règlement de l’ALN exigeait, dans le cas où il y a de nouvelles recrues dans les rangs des moudjahidines, qui n’auraient pas encore donné la preuve d’un engagement à toute épreuve une procédure particulière. C’est celle de changer de cache aux colis importants tels : armes, documents, argent, médicaments ou autres.

Réaction de l’ennemi :

a Les personnes âgées se souviennent encore de cette nuit, transformée en jour par l’aviation qui illumina toute la région avec les fusées éclairantes pour les besoins de l’opération de ratissage entamée aussitôt l’alerte donnée. S’en suivit la répression aveugle et sans distinction de la totalité de la population de toute la région.

aPendant toute la durée de l’opération-riposte, il a été imposé à la population, comme mesure supplémentaire de représailles, de nourrir toutes les troupes de l’armée française en opération pendant le mois de ratissage qui suivit.

Signification et conséquences d’une telle opération :

L’initiative de mener ou de cesser les actions militaires n’est pas laissée à l’armée française qui prétexte avoir pacifié la région, mais celles-ci sont déclenchées aussi selon la volonté de l’Armée de libération nationale qui en choisit le lieu, le moment, et décide de la manière de conduire l’attaque.

Le début des pourparlers avec la France à Evian coïncide avec la date de destruction du poste militaire de l’ennemi. Ce qui constituait un atout supplémentaire aux mains de la délégation du FLN qui pouvait mener les négociations en position de force, étant établi que sur le terrain l’ALN était toujours là avec sa capacité de nuisance.

Dans ce contexte, s’adressant au gouvernement français au cours des négociations, Monsieur BENYOUCEF BENKHEDA, Président du GPRA, n’a pas manqué de réaffirmer cette même ligne:  » En cas d’échec des négociations, disait-il, l’ALN était en mesure de se maintenir encore en état de guerre contre l’occupant, dix ans supplémentaires si nécessaire « .

Le message ne pouvait être plus clair: c’est-à-dire que la négociation ne nous affaiblira pas et ne nous désarmera pas, ne nous éloignera pas des objectifs fixés par la Révolution de NOVEMBRE 1954.

Il serait juste, en conclusion ici, de dire que ce document est fait en hommage à tous les membres du groupe ayant participé à l’opération et plus particulièrement à ceux qui tombèrent au champ d’honneur sans connaître l’indépendance pour laquelle ils avaient pris les armes au prix de leurs vies.

GLOIRE A NOS VALEUREUX MARTYRS


*Ancien membre de l’ALN


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