LIVRES / LES « DÉSAXÉS » !

    02.07.2020

    par Belkacem Ahcène-Djaballah

Livres


Le Rapace. Roman de Hamid Grine. Casbah Editions, Alger 2019 , 283 pages, 800 dinars


Il avait toujours rêvé d’être le conseiller du prince, il l’était devenu.
L’histoire d’un journaliste talentueux (du moins le croit-il au vu des « like » qu’il note dans sa page facebook !), faisant et défaisant les réputations , se disant « « expert » en communication (au vu de ses « études » et de ses expériences professionnelles ça et là !), ancien veuf toujours éploré (épouse décédée dans un accident d’avion), re-mariée mais toujours sans enfant ……et, de plus, se croyant le plus honnête de la corporation (ne vit-il pas dans un petit appart’ et il ne possède qu’un véhicule poussif). Un complexe de supériorité (d’ordre intellectuel) qui ne dit pas son nom et qui le mènera à, pourtant, être mené « par le bout du nez » par un gros oligarque, affairiste, homme « le plus riche du pays » , jouisseur, manipulateur et aux ambitions politiques démesurées. Il sera son conseiller en com’, « Spin doctor », svp ! (pour lui trouver la « big idea » qui l’aidera à gagner les opinions publiques et à gravir les échelons du pouvoir politique…jusqu’au sommet….en commençant par la création d’un parti politique ). Il aura une grosse rémunération, un très bel appartement et la promesse d’une belle voiture ….Tout pour être « manipulable » et « corvéable » à merci. Le temps de s’en apercevoir et c’est déjà trop tard. Il fera…..avec !

L’Auteur : Né en 1954, journaliste sportif , longtemps chargé de communication (et de la publicité) de Djezzy,l’opérateur de téléphonie mobile, puis ministre de la Communication (mai 2014-mai 2017), auteur de nombreux livres : des essais sportifs et des romans. « Prix des libraires algériens » en 2009.

Extraits : « La tchitchi algéroise n’est guère discrète. Elle est clinquante comme les fortunes amassées rapidement, et tout aussi bruyamment, par leurs pères qui s’adossent souvent à la politique pour bénéficier d’une sorte d’impunité sans craindre des revers de fortune » (p 41), « Il a raison Si Mahmoud, l’ancien ministre de la Culture, qui me disait qu’en six ans de fonction ,il n’a pas vu un seul homme de culture, que des grippe -sous, des quémandeurs, des pseudo-écrivains, des pseudo-artistes, des pseudo-penseurs….Tout est pseudo…. » (p 73), « Il avait pris la mesure de sa tâche : mordre, attaquer, diffamer, pulvériser aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les télévisions, la presse électronique et la presse papier » (p 99), « Une femme naturelle, sincère et transparente avec un homme est une femme morte. C’est de la chair dont on fait les répudiées et les abandonnées » (p 209)

Avis : L’histoire d’un journaliste….. « honnête » face (et/mais avec !?)à un homme d’affaires « rapace ».Mélange de roman et de descriptions des paysages politique, médiatique et « affairiste » nationaux…..Du 3 en 1 de la période Boutef’. Trop de digressions qui rendent difficile la lecture. Y aurait-il de l’auto-bio’ qui ne dit pas son nom dans les pages ! Et , beaucoup(trop) de « leçons » de com’, de citations glanées au fil des lectures….et, aussi, des jugements plus que sévères à l’endroit des « autres » (confrères y compris)

Citations : « L’homme qui est dans la lumière est à découvert, l’homme qui est dans l’ombre est protégé » (p 95), « La première qualité d’un slogan , c’est sa différenciation. Il doit être différent par rapport à tous les autres par le terrain original qu’il occupera » (p 140)


Atillah Fakir, les derniers jours d’un apostropheur. Roman de Ahmed Zitouni, Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2019 (Ed.Souffles, Paris 1987)315 pages, 900 dinars


Atillah Fakir est un « intello » très malheureux. En tout cas , mal dans sa peau. Pourtant, du dehors on pense qu’il a tout : un boulot …d’enseignant vacataire qui ne lui prend pas beaucoup de temps, des amis, une santé qui satisfait pleinement une femme aimante, Anastasia (prénom allusif….à la censure),…… qui supporte ses nombreuses maîtresses. Presque intégré. Pas totalement puisqu’il pense tout le contraire. Il en veut donc à tout le monde : à sa femme pas moche du tout (alors que lui l’est) , à sa belle-mère bien sûr, à ses amis qui, pourtant, lui ont trouvé du travail, à ses maîtresses, à son boulot…..bref à tout le monde. Mais surtout…à tous les autres intellos, les journalistes, en premier lieu : Pour lui, des « mercenaires de l’information » ! Tous des « nullités affirmées, des médiocrités notoires, des valets stylés, caméléons estampillés, chouchous divers, protégés décrétés, porte parole, porte micros, porte fanions, supports publicitaires, girouettes ataviques, fils à papa, neveux à tonton, maris de filles à papa, femmes de neveux à tonton, plus les discrets par-relations occultes, les par-services rendus, les par-services-à rendre, les en -attendant –les élections, les mis-au placard, les mis-au rencart, les retraités dans la fleur de l’âge, les retraitables en puissance, les sur liste d’attente, les etc…etc.. .En tout , pas moins de quatre cents espèces et sous-espèces, sans compter les variantes d’une même sous-espèce , les présentatrices, les pantouflards, toute une faune »….Voilà de quoi satisfaire nos contempteurs de la presse et de ses travailleurs !
Mais pourquoi donc ?
Donc, Attilah Fakir est un écrivain….. d’origine algérienne, un « bougnoule » installé à Aix (Sud de la France) âgé de 33 ans , qui se prépare à passer dans une célèbre émission télévisée française consacrée à la littérature. Anastasie , sa femme, s’interroge sur l’étrange comportement de son mari ; elle commence par soupçonner une aventure mais finit par apprendre qu’Attilah Fakir allait passer à la télévision et qu’il a écrit un livre …à succès, « La balade du bicot » qui après avoir connu divers refus, finit enfin par être édité. Un livre « saisi » par Nedjma (prénom allusif…à la liberté) , une petite amie. Pendant trois jours, il passe par des phases d’angoisses, d’anxiétés et de paranoïa. Cet homme névrotique (il est accompagné d’une « voix » que lui seul entend) , fou du désordre, connaîtra vers la fin un changement incroyable et très inattendu. A la fin de chaque été, il devient dépressif, anxieux, ne mange plus, ne dort plus, grogne et insulte tout le monde ; car c’est le moment de la rentrée littéraire où l’on récompense quelques œuvres éditoriales. Cette saison littéraire, Attilah Fakir l’a surnommée « La saison des vautours » .Mais aussi, ce roman nous raconte comment après plusieurs années, Attilah Fakir finit par se réconcilier avec sa mère qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, puisque, avant de se rendre à Paris, il décide de faire un petit détour à Marseille pour la voir et l’informer de son passage à la télé ; et curieusement, lui, qui d’habitude ne se laisse pas faire, se fait rabaisser, insulter et mitrailler par sa mère . Mais comme toute mère digne de ce nom, elle lui prépare un casse-croute et lui donne de l’argent. Donc, en résumé, ce roman nous raconte comment ce jeune enragé et révolté va ( croit-il !) se faire humilier et ridiculiser devant des millions de spectateurs au moment de la présentation de son roman « La balade du bicot » . Le grand jour est , enfin, arrivé. Paris. Attilah Fakir vit un vrai calvaire, car, aussitôt arrivé sur le plateau, nous assistons à un formidable monologue (lui et sa « voix ») . Face aux caméras, notre héros reste muet. C’est bien la première fois qu’il fait preuve de bon sens et s’efforce de rester poli et de garder ses remarques osées et ses critiques pour lui-même. Celui qui se disait l’ennemi proclamé de la télévision, celui qui ne mâchait pas ses mots, qui n’hésitait pas à dire le fond de ses pensées, celui qui, à longueur de journée, insultait les gens, décide lors de l’émission de garder le silence et « s’incline » devant la présence de Filousophe, Critiquetard, Romanteuse, Pantouflet et Sorbonnagre. Tout ce beau monde a réussi à déstabiliser (ou plutôt à lui faire prendre conscience de la réalité ?) et Attilah Fakir décide , devant toutes les caméras et tous les téléspectateurs, de quitter le plateau sans aucune explication. Une « catastrophe » en live….qu’assurément sa maman et les médias tellement dénoncés ne lui pardonneront pas. Perdant sur tous les tableaux ? Pas si sûr, le système arrivant à « récupérer » tous les coups, même les plus « foireux ».
Morale de l’histoire : Le « cinéma intérieur » individuel n’a jamais fait le poids face à la réalité collective. Hélas ! De plus, chez un émigré , un « bicot », c’est bien pire. Ma question, toute bête : Mais que faisait-il là-bas ? Et pourquoi y est-il allé ? Encore une victime d’un « autre cinéma intérieur ».

L’Auteur : Né en 1949 à Saida. Ecole normale (Oran puis Alger). Enseignant de maths. Arrivé à Marseille à 24 ans, petits boulots, exclusion ordinaire….Sciences Po’ Aix en Provence. Ecrivain vivant dans le sud de la France (Aix) , auteur de plusieurs ouvrages (romans et essais)dont « Eloge de la belle –mère » déjà présenté

Extraits : « Jouer au contestataire, c’est pas contester. Analyser la condition immigrée, c’est parfois se cacher qu’on en en est un » (p 74), « Pondre des historiettes, c’est à la portée de n’importe quel crétin bardé de prix et encensé dans les rubriques dites littéraires. Moi, ce que je veux, c’est embrasser le risque de comprendre, plonger dans cette aventure de souffrance qu’est la quête du sens d’une vie » (p 204)

Avis : Un auteur qualifié d’ « étrange ».Un livre assez déconcertant, qui dénonce l’exil, l’humiliation et le racisme que peut subir tout étranger en France. Certes bien écrit (avec un –trop ?- grand souci d’un exercice de style réussi) , dans lequel on trouve du sérieux, du tragique, du triste, du noir, et beaucoup d’humour. Ne pas se décourager, la fin justifiant la patience.
A noter que l’ouvrage a fait l’objet d’un magistère, en 2008, à l’université de Saida (Berrachdi Hayat)

Citations : « Un livre, c’est un furoncle d’existence explosant en lignes et ratures, plus de ratures que de lignes » (p 146), « Si tu savais comme c’est grand et comme c’est fragile, un livre » (p 152), « Après les siècles de lecture, nous entrons dans ceux du marketing et de la consommation de masse. L’imprimé n’est qu’une facette de cette aberration en germe… » (p 214)


 

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