LIVRES / LE TEMPS DES «VIRUS»

    par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                                               Livres

L’Algérie dans la pandémie du Coronavirus. Crises, Hirak et Décantations. Essais (ouvrage collectif). Alger 2021, 286 pages (dont un cahier de dessins), 1000 dinars

Alternativement (tous les deux ans) au Prix de journalisme, un colloque (une à deux journées rassemblant des intervenants algériens et invités étrangers) sur un thème économique et social, devait se tenir. Mais, hélas, pour cause de Covid-19, il n’a pu avoir lieu comme d’habitude… Mais le résultat est quand même là avec une belle et consistante publication (comme d’habitude et ce depuis la création de l’Association «Les Amis de Abdelhamid Benzine») regroupant treize (13) contributions… cinq collaboratrices et huit collaborateurs.

Le Pr Belhocine a présenté «la tectonique du Sras-Cov 2 : «Polyrupture et changement de paradigme». Abdelatif Rebah a abordé le cas de «l’économie algérienne face à la pandémie…». Mahammed Nasr-Eddine Koriche s’est penché sur la «fragmentation du monde du travail sur la question de l’emploi et du revenu». Nouredine Bouderba a posé son œil (critique) de syndicaliste pour évaluer l’impact de la Covid-19 en Algérie. Pour Fatma Oussedik, la sociologue, la société algérienne affronte deux virus : la Covid-19… et le déni. Louisa-Dris Ait Hamadouche a évalué le coût de la gestion événementielle des crises du système politique. Nadia Amedjout Ouarek a présenté l’expérience du Réseau Wassila. Belkacem Mostefaoui a abordé la guerre médiatique. Hocine Bellaoufi a fait une analyse du Hirak et ce que le mouvement a subi de la Covid-19. Khaoula Taleb Ibrahimi a dressé les chroniques d’ «une enseignante confinée». Ahmed Tessa s’interroge sur le destin de l’école algérienne : se refonder ou le néant. Tayeb Kennouche, le sociologue a préféré raconter l’Art et la Culture. Quant à Besma Belbedjaoui, elle a étudié le nouveau modèle de gestion des déchets à mettre en place.

Bref ! treize contributions à lire absolument car elles donnent à réfléchir.

Les Auteurs : Mohammed Belhocine(Pr médecine), Abdeltif Rebah (économiste), Mahammad Nasr-Eddine Koriche (Pr sciences politiques), Nouredine Bouderba (syndicaliste), Fatma Oussedik (sociologue), Louisa Dris-Ait Hamadouche (Pr sciences politiques), Nadia Amedjout Ouarek (psychologue), Belkacem Mostefaoui (Pr sciences de l’information et communication), Hocine Belaloufi (journaliste et essayiste), Khaoula Taleb Ibrahimi (Pr sciences du langage), Ahmed Tessa (pédagogue), Tayeb Kennouche (sociologue), Besma Belbedjaoui (biologiste) et… pour les dessins, les enfants : Nassira Fatma-Zohra (couverture), Sofia, Adam, Akram, Anaïs, Adel, Djanet, Lina, Louna, Ouaïl, Ayline, Sofia Inès, Zeriab, Ouail, Chahine, Zakariya.

Sommaire : Introduction/ Présentation/ Treize contributions/ Résumés des contributions/Biographie de Abdelhamid Benzine/Cahier de 19 dessins d’enfants (seize pages couleurs).

Extraits : «Les mesures de confinement, prises un peu partout dans le monde pour réduire la transmission du virus, entraînent une rupture dans la vie économique et sociale» (Pr Belhocine Mohammed, p 20), «La pandémie entraîne des bouleversements économiques et sociaux sans précédent qui creusent encore davantage le fossé des inégalités» (Abdeltif Rebah, p 50), «La pandémie de la Covid-19 a provoqué la plus grave crise sanitaire, économique et sociale depuis la Seconde guerre mondiale» (Noureddine Bouderba, p101), «Cuba a montré qu’un autre monde, plus humain, fait de coopération et de solidarité et de progrès partagé, est possible» (Noureddine Bouderba, p106), «Depuis le mois de février, il est clair que le pouvoir est le seul détenteur d’une violence dont il détient le monopole et dont il se sert. Il détient la violence légale et toute autre source de violence est définie, donc, comme illégitime» (Fatma Oussedik, (jusqu’à p132), «L ‘Algérie possède la journée scolaire la plus chargée au monde… et l’année scolaire la plus courte… Nos bacheliers arrivent avec un déficit de deux ans et demi d’apprentissage (Ahmed Tessa, p 224).

Avis : Contenu et contenant… un couple parfait. Et, des dessins d’enfants qui en «disent long» sur l’état mental de la société

Citations : «Là où est la propriété, là est le pouvoir» (Abdeltif Rabah, p 67), «Fondée sur la prédation, l’activité économique a ajouté, à la brutalité physique, celle d’un argent «brutal» (Fatma Oussedik, p 136), «Comme un organisme vivant, le système politique est un «tout». Cette «totalité» signifie qu’il est davantage que la somme des parties qui le constituent… Cette «totalité» permet son (Note : le système algérien) fonctionnement et garantit sa régénération et sa perpétuation» (Louisa Dris-Ait Hamadouche, p 148), « La gestion événementielle d’une crise de cette ampleur est comparable à celle de vouloir guérir un cancer avec une tisane» (Louisa Dris-Ait Hamadouche, p162), «Art de faire et production intellectuelle d’une nation, le journalisme, en particulier d’investigation, est une irremplaçable source d’alerte et de critique sociale, en données de réalités» ( Belkacem Mostefaoui, p 190), «La démocratie, sans justice sociale et sans souveraineté nationale, portée par les représentants d’une bourgeoisie compradore inconsistante, n’est pas viable» (Hocine Belaloufi, p 203), «En éducation : demain, c’est aujourd’hui» (Ahmed Tessa, p 233).

Pavillon Covid-19 (Sept jours en enfer). Récit de Mahdi Boukhalfa. Editions El Qobia, Alger 2021, 137 pages, 1 000 dinars

Mahdi Boukhalfa a toujours été un homme-surprise, un journaliste de terrain, mais aussi d’analyse et de réflexion. Mais, cette fois-ci, il a trouvé plus «fort» que lui.

Pourtant, il a tout fait pour l’éviter : bavettes, gestes barrières, gel hydroalcoolique… Le 21 août vers 17 heures, au lendemain d’un service de nuit (à l’Agence de presse), il doit être admis en urgence en hospitalisation. Le coronavirus venait de «frapper» !

La brusque plongée dans l’univers va durer toute une semaine. Sept journées… «en enfer». Sept journées «terribles, cauchemardesques»… Déjà dès l’arrivée à l’hôpital, c’est une atmosphère de film américain de série «B» sur les mutants et les extraterrestres, avec les ambulances aménagées pour l’évacuation des personnes atteintes du virus, qui slaloment entre les véhicules pour rentrer au plus vite à l’hôpital ou aller chercher avec force sirènes un «contaminé»… ce qui n’a pas empêché bien des moments de détente et de discussions avec les compagnons d’infortune… de la seconde salle des contaminées . Lit, n°21. Neuf lits pour 20 m2 et d’entretien, séparés par des cloisons en plexiglas, numérotés de 19 à 28… et une des fenêtres donnant sur une ruelle d’un quartier résidentiel avec des villas cossues. Heureusement, dit-il, un lit «très confortable lorsqu’on revient, fatigués et le souffle coupé, de la selle»… Une épreuve ! Et, aussi et surtout, d’apprécier les efforts des personnels soignants très attentionnés (bien qu’extrêmement fatigués) et d’entretien et de surveillance (plus que rigoureux). Le reste devient une «routine» hors du temps, mis à part les «couffins» amenés par les parents, les rares discussions entre «numéros», et les conversations téléphoniques familiales pour «passer commande» de nourriture, de produits sanitaires, de vêtements de rechange… ou pour s’inquiéter «si la voiture a été bien lavée» et si «les travaux d’aménagement avancent»…

Un seul gros bémol : l’état des «Toilettes» (la «Salle d’eau») lesquelles, malgré les nettoyages approfondis quotidiens, se retrouvent, presque immédiatement après, quasi infréquentables. Un «supplice». Un «cauchemar». Quatre «misérables» toilettes et trois lavabos pour une trentaine de malades, tous atteints par le Sras-Covid2. Et en plein mois d’août avec, parfois, quelques coupures d’eau. D’ailleurs, l’auteur leur consacre (et c’est la première fois que je retrouve un tel «étalage» aussi détaillé -plus que réaliste – dans un écrit) tout un chapitre (3ème). Heureusement (sic !), les «covidés» ont perdu (durant leur maladie) leur odorat.

L’Auteur : Né en 1955 à Alger, sociologue urbaniste de formation (Université d’Alger), journaliste à l’Aps (dont chef de bureau à Bordj Bou Arréridj), directeur du bureau Aps de Rabat, correspondant à Alger de plusieurs médias algériens et étrangers… et auteur de plusieurs ouvrages dont «Mama Binette, naufragée en Barbarie», «la Révolution du 22 février»…

Table des matières : Avant propos/Préambule/Contamination/ Parmi les Covidés/ Un supplice nommé toilettes/ Pleurs et sanglots dans la nuit/ Tant qu’il y aura des «Anges»/ Jours ordinaires dans une salle pour Covidés/ La grande menace/ L’épée de Damoclès/ Délivrance.

Extraits : «Notre survie à une telle catastrophe économique, à ce virus dévastateur, a quelque chose de «divin» (p 13), «S’il y a quelque chose qui marque un malade «Covidé» et le terrifie à chaque fois qu’il a des besoins à faire, c’est bien l’état des toilettes de l’hôpital. Seule consolation, les «Covidés» ne sentent pas…» (p 59), « L’apparition de la pandémie a, en réalité, montré la face cachée, affreuse et inhumaine de l’univers de la fabrication du médicament. Et tant que le roi dollar existe, la philanthropie fera partie des vœux pieux» (p 98).

Avis : Du (très) grand reportage… de l’intérieur. Au-delà de la souffrance vécue… involontairement, l’exploit de tout journaliste qui se respecte. Bien sûr, comme tout bon auteur qui se respecte… quelques «bretelles» (pas des sorties de route)… sur Camus, Fanon et Feraoun. Utiles !

Citations : «En fait, un lit est important dans la vie, pour beaucoup de gens dans le monde. Il permet, outre de se reposer d’une dure journée de labeur, de dormir, mais également de voir défiler sa vie, sinon de la penser ou la repenser, de la créer, de la changer, s’il le faut» (p 34), «Décidément, les humains ont bien des secrets, en particulier en allant à la selle» (p 61), «Feraoun et Fanon ont légué un patrimoine thérapeutique, intellectuel et révolutionnaire inestimable, aussi riche que leur combat inlassable, de tous les jours, contre l’asservissement de l’homme par l’homme» (p 85), « Dans un hôpital, il n’y a pas plus humain que la souffrance» (p105), «Cette pandémie nous a montré que nous sommes, à l’échelle de l’univers, si petits et si insignifiants. Mais, en même temps, si rares, si précieux et si importants dans ce cosmos infini» (p 124), «L’homme ne doit pas précipiter sa déchéance en allant chercher des aliments contraires à ses besoins physiologiques… Dans 2000 à 5000 ans, des explorateurs venus de l’espace intergalactique feront une macabre découverte : l’Homme s’est tué en mangeant» (p129).


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