Livres / MARCHE(S)… ET RÊVE !

par Belkacem Ahcène-Djaballah

Livres 

LA RÉVOLUTION DU SOURIRE. Ouvrage collectif (introduction de Sarah Slimani). Editions Frantz Fanon, Alger 2019, 600 dinars, 198 pages 

Dix textes qui décrivent et chantent, chacun à sa manière et dans son style, une révolution en marche. Une démarche pas facile du tout ; cette révolution étant en mouvement continu et rapide avec ses vendredis et ses mardis pacifiques mais décidés à en finir une bonne fois pour toutes avec un système qui tarde (et qui, au fond ne veut pas car trop d’intérêts sont en jeu et un «formatage» des esprits d’au moins trois générations… presque tous les plus de cinquante ans) à «dégager»… et système distillant les changements et les «réformes» au compte-gouttes. Il est vrai qu’après près de vingt ans de règne sans partage par un groupe restreint de «gouvernants» plus prédateurs que gestionnaires… et près de cinquante ans de quasi-unicité idéologique et politique (période accompagnée, elle aussi, il ne faut pas se leurrer, d’une prédation plus soft et moins visible) le pays et une bonne partie de son peuple (du moins les plus de cinquante ans… les enfants du populisme et de la rente ) s’étaient retrouvés totalement formatés pour ne plus contester et encore moins désobéir. 

Hirak, mouvement populaire, révolution… peu importe l’appellation. L’essentiel étant la détermination et surtout un comportement pacifique accompagné d’amour du pays et de l’ autre… les «ripoux» de la République exclus, cela va de soi. Accompagné, aussi, d’un humour décapant, certainement pour remplacer la rage et la violence contenues. 

Dix textes donc, accompagnés à chaque fin d’une sélection de slogans en plusieurs langues : arabe, amazigh, anglais, français… pour que le monde entier voit et comprenne que c’est du sérieux. «C’est écrit partout dans les affiches, je souris et je pleure en même temps» (Mohamed-Anis Saidoun). Du long et du court. De la description. De la réflexion. Du commentaire. De l’impression. Et quelques textes qui «accrochent». 

Ainsi, «Fils de pute», p 123, signé Mohamed Kacimi : il vous fait entrer dans le cerveau de notre «grand malade» («fakhamatouhou», vous l’avez deviné !) qui voit mais n’arrive ni à bouger ni à parler, qui ronge son frein et qui peste… Ainsi, «Le murmure», p 75, signé Hedia Bensahli, un texte si émouvant sur les «Misérables» que l’on a peine à le terminer… Ainsi… 

Les Auteurs : El Mahdi Acherchour, Kamel Bencheikh, Hédia Bensalhi, Salah Guemriche, Mohamed Kacimi, Amina Mekahli, Said Oussad, Mohamed-Anis Saidoun, Rabeh Sebaa, Mynda –Nawel Tebbani,Sarah Slimani. 

Extraits : «Comme c’est haut le désir de monter en faisant monter tous les désirs jusqu’au désir de voir ce que maintenant deviendra la résurrection, l’insurrection !» (El Mahdi Acherchour, p 30), «Je sors de mille deuils, et ce qui m’anime c’est la joie accompagnant les grands changements» (El Mahdi Acherchour, p 38), «C’est triste. Je ne crois plus en ma génération. Nous sommes morts depuis longtemps, mais nous l’ignorons. On ne peut rien tirer de nous qui avons les paroles de mort incrustées jusqu’au plus profond de nos âmes» (Mohamed-Anis Saïdoun, p167), «Aujourd’hui, jour de résurrection. Aujourd’hui, je vais foutre le bordel» (Mohamed-Anis Saïdoun, p 168) 

Avis : Des textes, courts ou longs, qui vous font passer par tous les «états» de la révolution populaire. Et, si vous vous en éloignez, les slogans repris en fin de chaque texte vous font replonger… dans la réalité dont on veut, peut-être, se débarrasser… et dans le rêve (de jeunesse pour les plus âgés qui ont, peut-être, raté le coche dans une «autre vie») enfin réalisé. 

Citations : «Plus on se moque de lui, plus je l’aime, mon peuple, ce bel ouvrier des premières fondations ;et je l’aime encore plus quand il s’en moque, quand il ne se moque que de lui-même» (El Mahdi Acherchour, p 42), «Le peuple a compris que le Mur n’était qu’une illusion, qu’il n’existait finalement que dans la tête de ceux qui y croyaient, qui en avaient peur» (Saïd Oussad, p 160), «Ils ont les chars et nous avons le sourire. Ils ont un long cauchemar et nous, désormais, nous rêvons ensemble» ( Mohamed-Anis Saïdoun, p 174) 

(Quelques) slogans : «Marcher. C’est bon pour la santé. Manifester. C’est bon pour la dignité», «Vous êtes la pluie et on est le beau temps», «La jeunesse a tout à gagner, la vieillesse n’a rien à perdre. Alors… dégagez… de notre chemin», «Vous avez ruiné nos vies, nous ne vous laisserons jamais détruire celles de nos enfants», «Fab. :avril 1999/Exp. : avril 2019.Bouteflika –Périmé, utilisation dangereuse», «Macron, t’as le droit d’épouser une vieille. Par contre, t’as pas le droit de nous imposer un vieillard», «Vous allez vous confronter à une génération qui vous connaît bien et que vous ne connaissez pas du tout», «Non à la prolongation. On n’est pas dans un match de foot», «Ils ont des millions, nous sommes des millions», «Nous sommes blancs d’espoir, verts de dégoût et rouges de colère», «L’Algérie, pays des héros, dirigée par des zéros», «Femmes en action, le clan Boutef n’aura même pas notre soutien-gorge» «Vous êtes les voyous de la ripouxblique», «L’Afrique doit retrouver son nord», «L’Algérie est un pays et non une caserne» 

MARCHER ! Ouvrage collectif (série «Nous autres. Éléments pour un manifeste de l’Algérie heureuse») sous la direction de Amin Khan. Chihab Editions, Alger 2019, 1 000 dinars, 182 pages 

«Révolution du sourire»… C’est certain, – malgré les rages et les colères, les cris et les larmes, dans une atmosphère presque familiale, toute conviviale, pacifique et fraternelle (même et surtout avec les forces de police elles-mêmes bien souvent remplies d’émotion et de joie, contenues, bien sûr)- le résultat espéré, tant attendu depuis presque vingt années (sinon plus pour les plus âgés d’entre les démocrates) était là. Cinq, dix, vingt millions de personnes manifestant dans la rue pour que le «Système dégage» et laisse place à l’espoir d’une Algérie meilleure telle que rêvée par les pères fondateurs et libérateurs des années 50, telle que voulue par la «génération 2000». 

Une «Révolution du sourire» qui, quelles que soient les résultats finaux, a déjà renversé un ordre bien établi… «une réalité historique qui fera école dans les futurs traités de science politique tant elle se situe d’ores et déjà à l’avant-garde d’une nouvelle sociologie politique du 21e siècle qui s’esquisse en Algérie, ici et maintenant» (Feriel Aït-Ouyahia) 

Là aussi, du long et du court. De la description. Des analyses. De la réflexion. Des propositions. Du commentaire. De l’impression. De la prose-poésie et des photos aussi. Et, des textes qui «accrochent» plus que d’autres… Problème de goûts en matière d’info’ ! 

Ainsi, le texte, sous forme d’enquête de terrain, «Ouled El Bahdja» de Lynda Abbou, sur la naissance et la vie de l’hymne fétiche, «La Casa del Mouradia»… un hymne chanté dans les stades, par les supporteurs de l’Usm Alger (et imité) un an auparavant avant le mouvement suivi par «Ultima verba», le 17 février, c’est-à-dire quatre jours avant le soulèvement populaire. Ainsi le texte de Mohamed Magani, «Au fil des marches» qui retrace, brièvement mais clairement, l’évolution des marches : 8 mars 2019, 15 mars 2019, 22 mars 2019… toutes commençant bien avant la prière… et, il fallait le dire. 

Ainsi… Saïd Djaafer qui, en peu de mots, concis et précis comme toujours, raconte sa tristesse pour avoir «raté « La photo»… de sa vie. Celle d’un vieux qui du haut de son balcon, «prêt à sauter pour faire partie de la marche», chante avec la foule qui défile… «Mazal al baraka, ya baba, mazal !» 

Les Auteurs : Lynda Abbou, Feriel Ait-Ouyahia, Salah Badis texte en arabe), Mouanis Bekari, Sabri Benalychérif (photographies), Ramzy Bensaadi (photographies), Houari Bouchenak (photographies), Mouloud Boumghar, Akram Belkaid, Meryem Belkaïd (poésie), Mustapha Benfodil (poème), Samy Benmehidi (de l’île de la Réunion), Farid Chaoui, Saïd Djaafer, Tin Hinan El Kadi, Amin Khan, Rym Khene (poésie), Youcef Krache (photographies), Mohamed Magani, Khadidja Markemal (Photographies), Maya Ouabadi, Amel Ouaïssa (texte en anglais, entre Alger, Tazmalt et Berlin), Ouled El Bahdja, Fethi Sahraoui (photographies), Lydia Saïdi (photographies), Nedjib Sidi Moussa (entre Alger et Paris), Arezki Tahar (photographies), Mohamed Tadjadit (texte en arabe, propos recueillis par Lynda Abbou), Idris Tarranti, Hocine Zaourar (photographies) 

Extraits : «Cette révolution que nous avons, nous autres, le privilège inouï de vivre, est d’abord terriblement émouvante. Le sentiment qui domine dans les rues, dans les places publiques, dans les cœurs, dans les regards, dans les gestes, c’est l’amour» (Amin Khan, p 13), «L’absence d’une éducation critique de la population sur son Histoire, et l’absence d’un processus de justice et de vérité qui solde dans la conscience collective la période hideuse d’un passé, peut faire remonter à la surface les démons de l’autoritarisme et de ses conséquences» (Farid Chaoui, p 81) 

Avis : Un peu de tout, de tout un peu… mais il fallait faire vite. Une «avant-garde visuelle et documentaire du peuple en mouvement». Heureusement, la série fait toujours bien. Peut se lire… tout en marchant. 

Citations : «La révolution de Février (2019) est une grandiose insurrection morale» (Amin Khan, p 16), «Ils ont cru que les Algériens étaient soumis alors qu’ils ne faisaient que voir en eux leur propre figure d’être soumis par l’ignorance, l’inculture, la cupidité, accueillants volontiers en eux-mêmes les germes de la prostitution, de l’aliénation et de la trahison» (Amin Khan, p 16), «Cette révolution que l’on nomme parfois, par pudeur peut-être, révolution du sourire, est déjà, quelle que soit l’issue, une révolution d’essence populaire et démocratique, une révolution de la liberté, de la justice et de la dignité «( Amin Khan, p 17) 

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