« Mauvais élèves » : l’humain contre le matériel

   par Kaddour Naïmi

Les destructions d’infrastructures civiles et leur lot de massacres de population, dont le Liban vient d’être victime, reportent au passé, susceptible d’éclairer le présent, au-delà de la propagande.

Hiroshima et Nagasaki.

Le hasard fait coïncider la publication de cette contribution au mois pendant lequel deux bombes atomiques furent, pour la première fois dans l’histoire humaine, lancées par l’armée états-unienne non pas sur des objectifs militaires, mais sur la population civile à Hiroshima et Nagasaki. Prétexte invoqué : éviter des millions de morts en cas de continuation de la guerre classique. Les documents dévoilent la vérité : l’extermination de la population civile des deux villes servait d’avertissement à l’Union soviétique, qui disposait d’une armée impressionnante, pour lui dire qui tenait le bâton de gendarme hégémonique sur la planète.

Irak.

En 2003, durant l’agression de l’armée états-unienne contre l’Irak, appelée joliment, pour ainsi dire, « Operation Iraqi Freedom », je fus l’un des millions de personnes totalement effarées : « Comment de telles incroyables destructions sont commises, pas seulement contre des militaires et leurs infrastructures, mais tout autant sinon plus contre la population et les infrastructures civiles ? »

N’étant pas victime des « explications » d’experts de journaux et de plateaux de télévision, contrôlés par des propriétaires privés et/ou étatiques, j’ai cherché, y consacrant le temps et l’effort nécessaires. Jusqu’à arriver à la source. Voici ce que j’ai lu puis publié[1].

« Shock and Awe » (Choque et terrorise)

Disponible sur le site de l’ « US Department of Defence’s Command and control Resarch Program », on lit dans le document intitulé « Shock et Awe : Achieving Rapid Dominance » (Choque et terrorise : réaliser une rapide domination ) :

« Les valeurs fondamentales et la vie sont les objectifs principaux, et le but est, en attaquant et en endommageant peu, de convaincre la majorité que la résistance est inutile. La société tout autant que les militaires sont les objectifs[2]. »

« Choquer et terroriser sont des actions qui suscitent un sens de peur, de danger et de destruction qu’une grande partie des secteurs/éléments spécifiques de la société e de leur leadership menacé n’est pas en mesure de comprendre. La nature, par exemple, quand elle se manifeste par des événements extraordinaires comme la tornade, les ouragans, les tremblements de terre, les inondations, les incendies incontrôlées, les famines et les maladies peut générer choc et terreur. Un exemple de suprême application militaire du concept « Choque et terrorise » est le lancement des deux bombes atomiques en territoire japonais durant la seconde guerre mondiale[3]. »

On lit encore dans le document :

« Le choix des objectifs pourrait inclure des moyens de communication et de transport, des industries alimentaires, de fourniture hydrique et autres éléments infra-structurels. (…) également pour provoquer rapidement un niveau de choc national semblable à l’effet du lancement des bombes nucléaires de Hiroshima et Nagasaki sur les Japonais.

Le second exemple est « Hiroshima et Nagasaki » signalé auparavant.

L’intention ici est d’imposer un régime de Choque et Terrorise instantané, des niveaux de destruction de masse quasi incompréhensibles, visant à influencer la société dans sa majorité, aussi bien les dirigeants que le public, plutôt que d’attaquer directement des objectifs militaires ou stratégiques, même avec relativement peu comme nombre ou systèmes. L’usage de cette possibilité contre la société et ses valeurs, appelé « counter-value » dans le jargon de la dissuasion nucléaire, consiste en attaques destructives massives contre la volonté publique de l’adversaire à résister et, idéalement, rendrait incapable cette volonté, immédiatement et rapidement, en peu d’heures ou de jours[4]. »

« Cependant, il est de vitale importance de donner l’impression que n’existent pas de paradis sûrs et que chaque objectif peut être attaqué à tout moment, impunément et avec force[5]. »

« Le juste équilibre entre choc et terreur doit donner la perception et pré-annoncer une défaite certaine, en menaçant et en faisant craindre que l’action puisse suspendre le fonctionnement de toute ou d’une partie de la société ou annuler sa capacité de combattre par effet d’une destruction physique totale[6]. »

Si, malgré la lecture de ces extraits, on continue à rester effaré par le nombre des victimes civiles, la réponse est également donnée : « Nous ne faisons pas le compte des corps [des morts] »[7].Le général états-unien parlait évidemment non pas des corps des morts miliaires U.S., mais  des militaires et de la population civile agressés. De fait, dans toutes les agressions perpétrées par l’armée états-unienne, on ignore le nombre de morts dans le camp adverse. Seul compte le nombre de morts dans le camp états-unien, car la leçon vietnamienne a enseigné : si le nombre de morts parmi les « cow-boys » de l’armée impérialiste dépasse un certain chiffre, les « braves » et « patriotes » citoyens des États-Unis se mobiliseraient pour mettre fin à la mort de leurs « enfants », « maris », « épouses », et « parents ».

Ceci étant dit, la stratégie militaire états-unienne a sa méthode de propagande : les destructions infligées au peuple irakien avaient pour but sa « freedom » (liberté). Évidemment. Tout comme, concernant le port de Beyrouth[8], les dirigeants d’Israël manifestent soudain et pour la première fois leur « solidarité » avec le Liban[9].

Durant l’agression de l’armée états-unienne contre le Vietnam, on lisait : « La solution au Vietnam, c’est plus de bombes, plus d’obus, plus de napalm, jusqu’à ce que l’autre craque et abandonne[10]. » « On va les bombarder jusqu’à ce qu’ils retournent à l’âge de pierre[11]. » De fait, l’aviation états-unienne a déversé sur le Vietnam plus de bombes que toutes celles lancées durant la seconde guerre mondiale. Encore aujourd’hui, l’agent orange continue ses criminels méfaits dans la population vietnamienne.

« Mauvais élèves »

Alors, totalement puissants et omnipotents, les impérialistes, même en commettant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, tels que définis dans les textes internationaux officiels ?… Réponse de l’auteur de la stratégie qui a vaincu militairement l’armée colonialiste française, puis celle impérialiste états-unienne :

« J’ai apprécié le fait qu’ils ont des systèmes d’armes sophistiquées mais je dois dire que ce fut le peuple qui a fait la différence, non les armes[12]. »

Et encore :

« Demande : Qu’y avait-il de nouveau dans l’idée de « guerre du peuple » ?

Giap : C’était une guerre pour le peuple par le peuple. POUR le peuple, parce que les objectifs de la guerre sont les objectifs du peuple – objectifs comme l’indépendance, un pays unifié, et le bonheur de son peuple… Et DU peuple – qui signifie les personnes ordinaires – non seulement l’armée, mais tout le peuple.

Nous savons que c’est le facteur humain, et non les ressources matérielles, qui décide de l’aboutissement de la guerre. Voilà pourquoi notre guerre du peuple, guidé par Ho Chi Minh, a été à une aussi grande échelle. Elle a engagé la population entière[13]. »

Se pose, alors, la question : quels motifs psychologiques ont empêché les dirigeants U.S. de tenir compte de la leçon de Corée et surtout de celle du Vietnam ?

Réponse :

« Au cours de la Seconde Guerre mondiale, nos chefs étaient en symbiose avec la réalité. Mais, ensuite, nous sommes devenus si riches et si puissants que notre commandement a perdu sa faculté de penser d’une façon créatrice. L’arrogance a remplacé le réalisme. Au Vietnam, nos chefs militaires et civils ne pouvaient tout simplement pas admettre que nous puissions perdre. Les administrations successives s’illusionnaient et se complaisaient dans le phantasme que nous pourrions maintenir éternellement une présence des États-Unis dans ce pays. Le soldat américain devint ainsi la victime de son propre commandement, plus que de l’ennemi. Quelle amère leçon, difficile à admettre.

Si nous étions restés au Vietnam nous n’aurions pu le faire qu’au prix d’une ponction lourde et permanente sur notre économie. Mais, surtout, nous aurions souffert d’une plaie morale persistante en essayant de dominer un peuple qui ne nous aurait à aucun moment acceptés[14]. »

L’erreur se répète. Les peuples afghan et irakien résistent encore à l’occupation impérialiste états-unienne. Et les peuples du Moyen-Orient, en premier lieu en Palestine, résistent à l’occupation colonialiste et aux agressions de l’armée israélienne.

L’humain supérieur au matériel.

Comment interpréter les diverses agressions impérialistes états-uniennes et autres, ainsi que le colonialisme israélien en Palestine et ses agressions contre les pays de la résistance au Moyen-Orient ?

Réponse du général Vo Nguyên Giap : « le colonialisme américain est un mauvais élève. Il n’apprend pas les mauvaises leçons de l’histoire ». Il en est de même de tous les impérialismes parce qu’ils sont par caractère psycho-sociopathes, autrement oseraient-ils massacrer des populations civiles ?

Concernant le colonialisme israélien, le général Moshe Ayalon déclara : « On doit faire comprendre aux Palestiniens, au plus profond de leur conscience, qu’ils sont un peuple vaincu[15]. »  Encore un « mauvais élève ».

Aujourd’hui, au Liban, en Palestine et ailleurs, des résistances appliquent, chacune à sa manière, la guerre populaire prolongée, pratiquée par le peuple vietnamien. En particulier, depuis la victoire militaire de 2006 du Hezbollah contre l’armée coloniale israélienne, l’agression actuelle contre le port de Beyrouth laisse croire au recours impérialiste au « bâton »-bombe[16] pour neutraliser le redouté Hezbollah en particulier, la résistance du peuple libanais en général et, au-delà, terroriser les peuples de la région pour les dominer.

À moins d’exterminer physiquement les peuples, ils continueront à résister aux agressions, montrant sur la longue durée la supériorité du facteur humain sur celui militaire. Aux psycho-sociopathes qui disposent d’une puissance matérielle considérable, il restera le recours à une guerre nucléaire, mais elle porterait certainement à l’extinction de l’espèce humaine toute entière. Les psycho-sociopathes tiennent à leur vie, mais attention aux « docteur Folamour » ! Ils ne peuvent être neutralisés que par la mobilisation citoyenne solidaire de leur nation et des nations agressées.

Kaddour Naïmi

[email protected]


[1]    Livre gratuitement disponible in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html

[2]    « Chapter 2Shock and Awe »  (Chapitre 2 : Choque et terrorise),  Harlan K. Ullman et James P. Wade in  « Shock and Awe : Achieving Rapid Dominance », Washington D.C., National Defense University Press, décembre 1996. Toutes les citations de l’anglais sont une traduction personnelle.

[3]    Amiral Bud Edney,  « Annexe A,  Thoughts on Rapid Dominance »  (Pensées sur la domination rapide). Cette seconde partie de la citation se trouve également chez William Blum in  « Il libro nero degli Stati­Uniti » (Le livre noir des États­Unis, titre original : « Killing Hope. U.S. Military and CIA Interventions Since World War II »), Fazi Editore, 2003, p. 692. La source originale du document est indiquée dans sa note 88 p. 884.

[4]     « Chapter 2 : Shock and Awe » (Chapitre 2 : Choque et terrorise) in Harlan K. Ullman and…, o. c.

[5]     Idem, Chapter 4.

[6]    Idem, « Chapter 5 : Future directions ».

[7]    Général Tommy Franks, citation sur le site www.iraqbodycount.org, visité le 15 avril 2008.

[8]     https://reseauinternational.net/israel-detruit-beyrouth-est-avec-une-arme-nouvelle/

[9]    https://lecridespeuples.fr/2020/08/07/explosion-a-beyrouth-face-aux-accusations-les-denegations-hypocrites-disrael/

[10]  Général U.S. DePuy, cité in « A Bright Shining Lie » (Un lumineux étincelant mensonge) de Neil Sheehan, ex-journaliste U.S. durant la guerre du Vietnam, Édition Random House Inc., New York, 1988, p. 732. Le livre fut récompensé par le National Book Award en 1988 et du Prix Pulitzer en 1989.

[11]  Curtis Le May, chef de l’aviation US durant la guerre contre le Vietnam, idem, p. 453.

[12]  GénéralVo Nguyen Giap, dans le site CNN, visité le 16 avril 2008.

[13]   Interview avec  Vo Nguyen Giap, du site People Century, visité le 16 avril 2008. Les majuscules sont dans le texte de l’interview. Traduction personnelle de l’anglais.

[14]  In « A Bright Shining Lie », o. c., p. 7,  p. 381 de l’édition française.

[15]   Cité   par   Alain   Gresh  dans   le   mensuel  « Le  Monde   diplomatique »,  février 2009, p. 10

[16]   Voir ci-dessus la note 8.


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