Algérie / Moralisation de la société et lutte contre la corruption : réhabiliter la Cour des comptes

      par Abderahmane Mebtoul *

  Le président de la République Abdelhamid Tebboune , en ce mois de novembre 2021, a annoncé au quotidien allemand Der Spiegel, un plan de réorganisation de la Cour des comptes, afin de favoriser le système de contrôle et de suivi des finances publiques conformément aux dispositions de la nouvelle constitution qui a élargi les prérogatives de la Cour des comptes, tout en limitant le mandat de son président, à une année, renouvelable une fois. C’est le véritable problème de l’heure où tout développement de l’Algérie doit passer nécessairement par la moralisation de la gestion de la Cité. Cependant l’on ne doit pas, se focaliser uniquement sur quelques cas qui gangrènent la société tant civile que militaire car reconnaissons-le, la majorité tant au niveau de l’ANP et des forces de sécurité et de la société civile vit de son travail, devant donc s’attaquer à l’essence de ce mal qui menace la sécurité nationale et non aux actions conjoncturelles qui ne résolvent pas le problème.


1.-C’est que le manque de transparence des comptes ne date pas d’aujourd’hui mais depuis l’indépendance à ce jour.J’ai eu à le constater concrètement lors des audits que j’ai eu à diriger assisté de nombreux experts: sur Sonatrach entre 1974/1976- le bilan de l’industrialisation 1977/1978- le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979/1980, l’audit sur les surestaries et les surcoûts au niveau BTPH en relation avec le Ministère de l’intérieur, les 31 Walis et le Ministère de l’habitat de l’époque 1982 réalisé au sein de la Cour des Comptes, l’audit l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008), l’audit assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du Bureau d ‘Etudes Ernest Young « le prix des carburants dans un cadre concurrentiel «Ministère Energie 8 volumes 780 pages –Alger 2008, l’-Audit «pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques ». Concernant Sonatrach les différents audits que j’ai eu à diriger avec des experts assisté des cadres du secteur Ministère Energie et Sonatrach , il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et Hassi Messaoud tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas la mission de la Cour des comptes serait biaisée. Dans les administrations, disons que c’est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du début des années 1960 ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Dans son rapport rendu public dont la presse algérienne s’est fait l’écho le 7 novembre 2012 le rapport de la Cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics et le manque de transparence. C’est que l’Algérie possède des institutions qu’il s ‘agit de dynamiser si l’on veut un Etat de Droit condition pour un développement durable et surtout être crédible tant au niveau national qu’international, notamment la nécessaire dynamisation de la cour des comptes étant conscient qu’une réelle lutte contre la corruption implique un Etat de droit et la démocratisation de la société…2-La cour des comptes est régie par l’ordonnance du 17juillet 1995, modifiée et complétée par l‘ordonnance du 26 aout 2010 ayant été consacrée dans la nouvelle constitution parue au journal officiel du 30 décembre 2020 portant révision constitutionnelle. Ainsi l’article 199 stipule queLa Cour des comptes est une institution supérieure de contrôle du patrimoine et des fonds publics. Elle est chargée du contrôle a posteriori des finances de l’Etat, des collectivités locales, des services publics, ainsi que des capitaux marchands de l’Etat. La Cour des comptes contribue au développement de la bonne gouvernance, à la transparence dans la gestion des finances publiques et à la reddition des comptes. Le Président de la République nomme le Président de la Cour des comptes pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une seule fois. La Cour des comptes adresse un rapport annuel au Président de la République. Ce rapport est publié par le Président de la Cour des comptes». La loi détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’Etat chargées du contrôle et de l’inspection. Institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l’Etat à compétence administrative et juridictionnelle, la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN-Sénat) dans l’exécution des lois de finances, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. La question centrale est d’avoir une institution indépendante. Or, actuellement sa composante est faible ne pouvant pas contrôler les innombrables entités (administration et entreprises publiques), alors qu »uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200 magistrats financiers. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu’elle ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques. Le nombre par la qualité et non la quantité est certes important car actuellement étant dans l’impossibilité d’avoir un contrôle objectif et exhaustif du fait de la faiblesse du nombre des magistrats. Mais cela n’est pas une condition suffisante pour avoir un contrôle efficace, lui même lié aux contrepoids politiques en fait à la démocratisation de la société. Il faut uniformiser l’action des institutions de contrôle tant politiques que techniques pour avoir une efficacité globale et ce sans verser dans les règlements de comptes, posant d’ailleurs d’une manière objective le problème de la dépénalisation des actes de gestion si l’on ne veut pas bloquer l’initiative des managers qui parfois doivent prendre des décisions au temps réel. Aussi, la problématique posée de l’efficacité de la Cour des comptes dont j’ai été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980/1983 du temps de feu Dr Amir) et d’une manière générale, toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité est fonction d’une gouvernance globale rénovée. Par ailleurs, si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans des grandes sociétés comme Sonatrach/Sonelgaz .

3- Mais cela n’est pas une question de lois ou de textes juridiques mais la volonté politique de luter contre la corruption et la mauvaise gestion. Les textes existent mais existent un divorce avec la pratique.

Certes, les missions de la Cour des comptes dans la nouvelle constitution ont été renforcées pour la prévention et la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. La Cour des comptes exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’Etat, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision. Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Si la Cour des comptes relève des faits de nature à justifier une action disciplinaire à l’encontre d’un responsable ou d’un agent d’un organisme public soumis à son contrôle, par référence au statut de ce dernier, elle signale ces faits à l’autorité ayant pouvoir disciplinaire à l’encontre du responsable ou de l’agent concerné. Il est prévu la consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi de règlement budgétaire et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale dont, en premier lieu, le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. En second lieu, il est question du renforcement de «l’efficacité du contrôle de la Cour des comptes à travers l’obligation faite aux responsables des collectivités et organismes qu’elle contrôle de communiquer ses conclusions aux organes délibérant dans un délai maximal de deux mois, tout en tenant informée la Cour des comptes des suites réservées». Cependant existent différentes institutions de contrôle , outre l’urgence de la modernisation des outils d’information maitrisant les nouvelles technologies) comme l’IGF dépendante du Ministère des finances, ou d’autres institutions dépendantes du Ministère de la justice, donc de l’exécutif étant juge et partie , ne pouvant être impartial, sans compter l’organe de lutte contre la corruption d’où l’importance d’une coordination sans faille, évitant les télescopages , produit de rapport de forces contradictoires, qui ont nui par le passé au contrôle transparent et qui explique les nombreuses dérives,

4-Se pose cette question : les procédures de la Cour des comptes en Algérie répondent-elles aux normes internationales ?

Dans un rapport publié en octobre 2013 par l’UE, les pairs encouragent la Cour des comptes algérienne à résoudre certains problèmes identifiés lors de la revue, notamment, la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision ; la couverture limitée des contrôles ; le manque de standardisation des méthodes de travail ; la non publication et la diffusion restreinte des rapports de la Cour. La loi algérienne oblige la Cour des Comptes à un rapport annuel dont en principe les conclusions doivent être publiques, mais tout dépend de la volonté politique de réhabiliter les prérogatives de cette Institution stratégique loin de toutes pressions, renvoyant à l’instauration d’un Etat de Droit, l’Algérie s’est engagée à respecter les normes internationales et a signé plusieurs conventions de lutte contre la corruption qui existe de par le monde mais qui prend en Algérie des proportions alarmantes menaçant la sécurité nationale. Et pourtant les procédures de contrôle et d’investigation sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l’Intosai dont l’apurement des comptes des comptables publics est un acte juridictionnel portant sur l’exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes, tout comptable public est tenu de déposer son compte de gestion au greffe de la Cour des comptes en conservant les pièces justificatives qu’il doit mettre à la disposition de l’institution. Les ordonnateurs des organismes publics sont également tenus de déposer leurs comptes administratifs dans les mêmes formes, le contrôle de la discipline budgétaire et financière s’assure du respect des règles de discipline budgétaire et financière et prononce des amendes à l’encontre des responsables ou agents des institutions, établissements ou organismes publics ayant commis une faute ou irrégularité préjudiciable au Trésor public ou à un organisme public. Selon les normes internationales, qui devraient s’appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d’apprécier les conditions d’utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’Etat, les établissements et organismes publics et enfin l’évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l’évaluation, au plan économique et financier, de l’efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d’objectifs d’intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l’Etat ou des organismes publics soumis à son contrôle. Il s’agit de poser les véritables problèmes, pour une application efficace sur le terrain. Les ajustements seront douloureux entre 2022/2025, impliquant supposant un sacrifice partagé, par la moralisation de la vie politique et économique de toute la société algérienne, sans laquelle aucun développement à terme ne peut se réaliser. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l’Algérie est toujours en transition, ni économie de marché, ni économie planifiée. C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences du politique où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques n’a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective, les managers prenant de moins en moins d’initiatives devant donc dépénaliser l’ acte de gestion à ne confondre avec la corruption.

5.-La Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et administrations.

Mais je ne saurai trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de Droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socio-économique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités et pour plus de moralité des dirigeants aux plus hauts niveaux afin de faciliter la symbiose Etat/citoyens. Le fondement de tout processus de développement comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques repose sur des instituions crédibles et c’est une Loi universelle, d’où l’importance de dynamiser par une réelle indépendance , le Conseil national de l’Energie, la Cour des Comptes, le Conseil économique et social, la bourse d’Alger et du Conseil de la concurrence. Car, force est de reconnaitre qu’en ce mois de novembre 2021, Sonatrach ‘est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach (plus de 97/98% des recettes en devises avec les dérivées ) et que l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée renvoyant à l’urgence d’une véritable décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux . Le défi à relever est la transition d’une économie de rente avec la dominance d’une économie informelle spéculative à une économie de production de biens et services basée sur la bonne gouvernance et la connaissance supposant de profonds réaménagements au sein de la structure du pouvoir. Aussi sous réserve d’une mutation systémique, d’un Etat de droit, l’Algérie peut surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est actuellement confrontée. L’Algérie a deux choix : de profondes réformes structurelles, plus de libertés, de transparence et réhabiliter les vertus du travail ou régresser en optant pour le statu quo, d’où l’urgence de s’adapter, au mieux des intérêts de l’Algérie au nouveau monde. Et pour cela, nous revenons à la moralité des responsables qui doivent donner l’exemple s’ils veulent mobiliser leur population. Un phénomène analysé avec minutie par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, dès le XIVe siècle qui a montré que l’immoralité des dirigeants, avec comme impact la corruption gangrenant toute la société a pour effet la décadence. Espérons pour l’Algérie un sursaut national.


*Professeur


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par Abderrahmane Mebtoul *

 Comme je le rappelais déjà en 2013 à l’Agence France Presse – AFP- 4 août 2013 et à Radio France Internationale 06 août 2013 «l’Algérie et les transferts illicites de capitaux», il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d’importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l’on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution.

1. Dans son programme, et récemment en ce mois de novembre 2021 par la voix du ministre de la Justice, le gouvernement dans l’axe de la moralisation de la vie publique, s’est engagé, à travers la réforme des services de l’État de poursuivre la lutte contre la corruption, le favoritisme et le népotisme. Pour cela, il prévoit le renforcement du dispositif mis en place pour la gestion des biens saisis, avec l’introduction de mesures particulières pour la gestion des sociétés objet de poursuites judiciaires, passant par la traçabilité dans la gestion des Finances publiques, la révision de la Réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger, et de favoriser le règlement à l’amiable au traitement pénal, que les accords à l’amiable concernent les personnes morales et non les individus mais sans aucune précision de cette délimitation extrêmement difficile. Ne devant pas confondre acte de gestion dont la dépénalisation est nécessaire, et corruption, le contrôle, sur le plan politique, passe par la démocratisation de la société. C’est dans ce cadre que le président de la République dans son récent interview à un quotidien allemand a précisé la réhabilitation de la Cour des Comptes, consacrée par la Constitution, organe suprême contre la dilapidation des deniers publics, en berne pour des raisons politiques, depuis de longues années, devant jouer non comme rôle de coercition mais de prévention, comme dans tous les pays à Etat de Droit, au moyen de recommandations opérationnelles pour les plus hautes autorités du pays.

Mais ces déclarations ne sont pas nouvelles. Dans plusieurs rapports, la Banque d’Algérie faisait état de dizaines de milliards de dinars d’infractions de change (pénalités) constatées par les services des Douanes et les officiers de la police judiciaire. Précisons que la gestion des transferts et du contrôle des changes dépend de la Banque d’Algérie, et que le gouverneur de la Banque d’Algérie est directement sous l’autorité du président de la République et non du ministre des Finances. Donc, ces problèmes ne sont pas nouveaux, et ont été déjà soulevés par le passé, puisque les conditions de transfert de capitaux en Algérie pour financer des activités économiques et rapatriement de ces capitaux et de leurs revenus ont été prévues dans le Règlement de la Banque d’Algérie n°90-03 du 8 septembre 1990 (loi sur la monnaie et le crédit) puis par le Règlement n° 95-07 du 23 décembre 1995 modifiant et remplaçant le règlement n° 92-04 du 22 mars 1992 relatif au contrôle des changes et l’article 10 de l’Ordonnance 96-22 du 09 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger. Rappelons également que le 11 août 2012, le ministère des Finances, par un tapage médiatique, annonçait un décret exécutif numéro 12/279 portant institution d’un fichier national des fraudeurs ou contrevenants à la réglementation de change et mouvement de capitaux a été publié au Journal Officiel. Ce décret exécutif fixait pourtant les modalités d’organisation et de fonctionnement du fichier national des contrevenants en matière d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux et vers l’étranger. Devait être instituée auprès du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie une banque de données dans laquelle serait enregistrée toute personne, physique ou morale, résidente ou non-résidente, ayant fait l’objet d’un procès-verbal de constat d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger.

Le Comité national et local des transactions, l’Inspection générale des Finances, les directions générales des changes de la Banque d’Algérie, des douanes, des impôts, de la comptabilité, l’agence judiciaire du Trésor, la cellule de traitement du renseignement financier et le ministère du Commerce étaient les structures et institutions qui peuvent accéder au fichier. Qu’en est-il de l’application de toutes ces ordonnances et décrets ? Y a-t-il une réelle volonté politique d’éradiquer cette grave maladie du corps social qui menace la sécurité nationale ?

2. L’Algérie a été destinataire de plusieurs rapports internationaux concernant la fuite des capitaux qui constitue une atteinte à la Sécurité nationale. Ces sommes sont issues de diverses opérations liées à la corruption, l’évasion fiscale et aux opérations délictuelles réalisées en Algérie. Mais ces transferts illicites ne tiennent pas compte des différentes commissions versées à l’étranger par des groupes internationaux en échange de contrats publics ou de surfacturation de produits et services pour les opérateurs privés/publics , ni des sommes transférées légalement par les multinationales implantées en Algérie pour contourner les lois économiques et souvent placées dans des paradis fiscaux ou par l’achat ‘immobiliers à travers le monde sous des prêtes noms.

Bien que la présomption d’innocence soit reconnue par la Loi, pourtant image désolante de l’Algérie avec tous ces noms d’Algériens, souvent mis en index dans la presse internationale pour malversations ou de biens détenus à l’étranger. Comme conséquence, une véritable crise de confiance entre l’Etat et le citoyen à qui on demande des sacrifices avec l’actuelle rigueur budgétaire. La lutte contre ce fléau qui menace la Sécurité nationale passe forcément par plus de moralité, le renouveau du système d’information au temps réel, une coordination sans faille de toutes les institutions de contrôle dont certaines dépendent de l’exécutif étant juge et partie, donc non crédibles, un véritable management stratégique lié à un véritable Etat de droit.

Sans vision stratégique, le risque est le retour à une économie administrée où l’Etat voudrait tout contrôler bureaucratiquement, sans la mise en place de mécanismes économiques transparents. Le problème qui se pose pour l’Algérie est donc beaucoup plus profond et interpelle toute la politique socio-économique de l’Algérie et son adaptation au nouveau monde, étant, par ailleurs, liée à bon nombre d’accords internationaux, afin de se prémunir de litiges inutiles et coûteux, tout en préservant ses intérêts propres. Il y a urgence de mécanismes de contrôle démocratiques, devant éviter des procès qui se terminent en queue de poisson, discréditant la Justice algérienne. Les montants des surfacturations se répercutent normalement sur les prix intérieurs (les taxes des douanes se calculant sur la valeur du dinar au port surfacturé) donc supportés par les consommateurs algériens. Les transferts de devises via les marchandises sont également encouragés par les subventions généralisées mal ciblées, bien que servant de tampon social, source de gaspillage étant à l’origine des fuites des produits hors des frontières que l’on ne combat pas par des mesures bureaucratiques. D’une manière générale, la gestion administrative (flottement administré) du taux de change du dinar a intensifié les pratiques spéculatives. Les surfacturations dues à l’utilisation de la distorsion du taux de change entre l’officiel et le marché parallèle est difficile à combattre s’expliquant par l’incohérence de la politique du taux de change du gouvernement et ne constitue pas un acte de corruption pour la majorité des ménages algériens, face à une allocation de devises dérisoire, moins de 150 euros se portent demandeur sur le marché parallèle, soit pour se soigner ou acheter face à la restriction des importations des matières premières pour certaines entreprises privées.

3. Comme j’ai eu à le souligner dans maintes contributions depuis des années, malgré l’importance de la dépense publique entre 2000/2021, nous avons assisté à la faiblesse du suivi et de contrôle des projets avec la multiplicité des ministères qui se télescopent alors que s’impose un grand ministère de l’Economie. Nous assistons à la désorganisation du commerce intérieur et extérieur , avec la dominance de la sphère informelle qui contrôle des pans entiers de l’économie et entre 6000, à 10.000 milliards de dollars hors banques, tissant des relations dialectiques avec la logique rentière avec des structures oligopolistiques, quelques centaines de personnes contrôlant une grande partie de cette masse monétaire où tout se traite en cash ont accentué la mauvaise gestion et les surfacturations.

Les assainissements répétés aux entreprises publiques et les réévaluations montrant la non-maîtrise de la gestion des projets où selon les données officielles du Premier ministère (source APS), l’assainissement du secteur public marchand durant les 25 dernières années a coûté au Trésor l’équivalent de 250 milliards de dollars et le coût des réévaluations entre 2005/2020, 8.900 milliards de dinars, environ 66 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ.

Je réitère la proposition que j’ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des Etudes économiques et des Contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des Comptes, chargé du dossier surestaries, pour la présidence de l’époque, (programme anti-pénurie) d’une structure, chargé d’un tableau de la valeur en temps réel, qui n’a jamais vu le jour car dérangeant les forces rentières. Car, ces transferts illicites de capitaux ne peuvent se faire sans la complicité extérieure.

Les importations de biens et services (rubrique souvent oubliée 10/11 milliards de dollars par an entre 2010/2019 où les délits sont plus faciles) sont évaluées à environ 980 milliards de dollars. Si on applique un taux de surfacturation entre 10 et 15% , les transferts illicites de capitaux se situeraient entre 98 et 147 milliards de dollars soit entre 2 et plus de 3 fois les réserves de change estimées à mai 2021, à 44 milliards de dollars. Car s‘il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs. Car quelques centaines de grandes entreprises globalisées contrôlent 70% du commerce mondial, 75% du commerce de matières premières et 80% du commerce de la gestion et des services.

Aussi, lorsque les échanges s’effectuent entre structures d’un même groupe multinational (filiales, fournisseurs, distributeurs…), le potentiel de manipulation des prix, des cours et de la facturation est naturellement multiplié. Pour se prémunir, l’Algérie doit se mettre en réseau avec les sociétés étrangères d’inspection ainsi qu’une collaboration étroite entre les services de renseignements qui se spécialisent de plus en plus dans l’économique, USA-Europe/Chine notamment où l’Algérie effectue plus de 80% de ses échanges. L’Algérie devra également collaborer avec le TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), ce service français chargé d’enquêter sur toute présomption de soupçon en matière de fraude financière étant en mesure de fournir toutes les preuves matérielles impliquant des Algériens dans ce genre d’opérations de transfert illicite de devises étrangères. Mais l’Algérie doit, avant tout, faire le ménage au sein de l’économie algérienne en mettant en place de nouvelles méthodes de gestion tant dans les administrations (méthode de rationalisation des choix budgétaires) que dans les entreprises (comptabilité analytique).

La direction de la Douane algérienne, a demandé par le passé, notamment à l’Europe et à la Chine naïvement, de leur communiquer les tarifs, pour dénoncer leurs opérateurs qui sont également complices de surfacturations, une utopie. Or, il faut s’attaquer à l’essence de la réforme du système financier qu’aucun gouvernement via le ministre des Finances depuis l’indépendance politique n’a pu réaliser car enjeu énorme de pouvoir, et nécessitant la mise en place d’un système d’information reliés aux réseaux internationaux permettant des interconnexions, ministère des Finances (banques- douanes- fiscalité), les ports / aéroports, et les entreprises publiques /privées et ce, pour lutter contre les surfacturations et les trafics de tous genres, produits de mauvaises qualités ou périmés, ayant constaté parfois des produits dans les conteneurs ne correspondant pas aux déclarations.

En résumé, il y a urgence pour l’Algérie de s’adapter aux importants bouleversements géostratégiques mondiaux, car l’on ne combat pas la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires. Un mauvais développement accroît l’insécurité. Il appartient au gouvernement de mettre en place des mécanismes de régulation transparents car la lutte efficace contre les transferts illicites de capitaux suppose des mécanismes démocratiques de contrôle et une bonne gouvernance loin des mesures bureaucratiques autoritaires.

En préconisant l’adoption d’un mode de règlement à l’amiable garantissant la récupération des biens détournés, des précisions du gouvernement s’imposent. Comment récupérer les montants, faute de traçabilité, dans les paradis fiscaux, en bons anonymes dans les bourses, et souvent mis sous le nom d’étrangers qui sont régis par la loi de leurs pays. Ayant consulté des experts juridiques au niveau international, c’est presque un exercice difficile pour ne pas dire une impossibilité, d’autant plus que cela nécessite que l’Algérie ait signé des accords de réciprocité et une collaboration sans faille tant des pays que des institutions internationales. Exceptés les biens notariés mis aux noms d’Algériens supposant d’ailleurs des procédures judiciaires complexes, il convient de se demander combien le gouvernement a récupéré ces dernières années, ne devant pas confondre les biens acquis par le ministère des Affaires étrangères, propriété de l’Etat qui peuvent être vendus.

Rappelons-nous les fonds du FLN dans certains comptes spéciaux, durant la guerre de Libération nationale dont une grande partie n’a jamais pu être récupérée. L’Algérie ne peut continuer dans cette voie suicidaire, face à l’absence de morale, au risque d’une aggravation du déficit budgétaire, de l’épuisement de ses réserves de change, d’une accélération du processus inflationniste et donc de tensions sociales. A l’avenir, ne devant pas paralyser l’économie en redonnant confiance aux investisseurs nationaux et étrangers créateur de valeur ajoutée, devant éviter le mythe le juridisme à travers les codes d’investissement alors que le blocage est d’ordre bureaucratique, ne devant pas confondre corruption et acte de gestion qui doit être dépénalisé afin de ne pas bloquer l’initiative des managers, c’est par la mise en place des mécanismes transparents que l’on évitera que les pratiques du passé ne se reproduisent plus.

*Professeur des Universités, Expert international


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Le projet de loi portant règlement budgétaire de l’exercice 2017 est soumis, depuis hier, aux députés pour débat et vote. Théoriquement, selon les lois en vigueur, à chaque fin d’exercice budgétaire, la loi de …


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