Algérie / Naoufel Brahimi El Mili : «Le destin de Bouteflika a été hors norme pour une personnalité complexe»

    Naoufel Brahimi El Mili est docteur en sciences politiques et enseigne à Sciences Po à Paris. Il est l’auteur notamment de « Le Printemps arabe : une manipulation ? » ( éditions Max Milo) ainsi que de « Algérie/France : 50 ans d’histoires secrètes 1962/1992 » chez l’éditeur parisien Fayard. Son tout dernier ouvrage « Histoire secrète de la chute de Bouteflika » est paru en 2020, aux éditions L’Archipel, en France. Nous lui avons posé quelques rapides questions à l’occasion de la disparition de l’ancien Président feu Abdelaziz Bouteflika.

Le Quotidien d’Oran.: L’ancien Président Abdelaziz Bouteflika vient de décéder ce vendredi 17 septembre 2021 à l’âge de 84 ans. Que retiendra, selon-vous, l’Histoire (avec un grand H) de ce personnage politique au destin hors-normes, qui a été ministre au tout début de l’Indépendance, à l’âge de 25 ans, avant de diriger l’Algérie pendant 20 ans ?

Naoufel Brahimi El Mili: Tout d’abord , Allah Yarhmou. Un destin hors norme pour une personnalité complexe. L’histoire avec un grand H retiendra en premier lieu celle du Hirak  » béni  » qui avait fait échouer le cinquième mandat. Ensuite l’histoire des statistiques retiendra que le défunt président est resté au pouvoir pendant vingt ans, un record qui ne sera jamais égalé. Quant à ses bilans, au pluriel, car il faut distinguer plusieurs phases dans cette carrière exceptionnelle.

Celle du Moudjahid Abdelkader qui a plus manié le verbe que les armes (alors qu’il était capitaine de l’ALN) mais dont l’intelligence tactique l’a poussé très tôt dans le clan des vainqueurs. Ensuite celle de ministre des Affaires étrangères qui, toujours par le verbe, a su souvent exprimer la vision de Boumediene. Sauf que ce dernier, pour la grande mission délicate qui consistait à négocier secrètement avec l’émissaire du roi Hassan II (à sa demande) en 1978, lui a préféré le Dr Ahmed Taleb. En effet, sur un sujet délicat, le Sahara Occidental, pour le Président Boumediene, Bouteflika n’était pas l’homme de la situation. Avis partagé par feu l’ex-patron de la Sécurité militaire, Kasdi Merbah. Il est difficile de faire le bilan de Bouteflika l’exilé, sauf à décrire les hôtels luxueux où il avait séjourné. Enfin, le bilan des quatre mandats, dont au moins deux de trop, est partiellement dressé par la justice algérienne, preuves à l’appui, et qui a fait de son entourage le plus immédiat, un large pan de la population carcérale. Le verdict du Hirak est clair et sans appel.

Toutefois en bon musulman je crois en la clémence de Dieu, seul maître du dernier jugement.

Q.O.: Beaucoup d’Algériens pensent que Abdelaziz Bouteflika n’aurait pas dû réviser la Constitution en 2008 et aurait dû se retirer après la fin de son deuxième mandat.

Mais une autre faute majeure aurait été commise (de sa part ou de celui de son entourage), celle de ne pas avoir démissionné après son AVC en 2013. Pourquoi cela ne s’est pas fait, selon-vous?

N. B. E. M.: Le droit constitutionnel et le bon sens auraient dû décourager Bouteflika à se présenter pour un troisième mandat. Même certains de ses proches amis ont tenté de le dissuader de modifier la constitution et de lui suggérer de se retirer honorablement. Je cite la réponse de Bouteflika livrée au marhoum Rabah Bitat qui tenta de le dissuader. L’homme du Premier novembre s’entend dire par le désormais éternel candidat à sa propre succession : « Je ne peux pas me retirer, ce pays est une «amana» entre mes mains».

En subliminal, il pensait que l’Algérie lui appartenait. Une logique très «makhzenienne», propre au pays où il a vu le jour.

Même l’humour algérien qui disait que le seul parti d’opposition qui porte l’acronyme « AVC » a été pris à contrepied. Je raconte dans mon dernier livre un grand nombre de détails du scénario esquissé en France pour le quatrième mandat. Il faut retenir qu’il voulait mourir sur le fauteuil présidentiel d’une part et il ne faut pas négliger aussi le rôle de la diplomatie médicale française. Ne pas négliger aussi le rôle de son frère Saïd qui offrait aux puissances étrangères deux présidents au prix d’un. Finalement un président diminué arrangeait bien les puissants nationaux et étrangers du moment. Trop d’intérêts étaient en jeu. L’opinion nationale était mise dans un angle mort jusqu’à un certain 22 février 2019.

Q.O.: Mais il n’y aurait rien donc de positif à retenir de la longue présidence de Abdelaziz Bouteflika, absolument rien, selon-vous ? Votre verdict semble sans appel vis-à-vis d’un homme qui a suscité l’adhésion d’une grande partie de ses compatriotes pendant ses deux premiers mandats.

N. B. E. M.: Les premiers pas du Président ont suscité l’espoir, c’est indéniable. Le verbe haut, la décennie noire se clôture, et aussi dans son sillage traînait un parfum de Boumediène.

Parfum très vite transformé en gaz anesthésiant. Sur le plan économique, alors que le baril du pétrole tutoyait les 150 dollars, sa politique confondait dépenses et investissements. Les dépenses pharaoniques (Grande mosquée et autres) ont été la matrice de la corruption à échelle quasi-industrielle. Quant à la diplomatie qu’il se targuait de parfaitement connaître, elle peut se résumer en des prises de photographies avec les grands de ce monde. Clic Clac, merci Kodak. Je suis sévère même si, certes, des logements ont été construits, les moyens de transports améliorés, les autoroutes aux performances discutables ont été réalisées. Le tout, c’est pour l’achat de la paix sociale, condition de son maintien au pouvoir.

Seulement la structure du pouvoir a été profondément modifiée par l’émergence des oligarques et de l’argent-Roi. Comme dans la Russie de Boris Eltsine. Son successeur Poutine a obligé les oligarques russes à faire revenir l’argent au pays et à quitter le pouvoir.

Un seul a désobéi et il a écopé de dix ans de prison. L’ambiguïté du destin de Bouteflika n’interdira pas le recueillement d’un certain nombre d’Algériens devant sa dépouille. L’éventuelle tristesse est un sentiment personnel qui ne se décrète pas. Reste à traiter la question protocolaire : « Funérailles nationales ou pas ? » Hosni Moubarek, président égyptien déchu, emprisonné, a eu droit à des funérailles nationales. Bouteflika a officiellement démissionné et, protocolairement, il reste un ancien président de la République, c’est pour cette raison que le président Tebboune a décrété un deuil national de trois jours et la mise en berne des drapeaux pendant cette période. Le Président Bouteflika sera enterré au Carré des Martyrs du cimetière d’El-Alia.

Pour finir, je fais part de mon désarroi en lisant certains écrits sur la toile sur un défunt dont la dépouille n’avait pas entièrement refroidie, faisant fi de tout respect à minima devant la disparition d’un être humain quel qu’il soit.


          Décès de Abdelaziz Bouteflika: Paix à son âme

                        par Ghania Oukazi

L’ancien président de la république Abdelaziz Bouteflika est décédé le vendredi 17 septembre à l’âge de 84 ans dans la résidence d’Etat de Zeralda située à l’Ouest de la capitale. Un communiqué d’El Mouradia a fait savoir, hier à 12h, que le Président Tebboune a décidé à partir d’hier, samedi, la mise en berne de l’emblème national pour trois jours sur l’ensemble du territoire national.

Le faire-part a été rendu public par la présidence de la république dans la soirée du vendredi et relayé par les médias télévisuels en bas des écrans sous le signe de l’«urgent » (aajel). L’information n’a cependant pas été détaillée verbalement à aucune heure de «flash d’information».Ce n’est qu’hier qu’elle a été commentée en «off» à travers la présentation d’un portrait du défunt construit sur la base d’une «biographie sommaire avec ce qui a le plus marqué son règne jusqu’à son départ » comme l’ont exigé les patrons de presse. Mais tellement chargée qu’elle fût, sa vie impose un grand détour.

Hier, l’APS l’a fait un tant soit peu en s’arrêtant sur les grands événements qui ont marqué sa carrière d’homme d’Etat qu’il a été pendant de longues années. «L’ex-président de la République, Abdelaziz Bouteflika, est décédé vendredi soir à Alger à l’âge de 84 ans, deux ans après sa démission suite à un mouvement populaire contre sa candidature à un 5ème mandat et appelant à un renouveau dans le pays », écrit l’agence officielle. Elle rappelle que «le défunt Abdelaziz Bouteflika avait succédé en 1999 à Liamine Zeroual pour être réélu à la magistrature suprême pour trois mandats successifs, en dépit d’une santé fragile ayant marqué son troisième et quatrième mandat, suite un AVC en 2013 ». L’APS revient sur son parcours historique de militant en soulignant «né le 2 mars 1937, Abdelaziz Bouteflika milite très tôt pour la cause nationale. Il achève ses études secondaires quand il rejoint l`Armée de libération nationale (ALN) en 1956. Il est chargé d’une double mission de contrôleur général de la wilaya V en 1957 et 1958.

«Diplomate chevronné et reconnu»

En 1960, officier de l’ALN, il est affecté aux frontières sud du pays pour commander le « front du Mali » dont la création entrait dans le cadre des mesures visant à faire échec à l’entreprise de division du pays de la part de la puissance coloniale et à organiser l’acheminement des armes pour le compte des maquis de l’ALN à partir du sud, ce qui lui vaudra le nom de guerre de « Si Abdelkader El Mali ». En 1962, il est député à l`Assemblée constituante et à 25 ans, il devient ministre de la Jeunesse, des Sports et du tourisme du premier gouvernement de l’Algérie indépendante. Il est nommé, la même année, ministre des Affaires étrangères. Reconduit dans les fonctions de ministre des Affaires étrangères, il anime jusqu’en 1979, l’action diplomatique de l’Algérie, sous la houlette de l’ancien président Houari Boumediene qui avait initié la politique de défense des pays du Tiers monde et le parachèvement des mouvements de libération ».

Le président Bouteflika a atteint l’apogée de sa carrière diplomatique en faisant entrer pour la première fois dans l’enceinte de l’Assemblée Générale de l’ONU, le chef de l’OLP Yasser Arafat et Nelson Mandela, leader de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. L’APS rapporte à cet effet, que «diplomate chevronné et reconnu, Bouteflika impulsera, pendant plus d’une décennie, la politique étrangère qui donnera à l’Algérie une notoriété au niveau international. Elu à l`unanimité président de la 29ème session de l`Assemblée générale des Nations Unies en 1974, Bouteflika obtient la mise au ban, par la communauté internationale, du régime sud-africain pour sa politique de l`apartheid et fait admettre, malgré les oppositions, le leader de l`Organisation de libération de la Palestine, feu Yasser Arafat, qui prononcera un discours devant l`Assemblée générale ». A la mort du président Houari Boumediene, en 1978, lit-on encore, «il est contraint à un exil. De retour en Algérie en janvier 1987, il sera signataire de la « motion des 18 » (contre la torture ndlr) consécutive aux événements d`octobre 1988 ». L’APS poursuit «en décembre 1998, il fait part de sa décision de se présenter, en tant que candidat indépendant à l’élection présidentielle anticipée d’avril 1999. Il est élu président de la République le 15 avril 1999 ».

Le réquisitoire «des forces du mal»

Au titre de ses grandes réalisations en tant que tel, l’agence officielle note que «dès sa prise de fonctions, Bouteflika œuvrera pour le rétablissement de la paix et la stabilité dans le pays. Il engage le processus de concorde civile, consacré, le 16 septembre 1999, par un référendum qui recueille plus de 98% de suffrages favorables.

Il fut à l’origine d’une politique dite de « réconciliation nationale » qui a conduit, en septembre 2005, et conformément à sa promesse électorale, à l’adoption par un référendum populaire, d’une charte de réconciliation nationale, plébiscitée par 80% des Algériens ». Ayant brigué quatre mandats successifs, écrit l’APS, le défunt Bouteflika fut contraint à la démission suite à un mouvement populaire qui refusait un cinquième mandat, eu égard notamment à sa santé déclinante».

C’est sous le coup de l’article 102 de la Constitution de 2016 que le président Bouteflika a remis le 2 avril 2019, sa démission à Tayeb Belaïz alors président du Conseil Constitutionnel qui s’était déplacé à cet effet à la résidence d’Etat de Zeralda avec Abdelkader Bensalah qui était président du Conseil de la Nation. Ce jour là, Bouteflika était vêtu d’une élégante djelaba, une tenue qui démontrait qu’il avait bien intériorisé son départ pour des raisons inavouées, différentes de celles qui ont fait de lui le chef de l’Etat qu’il a été pendant 20 ans à la tête d’un pays qu’il a sillonné de haut en bas et de long en large. L’histoire lui retiendra ses réalisations socio-économiques et de réformes des services dont a été privé le pays pendant de très longues années, le paiement rubis sur l’ongle de la dette extérieure pour libérer l’Algérie des clubs financiers et des institutions de Bretton Woods, des grands programmes de logements, la construction de nombreuses infrastructures de base à travers l’ensemble du territoire national, l’immense projet de transfert de l’eau à travers les 700 km qui relient In Salah à Tamanrasset, l’édification de la grande mosquée (Al- Djamaa El Aadham) comme symbolique « grandeur nature » d’une «Algérie, Terre d’Islam », le rétablissement des libertés publiques, la réconciliation nationale entre les Algériens qui s’étaient entre-tués pendant une quinzaine d’années. L’Algérie avait renoué avec la paix après avoir vécu l’enfer du terrorisme. Le projet est depuis retenu comme une expérience à méditer et à s’en inspirer à chaque fois que les peuples s’entre-déchirent. La Libye vient de reprendre l’esprit du texte pour unifier son peuple, avec l’aval des institutions internationales. Le pays commençait à s’ouvrir au monde après sa fermeture forcée.

Punitions sournoises contre positions honorables

Bouteflika a tapé du poing en haut des tribunes internationales, lors de sommets arabes, régionaux et internationaux durant lesquels il a défendu les causes justes comme la Palestine occupée et le Sahara Occidental. Il a gardé des positions honorables et de principes sur les conflits d’intérêts mondiaux en Libye, en Syrie, en Iran, au Yémen, à Cuba, au Venezuela…. Il a ajouté ainsi des éléments au réquisitoire des «forces du mal» qui ont décidé de lui en faire payer la facture «tôt ou tard» en lui infligeant des punitions sournoises. En 2012, lors de son discours à Sétif, il a lancé sous le sceau du «testament (ouassia)» que «les forces du mal complotent contre l’Algérie tout autant que contre des pays arabes et musulmans » et en a appelé «aux Algériens et Algériennes qui se sont sacrifiés pour libérer le pays(…) » pour leur dire «ne laissez pas l’Algérie à d’autres(…), il faut que le peuple démontre encore une fois qu’il est capable de tout(…) ».

Sa vivacité d’esprit, son intelligence, son franc-parler, ses humeurs, sa colère, ses trébuchements aux commandes d’un pays qu’il a qualifié de «complexe et difficile à gouverner », ses choix de grandes compétences reconnues mondialement durant ses premières années de règne, plus tard, ses mauvais choix des hommes, le jeu de quilles qu’il avait adopté pour neutraliser ses détracteurs, sa parfaite connaissance des enjeux et défis internationaux pour avoir rencontré les plus hauts responsables du monde et fréquenté les méandres de la diplomatie internationale, ont dérouté plus d’un. Il a gouverné sans partage tout en repoussant de fortes impulsions de clans et de chapelles de déstabilisation de sa personne et du pays. Il a bénéficié publiquement d’un soutien indéfectible de l’ensemble des responsables civils et militaires pendant 20 longues années. Aucun pouvoir de quelque nature qu’il soit, ne lui a apporté la contradiction. Tous lui ont été serviles comme l’ont été à son frère Saïd aujourd’hui en prison. Bouteflika avait réservé de grandes funérailles nationales à tous les anciens présidents algériens décédés durant son règne.

Les prémices de la construction d’un Etat de droit commençaient à prendre forme malgré les nombreux objecteurs au changement. Sa maladie l’a empêché de poursuivre son travail et a pousser à la prise en otage de toute l’Algérie par des forces maléfiques.

Une lettre pour demander pardon

Au lendemain de sa démission, il a adressé une lettre aux Algériens pour leur dire «en quittant mes fonctions, je ne puis achever mon parcours présidentiel sans vous adresser un ultime message afin de ne quitter la scène politique nationale sur une séparation qui me priverait de demander pardon à ceux parmi les enfants de ma patrie envers lesquels j’aurais sans le vouloir, manqué à mon devoir en dépit de mon profond attachement à être au service de tous les Algériens et Algériennes, sans distinction ni exclusive(…) ».

Hier à midi, le président Tebboune a décidé la mise en berne de l’emblème national durant 3 jours sur l’ensemble du pays.

Les premières condoléances ont été tweetées par le vice-président du Conseil présidentiel libyen, Moussa El Koni qui venait de quitter Alger. «Il est parti en silence en laissant en héritage à son pays une trame nationaliste et de concorde. Il a sorti l’Algérie de ses faux pas pour la lancer sur la gloire après dix ans d’errance et de déchirements(…) », a affirmé le responsable libyen. Zaouiet El Belkadia El Hibria pour sa part, a écrit dans son message de condoléances, «nous pleurons un Homme parmi les Hommes, un Monsieur parmi les Messieurs du pays, (…), un leader moudjahid et le chef d’un Etat pour lequel il a érigé les principes de la stabilité(…), en mettant fin à l’effusion du sang et en réconciliant les Algériens entre eux(…), il s’est mis au service du Coran, il a réhabilité les zaouia et les confréries soufies(…), c’est un homme que l’histoire retiendra(…) ».

Jusqu’à hier dans l’après-midi, des informations non officielles évoquaient l’enterrement du président Bouteflika aujourd’hui au cimetière d’Al Alia à l’Est d’Alger.

Paix à son Âme. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons.


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