Algérie / NOURIA, “LA FLEUR DU THÉÂTRE ALGÉRIEN”, NOUS QUITTE : Respect à l’artiste

   Par : Pr. Chems Eddine Chitour, École Polytechnique, Alger

Deux comédiens qui ont marqué le petit écran dans les année 1980 nous ont quittés ce 9 août : Nouria Kazdarli, à 99 ans, et le comédien comique Bachir Benmohamed, à l’âge de 85 ans, qui a joué dans la célèbre série Aâssab oua Awthar.


   Nouria, née Khadidja Benaïda, voit le jour en 1921 à Ammi Moussa, dans une famille d’agriculteurs originaire de Matmata dans l’Ouarsenis. La famille déménage et s’installe à Mostaganem. C’est dans cette ville portuaire que la jeune Khadidja fait la connaissance de Mustapha Bouhrir, jeune bachelier, qui deviendra plus tard son époux et qui sera plus connu sous le pseudonyme de Mustapha Kazdarli. Le couple se marie en 1939 et s’installe à Alger. Khadidja exerce le métier de couturière et Mustapha travaille à l’Électricité et Gaz d’Algérie (EGA), puis à la mairie d’Hussein Dey. Mustapha Kazdarli découvre le théâtre à Alger, où il fait la connaissance de Taha El-Amiri et Boualem Raïs. Les trois hommes, qui ont des vocations d’acteurs, créent avec Mustapha Badie une troupe théâtrale, le Croissant algérien, qui se fondra quelques mois plus tard dans la troupe des artistes associés. Quelques années plus tard, avec le souhait de son mari, Khadidja Benaïda intègre la troupe en 1945 lors d’une tournée à Constantine, où sa carrière commence. Elle s’affirmera comme une comédienne incontournable. Elle adopte le pseudonyme de son mari avec un autre prénom, désormais son nom de scène est Nouria Kazdarli.(1)
Elle avait souvent interprété le rôle d’une mère au foyer typiquement algérienne avec sa nature simple et ses traditions matriarcales. Elle fait ses débuts dans le 4e art en 1945, lorsque son époux, le défunt Mustapha Kazdarli – une des grandes figures du théâtre algérien – et ses amis comédiens lui demandent de remplacer une actrice absente, ainsi elle intègre le théâtre algérien en interprétant le rôle de mendiante devant Abderrahmane Aziz. Nouria renoue avec la scène, en intégrant en 1963 une troupe composée de Kelthoum, Habib Rédha et d’autres comédiens à l’Opéra d’Alger sous les encouragements de l’artiste et réalisateur Mustapha Badie, chapeauté par Mahieddine Bachtarzi.(2)

Théâtre national algérien : universalité et système éducatif 

Tout au long de sa carrière prolifique de plus de 60 années d’expérience, la regrettée a évolué aux côtés de grands noms du théâtre et de la télévision algérienne, à l’instar de Farida Saboundji, Chafia Boudraa, Rouiched et Hassan El-Hassani avec lequel elle est partie en tournée en France durant les années 1950. Outre Mustapha Badie avec lequel elle a fait plusieurs feuilletons pour la radio et la télévision, Nouria avait travaillé avec de grands réalisateurs algériens dans le cinéma et la télévision, à l’instar de Omar Bakhti, Moussa Haddad et Hadj Rahim. Elle a joué dans plus de 200 pièces de théâtre, 160 téléfilms et 4 longs métrages. Parmi ses grands rôles cinématographiques, la défunte a excellé dans les films Khoudh maatak Allah (prends ce que Dieu te donne) (1981), La nuit a peur du soleil (1964) et Les enfants de la Casbah (1963). Pour ce qui est de ses œuvres les plus connues à la télévision, il y a lieu de citer le feuilleton Al Massir (le destin) (1989) et les sketchs La bru et la belle-mère, Elle et lui et Khalti H’nifa lors du Ramadhan.(2)
Connue souvent pour son rôle de mère traditionnelle et protectrice, Nouria a aussi fait ses humanités en s’intégrant dans le théâtre universel. Elle aura comme maître spirituel Mahieddine Bachtarzi qui avec Allalou puis Rachid Ksentini furent les inventeurs d’une nouvelle forme d’éveil des Algériens, une sorte de révolution à bas bruit avec des pièces comme Faqou où la richesse de la langue arabe, l’intonation, la complicité ont eu raison bien souvent de la censure. Nouria a fait ses armes au théâtre dans cette atmosphère où le pouvoir colonial des années 1930-50 pensait être là pour 1 000 ans. Naturellement, l’équipe de théâtre du FLN à côté de celle de l’équipe de football ont fait leur devoir, et leur apport est loin d’être négligeable. Mustapha Kateb raconte que le jour de l’indépendance, il jouait encore une pièce de théâtre.(3)
Après l’indépendance, le TNA continuant sur sa lancée a produit plusieurs pièces mettant en exergue la Révolution. Par la suite, en 1969, le Théâtre national algérien commença à s’arrimer à l’universel. Mustapha Kateb mettait en scène Rouge l’Aube d’Assia Djebar et Walid Carn avec comme comédiennes et comédiens Fatouma, Saliha, Kassi, Kazdarli, Yahia Benmebrouk, M’hamed Benguettaf, Nouria, Yasmina, Agoumi, Keltoum et tant d’autres célébrités. Tout s’articule, lit-on sur le site du TNA, autour de la guerre de libération et raconte la tragédie du peuple algérien pour retrouver son indépendance. La pièce traite aussi de la participation de toutes les couches de la société algérienne à la guerre de Libération nationale 54 et, avec force, présente la violence coloniale et les absurdités françaises.
À travers l’histoire d’une famille algérienne dont les enfants ont adhéré à la révolution, la pièce nous montre l’héroïsme des Algériens, qui, au moment du déclenchement de la révolution,  n’ont qu’un seul objectif : l’indépendance de leur pays. Elle nous montre le rôle important du meddah joué dans la sensibilisation et la mobilisation  du peuple et à sa conscientisation à la cause nationale grâce à des vers émanant de nobles sentiments à travers ses poèmes. Cette pièce, jouée en français, compte neuf représentations au Théâtre national algérien et réalise un score moyen de 279 spectateurs par séance.(4) Qui se souvient de La Maison de Bernarda Alba, un spectacle du Théâtre national algérien avec Noria, Keltoum, Fatiha Berbère, Farida Amrouche, Fatima Belhadj, Dalila Helilou, Douja, Farida Bousbouaa, Zohra Ben Rebaï, Saliha Kerbèche et tant d’autres ? La Maison de Bernada Alba, de l’auteur Federico Garcia Lorca, adaptée par Allel El-Mohib et mise en scène par Ahmed Khoudi, traite les deux logiques qui s’affrontaient dans cette Espagne du XXe siècle, prisonnière de son passé : d’un côté l’ordre ancien indexé sur les rites religieux et de l’autre le mirage de la modernité et des mouvements émancipateurs qu’elle suppose. Tout le drame se déroule dans une maison-prison. (…) Face au drame, Bernarda impose le silence à tout le monde. Cette œuvre n’en dénonce pas moins le rôle secondaire occupé par la femme dans l’Espagne rurale du début du XXe siècle.(5)
Nouria Kazdarli a joué en définitive dans 200 pièces théâtrales, 160 téléfilms et 4 longs métrages. “Elle excella notamment dans La Maison de Bernarda Alba de Lorca et Montserrat de Roblès. Femme de caractère et comédienne souvent affectée à des rôles de mère, Nouria appréciait côtoyer Bachetarzi, Habib Réda, Rouiched, Hassani, avec lesquels elle interpréta de nombreux personnages”, écrit Ahmed Cheniki, journaliste et universitaire algérien.(6)

Un théâtre pour le temps présent

Un livre remarquable sur le théâtre, celui de l’universitaire Hadj Dahmane, que présente Mustapha Cherif, explique pourquoi le théâtre après ses fameuses avancées doit épouser son temps. Nous lisons : “Le théâtre algérien, dans sa forme moderne, est né il y a un siècle environ, sous l’angle de la lutte anticoloniale et de la défense de l’identité nationale, puis pour défendre les opprimés et les masses assujetties à des formes multiples de domination (…).” L’auteur constate que des talents et potentialités existent et parient sur un renouveau du quatrième art en Algérie, qu’il soit expérimental ou classique. Hadj Dahmane souligne : “On conviendra que l’ambition de toute forme artistique engagée n’est pas la perfection esthétique en soi, mais l’éveil de l’enthousiasme des masses (…).” En fait, l’auteur conclut qu’il est difficile de dissocier l’art dramatique algérien de la conception de l’engagement : el-maddah, ou le conteur, le karagouz et les saynètes étaient autant de formes exprimant le souci de la beauté et de la justice, le mécontentement et la contestation. En effet, il y a une relation étroite entre l’engagement de ce théâtre et le mouvement nationaliste. Hadj Dahmane considère qu’il faut essayer de sortir de la léthargie ou crise en tenant compte des enjeux de notre temps et des préoccupations de la jeunesse : “Le théâtre algérien devrait, à notre avis, se défaire des thèmes qui l’ont trop marqué jusqu’ici. Il est vrai que son évocation de la guerre de Libération, au lendemain de l’indépendance, visait à consolider les efforts gigantesques du peuple. Mais, un demi-siècle plus tard, d’autres réalités ont surgi.”(7)
La disparition de Nouria devrait être l’occasion de faire un état des lieux du théâtre algérien, qui n’est plus que l’ombre de lui-même malgré les efforts. Après l’épopée du théâtre des pères fondateurs Mahieddine Bachtarzi, Allalou, Rachid Ksentini qui ont à leur façon préparé le peuple à la révolution en étant des lanceurs d’alerte et  des éveilleurs de conscience, le théâtre des années 1960-70 fut une belle époque, car il s’est  arrimé à l’universel avec des géants tels que Kateb Yacine, Kaki et plus tard Alloula. Ce fut ensuite le brouillard la nuit en attendant que le jour  se lève enfin. Quelque part, de nouvelles Houria devront éclore ! À la société de faire une place à ce quatrième art en réhabilitant les théâtres dans chaque ville et en permettant aux acteurs et aux comédiens de continuer leur travail, de continuer à éduquer d’une façon soft et en brisant cette gangue, voire cette prison mentale qui nous fait nous renfermer sur nous-mêmes alors que nous avons tant de choses à donner, tant de choses à apprendre.
Ces “intermittents du spectacle”, selon la formule consacrée, devraient vivre dans la dignité quand ils ont tout donné. Nouria nous a permis de traverser la vie par son immense générosité, par sa voie rocailleuse. Qu’elle en soit remerciée. Nous prions pour elle.


1-https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouria_Kazdarli
2- http://www.aps.dz/culture/108407-deces-de-la-comedienne-nouria-kazdarli-a-l-age-de-99-ans
3- Chems Eddine Chitour : 1er Novembre 1954. Le peuple prend les armes. Éditions Enag, 1019.
4- http://tna.dz/fr/ahmirar-el-fejr/*
5- http://tna.dz/fr/la-maison-de-bernarda-alba/
6- https://algeriecultures.com/actualite-culturelle/la-comedienne-nouria-kazdarli-tire-sa-reverence/
7- http://algerietele.centerblog.net/rub-culture-.html


 

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