Nouvelle politique étrangère américaine : de «America First» à «Diplomacy First»

    «America is Back. Diplomacy is back at the center of our foreign policy” (Joe Biden’s speech, State Department, February 4, 2021).

“America cannot afford to be absent any longer on the world stage […] ‘America First’ made America alone” (Joe Biden’s speech, State Department, February 4, 2021).

Par Arezki Ighemat *  


Le 4 février 2021, Joe Biden, le nouveau président américain, s’est rendu au siège du «State Department» (ministère des Affaires étrangères) et a fait un discours où il a exposé les grandes lignes de sa politique étrangère. Cette nouvelle politique — désignée sous le nom de «Foreign Policy and American Leadership» — vise principalement, mais pas totalement, comme nous le verrons plus loin, à renverser la politique appliquée par son prédécesseur, le président Donald Trump, dont la devise, en matière de politique extérieure, est «America First» (L’Amérique d’abord).

Dans son discours, le président Biden a d’abord souligné l’importance et le rôle que devrait jouer le «State Department» dans l’Amérique post-Trump. Une des phrases clés de son discours — qui est le trait essentiel qui distingue la politique étrangère de Biden de celle de Trump — a été de déclarer «America is back. Diplomacy is back at the center of foreign policy» (L’Amérique est de retour. La diplomatie est de retour au cœur de la politique étrangère). Biden a indiqué un autre objectif majeur de la nouvelle politique étrangère en déclarant : «The United States will again lead not merely by the example of our power but by the power of our example” (Les Etats-Unis mèneront à nouveau [le monde] non seulement par l’exemple de notre puissance mais par la puissance de notre exemple). Il reconnaît par là — comme c’est de notoriété publique mondiale — que pendant les quatre années de la présidence Trump, l’Amérique a vu son leadership se réduire comme peau de chagrin et que la confiance que le monde avait en elle s’est érodée substantiellement au cours de la gouvernance Trump en raison de son idéologie «America First».

Il faut dire qu’après le départ de Trump et à l’arrivée de Biden, le monde dans son extrême majorité — à l’exception de certains pays (Russie, Corée du Nord, Israël et les pays du Golfe) — a manifesté sa satisfaction et son espoir de ne plus avoir un autre Trump à la Maison-Blanche et de voir, au contraire, l’Amérique reprendre sa place privilégiée dans le concert des nations. L’objet du présent article est d’analyser les principaux axes de la nouvelle politique étrangère américaine. Cependant, ces axes étant nombreux et variés, et pour éviter d’aller trop dans les détails — ce qui exigerait plus d’un article de cette longueur — nous les regroupons en quatre thèmes principaux : (1) retour au multilatéralisme versus unilatéralisme, «Diplomacy First» versus «America First», (2) les relations USA/Chine, USA/Russie, USA/Iran, (3) La nouvelle politique américaine au Moyen-Orient et (4) la nouvelle politique américaine en matière d’immigration. Nous terminerons par dire quelques mots sur l’équipe gouvernementale que Biden a choisie pour mener à bien sa politique étrangère.

Multilatéralisme vs unilatéralisme, «Diplomacy First» vs «America First»
Pendant ses quatre années à la Maison-Blanche, le président Trump —avec ses slogans de campagne «Make America Great Again» (Rendre l’Amérique puissante à nouveau) et surtout «America First» (L’Amérique d’abord)— a appliqué une politique unilatéraliste et isolationniste dans le domaine des relations internationales. C’est ainsi qu’il s’est retiré des organisations multilatérales internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 6 juillet 2020 (avec effet le 6 juillet 2021), de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en octobre 2017, et du Conseil de l’ONU pour les Droits de l’Homme (UNHRC) en juin 2018. Il a aussi bloqué la nomination de juges au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), rendant, ce faisant, le commerce difficile entre les pays membres et a menacé de s’en retirer si l’OMC «doesn’t shape up» (si l’OMC ne se réforme pas).

Trump s’est également retiré de traités commerciaux internationaux comme le «Trans-Pacific Partnership Trade Agreement (TPP), impliquant 12 pays de la rive Pacifique (Canada, Japon, Australie, et les pays de l’ASEAN) sous prétexte que c’est un «bad bad deal» (c’est un très très mauvais accord) pour les Etats-Unis. Il a aussi annulé le traité commercial dit Nafta (North-American Free Trade Agreement) entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, en vigueur depuis le 1er janvier 1994. Trump s’est, en outre, retiré de traités encore plus stratégiques comme le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), appelé encore «Iran Nuclear Deal», conclu par l’Iran et les P5+1 (USA, Royaume-Uni, Russie, France, Chine, Allemagne) et signé le 14 juillet 2015 à Vienne. Trump s’est aussi retiré d’un autre traité considéré par la communauté internationale comme existentiel pour la planète : l’Accord de Paris sur le changement climatique, adopté par 196 pays en décembre 2015, et visant à limiter le réchauffement global de la planète à moins de 2 degrés Celsius. Il a aussi exprimé, lors de sa campagne électorale, le désir de se retirer de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) comprenant 30 pays européens et les pays d’Amérique du Nord, signé le 4 avril 1949 et dont les Etats-Unis sont un des membres fondateurs. Heureusement, le Congrès américain a refusé d’autoriser ce retrait, disant que seul le Congrès a le droit de prendre une telle décision.

L’un des objectifs du nouveau Président américain est de rejoindre toutes ces organisations internationales et tous ces traités et de renouer avec la tradition multilatéraliste des deux dernières décennies. Le Congrès, notamment le Sénat, à majorité républicaine, n’étant pas d’accord avec ce retour au multilatéralisme, Biden a dû le faire en prenant une série d’«executive orders» (décrets présidentiels) et cela dès les premiers jours de son arrivée à la Maison-Blanche. Pour Biden, ce retour à l’internationalisme permettrait de redonner confiance à la communauté internationale, de repositionner les Etats-Unis sur la scène globale et de faire retrouver leur place de leader du «Free World». Cela permettrait aussi à la diplomatie de retrouver sa place dans le règlement des conflits entre nations et de faire que le recours à la guerre soit un acte d’extrême exception. Biden dira, à ce propos : «We will be a strong and trusted partner for peace, progress and security» (Nous serons un partenaire fort et crédible pour réaliser la paix, le progrès et la sécurité) (Voir Joe Biden, Inaugural address, January 20, 2021). A propos du leadership des Etats-Unis, Biden dira : «America cannot afford to be absent any longer on the world stage» (L’Amérique ne peut pas rester plus longtemps absente de la scène mondiale) (Joe Biden’s speech, State Department, February 4, 2021).

Relations USA/Chine, USA/Russie, USA/Iran
Biden aura pour tâche difficile de reconstruire les ponts rompus par Trump entre les Etats-Unis et une grande partie des pays du monde. Plus difficile encore sera le processus de reconstruction des relations avec trois pays en particulier, la Chine, la Russie et l’Iran.
La Chine d’abord, parce que c’est le pays qui ne cesse pas de défier les Etats-Unis dans les domaines économique, politique et technologique et qui a des velléités de suprématie sur les Etats-Unis. Vis-à-vis de la Chine, Biden entend utiliser la politique «of the carrot and the stick» (de la carotte et du bâton). Le bâton concerne notamment la question des droits de l’homme et celle de la propriété intellectuelle, mais aussi la lutte pour le leadership mondial. Biden dira sur ces sujets : «We’ll confront China abuses, counter its aggressive, coercive action, push back on China’s attack on human rights, intellectual property and global governance» (Nous confronterons les abus de la Chine, ferons face à son action agressive et coercitive, répondrons à son attaque contre les droits de l’homme, de la propriété intellectuelle et de la gouvernance globale) (Voir Joe Biden, speech at the State Department, February 4, 2021).

Côté carotte, Biden dira : «But we are ready to work with Beijing when it’s in America’s interest to do so» (Mais nous sommes prêts à travailler avec la Chine lorsque c’est dans l’intérêt des Etats-Unis) (Joe Biden, op. cit). Noter la dernière partie de la phrase : «lorsque c’est dans l’intérêt des Etats-Unis». Cela rappelle quelque peu le slogan de Trump «America First» et est en contradiction avec celui de «Diplomacy First» de Biden et avec son intention de construire des alliances avec le reste du monde. Cependant, cela n’est pas en contradiction avec ce qu’il a dit par ailleurs : «By leading with diplomacy, we must also mean engaging our adversaries and competitors diplomatically where it’s in our interest and advance the security of the American people» (En dirigeant par la diplomatie, nous voulons aussi dire travailler avec nos adversaires et concurrents diplomatiquement là où c’est l’intérêt des Etats-Unis et là où cela fait progresser la sécurité du peuple américain) (Joe Biden, op. cit).

Biden ajoute, comme pour appuyer cette idée : «Investing in diplomacy isn’t something we do just because it’s the right thing to do for the world. We do it in order to live in peace, security, and prosperity» (Investir dans la diplomatie n’est pas seulement quelque chose que nous faisons parce que c’est bon pour le monde ; nous le faisons pour que [les Etats-Unis] vivent en paix, en sécurité et dans la prospérité) (Joe Biden, op. cit). En lisant bien entre les lignes, on voit que Joe Biden fait un lien direct entre l’intérêt des Etats-Unis et celui du reste du monde. Ce lien étroit entre la politique extérieure et la politique intérieure est encore davantage souligné dans sa déclaration suivante : «There is no longer a bright line between foreign and domestic policy. Every action we take in our conduct abroad, we must take with American working families in mind» (Il n’y a pas de frontière nette entre la politique étrangère et la politique intérieure. Chaque action que nous prenons à l’étranger, nous la prenons en ayant à l’esprit les familles laborieuses américaines) (Joe Biden, speech at the State Department, February 4, 2021).

Il faut rappeler que la tension Chine-USA n’était jamais montée aussi haut que pendant les 4 années de Trump à la Maison-Blanche. Entre autres actions prises par Trump contre la Chine : sanctions contre le géant chinois de télécommunications Huawei, l’interdiction de TiKtoK et de Weklat, la mise à l’arrêt du statut spécial de Hong Kong, l’opposition des Etats-Unis à la prétention chinoise sur la mer du Sud de la Chine, le boycott américain contre les pays appuyant la Chine dans sa répression contre les musulmans Uighurs et autres minorités musulmanes, l’accroissement des ventes américaines d’armes à Taiwan que la Chine considère comme partie intégrante de son territoire, etc. Biden n’a pas encore dit ce qu’il ferait pour réduire toutes ces tensions, mais a promis de travailler plutôt avec la Chine sur les questions d’intérêt plus global telles que le changement climatique et la menace nucléaire que poserait la Corée du Nord.
Le second dossier important de politique étrangère que Biden aura à gérer est celui des relations USA/Russie.

Comme avec la Chine, Biden aura à discuter des relations politiques, sécuritaires et des droits de l’homme avec son éternel concurrent, la Russie. Une question particulière sera sur la table de ces discussions : l’allégation de l’intervention de la Russie dans les campagnes électorales américaines, notamment celle de 2020 entre Trump et Biden. Il y a aussi la question des cyberattaques de la Russie contre les sources de données américaines. L’autre sujet qui fâche est celui des droits de l’homme, notamment le récent empoisonnement de l’opposant politique russe Alexei Navalny et son emprisonnement pour deux ans. Il faut rappeler que Navalny était empoisonné parce qu’il a divulgué des affaires de corruption dans l’administration Poutine. Comme dans le cas de la Chine, Biden entend utiliser la politique du bâton et de la carotte. D’un côté, il menace la Russie, déclarant : «I made it clear to President Putin, in a manner different from my predecessor [Trump], that the days of the United States rolling over in the face of Russia’s aggressive actions…are over. We will not hesitate to raise the cost to Russia and defend our vital interests»(Je l’ai dit clairement au président Poutine, d’une manière différente de mon prédécesseur [Trump] que les jours de l’impunité dans les actions agressives de la Russie sont finis… Nous n’hésiterons pas à augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux) (Voir Natasha Bertrand, Lara Seligman et Nahal Toosi, Foreign Affairs, February 4, 2021). D’un autre côté, Biden a renouvelé le traité START pour 5 années pour signaler la bonne volonté de l’administration Biden. Par ailleurs, une des raisons invoquées par l’administration Biden pour rejoindre l’OTAN —mais pas la seule— est de permettre à cette organisation atlantique de contrecarrer les actions agressives de la Russie, notamment contre l’Ukraine.

Le troisième grand dossier que Biden aura à traiter est celui de l’Iran. L’Iran a été de tous temps considéré, à tort ou à raison, par les Etats-Unis comme un «axis of evil» et un danger pour la stabilité du Moyen-Orient, notamment pour leur allié stratégique, Israël. En particulier, la menace la plus redoutée est le programme nucléaire de l’Iran. Pour réduire cette menace, l’administration Obama-Biden avait conclu en 2015 un traité dit JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), encore appelé «Iran Nuclear Deal» entre les Etats-Unis et les pays P5+1 (USA, Royaume-Uni, France, Russie, Allemagne) avec pour but de forcer l’Iran à mettre fin à son programme nucléaire militaire. Malheureusement, Trump avait décidé de retirer les Etats-Unis de ce traité et imposé des sanctions supplémentaires contre l’Iran, appliquant ce qu’il avait appelé «maximum pressure» (pression maximum) contre l’Iran pour l’obliger à renégocier le traité. Trump a aussi décidé un raid aérien qui a tué Qassem Soleimani, un général de la Sécurité militaire iranienne. Biden a dit qu’il rejoindrait le traité mais qu’il appliquerait le principe de «compliance for compliance» (respect contre respect), en d’autres termes, le principe de la réciprocité. Biden a déclaré à ce propos : «If Iran returns to compliance with the limits it’s broken, he [Biden] will rejoin the deal and negotiate to strengthen and extend the limits» (Si l’Iran se conforme au respect des conditions du traité qui n’avaient pas été respectées, il [Biden] rejoindrait le traité et négocierait pour renforcer et élargir les limites). On voit bien que Biden place la balle du côté de l’Iran. Il a dit aussi qu’il ne déciderait pas de rejoindre le traité avant d’en avoir discuté avec les alliés des Etats-Unis. Biden devra aussi rassurer l’allié stratégique des Etats-Unis, Israël, que ce retour éventuel au traité ne sera pas fait contre ses intérêts.

La nouvelle politique américaine au Moyen-Orient
Le Moyen-Orient, et la région MENA (Middle-East and North Africa) au sens large, est un autre casse-tête pour le nouveau président américain. De toutes les régions du monde qui connaissent des crises majeures, la région MENA est celle qui embarrasse le plus la communauté mondiale, en général, et les Etats-Unis, en particulier. Les Etats-Unis, en effet, ont des intérêts économiques et sécuritaires très importants dans cette région. Biden a, par conséquent, intérêt à user de son influence pour résoudre les guerres civiles en Libye, Irak, Syrie et Yémen qui sont une véritable poudrière pour la région et pour le monde dans son ensemble. Biden se propose aussi de mettre un terme à l’aide accordée par les Etats-Unis aux pays de la région où règne l’autoritarisme et la répression contre leurs peuples dans leur lutte contre ces régimes, notamment dans le cadre de ce qu’on appelle les «Arab Springs» (Printemps arabes).

Le nouveau président aura aussi à relancer le dialogue Israël-Palestine qui a été rompu pendant toute la période Trump. Ce conflit éternel est peut-être le conflit qui mine le plus l’ensemble de la région depuis la création de l’Etat d’Israël un 14 mai 1948. Pour relancer ce dialogue, Biden et son équipe du «State Department» -dont nous parlerons dans la dernière partie de cet article— doit ici aussi utiliser la politique du bâton et de la carotte. Il doit, d’un côté, convaincre Israël de stopper sa politique d’annexion des territoires palestiniens, ce qui ne sera pas facile avec l’actuel Premier Ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui tient à poursuivre cette politique. D’un autre côté, Biden doit rétablir l’aide économique et financière que les Etats-Unis accordent à l’Autorité palestinienne et que Trump a arrêtée unilatéralement. Biden aura aussi à prendre position dans les récents accords passés entre Israël et certains pays du Golfe et un pays du Maghreb. Ces accords ont été conclus sous le parapluie du Président Trump et concernent, jusqu’à maintenant, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan, et tout récemment le Maroc.

Ces accords, auxquels l’administration Trump a donné le nom de «Abraham Accords», prévoient la «normalisation» des relations entre chacun de ces pays et Israël. Biden avait déjà indiqué, avant même d’être Président, qu’il accueillait favorablement ces accords et qu’il souhaitait que d’autres pays de la région suivent le même exemple. Le nouveau locataire de la Maison-Blanche doit aussi se prononcer sur le changement de la capitale israélienne qui a vu Jérusalem remplacer Tel Aviv comme nouvelle capitale de l’Etat d’Israël. Il doit se prononcer aussi sur la question concomitante du déplacement de l’ambassade américaine de l’ancienne capitale à la nouvelle. En fait, Biden a déjà indiqué qu’il ne remettrait pas en cause ces deux décisions prises unilatéralement —sans consulter ni les Palestiniens ni les pays de la région, ni l’ONU— par le Président Trump. Dans l’accord Israël-Maroc, en particulier, Biden aura à prendre position sur la question de l’indépendance réclamée depuis plusieurs années par le Sahara Occidental, annexé par le Maroc. En effet, pour convaincre le Maroc à accepter de régulariser ses relations avec Israël, Trump a fait une concession de taille : il a reconnu unilatéralement la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental alors que les Nations unies étaient, et sont toujours, chargées de régler cette question.

Biden aura donc, à un moment donné, à indiquer la position de son administration sur cette question qui dépasse la juridiction des Etats-Unis. Biden aura ici à choisir entre défendre les intérêts d’Israël —son allié de toujours— ou se mettre du côté du Droit international et des institutions internationales. La réponse semble être claire comme de l’eau de roche si on considère ce que Biden lui-même a déclaré à ce sujet : «We need to sustain our ironclad commitment to Israel’s security regardless of how much you may disagree with its current leader» (Nous devons maintenir comme fer notre engagement vis-à-vis de la sécurité d’Israël et ce, même si vous êtes en désaccord avec son leader actuel [c’est-à-dire Netanyahu]) (Joe Biden, speech at New York University, July 12, 2019). Biden, lui aussi, comme tous les présidents qui l’ont précédé, semble pencher du côté Israélien et non du côté du Droit international.

La nouvelle politique américaine en matière d’immigration
Un autre dossier de politique étrangère —qui est en même temps un sujet de politique intérieure— qui attend le nouveau président américain est celui de l’immigration. Ce dossier concerne non seulement la politique vis-à-vis de l’immigration future mais aussi celle à l’égard des émigrés qui sont déjà aux Etats-Unis. Il concerne aussi la politique vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Les Etats-Unis ont toujours été un pays d’immigrants et d’immigration. Cependant, selon la couleur politique de l’administration en place, la politique d’immigration a vacillé entre ouverture et fermeture des frontières. Le cas extrême de la politique de fermeture est celui du niveau «zero immigration» que Donald Trump avait espéré atteindre. La politique de fermeture de Trump peut être résumée par deux mots qui lui sont chers : «Wall» (mur) et «Ban» (interdiction).

Pendant toute sa campagne électorale, puis une fois élu président, Donald Trump a promis de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique pour éviter que les immigrants des pays d’Amérique Latine ne traversent la frontière mexicaine pour entrer aux Etats-Unis. Il a même déclaré que ce mur serait financé par le Mexique, ce que ce dernier pays a toujours contredit. La deuxième action de Trump a été d’interdire aux citoyens de 7 pays musulmans (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Yémen) d’entrer aux Etats-Unis. Le prétexte de Trump était de prévenir des actes terroristes pouvant être commis par les immigrants en provenance de ces pays. C’est ce qui a été appelé «Muslim Ban», pris par «executive order» du 27 janvier 2017.
La nouvelle administration Biden, dès son accession à la Maison-Blanche, a renversé cette politique de fermeture. La première décision prise par Biden le 20 janvier 2021, jour de son inauguration, a été de mettre fin au financement du mur de Trump et de diriger les fonds initialement alloués à sa construction vers d’autres projets. Lors de la cérémonie de signature de l’«executive order» qui met fin à la construction du mur, Biden a déclaré : «Comme toute nation, les Etats-Unis ont le droit et le devoir de sécuriser ses frontières et de protéger le peuple américain contre les menaces. Mais construire un mur massif qui couvre la totalité de la frontière sud n’est pas une solution sérieuse. C’est un gaspillage de fonds qui éloigne l’attention de là où les menaces à la sécurité viennent réellement» (Joe Biden, 20 janvier 2021, notre traduction).

La seconde décision prise par le nouveau président américain a été d’annuler le «Muslim Ban» par la proclamation du 20 janvier 2021 contre les interdictions discriminatoires d’entrée aux Etats-Unis. Dans le préambule de cette proclamation, Biden donne la raison qui l’a poussé à prendre cette décision : «The United States was built on a foundation of religious freedom and tolerance, a principle enshrined in the United States Constitution» (Les Etats-Unis ont été établis sur la base de la liberté de culte et la tolérance, principe qui est inscrit dans la Constitution des Etats-Unis) (Voir Proclamation du 20 janvier 2021). Comme nous l’avons dit plus haut, la nouvelle politique d’immigration de Biden ne concerne pas seulement les nouveaux immigrants, mais aussi ceux qui sont déjà sur le territoire américain, pour certains depuis plusieurs décennies. Le jour-même de son inauguration, le président Biden a pris un mémorandum, qu’il a adressé en même temps à l’«Attorney General des Etats-Unis» et au Secrétaire d’Etat à la Sécurité Intérieure, pour préserver le programme dit «DACA» (Deferred Action for Children Arrivals). «DACA» est un programme qui reporte à une date indéterminée la déportation des enfants de parents immigrants.

Ce programme, qui avait été établi par l’administration Obama-Biden le 15 juin 2012, avait été suspendu par Donald Trump en septembre 2017. Pire, Trump a placé ces enfants dans des cages et a osé déclarer que ces enfants sont placés dans des «clean facilities» (dans des installations propres) et qu’ils sont «well taken care of» (qu’ils sont pris en charge de manière correcte). Biden a non seulement rétabli «DACA», mais envisage d’offrir à ces enfants sans papiers, qui représentent environ 11 millions, la possibilité de devenir citoyens américains après 5 ans de résidence aux Etats-Unis. Biden a aussi promis de réunifier plus de 5 500 enfants que Trump a séparés de leurs parents en 2017. Biden espère aussi qu’une loi plus exhaustive sur la réforme du système d’immigration sera adoptée pendant son mandat, incluant le statut des réfugiés et des demandeurs d’asile.

L’équipe choisie par Biden pour conduire sa nouvelle politique étrangère
Pour mener à bien la politique étrangère dont nous avons évoqué certains éléments principaux, Biden a nommé une équipe d’experts chevronnés dans les affaires diplomatiques et sécuritaires. Contrairement à son prédécesseur, qui a nommé à la Maison-Blanche un certain nombre de membres de sa famille aux postes clés du gouvernement. Sa fille, Ivanka, a été recrutée comme conseillère principale de son père et Directrice de l’«Office of Economic Initiatives and Entrepreneurship». Son beau-fils, Jared Kushner, le mari d’Ivanka, occupait le poste de Conseiller principal chargé, entre autres, mais pas uniquement, du dossier du Moyen-Orient. Ses deux autres fils, Eric et Don Jr., bien que n’ayant pas de postes officiels à la Maison-Blanche, faisaient des affaires qui profitaient à l’entreprise de leur père, la «Trump Organization». Trump a aussi recruté un grand nombre de ses amis politiques et des sponsors de sa campagne électorale. Cette pratique est, ni plus ni moins, ce que les experts en politique appellent le népotisme.

Biden a déclaré, dès sa campagne électorale, qu’il n’emploierait pas de membres de sa famille à la Maison-Blanche ou dans les autres agences du gouvernement. Voici ce qu’il dit à ce sujet : «No one in our family and extended family is going to be involved in any government undertaking or foreign policy» (Personne, ni dans notre famille immédiate ni dans notre famille élargie, ne sera impliquée dans aucune entreprise gouvernementale ou dans la politique étrangère). Non seulement cela, mais sa propre femme, Dr. Jill Biden, continuera d’enseigner et donc aura son salaire payé par son institution d’enseignement et non par le gouvernement en sa qualité de «First Lady» (Première Dame), ce qui n’était pas le cas dans la présidence Trump et les présidences précédentes. Le gouvernement de Joe Biden est à la fois hautement professionnel et ethniquement diversifié. Par ailleurs, il n’y a aucun général ou CEO dans son gouvernement comme dans le cas de la gouvernance Trump. Ce choix est fait par Biden avec l’esprit de rétablir le leadership moral, de restituer l’éthique dans la nouvelle gouvernance, le «championship» dans le domaine des droits de l’homme et de développement de relations multilatérales avec les alliés et les autres démocraties du monde.

Les principaux membres de l’équipe Biden -mais la liste n’est pas définitive et les nominations se poursuivent- sont Anthony [Tony] Blinken comme «Secretary of the State Department» [Affaires étrangères]. Blinken n’est pas une tête nouvelle en politique étrangère. Il était déjà «Assistant Secretary of State» (2015-2017) au temps où Biden était Vice-Président dans l’administration Obama. Avant cela, il avait travaillé au State Department dans l’administration Bill Clinton de 1994 à 2001. Sa philosophie dans le domaine de la politique étrangère peut être résumée dans l’extrait suivant : «We can’t solve all the problems alone. We need to be working with other countries; we need their cooperation and we need their partnership…America has a greater ability than any other country on Earth to bring others together to meet the challenges of our time” (Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes seuls. Nous avons besoin de travailler avec les autres pays ; nous avons besoin de leur coopération et de leur partenariat… L’Amérique a une capacité plus grande que n’importe quelle autre nation pour rassembler les pays et faire face aux défis de notre temps) (cité par Christina Wilkie, CNRC, November 24, 2020). Le second poste-clé est occupé par Alexandro Mayorkas. C’est celui de «Secretary of Homeland Security Department» [l’équivalent du ministère de l’Intérieur]. D’origine cubaine, Mayorkas est avocat de formation mais a travaillé dans le Département de Homeland Security pendant le règne Obama, où il occupait le poste d’Assistant au Secrétaire de ce ministère (2013-2016). Mayorkas définit le rôle de son département de la manière suivante : «Le Département de Homeland Security a une mission noble, celle d’assurer notre sécurité et de promouvoir notre histoire de pays fier d’être un pays d’accueil… Mon père et ma mère m’ont fait venir dans ce pays [les Etats-Unis] pour échapper au communisme. Ils chérissent notre démocratie et étaient intensément fiers de devenir des citoyens américains, comme moi) (op. cit, notre traduction). Le troisième poste, non moins stratégique, est celui d’Ambassadrice américaine à l’ONU occupé par Madame Linda Thomas Greefield. Ethniquement d’origine africaine, Greenfield occupait auparavant le poste d’«Assistant Secretary of State of Africain Affairs» au «State Department» dans l’administration Obama-Biden. Elle a aussi enseigné pendant plusieurs années les sciences politiques à Bucknell University.

Soulignant l’importance du multilatéralisme et de la diplomatie, comme l’a fait Blinken dans l’extrait ci-dessus, Greenfield, s’adressant à ses collègues diplomates, a déclaré : «My fellow career diplomats and public servants around the world, I want to say to you : America is back. Multilateralism is back. Diplomacy is back’ (Mes chers collègues diplomates de carrière, je voulais vous dire, l’Amérique est de retour, le multilatéralisme est de retour, la diplomatie est de retour) (op. cit).

Le quatrième poste important est celui de «Director of National Intelligence (DNI)», occupé par Madame Avril Haines, une avocate de formation. Haines avait occupé les postes de «Deputy National Security Advisor» et «Deputy Director of the CIA» dans l’administration Obama-Biden. Lors de la cérémonie de sa nomination, Haines a dit au Président Biden ce que l’on entend rarement des membres de gouvernement : «Monsieur Le Président, vous savez que je n’ai jamais essayé de cacher la vérité aux autorités, et cela sera ma responsabilité en tant que Directrice de la Sécurité nationale…Vous ne voudriez jamais que je fasse autrement et vous appréciez la perspective de la communauté de l’Intelligence et vous aurez la même appréciation même dans le cas où ce que je vous dirai sera inconvenant ou difficile. Et je peux vous assurer qu’il y aura beaucoup de ces occasions» (op. cit, notre traduction). Le cinquième pilier de la politique étrangère/sécurité du gouvernement Biden est celui de «National Security Advisor (NSA), poste occupé par Jake Sullivan. Auparavant, Sullivan servait comme «Deputy Chief of Staff» de Hillary Clinton au «State Department» dans le gouvernement Obama-Biden. Il a aussi enseigné les sciences politiques, relations internationales et Droit pendant plusieurs années dans la prestigieuse Yale University (School of Law). Lors de la cérémonie de sa nomination, Sullivan soulignera le lien existant entre la politique étrangère et la politique intérieure : «You [Mr. President] have told us the alliances we rebuild, the institutions we lead, the agreements we sign, all of them should be judged by a basic question : will this make life better, easier, safer, for families across this country» (Vous nous avez indiqué les alliances à reconstruire, les institutions à diriger, les accords à signer ; tout cela devrait être jugé à partir d’une question de base : est-ce que cela rendra la vie meilleure, plus facile, plus sûre pour les familles dans l’ensemble de notre pays ?) (op. cit).

Le sixième poste clé de la politique étrangère de Biden est celui de «Special Envoy for Climate Change» (Envoyé spécial pour le changement climatique), poste confié à John Kerry, qui, lui aussi, est un chevronné des affaires étrangères. Kerry n’est ni plus ni moins celui qui était candidat à la présidence et Secrétaire aux Affaires étrangères dans le gouvernement Obama-Biden. En cette dernière qualité, Kerry a été l’architecte de la politique climatique américaine dans les Accords de Paris sur le changement climatique, comme il a été un membre influent dans l’accord nucléaire avec l’Iran. Soulignant son nouveau rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, Kerry dira : «Le chemin qui est en face de nous est excitant. Cela signifie moins de pollution dans l’air, dans les océans et signifie que nous renforcerons la sécurité de chaque nation. Le Président est déterminé à capter le futur aujourd’hui et à laisser une planète saine aux générations futures) (op. cit, notre traduction).

Conclusion
Nous avons vu, tout au long de cet article, que la nouvelle administration américaine accorde une importance plus grande à la politique étrangère que ce n’était le cas dans l’administration Trump. Contrairement à l’administration Trump —qui mettait, ou prétendait mettre, l’accent sur l’intérieur, notamment par ses slogans «Make America Great Again» et surtout «America First» -l’administration Biden veut mettre beaucoup plus de poids sur la diplomatie comme moyen d’entretenir des relations apaisées et équilibrées entre les Etats-Unis et le reste du monde et de rétablir la confiance et le leadership que Trump a érodés pendant les quatre années de son règne.

La nouvelle administration, contrairement à celle de Trump, qui agissait de façon unilatérale et erratique, a établi un plan pour rejoindre la communauté internationale et travailler avec elle pour retourner progressivement au multilatéralisme dans les relations internationales, trouver une solution à l’instabilité qui règne dans certaines régions, notamment le Moyen-Orient, et plus particulièrement le conflit Israël-Palestine, établir un système d’immigration qui à la fois protège les Etats-Unis contre les menaces de toutes formes et permet à ceux qui fuient la répression et l’autoritarisme dans le monde de trouver refuge aux Etats-Unis, développer des relations saines et équilibrées entre les grandes puissances (Russie, Chine) et atténuer la menace nucléaire (Iran, Corée du Nord).

Nous avons vu aussi que Biden établit, comme l’ont fait Blinken et Sullivan, un lien étroit entre la politique extérieure et la politique intérieure en déclarant que la politique étrangère doit être formulée de telle sorte qu’elle réalise les intérêts de toutes sortes des Etats-Unis. Nous avons vu, enfin, que pour réaliser ces objectifs, l’administration Biden a choisi une équipe de professionnels ayant une grande expérience dans les affaires étrangères et les questions sécuritaires.
Cependant, la réalisation de tous ces projets dépend beaucoup de la manière avec laquelle la nouvelle administration va résoudre les crises qui affectent déjà les Etats-Unis depuis une année : la crise pandémique, la crise économique qui en résulte et la crise sociale qui divise le pays comme jamais dans le passé. L’administration Biden doit travailler d’arrache-pied et simultanément sur tous ces dossiers si elle veut réaliser son pari.


*Ph.D en économie, Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


 

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