Otages des putschistes boliviens

Bolivie post-coup d’Etat… « Nous vivons dans la douleur, l’incertitude, l’angoisse la peur, l’indignation… » Elle s’appelle Patricia Moldiz. Elle est Bolivienne, on l’aura compris. Elle continue, d’une voix altérée : « Depuis sept mois, nos proches n’ont pas pu obtenir le sauf-conduit qui leur permettrait de quitter l’ambassade où ils se sont réfugiés. » Fille de Hugo Moldiz, avocat, universitaire et ministre de l’intérieur d’Evo Morales en 2015, la jeune femme s’exprime dans le cadre de la conférence de presse virtuelle qui, le 17 juin, organisée depuis l’Argentine, où est réfugié le président renversé, lance la « Campagne internationale pour la liberté et l’obtention de laissez-passer pour les sept demandeurs d’asile à l’ambassade du Mexique en Bolivie [1] ». Des fidèles et proches collaborateurs de l’ex-chef de l’Etat. A savoir : Moldiz, Juan Ramón Quintana (ministre de la présidence) [2], Javier Zavaleta (défense), Héctor Arce Zaconeta (justice), Wilma Alanoca Mamani (culture), Víctor Hugo Vásquez (gouverneur du département d’Oruro), Nicolás Laguna (directeur de l’Agence des technologies et de l’information [Agetic]).

Rapidement disparue des radars après le « golpe » de novembre 2019, la Bolivie se retrouve davantage encore abandonnée à elle-même du fait de l’isolement provoqué par la pandémie de Covid-19. Oubliés ces jours où, du 11 au 13 novembre, la putschiste Janine Añez et ses acolytes exorcisent, Bible à la main, un palais présidentiel où, symboliquement, en la personne d’Evo Morales, gouvernait la Pacha Mama. Béni par Washington, orchestré par son appendice, l’Organisation des Etats américains (OEA), misérablement entériné par l’Union européenne, un coup d’Etat dans les règles, amplement confirmé depuis par plusieurs études indépendantes [3]. Violence, racisme, fanatisme se déchaînent. La haine du peuple, et surtout de sa composante indigène, ne cherche même pas à se cacher.

Chef d’Etat légitime et réélu pour un nouveau mandat, sous les couleurs de Mouvement vers le socialisme (MAS), Evo Morales doit s’envoler en toute hâte pour le Mexique. A qui lui demande les raisons d’une telle précipitation, il explique : « J’ai démissionné pour qu’il n’y ait pas plus de morts et pas plus d’agressions. Frère journaliste, savez-vous pourquoi nous avons démissionné, le 10 dans l’après-midi, avec le frère [Álvaro] García Linera [vice-président]  ? Parce qu’ils ont attrapé mes frères dirigeants, militants, gouverneurs des Départements, maires, et qu’ils leur ont dit qu’ils brûleraient leur maison si je ne démissionnais pas. Ils ont dit au frère du président de la Chambre des députés : “Si ton frère ne démissionne pas, on va te brûler vif sur la place. ” Ils ont incendié la maison de ma sœur, à Oruro. Du racisme au fascisme et du fascisme au coup d’Etat [4]  » Avec une claire implication des militaires, pour ne pas rompre avec la grande tradition des « pronunciamientos ».

De fait, après que leurs domiciles aient été perquisitionnés et incendiés, que leurs proches aient été intimidés ou détenus, neuf membres du gouvernement légitime se réfugient dans l’ambassade du Mexique et demandent l’asile politique (qui leur est accordé). A l’exception de deux d’entre eux – le ministre des mines César Navarro et le vice-ministre du développement rural Pedro Damián Dorado –, qui ont reçu au bout de deux mois un sauf-conduit leur permettant de quitter le pays, tous sont reclus depuis dans l’enceinte de la représentation mexicaine. Les prétendant sous le coup de la justice, le pouvoir illégitime les emprisonne de fait en leur refusant tout laissez-passer. Pourtant, « les sept sont des hauts fonctionnaires, affirme le 17 juin la philosophe, universitaire et militante sociale argentine Isabel Rauber, ce qui n’est pas un délit. Les menaces contre eux et leurs familles, oui, sont des délits ! »

Argentin lui aussi, juge de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) depuis 2016, ex-membre de la Cour suprême de son pays (2003-2015), avocat d’Evo Morales, Raúl Eugenio Zaffaroni note comme Rauber qu’on n’a nullement affaire à des délinquants : « On ne les a mis en accusation qu’après leur entrée dans l’ambassade. Une pratique de “lawfare” assez commune dans notre région [5]. Mais, en Bolivie, beaucoup plus grave car on n’y achète pas les juges : on les menace, on menace leurs familles. »

Intimidés ou pas, certains magistrats ont la main aussi lourde que sélective, depuis le coup d’Etat. Sans prétendre à l’exhaustivité (car il faudrait citer des dizaines et des dizaines d’anonymes), on mentionnera ici, à titre d’exemples :

  • en novembre, arrestation de Gerardo García, vice-président du MAS ; de la députée élue dans la Circonscription 52 de Santa Cruz, Deysi Choque ;
  • en décembre, de Luis Hernán Soliz Morales, cousin et assistant (au sein du ministère de la présidence) d’Evo Morales ; de Marcial Escalante, vice-president du MAS à Yapacani (Santa Cruz) ; de María Eugenia Choque, Antonio Costas et Édgar Gonzales, fonctionnaires du Tribunal suprême électoral (TSE) ;
  • en janvier, de Patricia Hermosa, ex-chef de cabinet et chargée de pouvoir d’ « Evo » (pour avoir communiqué par téléphone avec lui et Ramón Quintana !) ; de Carlos Romero, ex-ministre de l’intérieur ;
  • en février, du député Gustavo Torrico, accusé – comme Evo Morales lui-même et Ramón Quintana ! – de « terrorisme et sédition » ; de César Cocarico, ex-ministre du développement rural ;
  • en avril, de Patricia Arce, mairesse « masiste » [partisan du MAS] de Vinto (Cochabamba), pour « non respect de la quarantaine » et « consommation de boisson alcoolique » (à son domicile, lors d’une réunion familiale)…

Aux exactions de la police et de l’armée pour « pacifier  » le pays – massacres de Senkata et Sacaba (au 12 décembre 2019, 34 morts, 832 blessés) – s’ajoute une persécution implacable. A peine s’était-il emparé du pouvoir que le pseudo ministre de l’intérieur, Arturo Murillo, annonçait une « chasse à l’homme » pour retrouver le ministre de la présidence Quintana. Pourquoi une telle haine ? « Parce que c’est un animal qui est en train de tuer des gens », répondit le Torquemada. Puis il fit tirer à balles réelles sur les manifestants.

Le 8 janvier 2020, le pouvoir de fait a annoncé qu’il allait ouvrir, pour « corruption », une enquête sur 592 personnes liées au gouvernement d’Evo Morales. Sans donner de noms, la liste des « suspects  » étant « confidentielle  », il précisa tout de même qu’il s’agissait de personnes ayant occupé des fonctions comme… chef de l’Etat, ministre, vice-ministre, fonctionnaires de haut rang dans des entreprises publiques, représentants de partis politiques pendant la période de 2006 à novembre 2019.
Trois jours plus tard, l’authentique titulaire du ministère de l’intérieur (dit également Ministerio de Gobierno), Carlos Romero, quittait son domicile dans une ambulance avant d’être hospitalisé, souffrant d’hypertension, d’anxiété et de déshydratation. Depuis plusieurs jours, les nervis d’un collectif baptisé « La Résistance » – comme au Venezuela pendant les « guarimbas » insurrectionnelles de 2017, quelle originalité ! – assiégeaient sa maison, exigeant qu’il soit arrêté et jugé. « J’avais faim et soif, témoignera Romero, très affaibli, quelques jours plus tard, car ils empêchaient toute entrée d’alimentation et m’avaient coupé l’eau. »

Le 17 janvier, la police sortira Romero de sa chambre d’hôpital pour l’incarcérer à la prison San Pedro (La Paz), un juge « anticorruption » ayant dicté à son encontre une mesure de détention préventive – c’est-à-dire sans jugement d’aucune sorte – de six mois.

Ce n’est donc pas sous le coup d’une « panique injustifiée » que « les sept » se sont réfugiés en toute hâte dans l’ambassade de laquelle ils sont désormais prisonniers. Et qui, elle même, au mépris du droit international et de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, se trouve désormais assiégée.

Le 27 décembre 2019, accompagnés de leur escorte – quatre hommes du Groupe spécial d’opérations (GEO) de la police espagnole –, deux diplomates de ce pays, la chargée d’affaires Cristina Borreguero et le consul Álvaro Fernández, entendaient rendre une visite de courtoisie à l’ambassadrice du Mexique, María Teresa Mercado. Un incident confus mais significatif marqua la fin de cette entrevue. Alors que les deux autos, dont celle des policiers espagnols, revenaient chercher leurs compatriotes, une bande de civils exaltés, présents autour du complexe résidentiel pour empêcher toute tentative d’« évasion  » des « criminels  », prétendit leur interdire le passage, sans que les forces de l’ordre boliviennes, également présentes, ne bougent le petit doigt.

Equipés de leurs banderoles – « En campagne permanente et active  » –, ces individus surveillent la résidence vingt-quatre heures sur vingt-quatre et fouillent tout véhicule passant par-là. Pris à partie, accusés de vouloir exfiltrer le « criminel  » Juan Ramón Quinana, les policiers espagnols se couvrirent le visage d’un passe-montagne, par mesure de sécurité, lorsqu’ils s’aperçurent que des photographes leur tiraient le portrait. La tension monta d’un cran. Les deux véhicules marqués « corps diplomatique » durent reculer, confrontés aux menaces et insultes des ultras appuyés par les policiers boliviens. Il fallut plusieurs heures de négociations à haut niveau pour que les diplomates puissent enfin accéder à leur véhicule et quitter les lieux. Les autorités justifièrent l’injustifiable en prétendant que si la police n’avait pas laissé passer les autos c’est parce que l’une d’entre eux transportait des individus cagoulés.

Plutôt que s’excuser pour cette agression violant tous les usages, Janine Añez persista et signa : « Le gouvernement constitutionnel que je préside (sic !) a décidé de déclarer ’’persona non grata’’ l’ambassadrice du Mexique en Bolivie, Maria Teresa Mercado, la chargée d’affaires d’Espagne en Bolivie, Cristina Borreguero, le consul, Alvaro FernándezIls ont 72 heures pour quitter le pays. »

Lorsque l’ambassadrice quitta sa résidence en direction de l’aéroport, les mêmes groupes de nervis, violant une nouvelle fois l’immunité diplomatique, fouillèrent son véhicule sous l’œil bienveillant des flics boliviens.

Dans une déclaration d’un courage insensé, l’Union européenne (UE) – si prompte à sanctionner le Venezuela – exprima « sa profonde inquiétude ». Moins complaisant à l’égard des néofascistes, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador dénonça le harcèlement permanent de son ambassade : « Même Pinochet n’a jamais fait ça. »

Bien entendu, ce sombre épisode ne passa pas inaperçu en Espagne. Quelques jours plus tard devait avoir lieu l’investiture de Pedro Sánchez comme président du gouvernement, en alliance avec Unidos Podemos. A l’invitation des putschistes boliviens, entrent en scène à La Paz, le 1er janvier, le député espagnol Víctor González Coello de Portugal, vice-président du parti d’extrême droite Vox, ainsi que l’eurodéputé « Vox » Hermann Tertsch, vice-président du groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) [6]. Il s’agit pour eux, outre un appui au gouvernement bolivien « dans sa lutte pour la démocratie et la liberté face au communisme et aux intentions déstabilisatrices du Forum de São Paulo [7] », d’obtenir des éclaircissements sur l’« étrange irruption d’homme cagoulés espagnols dans l’ambassade mexicaine ».

Au terme d’une longue et très cordiale rencontre avec les ministres de l’intérieur et de la défense, Arturo Murillo et Fernando López, Víctor González Coello de Portugal se déclare très frappé par les faits rapportés. « Ils nous remplissent d’alarme et de préoccupation. Nous voulons en savoir davantage, nous voulons que ces personnes [ses compatriotes, la diplomate et les policiers incriminés et expulsés] soient convoquées par la justice [espagnole] et nous voulons savoir quel lien il y a entre eux et Podemos. » D’autres variables entrant en ligne de compte, il s’empresse d’ajouter : «  Si ce qu’on nous a relaté est exact, j’encourage le Mexique à livrer ces gens [les ministres d’Evo Morales].»

Bravo, bonne analyse ! Enchanté par la teneur de cette rencontre « au sommet » entre néofascistes de bonne compagnie, Murillo renvoie immédiatement l’ascenseur. Le 3 janvier, lors d’une conférence de presse tenue en commun avec ses amis, il déclare qu’il existe « de claires évidences de financement du gouvernement d’Evo Morales à des partis étrangers » et demande à son « procureur général » Juan Lanchipa de lancer des poursuites contre les bénéficiaires de ces malversations : Pablo Iglesias (leader espagnol de Unidos Podemos) ; Juan Carlos Monedero (co-fondateur de Podemos) ; Íñigo Errejón (député de Más País) ; José Luis Rodríguez Zapatero (ex-chef socialiste du gouvernement espagnol) et, pour faire bonne mesure, le juriste Baltasar Garzón ! Tel est le gouvernement que l’Union européenne a accepté d’aider à « pacifier  » le pays.

Avec la complicité de Washington et de l’UE, la putschiste Janine Añez s’accroche à sa présidence « tendance Juan Guaido » [8] (à qui, expulsant leurs légitimes occupants, elle a offert l’ambassade du Venezuela à La Paz). Ce n’est qu’après avoir longuement résisté et traîné les pieds qu’elle a finalement accepté la décision de l’Assemblée plurinationale, dominée par le MAS d’Evo Morales, d’organiser la nouvelle élection présidentielle, le 6 septembre prochain. L’assentiment prête cependant à équivoque. La vision idyllique d’un scrutin se déroulant démocratiquement appartient et risque d’appartenir pendant quelques mois encore aux rêveurs impénitents (ou à l’infâme secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro).

Ambiance… Les factieux ont fermé près soixante radios communautaires, les accusant de sédition. Le 23 mai, alors que, selon la Constitution, les promotions des hauts gradés doivent être débattues et approuvées (ou rejetées) par le Sénat, le haut commandement des Forces armées, emmené par le commandant en chef, le général Sergio Orellana, investit l’enceinte législative et lance un ultimatum : « Nous allons attendre une semaine. (…) Si nous recevons une réponse négative, nous procéderons selon nos propres normes. » Devant leur refus d’entériner ce coup de force, Murillo menace d’emprisonner les législateurs.

C’est également de la politique élémentaire : quand, début juin, à K’ara K’ara (zone sud de de Cochabamba), la tour d’une entreprise de téléphonie privée s’abat, Murillo accuse immédiatement le MAS d’être « derrière ces actes terroristes ». Quelques jours plus tard, le 15, trois autres antennes situées à Villa Yapacaní, Ichilo et San Juan (Santa Cruz) explosent. Avant même l’ouverture d’une quelconque enquête, le ministre de la défense Fernando López fait lui aussi clairement allusion au parti d’Evo Morales : « Les Forces armées sont entraînées et en train de se préparer à défendre la démocratie et la vie des Boliviens. Le terrorisme n’est pas une façon de faire campagne [9]. » 

K’ara K’ara encore, le 22 juin. Plusieurs centaines de personnes manifestent pour exiger la libération d’Osvaldo Gareca et Remmy Fernández, dirigeants de la Coordination populaire pour la défense de la démocratie et de la vie dans la zone sud de Cochabamba, ainsi que de Lucy Escobar, candidate du MAS pour l’élection au Sénat. Tous trois ont été arrêtés alors qu’ils accompagnaient un camion de matériel destiné à la lutte contre le Covid-19 dans une zone – le Tropique de Cochabamba – abandonnée par le pouvoir central aux affres de la pandémie.

Il n’est pas abusif de tirer de tous ces faits certaine conclusion. Dans la perspective de la prochaine élection, tous les sondages donnent le MAS et son candidat à la présidence, l’économiste Luis Arce, vainqueurs du premier tour. Malgré la répression et après, pour certains, un temps de flottement, les partisans d’Evo Morales n’ont pas baissé les bras. Assigné à résidence par un juge à la botte de la dictature, le député du MAS Gustavo Torrico a ainsi déclaré aux policiers qui l’arrêtaient : « Le problème c’est qu’on vous arrête parce que vous êtes “masiste”  ; alors, si c’est pour être “masiste”, il va falloir me condamner à perpétuité, parce que jamais je ne cesserai de l’être. »

Il s’agit de briser cette force, de rompre cet élan. Le 15 juin, en termes très vagues, sans apporter aucune preuve fiable, le Tribunal suprême électoral (TSE) a déposé une plainte pénale auprès du ministère public pour fraude lors des élections de 2019. Il s’agit à l’évidence d’une manœuvre destinée à mettre le MAS hors la loi et à disqualifier tous ses candidats pour les prochaines élections. Parallèlement, le pouvoir multiplie les menaces, interférences et pressions contre les organes de l’Etat encore indépendants – bureau du procureur général, ministère de la justice, Assemblée législative, etc. Le 30 juin, allant jusqu’au bout de la logique et de son projet, le pouvoir a annoncé des poursuites judiciaires contre le favori de la course à la présidence, le « masiste » Luis Arce, pour de supposés dommages financiers causés à l’Etat lorsqu’il était ministre de l’économie et des finances publiques (pour beaucoup, sauf ceux qui depuis le “golpe” ont retourné leur veste, il est le « père du miracle économique » bolivien). « Nous voulons dénoncer devant l’opinion publique, a réagi Arce, l’intention qu’a le gouvernement de nous proscrire pour nous empêcher de participer à ces élections [10] »

Dans un tel contexte, la pression n’a jamais cessé contre l’ambassade mexicaine, constamment assiégée, harcelée et intimidée par des drones, des opérations policières et la présence des extrémistes qui manifestent publiquement leur intention de ne pas laisser en paix les ex-autorités. Le 14 juin, plus de deux cents policiers armés, accompagnés de chiens et de véhicules d’assaut, ont tenté de pénétrer dans la résidence. Après quarante minutes d’extrême tension et la courageuse résistance du chargé d’affaires mexicain Edmundo Font, qui s’interposa et intervint téléphoniquement auprès des autorités, les assaillants reçurent l‘ordre de se retirer.

Avec leur charge d’angoisse et d’anxiété, de telles provocations ajoutent à l’inhumanité du sort des « otages » maintenus depuis des mois en situation précaire, indépendamment de la générosité de leurs hôtes mexicains. « Le droit d’asile est non seulement reconnu dans la Convention interaméricaine des droits humains, s’insurge Raúl Eugenio Zaffaroni, mais constitue la base du droit international. » Pour sa part, Isabel Rauber se réfère aux points 5 à 12 de la Convention de l’asile diplomatique et aux « droits des requérants à être protégés par l’ambassade qui accorde l’asile et l’obligation qu’a le gouvernement, dans ce cas la Bolivie, d’accorder des sauf-conduit et la sécurité de leurs possesseurs quand ils abandonnent le pays. » Dernier point qui n’a rien d’anodin lorsqu’on se souvient de ce qui s’est passé avec César Navarro et Pedro Damián Dorado quand, enfin, ils purent partir pour l’étranger.

Après deux mois enfermés dans l’ambassade, tous deux avaient finalement obtenu le fameux laisser-passer. Alors que, accompagnés de d’Edmundo Font, ils se préparaient à prendre un vol commercial à destination de l’exil, un chef de la police et un procureur les interpellèrent dans l’enceinte de l’aéroport, alléguant de l’existence d’un supposé mandat d’arrêt. L’un et l’autre résistant à ce nouvel arbitraire, leur arrestation se déroula avec brutalité. Tous deux se retrouvèrent en cellule et il fallut plusieurs heures pour que le « gouvernement » confirme enfin leur autorisation de sortie.

Illégitime, arrivé à la tête du pays sur la base d’une fraude (bien réelle, celle-là), s’y maintenant en érigeant un Etat de non-droit, Janine Añez et ses séides violent tant l’ordre interne bolivien que le droit international. Depuis huit mois, sept innocents attendent des sauf-conduits pour partir au Mexique. Face à l’arbitraire de ce pouvoir illégitime, la campagne de solidarité internationale menée par plus d’une centaine d’organisations et de personnalités de différents pays affiche clairement ses objectifs : « Exiger l’émission immédiate de laissez-passer pour les sept afin qu’ils puissent se retrouver avec leurs familles et êtres chers, vivre dignement en liberté et jouir du droit de faire prévaloir leurs droits. »

Maurice LEMOINE

Contact avec la campagne : [email protected]

[1] On retrouvera cette conférence de presse sur le site de la Faculté de philosophie et humanités de l’Université nationale de Córdoba (Argentine) – https://www.youtube.com/watch?v=YF02FryJnWQ

[2] Le ministère de la Présidence est chargé de la coordination entre les trois pouvoirs de l’Etat plurinational de Bolivie (Justice, Gouvernement, Parlement – et les organisations sociales.

[3] Le rapport de l’OEA prétendant à une fraude lors de l’élection présidentielle gagnée par Evo Morales le 20 octobre 2019 – prétexte au coup d’Etat – a été analysé et taillé en pièces successivement par le Centre de recherche économique et politique (CEPR), basé à Washington ; le professeur de l’Université du Michigan Walter Mebane, expert international en systèmes électoraux et en détection de fraudes ; le Centre stratégique latino-américain de géopolitique (Celag) ; Francisco Rodríguez (économiste, enseignant les Etudes latino-américaines à l’Université de Tulane) et Dorothy Kronick (experte en politique latino-américaine de l’Université de Pennsylvanie). Sur cette dernière étude, lire The New York Times – https://www.nytimes.com/2020/06/07/world/americas/bolivia-election-evo-morales.html?referringSource=articleShare

[5] Référence à l’instrumentalisation de la Justice pour éliminer de la vie politique Dilma Rousseff et Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil), Rafael Correa et son vice-président Jorge Glass (Equateur), Cristina Fernández de Kirchner (Argentine), ou même Nicolas Maduro, Diosdado Cabello et quelques autres dirigeants vénézuéliens quand le procureur général des Etats-Unis met leur tête à prix en les accusant de « narcotrafic ».

[6] Situé très à droite sur l’échiquier politique, le groupe ECR compte 62 membres issus de 16 pays – Dont Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan – au Parlement européen.

[7] Créé en 1990 à l’instigation de Luiz Inácio Lula da Silva et Fidel Castro, le Forum de São Paulo rassemble plus de 100 partis et organisations politiques de la gauche latino-américaine.

[8] Président autoproclamé du Venezuela.

[9] Dans un ou plusieurs de ces cas, il semblerait que les tours ont été détruites par des paysans persuadés que, à travers les ondes de la 5G (qui n’existe nulle part en Bolivie), elles propagent le Covid-19 – https://lavisionweb.com/2020/latinoamerica/destrozan-en-bolivia-torres-de-telefonia-por-creer-que-son-5g-y-transmiten-covid-19/

[10] https://eldeber.com.bo/188237_gobierno-procesa-por-presunta-corrupcion-a-arce-y-el-responde-que-es-una-cortina-de-humo

Source: Mémoires des luttes


BOLIVIE • Le pays vit une double crise. Sanitaire liée à une pandémie n’ayant pas encore passé son pic. Et politique avec un gouvernement transitoire auto-proclamé confronté à des manifestations de la faim. Sous pression, il a fixé des élections générales pour le 6 septembre prochain. Les éclairages de Sonia Brito, députée nationale de Bolivia pour la Paz.

Sonia Brito, (ici avec Evo Morales) députée pour le Mouvement pour le socialisme affirme que son parti s’est résigné à vivre avec le gouvernement de transition ultralibéral pour éviter la guerre civile. (LDD)

Depuis 2014, Sonia Brito est députée pour le Mouvement pour le socialisme (MAS) fondé par l’ancien Président Evo Morales en 1997, démocratiquement élu le 20 octobre 2019 pour un quatrième mandat. Il fut contraint d’abandonner le pouvoir par un coup d’Etat qui ne dit pas son nom au profit d’un gouvernement ultralibéral, répressif et entièrement aligné sur les Etats-Unis. Puis condamné à l’exil aujourd’hui en Argentine. Sociologue de formation, Sonia Brito a travaillé pour l’Assemblée permanente des droits humains durant 20 ans et au sein de la Coordination de solidarité avec les peuples indigènes. Elle a été 2 ans Vice-Ministre de la défense des droits du consommateur. Au Parlement, elle est notamment Secrétaire de la commission des droits humains.

Comment évaluez-vous la situation présente?

Sonia Brito En octobre 2019, un coup d’Etat a utilisé la pseudo-fraude électorale comme prétexte. Depuis plus de 2 ans, une grande campagne médiatique annonçait qu’Evo Morales ne pouvait gagner que s’il organisait une telle fraude. Le gouvernement au pouvoir depuis 14 ans a souffert d’une perte de confiance d’une partie de l’électorat, en particulier dans les secteurs urbains. En 14 ans, on avait pris l’habitude de victoire incontestable, largement au-dessus de 50%. Cette fois, le MAS n’a convaincu que 43% des votants, suffisant pour être élu selon la Constitution. Mais cela a ouvert le champ d’une possible fraude…

A cause de la pandémie, les élections générales prévues le 5 mai ont été repoussées. L’assemblée plurinationale, dominée par le MAS a donné 90 jours au gouvernement de Madame Añez pour les organiser. Où en est-on?

Le gouvernement actuel tire profit de la pandémie pour se maintenir au pouvoir. Et modifier le modèle économique des 14 années Evo Morales, malgré sa réussite saluée à l’international. Ses buts? Céder au privé des entreprises stratégiques comme le gaz et le lithium toujours en mains publiques. Mais aussi affaiblir la monnaie nationale et se mettre sous la dépendance du FMI. Il existe une volonté de détruire les mouvements sociaux paysans, syndicaux ou de défenses des peuples indigènes et à travers eux de fragiliser le MAS, dont c’est la base sociale. Le 23 juin, l’Exécutif a dû accepter de convoquer des élections générales pour le 6 septembre, selon la proposition du Tribunal Suprême Electoral, validée par l’Assemblée législative et appuyée par le MAS. Or, le gouvernement népotique de Mme Añez (aussi candidate à la présidence) a perdu beaucoup de sa crédibilité. Ceci pour quelque 35 dénonciations de corruption. La plus scandaleuse a valu la tête du Ministre de la santé. Soit une surfacturation lors de l’achat de respirateurs pour les soins intensifs, qui se révéleront inutilisables. Même la droite s’en détourne.

Des ONG ont critiqué le gouvernement Morales (premier président d’origine indigène d’Amérique latine) pour son projet d’une route transamazonienne, en particulier dans le Tipnis, parc naturel depuis 1965 et territoire indigène depuis 1990. Votre avis?

Je suis une militante des «peuples originaires» (peuples indigènes autochtones, ndlr), en particulier de la région amazonienne. A diverses fonctions, j’ai œuvré pendant 20 ans pour faire valoir leurs droits. En ce sens, je suis convaincue qu’il faut préserver des territoires indigènes autonomes. Durant ses mandats, Evo Morales a consolidé les droits des peuples originaires et leurs territoires communautaires. Le problème du Tipnis et de la route que le gouvernement voulait construire (et a finalement renoncé aussi longtemps qu’il n’y aurait pas de consensus), a été utilisé par l’opposition et certaines ONG. Et présenté comme une atteinte fondamentale à un écosystème particulier.

La Bolivie est alors apparue prise dans la contradiction entre son positionnement écologiste et indigène et la réalité de sa politique nationale, voulant participer à l’intégration continentale.

L’idée originelle était de désenclaver ces peuples indigènes. Ceux-ci avaient demandé l’élaboration d’un plan de développement durable contrôlé par eux. Ils doivent encore actuellement utiliser les fleuves pour se déplacer, ce qui est lent et très coûteux. C’était donc un service à la population et une manière de rattacher cette région au reste du pays. Cette route devait permettre un accès plus direct à la capitale la Paz sans forcément devoir passer par Santa Cruz. Il faut aussi dire que de nombreuses entreprises privées d’extraction du bois et des «haciendas» de bétail se trouvent déjà sur place. Elles ont réalisé des chemins de pénétration, sans contrôle de l’Etat et personne ne s’en inquiète vraiment.

Le 24 septembre 2011, quelque 1000 marcheurs pacifiques opposés à cette route controversée sont attaqués par des policiers à Yucumo, au pied des Andes. L’opinion publique, bolivienne et internationale, est choquée.

Lors du conflit autour de cette route, la police a agi de manière parfaitement inadéquate et dis- proportionnée, même s’il n’y a eu ni morts ni blessés graves à ma connaissance. D’ailleurs Evo Morales, qui ne contrôlait pas toujours la police, largement gangrenée par l’opposition réaction-naire, et nous tous du MAS, avions condamné ces violences policières révoltantes. Aujourd’hui, on n’entend plus ces mêmes ONG critiquer le gouvernement actuel. Qui pour- tant ne fait rien pour ces peuples autochtones. Ceci en particulier dans le département de Santa Cruz, où la pandémie est la plus virulente. Ainsi ils n’ont pas accès aux soins. Et sont laissés à leur triste sort. On voit l’inefficience de ce gouvernement face à la pandémie, sans parler des détournements de fonds. Cela entraîne un puissant mécontentement de la part d’une grande partie de la population. Ces ONG ne parlent pas des immenses incendies de forêts actuels, pires que ceux qu’ils dénonçaient il y a quelques mois, en accusant Morales d’inaction.

Que pouvez-vous nous dire en relation avec le confinement et les droits humains?

Actuellement, et comme membre de la commission des droits humains du parlement, c’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Et le Covid- 19 est un prétexte idéal pour affaiblir les droits humains. Il y a des prisonniers.ières politiques, sans parler des exilés, tous d’anciens cadres importants du MAS, retenus dans l’ambassade du Mexique et pour lesquels le gouvernement Añez refuse de donner des sauf-conduits pour quitter la Bolivie.

En outre, on peut évoquer le cas des autorités judiciaires se soumettent aux décisions de ce gouvernement. Et des écoutes téléphoniques des dirigeants du MAS. Les prisons boliviennes sont historiquement précaires, mais avec les détentions arbitraires, sur simple ordre du Ministre de l’intérieur (et ancien assesseur de la CIA) Murillo, la surpopulation carcérale empire dangereusement. D’autant que ce gouvernement n’utilise pas la possibilité d’«arrêt domiciliaire». Ou en exigeant des cautions si élevées que les gens ne peuvent s’en acquitter. Je connais personnellement plusieurs personnes qui sont dans ce cas-là.

Quelle base constitutionnelle a le gouvernement Añez?

C’est un gouvernement auto-proclamé. L’élection de Mme Añez s’est déroulée dans un Parlement où la majorité n’était pas admise, et donc sans le quorum nécessaire. Mais il a eu l’appui de l’armée, de la police et de l’ensemble de l’opposition à Morales. Madame Añez a voulu faire croire à la constitutionnalité de son gouvernement. Or, il n’en est rien. Le MAS s’est résigné à «vivre avec ce gouvernement de transition», pour éviter le risque d’une guerre civile, et avec l’assurance de gagner si de nouvelles élections étaient organisées, même sans la figure emblématique de Morales.

Que peut-on souhaiter de mieux pour le peuple bolivien?

Nous insistons sur l’échéance électorale, qui est la manière de revenir à un Etat de droit, avec un gouvernement légitime et légal, mieux à même faire face aux problèmes liés au Covid-19 et aux enjeux sociaux et économiques. Nous avons confiance en une vraie conscience sociale et populaire convaincue que l’on ne peut pas se fier à un gouvernement néo-libéral. Ces prochaines élections démontreront qu’il n’y a pas eu de fraude en octobre 2019. Le MAS sera victorieux (avec plus de 50%). Il pourra alors poursuivre sa gestion gagnante économiquement, socialement et de manière écoresponsable. La population a pu voir, durant ces quelques mois, quelles étaient les conséquences d’un retour au néo-libéralisme et tout ce qu’elle a à perdre. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de nécessité de faire campagne, car la population est déjà déterminée.

La solidarité internationale semble plus que jamais nécessaire.

Assurément. On a besoin d’un appui international à la campagne que nous lançons pour la liberté des 7 exilés, retenus dans l’ambassade du Mexique. Mais aussi pour la liberté de l’avocate Patricia Hermosa (la représentante légale de l’ancien président Evo Morales, dont elle fut cheffe de cabinet, arrêtée le 31 janvier 2020 et illégalement incarcérée depuis février, ndlr) et les autres prisonnières politiques qui sont détenues injustement et sans accusation formelle. Je pense aussi à l’ancienne Présidente du tribunal suprême électoral. la Dr. Maria-Eugenia Choque. qui a été stigmatisée et maltraitée malgré son âge et le fait qu’elle est diabétique. Mais il y en a bien d’autres hélas.


 

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