Pérou / Référendum pour une refonte systémique anticorruption

Par Olivier Duquette

En mars 2018, l’ex-président péruvien Pedro Pablo Kuczynski (PPK) était accusé de corruption pour une deuxième fois devant le Parlement. Après avoir évité de justesse et dans la controverse une première procédure de destitution en décembre 2017, il démissionne quelques mois plus tard, la veille d’une seconde procédure, face à un Congrès dominé par l’opposition (1).

Martin Vizcarra

Dans la foulée de ces événements, le vice-président de l’époque et ex-ambassadeur du Pérou au Canada, Martin Vizcarra, accède au poste présidentiel le 23 mars 2018. Ce dernier fait une entrée remarquable en déclenchant un référendum visant une refonte des systèmes politique et judiciaire péruviens pour combattre la corruption structurelle au pays.

Retour sur le dernier « épisode »

Le scénario politique péruvien des dernières années est digne d’une véritable série télévisée. Entre 2015 et 2017, l’entreprise brésilienne Odebrecht est au centre d’un important scandale de corruption qui éclabousse presque tous les cercles de pouvoir en Amérique latine. Elle reconnait devant les tribunaux « avoir financé des campagnes électorales à travers tout le continent, propulsant des carrières politiques en échange de juteux contrats de marchés publics (2) ». Malgré les négations de Kuczynski, l’entreprise révèle « avoir versé près de 5 millions de dollars à des sociétés de consultants liées à PPK, du temps où il était ministre (3) ». De plus, la compagnie avoue avoir financé les campagnes électorales péruviennes entre 2006 et 2011. Ces déclarations ont mené à l’arrestation d’Ollanta Humala (2011-2016) et à une demande d’extradition hors des États-Unis d’Alejandro Toledo (2001-2006), deux ex-présidents péruviens.

En plus de révéler une corruption massive, cette saga ahurissante est aussi marquée par un déchirement au sein d’une famille politique reconnue dans l’histoire du Pérou moderne, les Fujimori. Elle met en vedette Keiko Fujimori, la chef de l’opposition et fille de l’ancien président autoritaire Alberto Fujimori (1990-2000), incarcéré pour crimes contre l’humanité et corruption. Grâce à des vidéos incriminantes, Keiko met en lumière un stratagème frauduleux entre son frère rival, Kenji Fujimori, et l’ex-président. PPK aurait acheté le vote de Kenji, également député de l’opposition à ce moment, pour éviter la destitution en échange de la libération de son père, Alberto Fujimori.

Le nouvel homme fort

C’est dans ce contexte mouvementé que Vizcarra, âgé de 55 ans, hérite de la présidence en mars 2018. Celui-ci n’est toutefois pas bien connu de la population péruvienne qui affirme à environ 80 % n’avoir jamais entendu parler de lui, selon un sondage de la société internationale Ipsos (4). Ingénieur et homme d’affaires de formation, le nouveau chef d’État a débuté sa carrière politique comme gouverneur dans sa région natale de Moquegua. Il est reconnu pour sa bonne gouvernance, ayant amélioré la condition sociale de cette région, et pour avoir évité la corruption (5). Cependant, il s’est surtout fait connaître auprès de la classe politique pour ses bons résultats dans la médiation de litiges opposant les habitants de sa région et la minière Anglo American.

D’abord conseiller pour PPK dans sa campagne, Vizcarra accède par la suite aux postes de colistier puis de ministre des Transports et de la Communication en 2016. Il a également été ambassadeur du Pérou au Canada avant d’être rappelé au pays pour succéder au président.

Pouvoir au peuple

En réponse aux nombreux scandales gravitant autour de la sphère politique péruvienne lors de son accession au pouvoir, le président intérimaire Vizcarra propose, à l’aide d’un référendum, une série de mesures pour contrer la corruption au pays. Celles-ci concernent, entre autres, « la limitation du nombre de mandats pour les parlementaires, le rétablissement d’un parlementbicaméral (6) » et l’interdiction du financement privé des campagnes électorales.

Quant à elle, la réforme de la justice vise plus de transparence et est liée à la vague de scandales sans précédent qui a fortement entaché la crédibilité de certains des plus hauts placés dans le système judiciaire péruvien à l’été 2018. En effet, des écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête ont révélé, entre autres, les trafics d’influence du président de la Cour suprême, Duberli Rodriguez, et du président du Conseil national de la magistrature (CNM, organisme chargé de nommer les juges et procureurs), Orlando Velasquez. Ces derniers monnayaient des peines (7). Le ministre de la Justice Salvador Heresi ainsi que plusieurs autres magistrats ont aussi été démis de leurs fonctions par le nouveau président.

Vizcarra remporte son pari

En décembre 2018, les Péruviens ont voté massivement en faveur des réformes proposées par le président Vizcarra. Les réformes de la magistrature, du financement des partis et la limitation du nombre de mandats des parlementaires ont toutes reçu de fortes majorités au scrutin populaire.

La réforme judiciaire implique la dissolution du CNM qui serait remplacé par une Cour nationale de justice. Les membres de celle-ci seraient sélectionnés pour leur mérite par plusieurs hauts gradés de diverses instances judiciaires afin d’éviter la collusion. Quant au financement des partis, il sera maintenant régi par des mécanismes de surveillance limitant les intérêts privés, interdisant les donateurs anonymes et ceux condamnés pour certains crimes. Finalement, la limitation des mandats comprend l’obligation d’un député d’attendre cinq ans avant de pouvoir se présenter pour un deuxième mandat.

Le seul enjeu référendaire à ne pas avoir été approuvé est celui du bicaméralisme. Il avait fait l’objet d’importantes modifications par le parti d’opposition Force populaire (FP), majoritaire au Congrès. Celles-ci enlevaient des prérogatives au président qui s’était positionné contre. Ce résultat légitime donc le nouveau président, malgré son accession intérimaire au poste présidentiel, et confirme la désapprobation du public envers le Parlement.

D’abord, les analystes s’entendaient pour dire que ces réformes seront difficiles à mettre en oeuvre avec un Congrès où règne le FP de Keiko Fujimori. Cependant, le parti a perdu une petite faction de sa députation dans la scission engendrée par le départ de Kenji à la suite du conflit mentionné précédemment, ce qui l’affaiblit légèrement. Enfin, avec aujourd’hui la preuve que le peuple lui est plus favorable que le Congrès, Vizcarra s’est dit prêt à déclencher des élections si le FP bloque ses mesures (9). Le président remporte la première manche, mais le bras de fer commence.


Références:

(1) AFP, Pérou : proche de la destitution, le président Kuczynski démissionne, L’Express, 21/03/18, https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/perou-p… consulté le 18/02/19.

(2) HOUEIX, Romain, Odrebecht, le scandale qui fait trembler toute l’Amérique latine, France24, 22/12/17, https://www.france24.com/fr/20171221-odebrecht-sca… consulté le 18/02/19.

(3) L’Express, op. cit.

(4) ARMARIO, Christine et Franklin BRICENO, Peru’s new president a political novice facing tough odds, U.S. News and World Report, 23/03/18, https://www.usnews.com/news/world/articles/2018-03… consulté le 18/02/19.

(5) Loc. cit.

(6) AFP, Un référendum pour rétablir le système judiciaire péruvien, Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1115278/perou… consulté le 18/02/19.

(7) RFI, Pérou : des réformes et un référendum annoncés contre la corruption de la justice, 29/07/18, http://www.rfi.fr/ameriques/20180729-perou-scandal… consulté le 18/02/19.

(8) AFP, Référendum au Pérou : le président Vizcarra veut « renforcer l’État », RFI, http://www.rfi.fr/ameriques/20181208-referendum-pe… consulté le 18/02/19.

(9) COLLYNS, Dan, Peru’s president in high-stakes gamble to push through anti-corruption reforms, The Gardian, 19/09/18, https://www.theguardian.com/world/2018/sep/18/mart… consulté le 18/02/19.

Dernière modification: 2019-02-25 22:16:35

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