La politique étrangère de l’Algérie et ses fondements

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   Par Amine Kherbi (*)
La célébration de la Journée de la diplomatie algérienne est un événement exceptionnel qui, aujourd’hui, symbolise l’exigence de renouveau de la pensée et de l’action pour la refondation de notre politique étrangère et de sécurité.
Au-delà de l’hommage qui est rendu, à cette occasion, à des serviteurs de l’État dévoués à la réussite de leur pays, cette journée commémorative témoigne du rôle d’acteur de l’Algérie sur la scène internationale et du prestige de sa diplomatie.
Plus que jamais, la préservation de notre équilibre externe, la consolidation de notre capacité d’initiative et l’affirmation de notre présence dans le monde requièrent une stratégie d’action extérieure au diapason des mutations d’un monde soumis à ses propres contradictions et aux défis et enjeux de la mondialisation.
Au fur et à mesure que se disloque le cadre géopolitique ancien, les composantes économique, politique et stratégique  des relations entre États se fondent à nouveau en une seule relation globale au sein de laquelle elles cessent de pouvoir être envisagées séparément. Le politique, l’économique et le sécuritaire doivent être en interaction permanente.
Dans ce contexte complexe et en constante évolution, l’expression que nous devons donner à l’intérêt national est liée à nos besoins de sécurité et de développement. Cette exigence apparaît comme une donnée incontournable de notre agenda national car elle conditionne la stabilité, à long terme, de notre pays.
Les crises du XXIe siècle posent des questions centrales de sens stratégique et de volonté politique qui conditionnent à l’évidence la capacité à trouver des solutions efficaces. Rien ne saurait, en effet, remplacer le dynamisme de l’économie, la gestion stratégique du développement, une perception claire de la sécurité économique, une grande réactivité et une conception nouvelle de la coopération internationale pour réaliser ce dessein stratégique et assurer à notre pays une influence dans le monde.
De ce point de vue, le renforcement des capacités institutionnelles de l’Algérie est indispensable pour lui permettre de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies de développement efficaces et de se doter des moyens nécessaires pour mieux appréhender le nouveau contexte international.
Pour l’heure, c’est la manière la plus réaliste et la plus appropriée de donner  une ambition à notre politique extérieure et de sécurité.

Le chemin parcouru depuis l’indépendance
Je n’ai pas la prétention, en exposant la politique étrangère de l’Algérie après l’indépendance, de présenter une position autre que celle exprimant mon point de vue personnel, sans négliger toutefois ce que j’ai pu apprendre au cours de presque cinquante années consacrées à la négociation internationale et à la réflexion sur l’action extérieure et les questions économiques et de sécurité qui lui sont connexes.
Quiconque s’interroge aujourd’hui sur la place de l’Algérie dans le monde, plus encore sur la place qui devrait être la sienne demain, ne peut manquer de jeter un regard sur le chemin parcouru depuis l’indépendance de notre pays. Cette prise en compte du passé pour éclairer le présent est du reste la meilleure manière de mieux reprendre la marche en avant.
Dans le prolongement de la diplomatie de l’Algérie combattante, notre pays a puisé dans les principes de la politique de non-alignement les fondements de sa politique étrangère. Ces principes traduisent sa vocation militante et combattante d’hier et garantissent aujourd’hui son indépendance nationale. Le non-alignement de l’Algérie correspond ainsi à la double expérience de la lutte armée et de l’édification nationale. C’est dire que toute politique étrangère a besoin d’une diplomatie. Mais  il faut que la diplomatie soit au service d’une politique étrangère dont l’action proactive est censée traduire les intérêts fondamentaux du pays qui ne sauraient  être entamés ni compromis par des comportements intempestifs ou des considérations tactiques.
Une politique étrangère est d’abord une pensée. Elle met en forme les grandes orientations et exprime une vision des relations internationales de l’Algérie. Même si elle est de contingence, la politique étrangère ne fonctionne pas, contrairement à la diplomatie, au gré des circonstances du moment, de l’humeur des hommes, des caprices du temps international, des erreurs d’itinéraires ou de parcours. Une politique étrangère vaut par la cohérence de ses objectifs. La politique étrangère n’est pas une politique publique comme les autres.
Aussi, pour la comprendre, faut-il la penser. Tel est le constat que voudrait illustrer mon propos sur la politique étrangère de l’Algérie.

Une politique étrangère marquée du sceau de la constance et de la cohérence
Depuis l’indépendance de notre pays, la politique étrangère exprime la volonté de l’Algérie d’être politiquement et économiquement un État pleinement autodéterminé en donnant un sens et un contenu concret à sa souveraineté. Ce qui témoigne de son ambition de s’organiser et d’agir par elle-même en orientant sa politique étrangère sur sa stratégie propre, à l’abri de l’influence des blocs, et atteste clairement son rapport à la vie internationale par une activité, une présence et une expérience qui ont influé positivement sur certaines évolutions des relations internationales. Il en est ainsi de l’enrichissement de la politique de non-alignement, du lancement de la coopération Sud-Sud et du dialogue Nord-Sud, de la maîtrise de la conflictualité et de la construction de la sécurité globale. Cette politique étrangère est marquée du sceau de la constance et de la cohérence. Constance dans les principes défendus et cohérence dans les actions entreprises. Une analyse du comportement de la diplomatie algérienne fait en effet ressortir la mise en œuvre d’une politique indépendante fondée sur les principes de non-ingérence, de non-recours à la menace ou à l’usage de la force, de non-immixtion dans les affaires intérieures des autres États et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Les actions de notre diplomatie visent l’émancipation des peuples dans le cadre d’une coopération internationale fondée sur l’égalité des États, le respect de souverainetés et l’instauration d’une paix juste dans le monde.
La vision de l’Algérie des apports internationaux lui dicte un comportement et un style qui répugnent à l’alignement et aux options automatiques. Sa défense des causes justes et sa contribution à l’instauration d’un nouvel ordre économique international, son attachement au dialogue, à la concertation et au règlement des conflits ont été le gage de son rayonnement international. Perçue comme un élément à l’équilibre régional, un renfort de solidarité des pays en voie de développement et un partenaire de qualité pour dénouer les liens nécessaires à la relance du dialogue sur la gestion des processus d’intégration et de sécurité régionaux et la promotion des entreprises coopératives favorisant la paix et le développement, notamment dans la zone sahélo-saharienne.

L’importance des questions de développement
Dès les premières années qui ont suivi l’indépendance, l’action extérieure de l’Algérie a été marquée par un foisonnement d’idées et d’actions nouvelles qui ont favorisé la prise en compte des enjeux essentiels auxquels faisait face le pays et la nécessité de relever les défis relatifs à son devenir. Les débats sur le rôle que doit avoir l’État dans la conduite de la politique économique, notamment la gestion des secteurs stratégiques, ont mis en évidence l’importance des questions de développement et permis de comprendre, que, sur le plan national comme sur le plan international, l’économie et la politique sont étroitement liées.
Ayant relevé le défi politique, l’Algérie indépendante se devait de relever le défi économique. Pour le peuple algérien, la victoire de la guerre de Libération nationale passe par la victoire économique. Il fallait également pallier certaines insuffisances afin d’atténuer la déception devant l’incapacité de l’équipe dirigeante à organiser administrativement, économiquement, socialement et culturellement le pays pour le développement. Même si les débats de l’indépendance avaient pris des fois des tours inquiétants, tout le monde s’est accordé sur le fait que, pour le développement, il est nécessaire d’élaborer des stratégies socio-économiques et de mettre en œuvre des techniques d’impulsion.
Dans le contexte d’alors, cette tâche incombait aux jeunes cadres de la nation, notamment à ceux des Affaires étrangères, qui ont réagi dans l’urgence aux dysfonctionnements et aux débordements  en tentant de répondre à la gravité de la situation.
Cependant, le recours à l’assistance technique étrangère était inévitable. Malgré certaines difficultés, son utilisation pour le développement s’est effectuée correctement. En effet, on a fait appel aux experts — les meilleurs — et aux bureaux d’études les plus réputés tout en gardant une grande liberté par rapport à leurs conclusions. On a sollicité le concours des coopérants, mais on s’est réservé le domaine des décisions.
On s’est assuré la collaboration des organismes internationaux sans se laisser imposer leurs programmes. On a envoyé des missions dans de nombreux pays et participé à la plupart des conférences internationales, c’est à la fois pour recueillir tout ce qui pourrait être utile au développement du pays et pour faire entendre la voix de l’Algérie dans le concert des nations. On a prêté une  attention particulière à tout ce qui s’écrvait sur l’Algérie, mais on triait dans les approbations et les critiques.
C’est en quelque sorte cette veille stratégique qui a permis à l’Algérie indépendante d’éviter les débordements et les dérapages. Sans refaire ici l’histoire de l’Algérie contemporaine, on notera que les problèmes à résoudre à partir de la décennie soixante étaient nombreux et certains redoutables. Il en est ainsi de la pression démographique, du chômage et du sous-emploi, de la mobilisation de la jeunesse, de l’organisation du secteur de la santé, du développement rural, de la constitution d’un marché intérieur important, de la diversification de l’économie, de la formation des cadres moyens et supérieurs, de la participation au progrès des découvertes et de la technologie.
Ce souci de la rationalisation de l’exercice du pouvoir est apparent dans l’élaboration du modèle et de la stratégie de développement. Il l’est également dans les efforts de planification, dans les procédures de nationalisation, dans les restructurations et les régulations. Cependant, dans un espace économique ouvert, une planification à objectif est peu justifiée sauf pour quelques secteurs dont les perspectives volontaires relèvent alors d’un véritable contrat avec l’État.
C’est donc d’une autre manière qu’il faut chercher l’amélioration et le renforcement de l’action de l’État, notamment par la détermination des points stratégiques de l’économie où l’intervention des autorités publiques peut exercer l’effet de levier sur l’économie. Tel a été le cas lors de la nationalisation des hydrocarbures en 1971.
Ici prend place la dialectique des fins et des moyens et le rôle particulier qui revient à la politique étrangère.
L’action extérieure de l’Algérie a imprégné les esprits et favorisé les initiatives
De la diplomatie conceptuelle à la diplomatie numérique en passant par la diplomatie économique, l’action extérieure de l’Algérie a été au diapason des mutations qu’a connues le monde. Durant plusieurs décennies, elle a imprégné les esprits et favorisé les initiatives les plus marquantes en faveur de la paix, de la sécurité et de la coopération internationale pour le développement. Il en est ainsi du règlement des conflits et de la médiation pour la libération des otages, de la lutte contre le terrorisme transnational, du système généralisé des préférences, du financement du développement agricole, du programme intégré pour les produits de base, de la charte des droits économiques des États et de l’établissement d’un nouvel ordre économique international.
L’Algérie a toujours considéré qu’en matière de politique étrangère, tous les secteurs sont liés et qu’il faut agir simultanément sur tous les fronts. La sécurité en particulier est devenue une notion extensive englobant quasiment tous les domaines. C’est la raison pour laquelle il est substitué à la menace le risque. Ainsi, on parle de risque écologique, de risque financier, de risque terroriste, de risque social, etc.
À l’ère de l’interdépendance et de la mondialisation, aucune mission de l’Étatne peut être remplie sans tenir compte de la dimension internationale. Qu’il s’agisse de questions économiques, politiques, de sécurité et d’environnement, aucun pays ne peut agir seul face aux défis du XXIe siècle.
Au cours des cinq dernières décennies, la part croissante de l’activité multilatérale a introduit des transformations majeures dans la conduite de la politique étrangère. Le multilatéralisme, en dépit de ses difficultés, demeure un instrument essentiel pour une gestion concertée de la mondialisation et un vrai espoir pour son humanisation. Les tendances à la régionalisation du monde ajoutent encore quelques niveaux supplémentaires au champ de compétence dévolue aux organisations intergouvernementales. Pour un pays comme l’Algérie, la politique étrangère est rythmée par les grands rendez-vous internationaux.
Lorsque les enjeux ont été clairement définis et que les dossiers sont bien préparés sur les plans technique et politique, la diplomatie multilatérale ouvre des possibilités d’influence sans équivalent dans la diplomatie bilatérale.
Ainsi, notre conviction d’ouvrir les voies du dialogue et de la concertation sur les questions de la sécurité et de la coopération en Méditerranée s’est consolidée par le fait que nos partenaires européens prennent de plus en plus conscience de la nécessité d’entreprendre une action globale à même de contribuer à la réalisation d’objectifs communs.
Mais l’Algérie, ce sont aussi les Algériens établis à l’étranger qui constituent un élément fondamental de notre présence dans le monde. Le rayonnement de notre pays a été aussi le fait de nos compatriotes résidant à l’étranger. Il appartient à l’État, grâce à de nouveaux modes de gestion, de leur apporter tout le soutien nécessaire en vue d’une meilleure insertion dans le pays d’accueil ou d’éventuel retour. C’est ainsi qu’ils se sentiront une partie vivante du grand corps de la nation et pourront contribuer à enrayer la fuite des cerveaux qui a fragilisé l’économie de notre pays.
De ce retour sur le passé, nous tirerons une leçon simple. Nous devons voir les réalités en face et reconnaître les vraies menaces. Nous possédons les ressources physiques, intellectuelles et morales pour dominer les difficultés et, là où c’est nécessaire, occuper le rang qui doit être le nôtre. L’Algérie, inspiratrice, fondatrice et moteur de l’Union africaine,  a sa place là où l’Afrique progresse, se consolide et s’affirme pour faire face à l’émergence et à la multiplication de nouveaux risques et de nouvelles menaces, ramifiées, polymorphes et difficiles à saisir et contrer.
Bien sûr, nous devons conserver notre capacité d’agir seuls, si nos intérêts propres ou nos engagements l’exigent. Cette capacité ne pourra que renforcer la construction d’une Afrique forte et solidaire.
C’est donc confronté à un environnement stratégique évolutif que notre pays s’assigne une ambition exigeante en Afrique. Dès lors, il ne s’agit plus seulement de répondre aux menaces à nos frontières terrestres, mais surtout de prévenir ou de juguler des crises qui nous concernent, directement ou indirectement. Ainsi, nous assurons plus facilement notre sécurité intérieure.
L’action nécessaire en faveur de notre sécurité implique un effort d’adaptation aux nouveaux besoins de notre société et de notre défense. Le développement de nouvelles capacités doit peu à peu s’imposer et se retrouver au centre de nos préoccupations.
Souvenons-nous toutefois que la diplomatie, comme toute autre activité humaine, ne saurait être cristallisée. Les situations sont changeantes, souvent imprévisibles, et nous devons être prêts à tout moment à inventer pour y faire face.
Je crois en particulier que les problèmes économiques et écologiques ainsi que les questions de sécurité qui leur sont connexes vont dominer la situation internationale.
L’expansion industrielle sans précédent que laisse entrevoir le développement technologique, si elle est un élément de progrès, n’ira pas sans entraîner de grandes secousses : concurrences commerciales et financières, compétitions techniques et technologiques, tensions sur les ressources naturelles et les terres rares, rivalités géopolitiques, exacerbation des tensions et multiplication des foyers de crise. Tout cela ne motive pas et n’entraîne pas l’adhésion mais au contraire suscite réticences et résistances. Aussi, faut-il faire sensiblement bouger les lignes pour opérer de vraies transformations qui obligent à tout repenser et rebâtir sur de nouvelles bases.
Voilà pourquoi il faut combiner approche préventive et démarche prospective pour mieux cerner  les problèmes globaux. De ce point de vue, la lutte contre le terrorisme transnational et l’ensemble des nouvelles menaces liées au processus de la mondialisation doit s’inscrire dans le droit fil de la recherche d’un nouveau système de sécurité collective. Aussi, faudra-t-il jeter une base nouvelle et juste pour gouverner les relations internationales.
En effet, une nouvelle géopolitique et une nouvelle géo-économie se profilent dans un monde où la diffusion des nouvelles technologies, l’adaptation des activités économiques existantes, la découverte et l’exploitation de potentialités nouvelles et la mise en place  d’un nouvel équilibre socio-économique ne se font pas de façon instantanée.
Cela rend urgentes une gestion globale du risque international et une réponse coordonnée aux niveaux mondial, régional et national. La sécurité collective se pose dès lors en termes nouveaux du fait de la situation intermédiaire de crise, due à la mondialisation et à la complexité qui caractérise les sociétés modernes où les équilibres sont fragiles et contestés. La fragilité des sociétés, comme la vulnérabilité des nations, appelle la recherche de nouvelles voies pour maîtriser la conflictualité.
Les événements récents ont confirmé la pertinence de l’analyse stratégique qui fonde la politique de sécurité collective au XXIe siècle. La sécurité est un thème fédérateur pour tous les pays. Une initiative forte dans ce domaine peut inspirer un dialogue constructif sous l’égide des Nations Unies.
L’approfondissement du dialogue est nécessaire en raison des mutations et des événements que connaît le monde, mais aussi de l’exigence de traiter d’une manière concertée et dans une optique solidaire les questions de paix et de développement. C’est ainsi que pourront être apportées des solutions viables et durables aux défis des pays en voie de développement.
Cependant, pour tirer le meilleur parti de la mondialisation, il faut développer une culture de la coopération et renforcer le rôle de l’Organisation des Nations Unies en vue d’une gestion coopérative du futur favorisant un système de sécurité collective fondé sur l’efficacité, l’efficience et l’équité.
L’efficacité qui implique de donner aux États les moyens d’exercer leur souveraineté de façon responsable, l’efficience qui commande d’investir du temps et des ressources pour prévenir l’escalade et l’éclatement des conflits et l’équité qui s’impose pour  assurer la viabilité du système de sécurité collective en garantissant la sécurité de tous ses membres.
Ce sont ces enjeux qui détermineront les fondements des partenariats à promouvoir et conditionneront, dans une large mesure, les entreprises coopératives de l’Algérie avec le reste du monde.
Pour notre pays, dont l’option stratégique majeure pour tenir son rang est la promotion  de la coopération internationale pour le développement, les priorités restent les actions concertées en vue de réduire l’écart entre le Nord et le Sud, harmoniser les flux des échanges et lutter contre les phénomènes perturbateurs engendrés par les inégalités économiques et sociales, la détérioration de l’environnement et la multiplication des conflits.
Aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés aux enjeux des rapports de force politiques ou économiques, la dimension nationale reste fondamentale pour définir notre vision stratégique.
Il en résulte une posture dynamique qui constitue un important point d’ancrage de notre sécurité contre les nouveaux risques de déstabilisation comme conséquence des recompositions géopolitiques dans le monde.
Dans ce contexte fluide et incertain, l’Algérie dispose de sérieux atouts pour trouver ses marques et s’affirmer, grâce à son engagement constructif, comme partenaire important dans les domaines de la sécurité et du développement.
A. K.


(*) Texte légèrement remanié de la conférence de l’ambassadeur Amine Kherbi à l’occasion de la célébration de la Journée de la diplomatie algérienne le 8 octobre 2021.


(**) Diplomate de carrière. Ancien ministre délégué aux Affaires étrangères et ambassadeur dans plusieurs pays, il a été durant les années 70, 80 et 90 porte-parole et négociateur principal des pays en voie de développement pour les questions de matières premières, finance et développement, industrie et technologie. En 1994, il a présidé le groupe d’experts du comité pour la protection de l’économie nationale.
Il est l’auteur de L’Algérie dans un monde en mutation : regard sur la politique économique, la sécurité nationale et les relations internationales et de Sur le toit du monde : chroniques américaines, éditions Anep, 2018 et 2021.


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L’essentiel et le plus important des travaux de la conférence des chefs de missions diplomatiques et consulaires à l’étranger ont été exprimés, débattus et critiqués durant les trois jours pendant huit plénières tenues à huis clos.

Excluant les représentants des médias nationaux et interna tionaux «comme cela se fait de par le monde », nous ont précisé les responsables de la communication du département ministériel de Ramtane Lamamra, les plénières tenues à huis clos ont enregistré, apprend-on, de profondes divergences de vue sur des questions substantielles devant être traitées, comprises, portées et défendues par la diplomatie algérienne là où elle est accréditée à travers le monde.

«Sécurité régionale et internationale (ensembles maghrébin et sahélien, terrorisme)»; «L’Algérie dans le monde arabe et en Afrique, facteur de paix et de développement sur les scènes globale et régionales» ;«Le nouveau paradigme»; «Coopération avec les pays et les institutions européens et les grands partenaires de l’Algérie»; «Coopération multilatérale»; «Communauté nationale à l’étranger, partie prenante au changement»; «Diplomatie économique au cœur du nouveau paradigme»; «Introspection critique de la diplomatie algérienne», sont les problématiques exposées et débattues lors de ces huis clos très hermétiques. Si toutes traitent de thèmes d’actualité et d’importance cruciale pour l’Algérie en ces temps de fortes perturbations politiques, militaires et sécuritaires, la première en est la principale tant le monde mais surtout la région est secouée par des perturbations, menaces, dangers et instabilité qui visent le pays après que beaucoup d’autres avant lui les ont subies. « L’Algérie se situe dans un espace géopolitique perturbé et non stable. Certainesforces étrangères œuvrent en défaveur des peuples de la région», avaient noté des responsables des services de sécurité tout au début de son examen.

L’encerclement de l’Algérie

Les intervenants ont tenu à affirmer que «l’Algérie est limitrophe au sud à la bande sahélo-sahélienne où le terrorisme transnational, sa recrudescence, le crime organisé, la dégradation effrénée de la sécurité(…), à l’est à la Libye qui a été noyée depuis 2011 après les frappes de l’OTAN, dans un bourbier sécuritaire, les mercenaires étrangers et les ingérences intempestives de nombreux pays et à la Tunisie où depuis le 25 juillet dernier, la situation est devenue plus instable et risque de provoquer des mouvements sociaux et autres révoltes, à l’ouest à la Mauritanie dont la stabilité est précaire parce qu’elle risque de devenir une zone de repli pour les groupes terroristes en provenance du Mali et cible d’attentats, et le Maroc dont l’hostilité n’est plus à démontrer et dont l’officialisation des relations avec Israël est devenue le facteur et dangereux pour toute la région ». Les accords du royaume avec Israël sur son acquisition de drones et d’autres équipements militaires de dernière génération, la formation de Marocains par des spécialistes de Tel-Aviv en cybercriminalité et dans la guerre de 4ème génération, le déclenchement des conflits armés après la violation du cessez-le-feu le 13 novembre 2020 à Gargarat seront, selon les spécialistes de la sécurité, inévitablement suivis par d’autres provocations dans un prochain avenir(…) ». L’on pense que l’Algérie ne répondra pas par la guerre après l’assassinat de trois de ses ressortissants à Bir Lahlou le 1er novembre dernier, «autrement, elle participera dans la mise en œuvre de plans machiavéliques minutieusement préparés par des forces qui veulent justement pousser les deux pays voisins à s’entretuer ». Les spécialistes de la sécurité affirment toutefois que «les facteurs de riposte doivent être bien pensés et efficaces ». Il est avancé en préambule de toute réaction de part et d’autre des voisins que « la région ne peut pas supporter plus d’une force ». Mais, « celle de l’Algérie est particulièrement visée pour l’empêcher d’être ce facteur qui participe grandement à la stabilité de la région ». L’approche semble être partagée par de nombreux pays occidentaux mais aussi arabes, du Moyen-Orient, par leurs influences néfastes qui servent de courroie de transition aux dangereuses tentatives de déstabilisation qui visent l’Algérie. Ce genre de tentatives sont aussi « portées à l’intérieur du pays par des milieux pas vraiment occultes et qui menacent depuis un certain temps à provoquer l’implosion de la société et l’atteinte à sa cohésion ».

«La sécurité nationale dans le monde arabe est fortement menacée»

L’évidence pour l’Algérie est que « la posture du Maroc est celle d’un ennemi dans le sens plein du terme, ce qui est d’une extrême gravité pour la région ».

Les spécialistes des questions sécuritaires relèvent que « les crises régionales ont engendré comme conséquences un vide politique au niveau des pays en crise et en même temps une polarisation d’Etats étrangers, ce qui a donné forcément l’absence d’espaces de dialogue, ce qui a permis à des forces étrangères d’adapter leur politique étrangère en relation avec ces conflits ».

Pour les diplomates « les pays du Golfe qui se gargarisent de discours sur la liberté des peuples et le respect de leur souveraineté et leur indépendance, participent militairement (cas du Yémen et la Libye) à les broyer avec la bénédiction des Occidentaux ». Nos spécialistes s’accordent à soutenir que « la sécurité nationale dans le monde arabe est fortement menacée après l’officialisation des relations de certains pays avec Israël ». L’évocation de « la sécurité nationale dans le monde arabe à la lumière des nouvelles évolutions (normalisation avec Israël) » laisse penser qu’elle sera exposée lors de la 31ème réunion ordinaire du sommet des chefs d’Etat arabes prévu en mars prochain à Alger. Un sommet qui risque de faire voler en éclats le peu de cohérence de ses membres qui maintiennent artificiellement une organisation panarabe qui marquera la 77ème année de sa création.

Les plénières à huis clos sur « la coopération internationale » et « le rôle de la communauté nationale à l’étranger dans le développement du pays » ont été marquées par des interventions qui portaient en général sur entre autres la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne pour en faire « un accord gagnant-gagnant » mais une révision dont certains sont pour et d’autres contre, et des questions récurrentes telles comment rapprocher la diaspora des préoccupations ? « Mais avant il faut que la communauté à l’étranger devienne une réelle et véritable diaspora », comment profiter des compétences nationales à l’étranger ?, les problèmes consulaires, coûts des billets de transport aérien et maritime, le transfert des dépouilles, le visa algérien aux hommes d’affaires étrangers et aux touristes(…) ».

La diplomatie économique a été, hier, exposée par l’ancien ministre des Finances, Abdelkrim Harchaoui, devenu récemment envoyé spécial pour les dossiers économiques et financiers, en présence des ministres du Commerce, du Transport, de l’Agriculture et certains chefs d’entreprises et d’organisations patronales.

En débat, les difficultés liées à l’exportation des produits algériens, l’attraction des investissements étrangers, le soutien de la diplomatie algérienne pour permettre aux entreprises d’exporter(…). Et l’épineuse question du transfert illicite de l’argent vers l’étranger et la récupération pour laquelle les diplomates devront en convaincre les 15 pays (selon l’ambassadeur Salah Boucha) déjà recensés à cet effet.

La difficile mission diplomatique de «renverser les équilibres»

L’autre plénière à huis clos d’hier a abordé «la coopération multilatérale», un atelier animé par Nadir Larbaoui, le nouveau représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies, un poste où Larbaoui est attendu pour renverser des équilibres qui ont souvent été en défaveur de l’Algérie et au profit du Maroc dont les lobbys sont fortement soutenus par des membres permanents du Conseil de sécurité notamment la France et les Etats-Unis sous une lourde influence des lobbys israéliens là où ils se trouvent.

L’on note que la conférence de Lamamra est intervenue après le vote par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2602 qui confirme la vision du Maroc de son accaparement du Sahara Occidental. Il est, sans nul doute, admis que les diplomates algériens sont mis aujourd’hui face à des situations très complexes au plan régional, international, notamment institutionnel communautaire. «La place de l’Algérie dans le Maghreb et au Sahel » doit être en premier examinée en profondeur pour prévoir des stratégies de « rebondissement » en cas de débordement(…) », affirment nos sources. Les propos de Lamamra «l’Algérie est-elle menacée ? » et ses réponses « il n’y a rien d’imaginaire, elle l’est comme tous les autres pays arabes qui ont été déstabilisés » ainsi que son affirmation « je préfère pécher par excès de vigilance que par manque de vigilance » semblent être des sentences pour que la diplomatie algérienne s’arme d’offensive, d’efficacité, d’entrisme, de lobbying pour déjouer tout complot et protéger les intérêts du pays qui sont malmenés à plusieurs niveaux, national, régional et international.

Le premier constat pour toute riposte diplomatique «les Occidentaux ont leur propre stratégie de déstabilisation, les guerres de 4ème génération, les conflits entre pays voisins, les manipulations internes et externes, les facteurs de l’implosion(…) ».

Les autorités du pays affirment «on n’a pas de pays amis, il n’y a que des intérêts, ils doivent être convergents avec tous, avec qui on traite, avec nos partenaires…».

Dans son intervention préliminaire, l’ambassadeur Larbaoui a souligné à propos du multilatéralisme qu’ «il est caractérisé aujourd’hui par une situation de stagnation causée tant par l’absence de réformes de fond lui permettant de faire face aux défis multiples et multidimensionnels auxquels le monde fait face actuellement, que par le jeu des grandes puissances dont les velléités hégémoniques ont freiné voire paralysé l’action multilatérale internationale ».

Le statut d’observateur de l’Algérie au Conseil de sécurité (2024-2025), une priorité pour la diplomatie

Tout en plaidant pour « un multilatéralisme inclusif et efficace », il estime que « le multilatéralisme n’a pas occulté en réalité les relations de puissances des États qui restent à la base de la politique internationale.

Les Nations unies sont ainsi dépourvues de capacités de trouver des compromis politiques aux crises et défis et s’emploient à compenser leur inefficacité par des actions humanitaires ».

Les débats au niveau du panel, nous dit-on, ont porté sur « les actions à engager par la diplomatie algérienne et au terme des présentations et discussions un certain nombre de recommandations ont été proposées et convenues axées sur le renforcement du rôle de notre pays au sein des instances internationales multilatérales, à la tête desquelles comme l’a martelé le ministre Lamamra, la mobilisation de tous les efforts et moyens pour la campagne soutenue pour l’accession de notre pays au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent au titre du mandat 2024-2025 ».

Une accession qui, est-il souligné, « constitue la priorité de notre action diplomatique au double plan bilatéral et multilatéral pour une consécration de l’Algérie nouvelle partant de son expérience accumulée à travers l’histoire en tant que pays exportateur de paix, de sécurité et de stabilité ».

Avant que le MAECNE ne procède, hier, à la clôture de la conférence, d’autres recommandations relatives à l’ensemble des thèmes exposés devaient être données au corps diplomatique algérien accrédité à l’étranger.


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