Algérie / Pour paver la route de la transition énergétique : L’hydrogène comme source alternative

Par Ali KEFAIFI

Dans la situation actuelle, les grandes puissances industrielles ont déjà choisi la filière hydrogène pour les prochaines décennies, dont 2020-2030, mais avec des sous-variantes qui dépendent des spécificités locales. L’Algérie ne pourra ignorer la filière hydrogène qui s’imposera au monde. Mais comme nous le verrons, les coûts de stockage et de distribution de l’hydrogène sont  très importants. C’est le défi connu sous le vocable “Problème de l’œuf et de la poule”. 

Cependant, l’Algérie maîtrise une filière de reformage (reforming en anglais) exploitée depuis 60 ans (gaz de synthèse pour la fabrication de méthanol et d’ammoniac). Cela permettra d’utiliser la filière reformage/CCS/hydrogène en attendant l’essor compétitif de la filière hydrogène, et notamment la compétitivité de la pile à combustible à membrane qui coûte actuellement 2 000 €/ KWe, soit le double de la pile à combustible alcaline (1 000 €/KWe).

Une brève description technico-économique permettra de découvrir ou de percevoir les avantages de la filière hydrogène, qui aura de beaux jours devant elle durant ce 21e siècle, en attendant la fusion nucléaire, cette filière hydrogène déjà pratiquée en amont par le soleil !

En 2018, la consommation mondiale d’hydrogène était estimée à 74 millions de tonnes. Comme l’électricité, l’hydrogène est principalement un vecteur énergétique produit à partir d’une autre ressource. Actuellement, pour des raisons économiques, il est issu à 95% du gaz naturel. Quelques sources naturelles d’hydrogène ont, cependant, été observées depuis plus d’une décennie, en Russie, aux USA et au Mali.

Le reformage du gaz naturel, la gazéification du charbon et l’oxydation partielle des huiles lourdes sont des procédés industriels maîtrisés qui permettent d’extraire l’hydrogène des hydrocarbures. Ces procédés de reformage sont peu coûteux (moins de 0.20 US$/m3), y compris pour le CCS (extraction du gaz carbonique CO2). Avec l’accroissement de la production d’électricité à partir des énergies décarbonnées, notamment renouvelables, la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau et son utilisation dans le cadre de la transition énergétique sont retenues par les grandes puissances industrielles.

Les énergies renouvelables (éolienne, solaire) sont disponibles de façon intermittente, et l’hydrogène en constitue le complément idéal (flux énergétique flexible, stockage). Le système repose sur un électrolyseur pour produire l’hydrogène à partir de l’électricité du réseau (centrale électrique ou EnR solaire, éolien, barrages hydroélectriques, nucléaire), le stockage/transfert de l’hydrogène, une pile à combustible (en anglais fuel cell) ou pile à hydrogène permettant de générer de l’électricité à partir de l’hydrogène.

Il y a 200 ans, l’hydrogène avait été déjà utilisé comme combustible dans les premiers moteurs à combustion interne. Puis, il a été utilisé en raffinerie (craquage catalytique) ou sous la forme des gaz de synthèse, dans la pétrochimie (fabrication de l’ammoniac, du méthanol) et la sidérurgie (réduction directe du fer). Il est léger, stockable, dense en énergie et ne produit aucune émission directe de polluants ou de gaz à effet de serre. Pour chaque mètre cube, les différentes densités vont de 70 kg (H2 liquide), 50 kg (hydrides chimiques), 20 à 50 kg (adsorbé) et lorsque comprimé 27 kg (à 400 bars) ou 7 kg (à 100 bars).

La combustion d’un kg d’hydrogène libère environ trois fois plus d’énergie qu’un kg d’essence, et ne produit que de l’eau. En revanche, l’hydrogène occupe, à masse égale, beaucoup plus de volume que tout autre gaz. Ainsi, pour produire autant d’énergie qu’un litre d’essence, il faut 4,6 litres d’hydrogène comprimé à 700 bars (700 fois la pression atmosphérique).

La croissance de la demande et la concurrence du GN : la demande d’hydrogène, qui a plus que triplé depuis 1975, continue d’augmenter et consomme 6% du GN mondial et 2% du charbon. L’hydrogène fabriqué à partir du GN peut réduire les émissions de GES de 19% à l’horizon 2050 et remplacer les ressources fossiles dans les diverses utilisations.

Les principaux défis et problèmes qui se posent : taux de réduction par l’hydrogène des  gaz à effet de serre (GES) ? Quels coûts de production well to wheel (couts globalisés ou LCOE) ? Quels scenarii retenir aux plans géostratégiques, miniers (hydrogène naturel, géothermie), technologiques, économiques, R/D, réglementaires, économiques, financiers ? Quels scenarii pour les pays disposant de GN compétitifs et ayant lourdement investi dans les réseaux et usines d’exportation.

Quel cadre juridique pour exploiter l’hydrogène naturel ? L’hydrogène peut aussi être produit à partir d’eau et d’électricité, c’est l’électrolyse de l’eau. L’électrolyseur sépare une molécule d’eau en hydrogène et en oxygène. Cette voie est encore peu répandue car nettement plus coûteuse (2 à 3 fois plus chère que le reformage du gaz naturel) et réservée à des usages spécifiques qui requièrent un niveau élevé de pureté comme l’électronique. Mais c’est la solution retenue par l’Allemagne.

Cet hydrogène, consommé par une pile à combustible (véhicule, centrale), générera de l’électricité pour permettre, en tout espace et en tout temps, un approvisionnement continu en électricité. Elles ont généralement une efficacité de 45 à 65%, qui est supérieure à celle d’un moteur à combustion interne (de 20 à 40%) ou d’une centrale électrique (30% pour les centrales classiques et 50 à 60% pour celles à cycles combinés).

Les coûts dans la transition 2020-2050 
Corrélation prix GN et coût hydrogène : les faibles prix du gaz au Moyen-Orient, en Russie et en Amérique du Nord entraînent les plus bas coûts de production d’hydrogène. En Algérie, le GN revient à près de 1 $/MM Btu contre 8 $/MM Btu en Europe. À l’horizon 2030, le coût de production d’hydrogène à partir d’électricité renouvelable pourrait chuter de 30%.

Quelle  stratégie  optimale  pour  l’Algérie en  termes  de  choix  de filières  et  de  phasing ?
A) L’analyse des stratégies des grandes puissances industrielles montre 3 options :
– L’option allemande : l’analyse des coûts (électrolyseurs, stockage de l’hydrogène, piles à combustible) montre que cette option ne sera compétitive qu’à l’horizon 2030. 
– L’option australienne fondée sur l’utilisation du solaire combiné au reformage (à partir du GN pour fabriquer du H2) est compétitive pour les pays déjà producteurs de GN.
– L’option russe axée, d’une part, sur le reformage et, d’autre part, sur l’hydrogène naturel issu du sous-sol. Une analyse de ces 3 options, ainsi que celle des USA et de la Chine montrent que l’option mixte Australie-Russie serait la mieux indiquée pour l’Algérie. 

B) Quelles solutions pour l’Algérie ? 
L’Algérie dispose d’une longue expérience, soit plus d’un demi-siècle, consistant en plusieurs (5) usines d’ammoniac, ou de méthanol, ou de raffinage (Skikda), ou de pétrochimie. Le coût de production de l’hydrogène par électrolyse est encore 2 à 3 fois supérieur à celui obtenu par reformage du gaz naturel. Une forte réduction des coûts sur l’ensemble de la chaîne (électrolyseurs ou les véhicules à piles à combustibles, e-vehicules) est donc nécessaire. Les programmes suivants sont suggérés :

Carburants véhicules : développer la solution GNV aux lieu et place du GPLc et des carburants liquides (essence, gasoil), supprimer l’essence au plomb en remplaçant le plomb tétra éthyle par le méthanol. L’utilisation du GNV au lieu des autres carburants permettra d’épargner 80% du prix des carburants, car le prix moyen du pétrole (60 $/ baril correspond à 10 $/ MM Btu, à comparer à un GN qui vaut 2 $/MM BTU en prix net-back Arzew, voire quelques cents à Hassi R’mel). Carburants GNL pour les navires, les locomotives.

Chauffage GPL et carburants gasoil : remplacer ces produits par le dimethylether à fabriquer à partir du GN, et réserver le GPL à la pétrochimie (PP, autres dérivés du propylène, pneumatiques et autres élastomères).  2020-2035 : filière reformage + hydrogène similaire à la filière australienne  Rechercher les gisements d’hydrogène naturel, si enfouis au Sahara. Si oui, viser l’option russe à l’horizon 2025-2030, avec la mise en place de la filière hydrogène + piles à combustible.

Industrie et pétrochimie : filière reformage avec hydrogène destiné à la production d’acier (réduction directe du minerai de fer), et filières pétrochimiques (Méthanol To Oléfines ou MTO et filières dérivés). Avec cette filière, d’importantes économies d’échelles peuvent être réalisées en rassemblant autour du gaz de synthèse (dont l’hydrogène) les usines de méthanol, ammoniac, réduction directe du fer, ce qui permettra des réductions de Capex (investissements) de l’ordre de 20% et de coûts opératoires diminués de 30%.
 

Par : le Dr ALI KEFAÏFI
(*) Ingénieur civil des mines, ingénieur IFP


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