Le Président Poutine doit-il cesser de faire confiance à Dr Tayyip et Mr Erdogan ?

21.06.20

   par ZZZ.

Les images de Pantsir russes récupérés par les milices libyennes de Sarraj dans l’arsenal du maréchal Haftar aux abords de Tripoli[1] ont fait forte impression voire choqué les observateurs. Comment la soldatesque du « gouvernement d’union nationale » a-t-elle pris le dessus sur l’armée libyenne dans la Tripolitaine ? Il faut évidemment y voir la main turque et l’ambition démesurée du sultan néo-ottoman. Au-delà du seul cas libyen, l’expansionnisme turc commence à poser de sérieux problèmes à ses partenaires, à commencer par le président russe. Après un bref aperçu du passé de ce pays anatolien, je montrerai qu’il est nécessaire de faire preuve d’une extrême prudence envers la duplicité de Erdogan tout en prenant compte des réalités régionales et internationales.

Passé trouble de la Turquie

Sans remonter aux fondations de l’Empire ottoman qui s’effondre en 1922 pour être remplacé par la République de Turquie (1923), il n’est pas inutile de passer en revue quelques épisodes historiques. Le passé éclaire toujours l’avenir.

  • Il faut garder en mémoire que l’Empire ottoman organisait régulièrement des expéditions guerrières dans les contrées de l’actuelle Europe Centrale et de l’Est. C’est à ces occasions que les troupes ottomanes enlevaient les enfants chrétiens des villages pour les dresser en impitoyables combattants au service du sultan : ce sont les fameux janissaires. Dans le même ordre d’idées, après la conquête par Mehmed II de Constantinople (la « deuxième Rome ») en 1453, non seulement celle-ci est rebaptisée Istanbul mais la cathédrale Sainte-Sophie est transformée en mosquée. Les héritiers de l’orthodoxie chrétienne, le peuple de la Troisième Rome, id est Moscou, devrait s’en souvenir.
  • Les agressions ottomanes, absolument pas défensives mais expansionnistes, se poursuivront durant des siècles au moins jusqu’à la tentative infructueuse de la prise de Vienne en 1683 qui marque le début du déclin de l’Empire.
  • Historiquement, l’Empire ottoman a toujours été le bélier des puissances occidentales contre l’Empire russe. L’adhésion de la Turquie moderne à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dès 1952 est conforme à cet état de fait puisqu’elle choisit le camp occidental contre l’Union soviétique dans le cadre de la Guerre froide.
  • Plus récemment, sous prétexte de protéger la minorité turque de l’île, le nord de Chypre est envahi en 1974 par les militaires turcs. Inutile de préciser qu’ils y sont encore.

Voyons à présent la politique extérieure turque depuis l’accession d’Erdogan au pouvoir en 2003.

(Mé)faits de Erdogan

Comme je l’ai rappelé dans un article précédent[2], Tayyip Erdogan est issu du mouvement politique dit des « Frères musulmans » (FM) que je tiens pour des hypocrites et des cyniques qui instrumentalisent la religion, la naïveté des fidèles pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir indéfiniment. Après avoir énoncé une politique sage et généreuse de « 0 problème avec les voisins », la direction turque va se lancer dans une politique de maximum de problèmes avec les voisins et au-delà dans le cadre d’une tentative de renaissance du projet ottoman. Jugez-en :

  • La Turquie a, du début à la fin, favorisé et commercé avec le groupe terroriste monstrueux Daesh. Elle a pleinement et sans vergogne profité du pétrole volé par Daesh à l’Irak et à la Syrie.
  • Après l’élimination du groupe terroriste -principalement par l’Axe de la Résistance-, le régime turc s’est attaqué au Nord de la Syrie oû vivent des Kurdes et le PKK classé terroriste par Ankara. Le déploiement de troupes turques et de supplétifs turkmènes dans la région s’apparente à une annexion de facto.
  • En début de cette année, Erdogan a envoyé armée régulière et miliciens syriens pro-turcs à la rescousse du gouvernement Sarraj « reconnu par la communauté internationale ». En réalité, Erdogan a sauvé Sarraj, l’adepte comme lui de la confrérie des FM. Et surtout en signant un accord avec le gouvernement libyen, l’État turc entend s’arroger le droit d’exploiter le gaz off-shore en Méditerranée.
  • Il y a quelques jours, le régime turc s’est lancé cette fois contre le nord de l’Irak. Sous des appellations aussi ridicules que « griffe de l’aigle » et « griffe du tigre », il s’adonne à une énième agression avec une différence dans l’échelle considérable des opérations.
  • Enfin, l’accord du 05/03/2020 signé avec la Russie et censé apaiser la situation à Idleb oû se retranchent les ex-Al Qaida, n’est pas « ô surprise » respecté. Pire, l’armée turque y amasse quantité inquiétante de matériel militaire. L’annulation récente d’une réunion de messieurs Lavrov et Shoigu prévue avec leurs homologues en Turquie[3] est peut-être le signe d’un agacement des autorités russes.

Dans ces conditions, la Russie aurait dû prendre ses distances vis-à-vis de la Turquie mais les choses sont plus complexes.

Le dilemme russe

En fait, le président Poutine et ses conseillers doivent prendre en compte les données suivantes :

  • la Turquie est un pays voisin dont il convient d’entretenir de bonnes relations,
  • la marine russe basée en Crimée (Mer Noire) a un passage obligé par le détroit de Bosphore/Dardanelles pour rejoindre la Mer Méditerranée et la base navale russe de Tartous (Syrie). Certes le droit international garantit le libre passage du détroit mais avec le Janus turc, on n’est sûr de rien.
  • Étant donné l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et la mauvaise foi légendaire du leader états-unien de l’OTAN, le moindre incident peut faire des étincelles.
  • Surtout, Poutine tente de détacher le voisin néo-ottoman de la sphère occidentale pour l’arrimer à l’aire eurasienne.

C’est ce qui explique la livraison du système anti-aérien S-400 ou le Turkstream approvisionné en gaz russe malgré le soutien ouvert des Turcs aux séparatistes turcophones de Crimée et toutes les trahisons passées de Erdogan. Espérons que l’entrevue avortée sus-mentionnée soit le point de départ d’une politique russe plus exigeante envers son turbulent « partenaire ».


[1] Les Pantsir ont été en fait livrés par les Emirats Arabes Unis, ennemis acharnés des FM, à l’armée de Haftar. http://kapitalis.com/tunisie/2020/05/21/le-mystere-du-systeme-de-defense-aerienne-russe-capture-en-libye-est-enfin-leve/

[2] http://la-geopolitique-sous-le-regard-de-zzz.over-blog.com/2020/06/les-etats-unis-d-amerique-eua-amis-ou-ennemis-du-monde-musulman.html

[3] https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2020/06/14/la-visite-de-lavrov-et-choigou-prevue-dimanche-en-turquie-a-ete-reportee-1435661


 

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