Le projet de révision constitutionnelle en Algérie : Le conflit entre le Droit et la Politique

  La résolution de la crise est une exigence si on veut construire une nouvelle Algérie où personne ne sera protégé ni par son impunité ni par son influence »
(Abdelmadjid Tebboune, APS, 6 septembre 2020).

« Le projet [de révision] ne vise nullement à tourner la page des pratiques constitutionnelles passées, mais uniquement à assurer la survie du système en donnant au chef de l’Etat la liberté d’agir à sa guise sans être accusé de violation de la constitution »
(Mourad Benachenhou, Flagrant délit, El Watan, 22 septembre 2020).

Par Arezki Ighemat,                 Ph.D en économie, Master in Francophone Literature (Purdue University, USA)

Le 1er novembre prochain, les Algériens sont appelés à se prononcer sur la nouvelle Constitution qui devrait, si elle est adoptée, s’imposer à eux et règlementer la vie politique jusqu’à nouvel ordre, sonnant le glas de la Constitution en vigueur. Il faut rappeler pour l’histoire que la Constitution algérienne a été retouchée par pratiquement tous les présidents depuis l’indépendance selon leurs orientations politiques et les circonstances du moment. Mais le président qui l’aura triturée le plus est Abdelaziz Bouteflika, qui voulait inscrire la « présidence à vie » en modifiant trois fois la disposition portant sur le mandat présidentiel qui est normalement de 5 ans.

Il faut aussi rappeler que le projet de révision actuel a été rédigé par un comité de 17 experts nommés par le Président de la République et a été débattu et adopté par les deux chambres du Parlement et devrait, s’il est approuvé par le référendum populaire du 1er novembre prochain, entrer en vigueur à cette date. Dans le préambule du projet, on peut notamment lire « Le peuple algérien exprime la volonté de traduire ses aspirations… à des transformations profondes en vue de construire une nouvelle Algérie, aspirations qui ont été exprimées pacifiquement depuis le lancement du mouvement populaire du 22 février 2019, dans une unité totale avec son Armée Nationale Populaire ».

Cependant, cette nouvelle révision ne semble pas avoir reçu l’assentiment et l’enthousiasme de certains milieux politiques et d’une partie de la société civile qui se posent plusieurs questions, notamment celle du « timing » de cette révision qui a pris place au moment où le pays et le monde dans son ensemble traversent une des pandémies les plus dévastatrices de l’histoire. Pour analyser les changements contenus dans le nouveau projet de Constitution, nous verrons d’abord les nouvelles propositions inscrites dans le projet. Nous verrons ensuite les questionnements politiques que ces changements ont suscités.

 

Les changements constitutionnels majeurs contenus dans le nouveau projet
Le projet de révision constitutionnelle que le comité d’experts a présenté au gouvernement et au Parlement concerne plusieurs volets. Les principaux sont : le préambule ; le titre 1 (Les principes généraux gouvernant la société algérienne ; le titre 2 (Les droits fondamentaux, les libertés publiques et les devoirs) ; le titre 3 (Organisation et séparation des pouvoirs) ; le titre 4 (Les institutions de contrôle) ; le titre 5 (Les institutions de consultation) ; et le titre 6 (L’amendement constitutionnel). L’analyse exhaustive de tous ces changements n’étant pas possible dans un article de journal, nous ne considèreront que les amendements que nous jugeons vitaux pour le peuple algérien et le devenir politique du pays. Par ailleurs, faute de pouvoir disposer de la version française du projet, nous avons utilisé la version anglaise. Cela signifie que les traductions que nous avons faites de ces changements peuvent ne pas correspondre littéralement aux termes utilisés dans la version française.

Commençons par le préambule qui est un synopsis des principaux changements proposés. Le premier élément rehaussé dans le préambule est le mouvement populaire du 22 février 2019—dont le nom populaire « Hirak » n’est cependant pas évoqué—qui a vu des millions d’Algériens sortir dans les rues du pays pendant plus d’une année et qui a poussé vers la sortie l’ex-président Bouteflika. La disposition qui parle du mouvement souligne son caractère pacifique et l’engagement de l’Etat de tout faire pour que désormais « chaque homme et femme algérienne participe à la conduite des affaires publiques en vue de réaliser la justice sociale, l’égalité et la liberté pour chacun dans le cadre d’un Etat démocratique et républicain ». Le préambule stipule aussi que « l’Algérie exprime l’engagement d’œuvrer à la prévention et à la lutte contre la corruption » conformément aux conventions régionales et internationales en la matière ». Le préambule souligne aussi que « la Constitution est au-dessus de tous… elle protègera la liberté de choix des personnes, consacre la légitimité dans l’exercice des pouvoirs et l’alternance démocratique… à travers des élections libres et équitables ».

Le préambule souligne aussi que « la Constitution assurera la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, le contrôle de l’activité des autorités publiques et la sécurité légale ». Enfin, le préambule souligne « l’engagement total du peuple algérien aux droits de l’homme tels que spécifiés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et autres conventions internationales.
Concernant le titre 1 relatif aux principes généraux gouvernant la société algérienne et son chapitre 1 consacré à l’Algérie, le projet de révision maintient le principe de l’égalité de statut des langues arabe et Tamazight, les deux langues demeurant toutes les deux des langues nationales et officielles (Art.3 et 4). Le projet prévoit aussi « la création d’une Académie de la Langue Amazighe ayant pour tâche… de l’intégrer comme langue officielle dans le « futur ». La question ici est de savoir si la langue Amazigh est déjà une langue officielle aujourd’hui ou elle ne le sera que dans le futur. Ce point prête à confusion. Le chapitre 2 du titre 1 porte sur le peuple. La stipulation la plus importante sur ce sujet est que « le peuple est la source de tous les pouvoirs (Art.7).

Dans le chapitre 3 (l’Etat), les articles 12 et 13 précisent davantage les articles 3 et 4 précédents. L’article 23 crée une nouveauté en indiquant que « tout cumul ou combinaison entre les charges publiques et les activités privées ou autres emplois seront prohibés ». Le même article indique que « toute personne nommée à une haute position au gouvernement, élue ou nommée au Parlement ou élue dans une assemblée locale devra faire état de ses avoirs avant d’assumer ses charges et aussi à la fin de leur mandat ». L’article 24 stipule que « les autorités publiques respecteront et appliqueront la bonne gouvernance dans les affaires publiques et devront respecter la loi et les règles de la transparence qui ne devraient pas contenir des dispositions conduisant à la corruption ». Mais quand on voit toutes les affaires de corruption que le pays a connues ces derniers mois où de hauts fonctionnaires au sommet de l’Etat ont été impliqués, cette disposition, si elle venait à être mise effectivement en pratique, ne manquera pas d’avoir son importance. L’article 32 précise : « L’Algérie étendra sa solidarité aux peuples luttant pour leur libération économique et politique, leur droit à l’autodétermination… ».

 

Dans le titre 2 relatif aux droits fondamentaux, libertés publiques et les devoirs, chapitre 1 sur les droits fondamentaux et libertés publiques, l’article 34 stipule que « Nulle restriction des droits, libertés et garanties ne peut être imposée que par la législation et pour des raisons liées au maintien de l’ordre et de la sécurité publics ainsi que celles nécessaires pour sauvegarder les autres droits et libertés publiques protégés par la Constitution ». Ici, lorsqu’on voit toutes les arrestations, intimidations, emprisonnements commis par les autorités et services de sécurité, notamment de journalistes et activistes politiques, cette disposition, si elle était appliquée, ne peut qu’être de la plus haute importance.

L’article 41 consacre la présomption d’innocence : « Toute personne sera présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit prouvée coupable par une juridiction ordinaire conformément à un jugement équitable… ». L’article 44 complète l’article 41 : « Aucune personne ne sera persécutée, arrêtée ou détenue sauf dans les cas déterminés par la loi ». Ici aussi, quand on voit combien d’arrestations arbitraires d’activistes et de journalistes se font presque quotidiennement, notamment dans le cadre du hirak « béni » (c’est le terme utilisé par le président Tebboune), on ne peut qu’être sceptique sur les effets de cette disposition dans le futur.

Mais l’article qui suscite le plus de questions, sans aucun doute, est l’article 51 qui indique que : « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Cet article est renforcé par les articles 52 et 53. L’article 54 concerne spécifiquement la liberté de presse : « La liberté de presse, qu’elle soit écrite, audiovisuelle ou qu’elle concerne les réseaux sociaux, sera garantie de façon égale à tous les médias publics ou privés. Elle ne peut nullement être restreinte par une censure préalable ». Cela devrait a priori faire la joie des journalistes. Cependant, dans un des alinéas du même article, il est dit « Le droit de publier et d’investiguer [est reconnu] après avoir obtenu l’autorisation de le faire ». Il y a là donc une contradiction dans les termes de l’article.

Cette contradiction est encore plus importante lorsqu’on compare le texte de l’article avec la réalité où les journalistes sont intimidés, persécutés, soudoyés et emprisonnés. Le cas le plus connu et le plus médiatisé est celui de Khaled Drareni, mais d’autres sont encore en prison dans des conditions lamentables à ce jour. Ceci est encore plus en contradiction avec le dernier alinéa de l’article qui souligne que « les délits de presse ne seront pas punis de détention provisoire ». L’article 57 concerne la liberté de créer des partis politiques. Il stipule que « Le droit d’établir des partis politiques est reconnu et garanti ».

L’article 58 complémente l’article 57 lorsqu’il précise les droits des partis : « liberté d’opinion, liberté d’expression et d’assemblée, droit à un temps audiovisuel proportionnel à l’importance représentative du parti, droit à un financement de l’Etat… Ici aussi, quand on voit la réalité sur le terrain et comment sont traités les partis politiques (le cas du Secrétaire Général du RCD, la participation faible et sélective des partis et de la société civile aux discussions sur le texte même du projet de révision constitutionnelle), on peut se poser la question : « y aura-t-il un changement après l’adoption du projet en novembre prochain ? Le titre 3 a une importance politique vitale dans le projet de révision. Il concerne l’organisation et la séparation des pouvoirs. Son chapitre 1 porte sur le Président de la République.

Dans son article 92, le projet indique que « Personne ne pourra servir plus de 2 mandats consécutifs ou discontinus ». Cet article ne manquera pas de nous rappeler en particulier l’ère Bouteflika au cours de laquelle l’ex-Président a réussi, en « tripotant » la Constitution trois fois, à servir quatre mandats de cinq ans et était sur le point de servir un cinquième s’il n’avait pas été arrêté dans ses élucubrations par le mouvement du 22 février 2019. L’autre article important de ce titre sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs est l’article 95 qui donne au Président 14 prérogatives dont les plus stratégiques sont : nommer le Premier Ministre ou Chef du Gouvernement et mettre fin à leurs fonctions, signer les décrets présidentiels, pardonner les prisonniers et réduire leurs peines, recourir au référendum, nommer les hauts fonctionnaires de l’Etat (Article 96).

L’article 95 évoque la nomination d’un Vice-Président chargé d’assister le Président et de le suppléer en cas de maladie grave de ce dernier, sa démission ou autre évènement l’empêchant d’accomplir les fonctions présidentielles. Mais cet article semble avoir été abandonné dans la dernière mouture du projet pour certaines raisons que nous examinerons dans la deuxième partie de cet article. Un autre article important dans le titre 3 est l’article 98 qui stipule que la Cour Constitutionnelle (dont nous parlerons plus en détail plus loin) peut, « en cas de maladie grave ou durable vérifiée du Président de la République…déclarer l’état d’empêchement ». Cet article évoque, bien sûr, une fois de plus, l’ère Bouteflika pendant laquelle ce dernier était cloué sur une chaise roulante, pratiquement incapable de s’exprimer, et qui a pu continuer à gouverner—par personne interposée—de 2013 (date de son ABC) à avril 2019, date de sa démission forcée. Le chapitre 3 du titre 3 parle du Parlement.

L’article 126 de ce chapitre stipule que « Aucun parlementaire [APN ou Conseil de la Nation] ne peut servir plus de 2 mandats consécutifs ou discontinus. L’article 146 précise que « Les ordonnances non adoptées par le Parlement ou qui ne sont pas présentées au Parlement pour approbation…devront être nulles et non avenues ». Cette disposition nous rappelle encore une fois l’ère Bouteflika au cours de laquelle l’ex-Président signait des ordonnances sans passer par le Parlement. Le Pouvoir Judiciaire est l’objet du chapitre 4. L’article 169 de ce chapitre est, on ne peut plus, clair : « Le Pouvoir Judiciaire doit être indépendant. Le Président de la République sera la garantie de cette indépendance ». L’article 178 précise que le juge doit être inamovible…Il doit notifier le Haut Conseil de la Magistrature s’il est exposé à une interférence dans son indépendance…il est comptable devant le Haut Conseil de la Magistrature ». L’article 184 précise encore davantage le caractère indépendant du juge : « La loi poursuivra et punira quiconque viole l’indépendance de la justice ou obstrue le déroulement normal de la justice et l’application des sentences finales ».

Si ces dispositions venaient effectivement à s’appliquer dans le futur, cela mettrait fin à ce que les « hirakistes » appellent la « justice par téléphone », c’est-à-dire par interventions. L’autre article « révolutionnaire » de ce projet de révision est l’article 191 qui précise : « Une Haute Cour de l’Etat sera créée pour juger les actes de trahison commis par le Président et les crimes et offenses commis par le Chef du Gouvernement perpétrés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ». Cet article, s’il venait à être mis en pratique dans la vie politique du pays à l’avenir, ferait valoir un des principes fondamentaux de l’Etat de Droit—et un des slogans-phares des hirakistes : nul n’est au-dessus de la loi. Cela préviendrait, en effet, que des procès tels que ceux d’anciens gouvernants—les Premiers Ministres Sellal et Ouyahia, et d’autres—auxquels les Algériens ont assisté avec surprise ces derniers mois.

Le quatrième titre a trait aux institutions de contrôle. Il s’ouvre avec le chapitre 1 consacré à la Cour Constitutionnelle qui remplace le Conseil Constitutionnel actuel. L’article 193 précise que la Cour Constitutionnelle « est une institution indépendante chargée d’assurer l’observation de la Constitution…[Elle] règlemente la conduite des institutions et activités des autorités publiques ». L’article 194 définit la composition de la Cour Constitutionnelle qui comprend 12 membres, 4 nommés par le Président de la République, 2 élus par la Cour Suprême, 2 nommés par le Président de l’APN et 2 nommés par le Président du Conseil de la Nation. L’article 196 stipule que le Président et le Vice-Président de la Cour Suprême sont nommés par le Président de la République pour 6 ans.

Le second organe de contrôle prévu dans le projet de révision est le Conseil (ou la Cour) des Comptes qui est invoqué au chapitre 2. L’article 208 stipule que « la Cour des Comptes sera l’agence chargée du contrôle des avoirs et fonds publics…Elle est chargée du contrôle a posteriori des finances de l’Etat, des collectivités territoriales et des services publics ainsi que du capital marchand de l’Etat… Elle est une agence indépendante qui contribue au développement de la bonne gouvernance et de la transparence dans le management des finances et des comptes publics ». Ici encore, l’importance de cet organe ne fait aucun doute quand on voit les procès pour corruption conduits après 2019 contre de hauts dirigeants de l’Etat et contre certains oligarques de la sphère économique (Ali Haddad, les frères Kouninef, etc.).

Le troisième organe de contrôle prévu dans le projet de révision est l’ANIE (Autorité Nationale Indépendante des Elections) prévue au chapitre 4. Sa constitutionnalisation est consacrée notamment par l’article 209 qui précise : « Une Autorité Nationale Indépendante des Elections sera créée. L’article 210 précise ses attributions : « préparer, organiser, conduire et contrôler les élections présidentielles, législatives et locales ainsi que les referenda. Elle exerce ses activités avec transparence, neutralité et impartialité ».

Le quatrième organe de contrôle créé par le projet de révision est la « Haute Autorité de Transparence, de Prévention et de Lutte contre la Corruption. L’article 215 définit ses attributions comme suit : « développer et appliquer la stratégie de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption…collecter, traiter et rapporter les données pertinentes sur la corruption…recevoir les notifications sur les conflits d’intérêts et les cumuls de fonctions ». Il est clair, encore une fois, que si cette Autorité venait à appliquer sur le terrain les termes-mêmes ci-dessus évoqués, l’Algérie ouvrirait la voie à une nouvelle gouvernance plus transparente et plus participative.

L’article 213 prévoit la création d’une autre agence de contrôle : l’Observatoire National de la Société Civile chargé « d’émettre des avis et recommandations concernant les préoccupations de la société civile ». Quand on sait que la société civile est totalement exclue de toute participation aux processus de décisions politiques, non seulement aujourd’hui, mais depuis plusieurs décennies, cet organisme devrait jouer un grand rôle en assurant une plus grande inclusion du public à la vie politique de la Nouvelle Algérie que l’on veut construire.

Le titre 5 traite des institutions de consultation qui sont : le Haut Conseil Islamique, le Haut Conseil de Sécurité et le Conseil Economique, Social et Environnemental. Ce dernier peut s’avérer un outil complémentaire important de l’Autorité de Transparence, Prévention et Lutte contre la Corruption en fournissant à cette dernière les données dont elle a besoin pour déceler les instances et les cas de corruption. Un autre organe d’une importance cruciale—notamment au vu des dépassements constatés depuis 2019 mais aussi auparavant—est le Conseil National des Droits de l’Homme.

L’article 223 précise la mission principale de cet organe : « détecter et rapporter les cas de violations aux droits de l’homme et prendre les actions nécessaires pour les sanctionner ». Cette instance, si elle venait à jouir réellement de son indépendance d’action, aurait « du pain sur la planche » étant donné les atteintes régulières aux droits de l’homme commises par certaines autorités politiques et de sécurité dans notre pays, notamment contre les activistes politiques et les journalistes depuis le 22 février 2019. Un autre organe consultatif de taille prévu dans le projet de révision est le Haut Conseil de la Jeunesse inscrit à l’article 224. Etant donné la magnitude de la marginalisation de notre jeunesse et son exclusion quasi totale du processus de décisions politiques au niveau national, ce Conseil peut être un facteur déterminant dans l’avènement d’une démocratie plus participative et inclusive.

Enfin, et ce ne sont pas les moindres, deux organes consultatifs majeurs sont aussi prévus dans la nouvelle constitution : le Haut Conseil de la Recherche Scientifique et Technologique (Art.226) et l’Académie Algérienne de Sciences et Technologie (Art.228). Cependant, le projet ne précise pas les attributions de chacun de ces deux organes et les conflits éventuels d’attribution pouvant exister entre eux. Le projet de révision se termine par la question de l’amendement constitutionnel qui stipule les cas où la révision constitutionnelle ne peut pas intervenir, notamment les constantes de l’Etat républicain, le multipartisme, les fondements de l’identité nationale (Arabité, Amazighité, les langues arabes et amazigh, l’intégrité du territoire national, l’emblème et l’hymne nationaux) et surtout l’interdiction d’exercer plus de 2 mandats présidentiels consécutifs ou discontinus.

Les questionnements politiques soulevés par le projet de révision constitutionnelle
Si le projet de révision constitutionnelle a suscité un certain enthousiasme et espoir pour une nouvelle Algérie basée sur le droit, la reconnaissance et la protection des libertés fondamentales, il a aussi soulevé un certain nombre de questionnements d’ordre politique. Cependant, avant même de parler de ces questionnements, voyons d’abord comment le gouvernement justifie et défend son projet.

L’une des justifications présentées par le gouvernement est celle avancée par le porte-parole de la présidence, Mr. Mohand-Oussaid Belaid qui indique que « l’objectif [de la révision constitutionnelle] est que l’Algérie se dote d’une Constitution consensuelle la préservant de tomber dans l’autoritarisme et de vivre des crises chaque fois qu’il y a dysfonctionnements à la tête du Pouvoir (déclaration de Mr. Mohand-Oussaid Belaid, 14 mai 2020).

Cette déclaration est contredite par une autre où il dit que dans la préparation du nouveau projet « Nous retiendrons ce qui unit les Algériens et nous rejetterons ce qui les divise : (Mr. Mohand-Oussaid Belaid, cité par Dalia Ghanem, Every Algerian President wants his own constitution, The Africa Report, interview by Mourad Kamel, May 18, 2020). Pour les analystes politiques, cela signifie que toute proposition et suggestion qui ne rentrerait pas dans l’agenda du gouvernement ne serait pas retenue. N’est-ce pas là en soi une marque d’autoritarisme ? Le caractère consensuel est également souligné par le Président Tebboune lui-même qui a déclaré : « Je souhaite un amendement profond de la Constitution qui établisse une nouvelle république et que tous les articles [de la nouvelle Constitution] soient ouverts à la discussion sauf pour ce qui est des constantes de l’identité arabe, berbère et islamique » (Algeria : President receives draft constitutional amendments, Middle East Monitor, March 25, 2020).

Le Président Tebboune poursuit en disant que le projet de révision a pour but de « concrétiser les aspirations du peuple visant à asseoir un véritable Etat démocratique qui mettra l’Algérie à l’abri des dépassements qu’elle a connus dans le passé et cela de par son contenu et le processus ayant accompagné son élaboration » (Shahrazad I., Revision de la Constitution en Algérie : vers une rupture avec le passé ?, Dzairdaily, 6 septembre 2020). Le Président Tebboune ajoute : « The trials of high officials showed a ‘trust crisis’ between rulers and the people over the past years” (les procès de hauts officiels a montré une crise de confiance entre les dirigeants et le peuple au cours des années passées) (Algeria’s new Constitution fails to meet protesters’ demands, Middle East on line, September 6, 2020).

Le Premier Ministre Abdelaziz Djerad souligne aussi le caractère consensuel du projet lorsqu’il déclare : « l’objectif de cette révision est l’amélioration et le rétablissement de la confiance entre le citoyen et l’Etat, et ce, en instaurant les fondements d’un Etat démocratique et moderne qui s’engage à servir le citoyen, un Etat où la vie politique est régie par les principes de transparence et de régularité tout en séparant l’argent de la politique et luttant contre la corruption « (Shahrazad I., article cité).

Dans toutes ces déclarations, les mots les plus significatifs mais en même temps les plus critiqués par certains constitutionnalistes et analystes politiques sont : « consensuel », « démocratique » et « autoritarisme ». S’agissant du caractère consensuel du nouveau projet de révision, Dalia Ghanem, chercheuse au Carnegie Endowment International Peace, dira : « The reform project is a ‘political payback’ that misses its targets, namely to satisfy the hiraks’ demands » (le projet de réforme est une récupération politique qui rate son objectif, à savoir satisfaire les revendications du hirak) (Dalia Ghanem, article cité). Toujours selon Dalia Ghanem, ceci est en contradiction avec la disposition insérée dans le préambule selon laquelle ce projet prend en considération les revendications du mouvement du 22 février 2019.

La même auteure ajoute : « President Tebboune wants to take advantage of the ‘blessed’ hirak, as he says…using the popular movement which was against him coming to power in the first place and the system he represents…” (le Président Tebboune veut prendre avantage du hirak ‘béni’, comme il l’appelle…utilisant le mouvement populaire qui a été avant tout contre son arrivée au pouvoir et contre le système qu’il représente) (Dalia Ghanem, article cité). Dalia Ghanem poursuit : « Les protestataires [du 22 février 2019] qui ont poussé Bouteflika vers la sortie ont réclamé un changement radical, pas un amendement » (Dalia Ghanem, article cité). Elle termine en disant : « Le travail de révision de la Constitution a été mené sans les représentants du hirak et sans ceux de l’opposition. C’est l’œuvre d’un comité qui n’est pas représentatif de la société algérienne et qui a fait une réflexion en vase clos » (Dalia Ghanem, article cité).

Certains partis politiques sont du même avis. Par exemple, le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) a déclaré : « Le mouvement populaire [du hirak] ne peut se suffire des réformes squelettiques ou de ravalements de façades sans une rupture effective avec le système politique en place » (Adlène Meddi, Algérie : Tebboune dévoile son projet de réforme constitutionnelle, Le Point, 5 septembre 2020).

Certains analystes politiques ont souligné le fait que les partis politiques n’ont pas été associés et que ce projet de nouvelle Constitution a été adopté par un Parlement « illégitime » : « It is commonly accepted that any foundational document or any type of contract, whatever its nature, requires the prior participation of all the parties involved in its formulation, article by article, chapter by chapter…but this has not happened in Algeria » (Il est généralement accepté que tout document fondateur ou tout type de contrat, quelle que soit sa nature, requiert la participation préliminaire de tous les partis impliqués dans sa formulation, article par article, chapitre par chapitre…mais cela ne s’est pas produit en Algérie)(Tarek Marah, juriste et activiste des Droits de l’Homme, in « Algerian Activists, experts see more of the same in new draft Constitution, interview by Saber Blidi, The Arab Weekly, May 13, 2020). Saber Marah pense aussi que « la vision concernant la nature du système de gouvernement, par exemple, qu’elle soit parlementariste, présidentielle ou semi-présidentielle, a été conçue et écrite par un comité désigné par les mêmes structures qui ont modifié les Constitutions précédentes puis a été soumise à un Parlement illégitime qui existe par le biais de la fraude » (Tarek Marah, article cité).

Le second motif de critique du projet de révision concerne les circonstances dans lesquelles il a été préparé et adopté. Certains pensent, en effet, que le projet a été préparé dans la précipitation et surtout au moment où une crise sanitaire qui a ravagé le monde continue de faire de nombreuses victimes jour après jour et devrait avoir la priorité sur la révision constitutionnelle qui pouvait attendre la fin de la pandémie pour être entreprise. Ces analystes pensent que le gouvernement a intentionnellement proposé ce projet pour être adopté le plus rapidement possible et sans débats préliminaires qui auraient pu l’enrichir. Ils pensent aussi que le deuxième objectif du gouvernement était d’occuper les esprits des Algériens avec cette révision afin qu’ils abandonnent l’idée de reprendre les protestations commencées le 22 février 2019.

Par ailleurs, ils considèrent que ce projet a été préparé essentiellement sinon exclusivement entre le Président et le comité d’experts, et donc sans une participation de la société civile et des acteurs politiques de l’opposition. Ils justifient ces critiques en disant que la lettre que le Président de la République a adressée au Président du comité détermine à l’avance les termes et les thèmes de réflexion. La lettre est formulée, en effet, dans les termes suivants : « Je [le Président de la République] vous invite à mener votre réflexion et à me faire des propositions et recommandations autour des axes suivants : (1) le renforcement des droits et libertés, (2) la moralisation de la vie politique, (3) l’équilibre des pouvoirs et (4) l’indépendance de la justice » (Madjid Zarouki, En Algérie, un projet de Constitution loin du rêve du Hirak, Le Monde-Afrique, 20 mai 2020). Au point que certains parlent de cette nouvelle Constitution comme une « laboratory Constitution » (une Constitution de laboratoire).

D’autres analystes politiques considèrent que l’objectif évoqué par le porte-parole de la Présidence—à savoir « éviter de tomber dans l’autoritarisme passé »–est loin d’être pris en charge par le nouveau projet de révision et qu’au contraire, les pouvoirs donnés au Président de la République sont encore plus importants que ceux des présidents précédents. L’article 102 par exemple donne au Président le pouvoir de nommer les membres du gouvernement sans tenir compte des avis du Parlement. Par ailleurs, le Président cumule les fonctions de Commandant-en-Chef des forces armées et de Ministre de la Défense. Il a aussi le pouvoir de nommer la plupart des fonctionnaires du système judiciaire et consultatif (Cour Constitutionnelle, Cour Suprême, Haut Conseil de la Magistrature, Cour des Comptes, etc). En outre, l’article 146 donne au Président le pouvoir de légiférer. Le Président a aussi le pouvoir de nommer un Vice-Président pour l’assister dans ses tâches et le suppléer en cas d’incapacité ou de démission.

Certaines sources disent que l’article qui prévoit cette nomination a été supprimé dans la dernière mouture du projet de révision, mais s’il était maintenu, des questions se poseraient à propos du rôle et surtout de la légitimité du Vice-Président. En effet, le fait que le Vice-Président soit nommé par le Président et non par le peuple lui ôterait toute légitimité, notamment dans le cas où il deviendrait Président à la suite d’une incapacité ou démission du Président. Selon Kamal Feniche, le Président du Conseil Constitutionnel, qui était l’invité de Radio Forum Algérie, « Le Vice-Président doit être choisi par le peuple au cours des élections présidentielles au même titre que le Président tandis que la proposition contenue dans le projet de révision stipule qu’il est désigné par voie de nomination ».

Selon lui, « cela enlève toute crédibilité à la position de Vice-Président et pose des problèmes dans les relations entre les représentants du peuple, y compris les parlementaires et le Vice-Président nommé, ce qui signifie dans ce cas qu’une personne peut devenir Président du pays sans passer par les urnes conformément aux normes démocratiques » (Kamal Feniche, cité par Mohamed Meslem, For these reasons, the position of Vice-Président was dropped from draft Constitution, Al Chourouk News, September 14, 2020). Toujours selon certains analystes, le Président a aussi un pouvoir législatif car il dispose du droit de véto en demandant une deuxième lecture de la loi. Il a aussi le droit de dissoudre le Parlement et de ratifier certains accords internationaux sans passer par le Parlement. C’est ce qui pousse certains à penser que le nouveau projet de révision crée un système « hyper-présidentiel ».

C’est ainsi que le juriste Reda Daghbar pense que « The President’s powers remain unchanged and imperial. He controls the administration with his power to appoint local officials (governors and heads of departments) and controls appointments in the judiciary” (Les pouvoirs du Président demeurent inchangés et impériaux. Il contrôle l’administration avec son pouvoir de nommer les fonctionnaires locaux (walis, chefs de départements) et celui de contrôler les nominations judiciaires) (Reda Daghbar, cité par Saber Blidi, article cité). En contrepartie de ce pouvoir « impérial », le Président, selon ces analystes, n’est pas comptable devant le peuple : « In return, he [the President] is absolved of any political or judiciary accountability. To punish him, the people will have just to wait for the end of his five-year term and not re-elect him” (En retour, le Président n’est pas indemne de responsabilité politique ou judiciaire. Pour le punir, le peuple doit simplement attendre la fin de son mandat de 5 ans et décider de ne pas le réélire) (Reda Daghbar, article cité).

L’autre critique adressée au nouveau projet de révision est le « gap » existant entre les promesses du projet et la réalité sur le terrain politique. Un des analystes indique à ce propos que « Aujourd’hui ce ne sont pas les principes édictés par la Constitution qui menacent les libertés, mais plutôt les lois censées les appliquer, comme le soulignent les avocats à longueur de leurs plaidoiries, à commencer par le Code Pénal, volontairement flou dès lors que les crimes tels que ‘atteinte à la sûreté de l’Etat’ ou à l’unité nationale sont retenues et interprétées de manière large par les procureurs lors des procès politiques » (Madjid Zarouki, article cité). Et cela, en dépit de la déclaration du Président Tebboune selon laquelle : « L’application de l’amendement constitutionnel exige l’adaptation d’un certain nombre de lois à la nouvelle étape comme partie intégrante d’une réforme globale de l’Etat et de ses institutions » (Abdelmadjid Tebboune, cité in Middle East-on-Line, Algeria’s new Constitution fails to meet protestors’ demands, September 6, 2020). Zerouki explique le « gap » évoqué en disant : « Après un an de contestation populaire, le gouffre qui sépare la parole et les écrits des actes n’a jamais été aussi profond. Le projet de révision constitutionnelle proclame la liberté d’association, de réunion et celle de la presse au moment même où les prisons algériennes se remplissent d’opposants » (Madjid Zerouki, article cité).

Conclusion
Nous avons vu que le projet de révision constitutionnelle qui sera soumis au référendum du 1er novembre prochain se veut ambitieux ainsi que le montrent les déclarations des plus hauts dirigeants du pays qui affirment que la nouvelle Constitution vise à construire une Algérie nouvelle fondée sur les aspirations du peuple telles qu’exprimées par le mouvement du 22 février 2019 et sur un assainissement du comportement des institutions de l’Etat. C’est le message que le Président Tebboune veut faire passer lorsqu’il déclare : « Je voulais que la nouvelle Constitution soit le plus largement consensuelle dans son élaboration en impliquant tous les groupes de la société et les faiseurs d’opinion dans le cadre d’un débat de quatre mois et cela en dépit de la crise de santé publique actuelle » (Abdelmadjid Tebboune, APS, 7 septembre 2020, notre traduction).

Le Président Tebboune précise encore plus son point de vue en disant : « The resolution of the crisis is a must to build a new Algeria where no one is protected neither by his immunity nor influence” (La résolution de la crise est une exigence si on veut construire une nouvelle Algérie où personne ne sera protégé ni par son immunité ni par son influence) (Abdelmadjid Tebboune, APS, article cité). S’il y a des avis qui supportent cette thèse—notamment les instances de l’Etat—les avis opposés sont nombreux—notamment les partis politiques et la société civile. C’est ce qu’on peut lire par exemple dans la déclaration suivante : « Le projet [de révision constitutionnelle] est loin de marquer une rupture avec les textes constitutionnels passés.

On peut même affirmer qu’en fait, il représente une régression par rapport à la Constitution actuelle, elle-même non seulement discutable, mais encore plus ayant perdu toutes ses dents du fait des coups que lui a portés l’ex-Président démissionnaire, mais pas encore déchu » (Mourad Benachenhou, Flagrant délit, El Watan, 22 septembre 2020). Soulignant le caractère « illégitime » de ce projet de révision, Mourad Benachenhou poursuit : « Le projet de Constitution qui vient d’être adopté à main levée par une Assemblée dont on sait qu’elle ne représente que ceux qui lui donnent un semblant de représentabilité pour faire passer leurs propres projets en leur donnant une légitimité frelatée ab initio » (Mourad Benachenhou, article cité).

Concernant le « gap » entre les textes et la réalité politique sur le terrain, nous avons vu que beaucoup soulignent leur pessimisme quant à l’apport de cette nouvelle révision. Il est clair, à travers toutes déclarations totalement divergentes, que les avis sont loin d’être unanimes sur le projet proposé par le gouvernement. Quel sera le verdict populaire du 1er novembre prochain ? « That is the Question ».


 

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