Algérie / Quel avenir pour le mouvement populaire ?

Soufiane Djilali

Ce 22 novembre, un vendredi d’ailleurs, le mouvement populaire aura 9 mois d’existence. Celui-ci aura suscité autant l’admiration que l’espoir de tout un peuple. Splendide, fabuleux, extraordinaire… et d’autres qualificatifs tout aussi élogieux reviennent le plus souvent pour décrire le hirak. Et, incontestablement, c’est mérité !

Personne n’avait imaginé que les Algériennes et les Algériens allaient se mobiliser avec une telle envergure et dans cet élan unitaire hors du commun. En plus de leur portée politique, les manifestations massives, d’un pacifisme admirable, ont donné une esthétique et une image d’une séduisante beauté.

Dès le 22 février, les Algériens eux-mêmes, puis le monde entier, ont découvert un peuple revigoré, guéri de ses blessures anciennes, mettant en avant une jeunesse d’une grande conscience politique et d’une vitalité surprenante dans une ambiance de fraternité et de solidarité insoupçonnées.

Du vendredi au mardi et d’une semaine à l’autre, le peuple a réitéré, inlassablement, en battant le bitume, sa volonté d’un changement profond du système de gouvernance qui lui a été imposé depuis trop longtemps et de voir enfin, émerger une nouvelle classe dirigeante et une gouvernance en phase avec lui.

Déstabilisé, le pouvoir consentit alors des gestes inimaginables auparavant. Un nombre incalculable de hauts dignitaires du régime se retrouvent derrière les barreaux et un air révolutionnaire plana au-dessus du pays. Victimes de leurs propres dérives, nombre des promoteurs du pouvoir de l’innommable ex-Président se retrouvent aujourd’hui neutralisés et le régime politique totalement effondré.

Dans cette première manche, le mouvement populaire sort incontestablement grand vainqueur ! En effet, le 5e mandat qui semblait irréversible a été balayé, ainsi d’ailleurs que les tentatives de prolongations du 4e. Et si le dernier gouvernement est toujours en fonction, il n’y a pas de doute que son espérance de vie a été déjà consommée. Les principaux noyaux durs de l’ex-régime sont sous les verrous et les futurs procès promettent d’être ravageurs.

Comme chacun le sait, l’appétit vient en mangeant et le mouvement populaire ne veut pas s’arrêter en si bon chemin pour obtenir sa nouvelle République. Débarrassé d’un régime putride, le peuple voit grand : retrouver toute sa souveraineté.

Il faut donc applaudir cette prouesse historique du peuple algérien… et ne pas s’arrêter là !

Une fois la déconstruction de l’ancien système de gouvernance suffisamment avancée, la question du «que faire» pour garantir le passage définitif à l’Etat de droit et à la démocratie, se pose maintenant avec acuité. En effet, le mouvement populaire a atteint un seuil critique qui interpelle dorénavant toute la société politique.

Dans une situation aussi complexe que celle du pays, il ne peut y avoir de réponse unique aux préoccupations légitimes d’une société à la recherche de son avenir.

Il n’y a pas de doute qu’un nouvel état d’esprit règne sur le pays. Les Algériens ont ôté les oripeaux de la peur et exigent l’Etat de droit et la démocratie. Or, une fois ainsi formulée, cette volonté va imposer d’elle-même et naturellement la logique politique qui devrait la réaliser.

Structurer le hirak ?

Nombreux sont celles et ceux qui ont considéré que la structuration du hirak, depuis la base, serait la solution idoine pour continuer à mener le combat, face à un pouvoir réfractaire à tout changement fondamental. Pour ses promoteurs, cette solution permettrait d’unir le peuple et de lui offrir une «direction» légitime pour parler et éventuellement manager une transition en son nom.

Pourtant, malgré des appels incessants, cette «structuration» ne s’est pas produite.

La raison en est simple : structurer le hirak, qui représente le peuple, en un mouvement unique est une aberration conceptuelle car elle nie tout simplement la demande populaire de la démocratie. Le peuple veut la liberté ? On lui propose un embrigadement par devers les convictions, les affinités et les croyances !

Comment peut-on vouloir la démocratie et organiser en même temps un peuple au sein d’une même structure en lui déniant, ce faisant, le droit à la pluralité ? Comment peut-on désigner des représentants d’un peuple pour les cantonner dans la position d’un interlocuteur face à un pouvoir d’Etat ? Le peuple élit des dirigeants d’un pays et non pas des porte-parole pour quémander des droits.

Si au plan philosophique, la contradiction est flagrante, le terrain lui-même confirme ces appréhensions. A moins d’avoir les moyens de l’ex-zaïm libyen qui avait rêvé de structurer l’ensemble du peuple dans sa «djamahiriya» ou, de façon plus rationaliste, reprendre l’expérience du parti unique, il est évident que ces solutions sont illusoires. Les Algériens n’accepteront jamais de revenir à l’ère de la pensée unique qui ne tarderait pas à émerger, sans l’ombre d’un doute, d’une telle tentative.

Revenir au réel

En Algérie, depuis des décennies, des hommes et des femmes se sont engagés dans l’action politique d’opposition. Dès la première ouverture au multipartisme, des courants politiques et parfois idéologiques ont vite cristallisé les convictions. Cependant, les vicissitudes de l’histoire et surtout les manigances du pouvoir ont fait que le multipartisme est resté stérile et une forme de discrédit populaire s’est abattue sur l’ensemble de la classe politique. Brimés, manipulés, «redressés», interdits… les partis politiques ont souvent fini par succomber à la logique de l’allégeance ou de la survie.

Les autres organisations de la société civile, syndicats et associations ont également, de guerre lasse, fini par s’adapter à un environnement hostile à la liberté et à l’initiative.

Cependant, malgré son échec relatif, la société politique a tout de même maintenu la diversité, le débat et une forme de militantisme indéniable.

Malheureusement, dans ce qui s’apparente aujourd’hui à l’opposition, les fractures y sont profondes et les contradictions à fleur de peau.

Combien de réunions de partis, d’associations, d’organisations et autres se sont tenues sans jamais aboutir à un consensus ? Ceux qui ont pu réunir un collectif ont investi tout leur savoir-faire et leur énergie. Pour quel résultat ?

Ce n’est donc ni l’intelligence ni la volonté des uns ou des autres qui sont en cause. L’équation a été mal posée et donc son développement sera sans issue.

Faire aboutir la dynamique du mouvement populaire

L’exceptionnelle prise de conscience des Algériens et leur engagement dans un acte de citoyenneté à travers le hirak doivent être fructifiés par la société. Se sentir Algérien et fier de l’être, avoir le sentiment de responsabilité personnelle sur la suite des évènements, être solidaire dans l’espace public, voilà de quoi construire une citoyenneté en devenir.

L’Etat de droit et la démocratie ne peuvent être que la traduction dans les règles de droit d’un état d’esprit où fraternité, échange, reconnaissance de l’autre et engagement de conviction sont les valeurs qui fondent l’action de chacun. Cela signifie aussi le refus de l’exclusion, la fin des ostracismes, la dissolution des idéologies hégémonistes ou plus simplement des comportements de castes.

Le peuple, réuni dans des valeurs constructives – et c’est le cas aujourd’hui – doit pouvoir se muer, le moment venu, en corps électoral pour signifier ses choix.

L’enjeu actuel

Pour concrétiser l’objectif de l’Etat de droit, il est nécessaire d’établir de vraies règles de la pratique démocratique (les superstructures de l’action-le contenant) et réussir la mise en place de partis politiques pertinents (le contenu de la démocratie).

Les deux éléments sont en cours de genèse. Il y a en effet un bouillonnement politique, prémisses virtuelles d’une agglomération d’élites éparses en courants politiques porteurs de projet de société.

Par ailleurs, les options pour les premières superstructures, bien qu’encore incertaines et fragiles, font consensus à l’intérieur de la société politique. Une vision globale et partagée sur les règles du jeu politique a d’ores et déjà mûri en son sein. Dans l’immédiat, une dynamique de dialogue, dirigée par la société civile et incluant l’ensemble des partenaires politiques, pourrait en être la pierre angulaire. Evitant la confrontation des «contenus politiques», les participants pourraient se mettre d’accord sur le «contenant démocratique», sous l’égide de partenaires neutres. Un accord général sur des règles du jeu démocratique au sein de l’opposition dans son sens le plus large pourrait devenir un instrument de négociation efficace face au pouvoir en place.

Cette opération a même été possible durant les mois de mai et juin passés, qui avaient offert une fenêtre de tir, qui s’est malheureusement refermée rapidement dès l’été. La société politique s’étant empêtrée dans un comportement nihiliste et jusqu’au-boutiste, une partie d’entre elle avait vigoureusement refusé tout processus de concertation.

Une autre fenêtre de tir se représentera bientôt, par la force de la dynamique historique. Les femmes et les hommes politiques sauront-ils la saisir ?

Les partis politiques, l’échine de la démocratie

Si le premier terme de l’équation peut être résolu – soit la structure de la démocratie – encore faudrait-il lui donner un contenu politique conséquent.

En effet, pour animer une démocratie, il est nécessaire d’avoir des hommes et des femmes politiques capables d’assumer leur rôle. Etre politique est un métier qui ne peut s’improviser au pied levé. Il faut sortir de ce populisme intéressé où l’action organisée est réfutée systématiquement et où les «atomes libres», comme ils se désignent eux-mêmes, écument l’espace médiatique, donnant des leçons aux uns et aux autres, jugeant et se déjugeant à longueur de bavardages aussi bruyants qu’inutiles.

A part quelques personnalités «indépendantes» dont la compétence ne peut être mise en doute, une noria de petits égos qui, sous l’étiquette d’universitaires, d’experts, d’analystes politiques ou de journalistes, écument les plateaux et les réseaux sociaux. Ils mélangent concepts politiques, ambition et ressentiment, tombant même dans le ridicule et la diffamation, contribuant ainsi à la confusion générale.

Le pouvoir en place les a toujours encouragés, car dans leur suffisance, ils troublent les consciences, voilent les vérités et quelquefois déroutent les auditeurs. Ils empêchent toute structuration sérieuse de l’action politique à long terme. Ils peuvent avoir le verbe haut et parfois la brillance du novice, mais ne construisent rien. La politique n’est alors que paroles en l’air et verbiage stérile ou, le cas échéant, toxique.

Si le mouvement populaire veut concrétiser un projet d’Etat de droit et de démocratie, il doit s’en donner les moyens. Il faut envisager l’avenir en cohérence avec ses objectifs stratégiques et non pas dans une cacophonie qui finira par lasser tout le monde.

La démocratie veut que chacun puisse s’exprimer, s’organiser et travailler pour ses convictions. Les peuples ne sont pas monolithiques. Les intérêts sont souvent divergents entre les citoyens, mais toujours légitimes.

La nation forte est celle qui a confiance en elle-même, qui a stabilisé une large partie de ses valeurs de base et qui arrive à organiser en son sein des débats sereins, qui se concluent par l’expression du suffrage.

En ce sens, les grandes idées qui agitent l’élite doivent s’organiser en courants politiques que des partis incarneront avec plus ou moins de bonheur, en présentant des projets de société réalistes.

Tant que les humains n’ont pas encore inventé un autre système de gouvernance qui s’harmonise avec le besoin inné de liberté, la démocratie multipartisane restera le modèle le plus accessible et le mieux éprouvé.

Couronner le mouvement populaire

Le moment est donc venu pour que les Algériens s’engagent en politique en tant que citoyens recherchant le bien commun. La dynamique populaire est si puissante qu’une élite doit pouvoir émerger de son sein. C’est le moment pour l’élite de réfléchir comment construire l’avenir et non pas seulement comment empêcher tel ou tel événement particulier de se produire.

A force de se donner des défis dans des limites temporelles étriquées, face à un pouvoir maître du pays, le mouvement risque de perdre à chaque tentative et, en bout de course, se démotiver.

Il faut au contraire intégrer tous les atouts dont dispose notre société pour les déployer en un laps de temps raisonnable et concrétiser enfin les changements de fond auxquels chacun aspire. Il est temps que nos concitoyens s’organisent politiquement, ne laissent plus le vide dans l’espace de l’action publique, rapidement occupé par les plus médiocres. Il faut construire de véritables partis politiques dignes de représenter, chacun, une partie de la volonté populaire.

De nouveaux partis politiques doivent s’épanouir, ceux existants pourraient également être renforcés par l’apport d’une jeunesse éduquée, consciente et responsable.

Les partis politiques à leur tour doivent s’ouvrir, encadrer et former les nouveaux militants. Il ne peut y avoir de succès dans l’éphémère.

Que celles et ceux qui aspirent à servir leur pays s’impliquent avec sérieux et continuité dans une œuvre de vie. 

Par  Soufiane Djilali ,  Président de Jil Jadid


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