Quels enjeux de sécurité en Afrique aujourd’hui ?

     30.04.2020

    par Samuel Nguembock

Si, depuis le début de la décennie 2010, la tendance était à une baisse de l’intensité de la violence et des conflits en Afrique, force est de constater qu’aujourd’hui, quelques années après, c’est plutôt une tendance haussière de la violence qui est observée dans plusieurs pays du continent.

Si la part des conflits interétatiques et des guerres civiles classiques a baissé sans disparaître totalement, l’extrémisme violent et les mouvements de contestations populaires avec renversement des pouvoirs autoritaires occupent de plus en plus d’espace dans l’environnement géopolitique continental. Cette tendance haussière de la violence et des crises politiques constitue un réel défi sécuritaire pour l’Afrique dans son ensemble.

Le 24 février 2019, au Burkina Faso, des soldats mauritaniens participent à l’exercice « Flintlock 2019 ». Organisé par l’armée américaine, cet exercice militaire annuel a réuni 33 pays, dont 16 africains, pour aider les forces de la région à faire face au terrorisme. (© US Army/Steven Lewis)

               Les causes de la montée des violences en Afrique

Les causes des conflits sur le continent demeurent nombreuses. Leur caractère pluriel et divers s’explique par leur nature tout aussi diverse que complexe. Dans les régions sahéliennes, où l’avancée du désert reste préoccupante, certains observateurs mettent en évidence des corrélations positives entre la hausse des températures et la recrudescence des conflits. Par rapport à certaines projections, les mutations environnementales et climatiques pourraient faire subir à l’Afrique au cours des années à venir de sérieuses conséquences sur les plans social, économique, sécuritaire et politique.

La faiblesse des États-Nations avec la forte montée des tribalismes est aussi un enjeu majeur du regain de violence sur le continent. Ce phénomène a un impact négatif clair non seulement sur la gouvernance, mais aussi et surtout sur les équilibres sociaux et les processus de démocratisation. L’influence des clivages interethniques et intertribaux dans les processus électoraux en Côte d’Ivoire, au Cameroun et dans la gestion des affaires publiques au Kenya notamment, est un marqueur essentiel du recul de la démocratie et de l’aggravation potentielle des violences sur le continent.

La croissance démographique dans le Sahel et en Afrique subsaharienne plus globalement est aussi une donnée majeure à prendre en compte dans les causes de la montée des violences en Afrique. Elle exerce une pression sociale supplémentaire sur les États qui n’ont pas pu, su ou voulu anticiper ses conséquences sur l’environnement (dans le Sahel), l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, l’accès à l’eau et aux infrastructures sociales de base. Elle accroît substantiellement le chômage et la précarité sociale, principale source de mécontentement populaire et de sentiment d’injustice économique commune aux catégories sociales majoritaires. À ce titre, le lien structurel entre les chocs négatifs issus de l’explosion du chômage, de la précarité sociale et l’accroissement des violences de toutes sortes semble de plus en plus évident. La faiblesse et/ou les échecs des programmes de protection sociale aggrave(nt) incontestablement les risques de violences.

Le poids des menaces sécuritaires en Afrique

Les menaces sécuritaires en Afrique sont à la fois politiques, sécuritaires, globalement diverses et transnationales. Les failles dans la protection des droits de l’homme, les affrontements meurtriers entre agriculteurs et éleveurs (pays du Sahel, RCA), les contentieux électoraux et les violences post-électorales (Gabon, Bénin), la longévité au pouvoir et le renversement populaire de certains régimes autocratiques (Algérie, Soudan, Burkina Faso, Tunisie, Égypte), les tensions intercommunautaires (Tchad), les attaques des groupes armés rebelles (RCA), les rébellions sécessionnistes (Cameroun) ou des mouvements autonomistes (Éthiopie) et l’intensification de l’extrémisme violent (pays du G5 Sahel, Nigéria, Cameroun) sont des préoccupations majeures et de réelles menaces à la sécurité dans plusieurs pays du continent avec effet potentiel de contagion, d’imitation et/ou de diffusion dans d’autres espaces.

Malgré de fortes mobilisations pour rétablir la paix dans les pays de la région (Ouganda, RDC, Centrafrique, Soudan), l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) n’a pas arrêté de se livrer à des actes de pillage et de semer la terreur parmi les civils. Par ailleurs, au cours de l’année 2019, l’on a pu observer de façon inquiétante des attaques répétées de Boko Haram, au Nigéria, au Tchad, au Niger, au Cameroun, en dépit des efforts concertés des pays membres de la Commission du Bassin du lac Tchad, de la Force multinationale mixte et de l’appui opérationnel des pays partenaires.

Au-delà de l’Afrique centrale et du Bassin du lac Tchad, l’occupation de l’espace et l’intensification des attaques terroristes avec d’importantes victimes civiles et militaires dans le Sahel — et notamment au Mali, au Burkina Faso, au Niger avec extension dans des pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo — renforce l’idée d’une maîtrise très relative de l’expansion de l’extrémisme violent sur le continent. La Force conjointe du G5 Sahel, qui a été identifiée dès sa création comme rempart, n’a véritablement pas changé la donne, malgré des victoires considérables sur certains théâtres d’affrontements djihadistes. Cette Force n’a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationnelle et se heurte, d’une part, à la problématique de la clarification de son concept stratégique des opérations et, d’autre part, à la lenteur des processus de planification. Si certains fuseaux de la Force conjointe semblent relativement maîtrisés — notamment les fuseaux ouest, est et centre —, ces performances n’ont pas réussi à éviter la détérioration de la situation sécuritaire sur le terrain.

Les efforts en termes de financement restent faibles. Même si les États du G5 Sahel investissent de 18 à 32 % de leur budget national environ dans la sécurité, ces derniers font face à un manque d’équipements lourds et de logistique opérationnelle à la hauteur de la mobilité des groupes terroristes et de l’intensité des combats.

Des foyers de tensions à contrôler

En République centrafricaine, l’Accord politique pour la paix et la réconciliation, signé en février 2019, non seulement tarde à être appliqué effectivement, mais se heurte à plusieurs défis parmi lesquels le désarmement des groupes armés et la maîtrise du trafic d’armes. Plus de 14 milices armées conservent encore une réelle capacité de nuisance sur 12 des 16 provinces que compte le pays. L’efficacité des opérations de maintien de la paix conduites par les Nations Unies reste pour l’heure mitigée. La situation sécuritaire actuelle, selon certains observateurs, présente les symptômes d’un probable essoufflement politique.

En République du Congo, même si certains rebelles ont déposé les armes, le département du Pool fait face à de vives tensions entre le gouvernement et un groupe d’insurgés (ex-Ninjas) commandé par Frédéric Bintsamou alias « Pasteur Ntumi », qui conteste la légitimité du président congolais. Les affrontements entre les forces armées congolaises et les ex-Ninjas ont poussé une partie de la population du Pool à l’exode. Plusieurs villages se sont vidés de leurs habitants et les combats auraient déjà causé la mort d’environ 100 personnes.

Les menaces sécuritaires au Cameroun demeurent importantes [voir p. 80]. Depuis 2016, la crise dans les régions anglophones a enregistré près de 2000 victimes. Ce sont environ 600 000 personnes qui ont dû fuir leur localité de résidence. Près de 530 000 d’entre eux ont migré vers d’autres villes à l’intérieur du pays, et 70 000 ont dû s’installer au Nigéria voisin. Environ 40 écoles ont été incendiées, des marchés et des habitations dans certains villages ont été complètement détruits. Malgré une mobilisation nationale et internationale qui a permis de collecter près de 13 milliards de francs CFA en 2018, les besoins pour garantir le retour et la réinsertion sociale et professionnelle sont loin d’être comblés. Au Nord, Boko Haram, bien qu’affaibli, conserve une réelle capacité de nuisance.

Au Soudan du Sud, des avancées importantes ont été enregistrées dans le processus de réconciliation nationale. Les dirigeants de l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud soutiennent l’appel du président Salva Kiir en faveur de la formation d’un gouvernement d’union nationale de transition. La formation de ce gouvernement d’union nationale entre dans le cadre des résolutions découlant de l’accord de paix du 12 septembre 2018, accord signé entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar. Même si les principaux acteurs politiques du pays semblent s’accorder sur la fin des affrontements entre l’armée gouvernementale et les groupes rebelles, le défi de la maîtrise de ces groupes et leur désarmement définitif restent une équation à plusieurs inconnues et donc difficile à résoudre dans un contexte de porosité des frontières. Par ailleurs, le processus de paix au Soudan et la gestion de la transition politique seront déterminants pour la paix dans les deux Soudans.

Au-delà de la menace terroriste qui plane toujours sur le pays, la Somalie doit réussir le pari de la coopération entre le gouvernement central et les États membres de la Fédération [voir p. 76]. Dans un tel contexte, la guerre contre le groupe extrémiste Al-Shabaab ne pourra être menée efficacement. Le Kenya et l’Éthiopie ne sont pas à l’abri des menaces sécuritaires qui pèsent sur l’échiquier géopolitique régional. Le gouvernement éthiopien est d’ailleurs sur le point de mettre en place une nouvelle stratégie nationale de prévention du crime afin d’améliorer le système de justice pénale. Cette stratégie vise principalement à prévenir les crimes en identifiant leurs typologies et leurs causes, en éliminant les conditions favorables aux activités criminelles et en mettant en place des mécanismes pour les éviter. Une stratégie préventive qui pourrait inspirer les pays du continent, de la Libye au Kenya et de la Mauritanie à la République démocratique du Congo, en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Nigéria.


Légende de la photo en vedette: Le 24 février 2019, au Burkina Faso, des soldats mauritaniens participent à l’exercice « Flintlock 2019 ». Organisé par l’armée américaine, cet exercice militaire annuel a réuni 33 pays, dont 16 africains, pour aider les forces de la région à faire face au terrorisme. (© US Army/Steven Lewis)



 

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