LIVRES / QUESTIONS DE LANGUE(S) ET D’IDENTITÉ(S) !

     par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                 Livres

Penser les langues en Algérie. Essai de Abderrezak Dourari. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 265 pages, 1000 dinars

L’auteur a beaucoup écrit sur le sujet. Cette fois-ci, il fait l’inventaire de tous les malentendus qui ont freiné l’épanouissement culturel de la nation algérienne et même renforcé la dimension crisogène.

A travers, entre autres, son analyse des langues (du punique à l’arabe, du tamazight au maghribi en passant par le français et l’anglais), il révèle tout ce que les débats d’apparence linguistiques peuvent véhiculer comme enjeux en relation avec la pérennité et la prospérité d’une nation. Il alerte aussi sur les périls dont l’idéologisation des langues peut être la cause.

Philosophie, linguistique, sociologie, analyse du discours parcourent la démarche de l’auteur qui invite à une meilleure prise en charge scientifique des controverses… plaidant en faveur de l’algérianité, sorte de «tiers-espace citoyen» de cohabitation solidaire de toutes les cultures et identités algériennes. Pas facile à réaliser dans une situation de sociétés qui certes avancent mais de pouvoirs politiques pour la plupart et souvent illégitimes, figés dans des positions désincarnées… Voilà qui favorise l’émergence de concepts comme «Etat contre la nation» (Bourhan Ghalioun) ou «Etat contre la société» (Abderrezak Dourari)… débouchant, hélas, sur des attitudes ralentissant ou ne permettant aucunement l’ouverture des sociétés sur un avenir démocratique, citoyen et pluriel. Pire encore ! on se surprend, plusieurs décennies après l’indépendance, à discuter des mêmes questions, fondamentales certes, mais avec les mêmes concepts éculés et expressions apologétiques et les mêmes accents. Un temps qui s’est figé ?

L’Auteur : Professeur des sciences du langage et de traductologie. Directeur du Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’enseignement de Tamazight (Cnplet). Auteur de plusieurs ouvrages.

Table des matières : Avant-propos/ Introduction/ La normalisation de tamazight comme catalyseur des débats sur l’identité/ Normalisation de tamazight, diversité sociolinguistique et glottopolitique en Algérie/ L’officialisation de tamazight en Algérie : implications sociolinguistiques et politiques/ Les Amazighes et tamazight en Afrique du Nord : quelques repères historiques/ Pluralisme et unité linguistiques en Algérie : une question au concept d’interculturalité/ L’arabe algérien et tamazight : langues maternelles des Algériens dans le marché linguistique/ Du multilinguisme au multiculturalisme et à la nécessaire réorganisation juridique de l’Etat sur la base de la citoyenneté/ Conclusion.

Extraits : «Le peuple algérien est une formation historique complexe certes, mais n’est pas moins, aujourd’hui uni et fortement tendu vers un idéal de modernité, de démocratie et de liberté, qui possède ses propres déterminations nationales opposables aux autres nations, et avec lesquelles il définit ses alliances dans le cadre des principes de modernité, de liberté et d’humanisme» (p 23), «Le rapport à la langue arabe scolaire ne peut être abordé à travers des slogans apologétiques, mais à travers sa confrontation concrète avec les domaines de la science moderne pour l’éprouver et en révéler les lacunes et envisager des solutions d’avenir» (p 26), «A l’indépendance, l’obsession de «fabriquer» un «Algérien nouveau» a légitimé toutes les violences menées par le «parti unique», de «l’Etat unique», de la «nation unique», de la «religion unique», s’exprimant dans une «langue unique» (pp 85-86), «Les différents coups d’Etat postindépendance ont fini par réduire l’Etat à une surenchère d’allégeances à la figure du chef désignée par l’Armée, les institutions à un décorum et l’identité à un carcan déréalisé» (p 87), «La mission de l’école est d’abord la transmission des savoirs scientifiques les plus actualisés, la formation à la raison critique et à l’ouverture de l’esprit sur l’universel, et ne peut être réduite à l’édification identitaire entendue comme un renforcement de l’emprise de la culture traditionnaliste sur les jeunes esprits » (p 192), «Le discours identitaire officiel, imposé et diffusé par les pouvoirs publics depuis l’indépendance comme seul discours autorisé est fondé sur le diptyque «arabe «et «islamique» (…). Ce couple incite à une espèce de haine de soi au Maghreb» (pp 216-217), «Jamais, peut-être, dans l’histoire de l’humanité, un peuple n’a été autant humilié et nié dans son identité comme peuple algérien, qui plus est, par ses élites dirigeantes» (p 225).

Avis : Destiné aux spécialistes mais très utile à tous ceux qui s’intéressent à la question des langues… en Algérie… et au Maghreb (hors Egypte). Surtout ne pas se décourager face au vocabulaire pointu utilisé.

Citations : «L’eau qui stagne génère des têtards, mais la pensée qui stagne génère des reptiles de l’esprit» (p 13), «L’identité, ce n’est pas seulement l’image fantasmée ou proclamée de soi-même, mais bien celle qui résulte d’un rapport dialectique avec celle que l’autre se fait de nous et nous renvoie» (p 70), «Normaliser une langue n’est pas simple. Il ne relève pas non plus des efforts d’un seul individu, soit-il le plus intelligent et le plus dévoué à sa cause (p 108), «Les Algériens semblent percevoir leur identité, aujourd’hui, comme un entrelacs impliquant différentes langues, accents, couleurs et régions, mais ils se reconnaissent tous comme Algériens. C’est une véritable salade de fruits «(p129), «L’identité revendiquée, c’est celle qui gagne» (p 169).

Les mouvements amazighs en Afrique du Nord. Élites, formes d’expression et défis. Sous la directionde Nacer Djabi. Ouvrage collectif. Chihab Editions, Alger 2019, 367 pages, 1 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits)

Cinq pays ciblés par la recherche : Algérie, Maroc, Tunisie, Egypte et Libye et une douzaine d’universitaires chercheurs mobilisés. Une idée née en 2014… à Beyrouth à l’occasion d’une conférence. A la base, selon le coordinateur du projet, «la découverte (non surprenante) que les intellectuels du Moyen-Orient (présents ce jour-là) ne connaissaient presque rien sur la question». A qui la faute ? Nous «qui n’avons rien écrit dessus». Un reproche sévère, me semble-t-il… Peut-être fallait-il ajouter, «rien écrit en arabe» (…)

Postulats de départ :

Ne pas partir d’une lecture ethnique ou raciale de la question amazighe et favoriser une approche socio-démographique, les sociétés étudiées ayant connu un brassage culturel et un métissage certain.

La revendication amazighe diffère d’un pays à un autre selon l’histoire nationale particulière de chaque pays, selon l’émergence (ou pas) d’une élite politique, selon la démographie, selon la répartition géographique (la réalité amazighe étant très diffuse concernant aussi bien des montagnards que des oasiens que des habitants du désert que des îliens… et, aujourd’hui, des citadins… dont des émigrés), selon le dynamisme de chaque communauté:

Des confirmations : Précocité de la revendication en Algérie (Kabylie) puis au Maroc, en comparaison du retard constaté dans les autres pays… dégâts de la folklorisation du fait amazigh, poussée par des finalités purement touristiques et mercantiles (cas de la Tunisie et de l’Egypte).

Une dimension (nouvelle) éludée (car nouvelle), celle de la graphie (Tifinagh, Arabe, Latine) à choisir pour la transcription de tamazight ; faisant actuellement l’objet de débat (passionné, cela va de soi !)… Et attendant son dénouement, ce qui facilitera la diffusion de tamazight dans les médias et son incorporation au sein du système éducatif (….)

Les Auteurs : Nacer Djabi (coordinateur), Noureddine Harami (décédé avant la publication de l’ouvrage), Khalid Mouna, Idris Ben El Arbi, Dida Badi, Nouh Abdallah, Samir Larabi, Mohamed Kerrou, Asma Nouira, Houaida Ben Khater, Bilal Abdallah, Hany El-Assar… et Sarah Haidar pour la traduction (…)

Avis : Du sérieux, du lourd, de l’utile et du nécessaire (pour les étudiants et les chercheurs… et les journalistes intéressés par la question… ainsi que pour les «influenceurs» ; ce qui leur éviterait de raconter n’importe quoi sur la question).

Extraits : «Les années 1960 ont vu apparaître (au Maroc) le mot amazigh/homme libre, et le rejet du terme «berbère», perçu comme péjoratif. Cependant, toute critique du choix de l’arabisation faite par l’Etat était réprimée et considérée comme une atteinte à la cohésion de la nation, car synonyme de division coloniale entre Arabes et Berbères» (p 27), «L’élément «amazigh» est déclaré par la Constitution (marocaine) de 2011 «composante fondamentale» de la nation. Le berbère est déclaré langue officielle du pays» (p 35), «La Kabylie fut et reste le fer de lance de la revendication amazighe en tant que caractéristique politique propre grâce notamment à ses élites fortes et intégrées dans l’Etat national» (p 88), «Si la Kabylie était et est toujours à l’avant-garde du Mouvement amazigh , comparée aux autres régions berbères en Algérie et au Maghreb, c’est dû principalement à son parcours socio-historique» (p 173), «La question amazighe émerge en Tunisie au lendemain de la «révolution de la dignité» qui entraîna, le 14 janvier 2011, la chute du régime autoritaire de Ben Ali» (p 187).

Citations : «Le Hirak a fondé une nouvelle culture politique, autonome mais surtout il abrite un véritable débat audacieux sur la question de la démocratie au Maroc» (Driss Benlarbi, Harrani Noureddine et Khalid Mouna/Université Moulay Ismail, p 61), «Contrairement à ce que prétend le discours du courant autonomiste et indépendantiste, l’élite politique kabyle est l’une des plus intégrées au pouvoir depuis l’apparition du mouvement national, durant la révolution et après la naissance de l’Etat national» (Dida Badi, Nouh Abdallah, Samir Larabi, p 154), «L’amazighité est fondamentalement un fait d’histoire et de culture, plus qu’un fait ethnique et démographique» (Asma Nouira, Houaida Ben Khater, Mohamed Kerrou, p 194).


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