Le quinoa, la pseudo-céréale : Des pays des Andes aux oasis algériennes

  par Mohamed Khiati*

  Le quinoa (Chenopodium Quinoa)! Vous n’y êtes pas ? C’est une plante à l’apparence d’une « pseudo-céréale », car ne faisant pas partie de la famille des graminées, comme le blé, le riz ou le maïs, mais à celle des chénopodiacées, comme la betterave ou les épinards. On le reconnaît surtout par ces graines qui ressemblent à celles du millet, consommées entières ou sous forme de farine, de flocons ou de graines soufflées. Ses feuilles sont aussi consommables.

-De l’histoire du quinoaHistoriquement domestiquée en Amérique du Sud, aux confins du Pérou et de la Bolivie il y aurait 70 siècles, le quinoa est une culture traditionnelle qui fait partie de l’alimentation de base des peuples Quechuas et Aymaras des hauts plateaux andins, mais aussi des populations du littoral chilien. L’Altiplano, situé au cœur de la cordillère des Andes, en est le berceau de telle sorte que presque 90 % du Quinoa mondial vient de ces pays. Si le Pérou et la Bolivie sont les deux premiers producteurs mondiaux de quinoa, des essais de cultures à rendements élevés sont en cours de réalisation un peu partout dans le monde, du Kenya, à l’Himalaya, en passant par l’Inde. La plante est introduite ces dernières années, Algérie. Elle est au stade d’expérimentation, en attendant, pourquoi pas, la généralisation.

Auparavant, le quinoa était une culture importante pour l’Empire Inca. Ils s’y sont référés comme étant la «mère de tous les grains» et le croyaient sacré. Il a été consommé depuis des milliers d’années en Amérique du Sud, bien qu’il ne devienne à la mode et aurait atteint «le statut de super aliment» que depuis quelques années.

-Des vertus du quinoa

Le quinoa est composé à 70% de glucides, 15% de protéines et peu de lipides il contient davantage de protéines que les céréales et surtout il contient tous les acides aminés essentiels (AAE) qui font en partie défaut à ces dernières. Sa réputation est essentiellement due à ses grandes qualités nutritionnelles. Riche en protéines, minéraux essentiels, lipides, antioxydants et vitamines, équilibrée en acides aminés et sans gluten, elle permet de couvrir une bonne partie de nos besoins nutritionnels. Le quinoa est l’un des aliments sains les plus populaires au monde. Le quinoa est sans gluten, riche en protéines et l’un des rares aliments végétaux qui contiennent les neuf acides aminés essentiels. Il est également riche en fibres, magnésium, vitamines B, fer, potassium, calcium, phosphore, vitamine E et divers antioxydants bénéfiques. Il est par ailleurs recommandé dans le cadre d’une alimentation végétarienne.

Les personnes intolérantes au gluten peuvent donc en consommer et ainsi remplacer les blés notamment les blés tendres. Le quinoa constitue un apport en fibres non négligeable ce qui permet de le considérer comme un aliment de prévention des maladies cardio-vasculaires. Il normalise les taux de glucose, d’insuline et de cholestérol. C’est un aliment riche en fer non hermétique. Il s’agit donc d’une bonne façon d’inclure plus de fer dans l’alimentation, spécialement pour les gens souffrant d’anémie. Il est à noter que le fer contenu dans les aliments d’origine végétal est moins bien absorbé par l’organisme, comparativement au fer contenu dans la viande.

De plus, pour une meilleure absorption du fer non hermétique, il est préférable de consommer soit au même repas, soit une heure avant ou après le repas, des aliments contenant de la vitamine C (agrumes, fraises, kiwis, poivron, chou).Il est toutefois important de noter qu’il est déconseillé aux enfants de moins de deux ans car il contient de la saponine.

Photo ITDAS / Parcelle de quinoa

– De la botanique et de l’agrotechnie du quinoa

Le quinoa, Chenopodium quinoa, appartient à la famille des Chénopodiacées. C’est une espèce herbacée annuelle de 60 cm à 2 m de haut, très rustique, capable de pousser de 0 à 4 200 mètres d’altitude, dans des conditions extrêmement rudes (sols pauvres, vent, sécheresse, gelées…). Les couleurs des plants de quinoa, dont les tiges, les feuilles et les fleurs peuvent être vertes, oranges, roses ou rouges, tachetées ou non, témoignent de cette diversité. On distingue surtout deux grandes familles de quinoa : le quinoa amer (amargua) et le quinoa doux (dulce). Le premier, traditionnellement cultivé dans les Andes depuis plus de 5 000 ans, nécessite le lavage et la scarification des grains à cause de la teneur en saponine de l’enveloppe, amère et légèrement toxique. Il s’agit de la variété majoritairement exportée en Occident par le biais du commerce équitable, et déjà lavée. La deuxième, issue de sélections de variétés plus récentes, contient peu ou pas de saponine. La culture du quinoa peut se faire dans des climats très variés, aussi bien près de la mer qu’en montagne, à des températures allant de -10 à plus 40 °C. La plante résiste à la sécheresse, ce qui en fait un aliment d’avenir pour combattre la faim dans le monde. Rappelons qu’une personne sur huit souffre de malnutrition. Le quinoa est une culture qui valorise bien la fertilisation organique. elle est positionnée en tête de rotation.

Le quinoa a une racine pivotante, mais ne supporte pas les sols compactés et hydromorphes. Son pivot n’est pas puissant comme par exemple celui du colza. Cela exige que la préparation du sol doit être fine et soignée, car les graines sont petites. Après les faux semis, le quinoa sera semé dès que les températures nocturnes ne seront plus inférieures à 5 °C, c’est-à-dire début mai. Le semis des graines peut être réalisé avec un semoir à céréale classique (10 à 15 cm d’interligne) ou bien semé de 17 à 25 cm. Le semis, avec un interligne de 17 à 25 cm, permettra de biner la culture jusqu’à la fermeture des lignes. Sinon, la herse étrille ou la houe rotative peuvent être utilisées à 6 feuilles, si c’est nécessaire. Dans le premier cas, le désherbage sera réalisé à la herse étrille et/ou à la houe rotative dès le stade 6 feuilles (plante bien enracinée). Dans le second cas, il sera possible d’utiliser aussi une bineuse. Il sera semé à une densité de 8 à 10 kg/ha et à 1 ou 2 cm de profondeur. Si les conditions de levée sont bonnes, il pourra lever en 4-5 jours.

Semé dans son aire de prédilection, en mars ou avril, au soleil, le quinoa fleurit en juin-juillet et les graines se récoltent en août-septembre. Les feuilles sont ovales ou triangulaires et les fleurs, insignifiantes seules, mais spectaculaires groupées en très denses panicules de diverses couleurs, s’épanouissent en début d’été. En fertilisation, le quinoa répond bien à la fumure. La fertilisation azotée peut aller jusqu’à 140 u/ha, 100 u de P et 200 u de K, mais, il faut bien tenir compte de l’apport par les engrais de ferme. Pour le désherbage étant donné qu’il est de la même famille que le chénopode, il est souvent difficile à maîtriser. La première chose à faire est de réaliser des faux semis, en diminuant chaque fois bien la profondeur de travail du sol, pour ne pas remonter des graines non germées dans le lit de germination.

La culture est également sujette aux maladies et aux ravageurs. Les principales maladies sont le mildiou et l’oïdium. Pour les ravageurs, bien surveiller les limaces à la levée et aux attaques de pucerons et de punaises.

Quant à la récolte, elle est réalisée dans le courant du mois de septembre. Il y a deux techniques possibles : soit la plante est bien sèche, alors la parcelle sera moissonnée de manière classique. Soit la plante est encore un peu verte et proche de la maturité, la parcelle sera d’abord fauchée avec une table faucheuse/andaineuse. Lorsque l’andain est sec, il sera repris avec une moissonneuse munie d’un tapis (batteuse à graminée). Le quinoa peut vite germer sur pied. Si la saison est pluvieuse, cette technique de récolte accélérera le dessèchement de la plante. Une fois récolté, il faudra sécher la graine rapidement (<14 % d’humidité). Un triage sera nécessaire pour la suite des opérations de conditionnement et de transformation.

– Importance économique

Sur le plan économique, la plupart du quinoa (92% de la production mondiale) est produite en Bolivie et au Pérou. Ainsi, les superficies cultivées en quinoa sont en croissance continue, passant de 36 000 ha à 83 000 ha, en 30 ans. La demande excessive sur ce produit et son prix de vente qui ne cesse d’augmenter font de la Bolivie le pays exportateur numéro un du quinoa dans le monde. L’Europe avec les Etats-Unis demeurent les plus grands consommateurs de ce produit. Leur engouement pour le quinoa est lié aux vertus nutritionnelles de ses graines, car riches en protéines et exemptes de gluten, mais aussi à son histoire, son mode de production presque exclusivement bio et son commerce souvent labellisé.

En France, le quinoa est vendu comme un produit de luxe dans les étagères des grandes surfaces et à des prix considérés comme élevés allant jusqu’à 12 euros le kilo. Actuellement, on peut trouver le quinoa et les produits fabriqués avec partout dans le monde, en particulier dans les magasins et les restaurants qui mettent l’accent sur les aliments naturels. Il en existe trois principaux types : blanc, rouge et noir.

Autrefois réservé à un marché de niche, le quinoa est depuis plusieurs années vendu en grande distribution comme les pâtes ou le riz. La graine de quinoa est vendue en paquets comme les pâtes, le boulgour ou le riz. On la trouve aussi sous forme de flocons, réduite en farine ou soufflée. Hors situations particulières (régimes végétariens, maladie cœliaque…), elle n’est pas indispensable à l’alimentation mais permet de diminuer sa consommation de viande, de profiter de ses qualités nutritionnelles et de varier ses menus. En 2013, c’est l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui l’a mis en exergue en déclarant 2013, comme «Année internationale du quinoa» et un Congrès mondial lui a été consacré, tenu en Equateur, en juillet 2013.

En partie mécanisée aujourd’hui, l’essentiel de la production de quinoa répond aux critères de l’agriculture biologique. Elle a été multipliée par cinq depuis les années 1970. Le boom des exportations de quinoa a toutefois fait craindre des effets négatifs au niveau local, sur les milieux naturels ou la consommation des populations andines qui ne pourraient plus couvrir leurs propres besoins.

La demande actuelle a l’avantage de maintenir le prix du quinoa à un niveau compatible avec une économie solidaire. Jusqu’à présent, la Bolivie parvient à satisfaire la demande en fournissant, selon les années, jusqu’à 90% des marchés extérieurs. Cependant, les qualités nutritives de la «graine d’or» ont incité d’autres pays à s’y intéresser avant même qu’elle ne soit promue par l’ONU. Sa culture s’est propagée en Amérique du Sud et, depuis quelques années, elle est expérimentée sur tous les continents (Amérique du Nord, Asie, Australie, Europe et Afrique…).

Photo : Utilisation du quinoa dans la gastronomie.

– Expériences du Quinoa, en Algérie

Les Nations Unies ont décrété l’année 2013 comme «année internationale du Quinoa», rendant ainsi hommage à une culture originaire des Andes, fruit d’un savoir-faire ancestral et cultivée en harmonie avec la nature. Cette année était donc l’occasion d’attirer l’attention du monde entier sur le potentiel du quinoa dans l’éradication de la pauvreté et de la malnutrition. Cette plante constitue un sujet d’études pour les chercheurs depuis plus de 20 ans. Ces recherches portent sur ses capacités d’adaptation à des environnements extrêmes et à travers des programmes, sur les conditions nécessaires à une agriculture durable du quinoa.

En 2013, profitant de ces atouts pour valoriser les zones marginales, diversifier les cultures vivrières stratégiques, l’Algérie parmi sept autres pays de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient, avec l’aide financière et l’assistance technique de la FAO, s’est mise de la partie, pour la concrétisation d’un projet régional sur la culture du quinoa.

Ce projet fut intitulé «Assistance technique pour le renforcement du système alimentaire associé au quinoa en Algérie, Egypte, Iraq, Iran, Liban, Mauritanie, Soudan et au Yémen» dont l’objectif est d’évaluer dans quelle mesure cette culture non traditionnelle pourrait être adoptée par les producteurs et acceptée par les consommateurs.

Dès lors, un projet a été initié en vue d’entrevoir l’introduction du quinoa en Algérie ayant débuté par l’organisation d’un atelier, à Alger pour s’enquérir des informations sur le mode de culture de cette plante, ses caractéristiques spécifiques et réceptionner des semences pour assurer la plantation. Aussi, de nombreux instituts de recherche-développement sous tutelle du ministère de l’agriculture y ont été impliqués et des sites ont été choisis au niveau des différentes régions agro-écologiques, pour l’implémentation des essais.

Aussi on procède à l’expérimentation des dates de semis arrêtées en automne 2014 et printemps 2015. En automne 2014, 11 variétés ont été testées. Sur les sept sites retenus et mis en place, trois sites ont réussis l’expérimentation, en raison des rudes conditions climatiques hivernales (froid). Les essais du nord ont tous été compromis (Sétif, Tiaret, Relizane et Baïnem). Les essais mis en place au Sud ont tous réussi (Biskra, El Arfiane et Adrar). Les rendements variaient de 10 à 26.2 q/ha. Au printemps 2015, des essais ont été mis en place au niveau de deux sites : Guelma et Relizane, les rendements obtenus dans ces sites d’expérimentation oscillaient entre 3.6 et 35.6 q/ha

Photo ITDAS / Essai expérimental

Une année plus tard, soit en 2016, l’Institut Technique de Développement de l’Agriculture Saharienne (ITDAS), avec la collaboration de la FAO ont entrepris les activités d’un projet sur la multiplication du quinoa et ce, suite aux résultats encourageants, obtenus durant la première phase du projet portant «Assistance technique pour la mise en place de quinoa et de la production en Algérie dont le but est d’élargir le spectre des activités relatives à la culture en Algérie.

Les activités du projet ont porté sur 1), les dates de semis dans deux fermes relevant de l’ITDAS, à Biskra et Ouargla, en vue de déterminer la meilleure date de semis pour l’amélioration des conditions de récolte avec la variété (Gizal, 2), la mise en œuvre des champs de multiplication de semences (03 variétés) dans deux fermes de production de semences de l’Institut dont l’objectif la constitution d’un stock de semences avec des variétés sélectionnées (Giza1, Q18 et Q29) et l’activité 3, portant essai de l’adaptation et performances dans différents climats pour cinq (05) variétés de Quinoa dans deux sites relevant de l’INRAA et INRF. Le but était d’identifier les variétés les plus adaptées aux différentes régions. Variétés sélectionnées : Giza1, Santa maria-Sajama-Q18-Q29 Et puis on procéda à la Sensibilisation des agriculteurs à la culture du quinoa dans les wilayas de Biskra, Ouargla et El Oued pour introduire la culture en milieu d’agriculteur. Des essais ont été par ailleurs effectués dans les stations de l’INRAA, à Adrar et de l’INRF (Station d’Aïn Skhouna, à Saïda) pour l’essai sur la performance et l’adaptation de certaines variétés du quinoa.

Photo ITDAS

Aujourd’hui, suite aux travaux d’expérimentation dans les stations de certains instituts de recherche/développement et le processus de vulgarisation qui s’en est suivi, les rendements obtenus au niveau des stations de l’ITDAS sont variables entre 10 et 26 quintaux à l’hectare et peuvent atteindre jusqu’à 30 quintaux au moment où nombre d’agriculteurs se sont engagés à la production du Quinoa sur certaines parcelles néanmoins réduites, tant à Biskra qu’à El Oued. Enfin, en voilà alors une plante pseudo-céréale qui pourrait redonner le sourire aux agriculteurs et aux exploitants agricoles en général, pourvu qu’ils y consacrent un peu d’efforts et de terre. Son taux de rentabilité est excellent, tant au plan économique que social, affirment les études, à l’échelle mondiale. Des pays on bâti leur économie agricole sur des plantes du terroir et des plantes introduites.

Le quinoa pourrait faire partie de la sphère de la diversification de l’économie rurale et participer pleinement aux revenus à l’échelle de l’agriculture familiale. En définitive, la pseudo-céréale pourrait être une véritable céréale si l’on tient à réussir pleinement sa culture.


*Agronome post-universitaire.


Abréviations

INRAA : Institut National de Recherche Agronomique d’Algérie.

INRF : Institut National de Recherche Forestière.

FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture


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