R.D.Congo : mort de l’ambassadeur d’Italie, Kinshasa condamne une « attaque terroriste »

L’ambassadeur d’Italie en République démocratique du Congo, Luca Attanasio, a été tué lundi 22 février dans l’Est du pays dans une embuscade attribuée à des rebelles hutus rwandais, une attaque qualifiée de « terroriste » par le président congolais.
Une équipe médicale près du véhicule de l’ambassadeur d’Italie au Congo, tué par lors d’une embuscade, le 22 février à Kiboumba.    Photo : AFP/VNA/CVN

Luca Attanasio, 43 ans, « est décédé à la suite de ses blessures » par balles après avoir été transporté « dans un état critique » en milieu de journée dans un hôpital des Nations unies à Goma, a indiqué un diplomate de haut rang à Kinshasa.

Au moment de l’attaque, il circulait à bord d’un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM) dans la province du Nord-Kivu, considérée comme l’une des zones les plus dangereuses du Congo, à la lisière du Parc national des Virunga.

Deux autres personnes sont mortes dans l’attaque : le chauffeur congolais du PAM et le garde du corps italien de l’ambassadeur, selon des sources congolaises et italiennes.

Sous le regard choqué de plusieurs dizaines d’habitants, des Casques bleus et des soldats de l’armée congolaise se sont déployés en nombre le long de la route entre Goma et Kibumba, là ou a eu lieu l’attaque pour sécuriser les lieux et lancer la traque des assaillants.

Le véhicule blanc du PAM qui transportait l’ambassadeur était garé sur le bas côté de la route, avec des vitres brisées par les tirs des agresseurs, non loin de collines verdoyantes.

Des Casques bleus ont récupéré la dépouille du garde du corps, a constaté une équipe de l’AFP.

Dans un message lu en soirée par son porte-parole à la télevision nationale, le président congolais Félix Tshisekedi a condamné « avec la plus grande fermeté cette attaque terroriste ».

Le ministère congolais de l’Intérieur a accusé auparavant les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) d’être à l’origine de l’attaque meurtrière du convoi.

Les FDLR sont l’un des nombreux redoutables groupes armés qui menacent au quotidien les civils dans l’Est de la RDC. Les FDRL ont été créés au début des années 2000 par des rebelles hutus rwandais. Certains d’entre eux ont participé au génocide des Tutsis en avril-juillet 1994 au Rwanda voisin, avant de se réfugier dans l’Est de la RDC, déstabilisant durablement la région.

Quatre personnes ont été kidnappées lors de l’attaque contre le convoi de l’ambassadeur italien, dont l’une « a été retrouvée » par des soldats congolais, selon le ministère congolais de l’Intérieur.

L’attaque, selon le PAM, a également fait plusieurs blessés.

Une « attaque lâche »

Avant d’être prises pour cible, les victimes circulaient dans deux véhicules du PAM, sans escorte de la Monusco, a indiqué une source de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).

Photo non datée fournie par le ministère italien des Affaires étrangères de l’ambassadeur italien en RDC, Luca Attanasio. Photo : AFP/VNA/CVN

 Les services de sécurité et les autorités provinciales n’ont pu ni assurer des mesures de sécurisation particulière du convoi, ni leur venir en aide faute d’informations sur leur présence dans cette partie du pays pourtant réputée instable », a déclaré le ministère congolais de l’Intérieur.

Le président Tshisekedi a demandé une enquête pour que les auteurs de l’attaque soient « identifiés et traduits devant la justice ». Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a aussi demandé à la RDC « d’enquêter avec diligence » sur cette attaque.

Le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio, qui se trouvait à Bruxelles pour une réunion avec ses homologues européens, a annoncé son retour anticipé à Rome. Le président italien Sergio Mattarella a dénoncé une « attaque lâche ».

Le président du Conseil européen Charles Michel s’est déclaré « choqué » par « les vies perdues ». « L’UE restera aux côtés de la RDC et sa population » pour la « sécurité et la paix », a-t-il ajouté.

Luca Attanasio était ambassadeur en RDC depuis octobre 2019, après être arrivé dans le pays deux ans plus tôt en tant que chef de mission, selon sa biographie officielle. Marié et père de trois petites filles, il était l’un des plus jeunes ambassadeurs italiens, selon la presse italienne.

À Kinshasa, un habitant, Aristote Ibosso, confie qu’il « regrette beaucoup la disparition » de M. Attanasio. « Il était très charitable , j’ai même souvenir d’une montre qu’il m’a offert », a-t-il dit.

Groupes armés

L’attaque contre le convoi du PAM a eu lieu au village de Kibumba en territoire de Nyiaragongo.

À proximité, se trouvent les fiefs de la rébellion hutu rwandaise FDLR et des milices hutu congolaises Nyatura. Des rebelles congolais du M-23 sont également localisés dans la zone, selon un expert du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST).

Le village se trouve en bordure du Parc national des Virunga dont 200 rangers ont été tués depuis la création du parc en 1925.

La dernière attaque en date remonte à début janvier, quand six rangers ont été tués dans ce parc, célèbre notamment pour ses gorilles.

Les groupes armés affirment défendre leur communauté mais se disputent souvent les ressources d’une région riche en minerais et en bois.

Luca Attanasio est le deuxième ambassadeur européen en fonction mort par balles en RDC, après le Français Philippe Bernard, tué le 28 janvier 1993 lors d’émeutes qui avaient conduit à des pillages à Kinshasa, sous le règne de l’ex-président Mobutu Sese Seko.

« La France condamne avec la plus grande fermeté » l’attaque et « se tient aux côtés de l’Italie dans cette épreuve », a indiqué le quai d’Orsay. « Les responsables de cette attaque devront être identifiés et répondre de leurs actes ».

AFP/VNA/CVN


Mort de Luca Attanasio, ambassadeur italien en RDC : la communauté internationale prise à son propre jeu

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L’ambassadeur d’Italie en RD Congo Luca Attanasio a été tué dans une embuscade attribuée aux groupes armés au Kivu. Cet assassinat relance le débat sur le rôle de la communauté internationale et des autorités congolaises face à l’insécurité qui perdure dans cette région. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

L’ambassadeur d’Italie en République démocratique du Congo (RDC), Luca Attanasio, 43 ans, ainsi que son garde du corps italien et un chauffeur congolais ont été tués ce lundi 22 février 2021 lorsque des assaillants inconnus ont tenté de les kidnapper dans l’une des régions les plus dangereuses du Congo située à l’est du pays, selon des responsables locaux.

Le ministère italien des Affaires étrangères a publié une brève déclaration confirmant la mort des deux Italiens qui circulaient à bord d’un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM). Selon cette agence des Nations unies, la délégation était en route pour visiter un programme d’alimentation scolaire à Rutshuru. Elle a indiqué que la route avait été préalablement dégagée pour permettre de voyager sans escorte de sécurité.

Des photos publiées sur les médias sociaux par des journalistes locaux montrent un véhicule endommagé appartenant au PAM et le diplomate italien blessé gisant dans un camion du parc national des Virunga tout proche. Le gouverneur de la province du Nord-Kivu, où l’attaque a eu lieu, a déclaré à l’agence Reuters que les assaillants avaient arrêté le convoi en tirant des coups de semonce, puis avaient tué le chauffeur Mustapha Milambo et tenté de conduire les Italiens dans la forêt adjacente. Les gardes forestiers, qui patrouillaient dans les environs, sont alors intervenus et ont ouvert le feu. Les deux Italiens ont été grièvement blessés dans la mêlée qui a suivi. Transporté dans un état critique en milieu de journée dans un hôpital de l’ONU à Goma, Luca Attanasio est décédé des suites de ses blessures. Il était responsable de la mission italienne au Congo depuis 2017 et avait été nommé ambassadeur en 2019. Il laisse derrière lui une épouse et trois jeunes filles. Son garde a été identifié comme étant Vittorio Iacovacci, 30 ans.

La mort du diplomate italien a non seulement choqué la communauté internationale, mais elle interroge aussi et surtout sur le rôle des acteurs congolais et étrangers impliqués dans le processus de stabilisation en RD Congo.

Le paradis des groupes armés

L’est du Congo (RDC), notamment la région du Grand-Kivu, est connu aussi bien pour ses plaines de lave et ses collines verdoyantes que pour ses minerais stratégiques rares tels que le coltan, la cassitérite ou encore le niobium dont regorge son sous-sol. C’est également un territoire qui a la triste réputation d’avoir abrité les conflits armés successifs auxquels le pays a été confronté ces dernières années. Près de quinze ans après la fin officielle de la guerre et sept ans après la défaite du dernier groupe rebelle majeur, en l’occurrence le M23, soutenu par le Rwanda et dans une certaine mesure l’Ouganda, la zone a retrouvé une relative accalmie.

Pour autant, une partie du Kivu reste gangrenée par des dizaines de groupes armés et de milices qui font régner la loi de la terreur. Les plus connus sont sans aucun doute les ADF ougandais et surtout les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), accusés d’avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda. Dans leur sillage, des groupes armés étrangers (notamment les rebelles burundais du RED-Tabara, des FNL et du Forebu) opèrent dans les plateaux d’Uvira, dans la province du Sud-Kivu, frontalière du Burundi, ainsi que des groupes d’autodéfense congolais appelés Maï-Maï.

La présence de tous ces groupes et milices armés a fait de la région une zone de tensions permanentes. Au fil des ans, celle-ci est devenue un espace de conflit entre groupuscules, mais aussi entre pays voisins qui s’affrontent par factions armées interposées. Au cœur de ces crises interminables: le contrôle de la terre et des ressources naturelles de la région.

Le berceau de l’horreur et de la souffrance

En 2020, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) a documenté près de 8.000 violations et atteintes aux droits de l’Homme en RDC, ce qui représente une moyenne de 659 violations par mois. Ces chiffres sont en hausse de l’ordre de 21% par rapport à 2019. Selon le BCNUDH, cette progression résulte de la détérioration de la situation sécuritaire au Nord et au Sud-Kivu ainsi qu’en Ituri, où l’institution a enregistré l’écrasante majorité (93%) des violations et atteintes au cours de l’année écoulée. Au moins 2.945 civils ont été tués, dont 553 femmes et 286 enfants.

Des chiffres qui s’ajoutent à ceux des dizaines de milliers d’individus tués depuis la fin officielle de la guerre en 2003. La région a également hérité du titre peu enviable de «capitale mondiale du viol». Une agression sexuelle utilisée comme arme de guerre qui est tout aussi dommageable que les balles des milices et des hommes en armes.

Elle détruit non seulement les corps des victimes, mais aussi le tissu social de base des communautés locales tout en alimentant les conflits armés qui sévissent dans la région. Une étude réalisée par des chercheurs américains en 2011 avait conclu qu’environ 400.000 femmes étaient violées chaque année en RDC.

L’étrange attentisme de la communauté internationale et de l’ONU

En dépit des rapports accablants qui se sont succédé sur la situation explosive dans la région du Grand-Kivu et de l’Ituri, rien n’a été fait pour ramener ne fût-ce qu’un semblant de stabilité dans la zone. La communauté internationale a fait le choix d’assister sans vraiment agir, et d’aligner les discours d’indignation sans lendemain. La Mission des Nations unies en RDC (Monusco), dont les moyens n’ont cessé d’être étendus et qui représente la plus importante mission de maintien de la paix dans le monde, a brillé et continue de briller par son incapacité à soulager la souffrance des populations.

Parfois on tue, on pille et on viole sous le nez des Casques bleus. Certains viols collectifs ont même eu lieu à quelques dizaines de mètres de leur campement. C’est à croire que l’ONU est au Congo pour des raisons autres que la protection des civils congolais!

Les citoyens du Grand-Kivu ont de temps en temps exprimé leur ras-le-bol face à cette mission qui ne leur paraît être d’aucune utilité: des installations et autres patrimoines de la mission onusienne ont ainsi fait l’objet d’attaques ciblées de la part de la population.

Les raisons d’une indifférence généralisée

Mais on ne peut comprendre l’indifférence de la communauté internationale sans interroger la nature de l’écosystème dans lequel pullulent les groupes armés. Le Kivu, on l’a dit, a la réputation d’être extrêmement riche en ressources naturelles. La région a toujours été l’objet de toutes sortes de convoitises. Depuis 2001, les différents groupes d’experts des Nations Unies qui ont parcouru le pays n’ont cessé d’établir le lien entre la poursuite des conflits et l’exploitation illicite des ressources naturelles. La longue liste de pays et de firmes multinationales épinglés dans les différents rapports de l’ONU illustre à quel point ont été mondialisés le pillage et l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC. Les Congolais se sont retrouvés malgré eux au cœur d’une bataille pour le contrôle des ressources qui leur était complètement étrangère.

Le premier bénéficiaire de ce circuit économique hautement criminalisé a été et est encore le Rwanda de Paul Kagame et, dans une certaine mesure, l’Ouganda. Les experts de l’ONU ont par exemple décrit dans des termes accablants comment les armées de ces deux pays ont dépouillé l’est du Congo de ses ressources naturelles et érodé constamment l’économie de ce pays en acheminant les richesses pillées vers Kigali et Kampala. Les capitales du Rwanda et de l’Ouganda sont ainsi devenues les centres de commerce de ressources minérales précieuses qui n’existent que très rarement dans l’un ou l’autre de ces pays, mais que l’on retrouve en abondance dans l’est du Congo.

 

Après la fin de la guerre en 2003, le Rwanda a mis en place un système sophistiqué qui lui a permis de maintenir en place le circuit de prédation. Certes, l’armée rwandaise s’était officiellement retirée du Congo en 2002 mais Kigali a continué de tirer profit des activités d’exploitation des ressources naturelles congolaises par l’intermédiaire de ses supplétifs restés sur place. Ces derniers ont mis sur pied des mécanismes générateurs de revenus via de multiples activités criminelles. L’instabilité chronique que cela a généré a provoqué une multiplication des groupes armés à l’est du Congo, faisant du Grand-Kivu l’une des zones les plus instables du continent africain.

Tout le monde profite de la situation: le gouvernement congolais ainsi que les pays de la région, qui instrumentalisent parfois les groupes armés pour des raisons politiques, sécuritaires et économiques; les pays occidentaux, qui ont confié au Rwanda le leadership économique de la région des Grands Lacs au détriment du Congo producteur des richesses. Et les Nations unies ont préféré fermer les yeux. Il y a quelques années, un expert de l’ONU a déclaré au journal Le Monde: «La communauté internationale se montre indulgente car il y a des intérêts économiques à défendre qui sont colossaux, principalement autour des minerais.» C’est dire…

Le retour de la manivelle

En abandonnant le Kivu à son triste sort, en soutenant des régimes qui entretiennent la mort et la désolation dans la région au nom de la realpolitik et des logiques économiques, certains pays de la communauté internationale ont créé les conditions d’une déflagration régionale future. Le seul élément auquel ils n’avaient certainement pensé, c’est que les actes de barbarie qui affectent quasi quotidiennement les hommes, les femmes et les enfants du Congo pouvaient également toucher quiconque s’aventure dans la région. La mort de l’ambassadeur Luca Attanasio vient rappeler la nécessité de ne pas laisser pourrir certaines situations dans certaines régions du globe…

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de son auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction de Sputnik.


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