REVUE DE LA SEMAINE (#RDLS131)​ : Macron-Vidal : le nouvel obscurantisme d’État

Dans ce 131e numéro de la Revue de la semaine, Jean-Luc Mélenchon revient sur deux franchissements de seuil inquiétants dans la vie politique et médiatique de notre pays : le non-débat Darmanin-Le Pen sur France 2 d’une part et les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal sur l’islamogauchisme à l’université.

Sur le premier point, Jean-Luc Mélenchon explique comment le service public de la télévision s’est fait l’agent de communication du gouvernement en mettant en scène un prétendu débat sur l’islam entre Darmanin et Le Pen. Un « débat » dont l’unique objectif était de faire parler de ce sujet alors qu’était étudié à l’Assemblée nationale le projet de loi sur les principes républicains. Et un « débat » dans lequel Gérald Darmanin a pu donner ses points d’accord avec Marine Le Pen et dire qu’elle était plus « molle » que lui sur ce sujet.

Sur le second point, Jean-Luc Mélenchon explique pourquoi les propos de la ministre de l’Enseignement Vidal sur la recherche et l’islamogauchisme sont un franchissement de seuil et une volonté de contrôler la recherche jamais vue auparavant en France. Il explique ce que sont les études de sciences sociales et les quelques points qui suscitent du questionnement ou de la curiosité. Il appelle les universitaires à s’opposer à cette volonté de la macronie de tout contrôler, jusqu’à la recherche elle-même.

***LES LIENS*** L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique : http://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchis…

Voir aussi :

Dans ce 130e numéro de la Revue de la semaine, Jean-Luc Mélenchon revient d’abord sur la volonté de Facebook de diminuer l’impact des publications politiques. Il appelle à s’abonner à sa chaîne YouTube et au réseau social « Action populaire » pour s’assurer de recevoir les informations importantes. Jean-Luc Mélenchon revient ensuite sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, et en particulier sur la question des vaccins. Il explique que le gouvernement n’a écouté aucune des alertes qui avaient été lancées par les insoumis depuis le début de cette crise sur le déconfinement, la 2e vague, le vaccin et enfin les 3e et 4e vagues.

Le député insoumis parle ensuite sur les débats en cours à l’Assemblée sur le projet de loi visant à « renforcer les principes républicains ». Il analyse les incohérences de ceux qui accusent les insoumis un jour d’être les amis des religions et le lendemain d’être des « bouffeurs de curés ». Il défend un point de vue d’équilibre et présente sa vision des choses : protéger la liberté du culte, ne stigmatiser personne pour sa religion, rétablir l’indifférence de l’État vis-à-vis des religions. Il dénonce, aussi, la pente prise par certains d’une stigmatisation permanente des musulmans dans les débats. Enfin, le député insoumis analyse la situation en Amérique latine où le candidat progressiste pourrait l’emporter au premier tour en Equateur. Il explique que cela permettrait de reconstituer un arc de forces progressiste en Amérique latine.

***SOMMAIRE*** 00:00 : Intro 00:10 : Facebook censure la politique 03:48 : Covid-19 : gestion de la crise et vaccins 09:54 : Loi sur le « renforcement des principes républicains » 25:07 : Deux évènements en lien avec la 6e République 26:14 : Elections en Equateur et situation politique en Amérique latine


Lire aussi :

              Vous avez dit islamo-gauchiste ?

                                       par : Akram Belkaïd   

  Dans l’histoire récente des États-Unis, le maccarthysme (1950-1954) représente un moment à part fait de paranoïa anticommuniste, de persécutions systématiques, d’incitation musclée à la délation et d’abus policiers et judiciaires. Orchestrée par le sénateur Joseph McCarthy, la traque des communistes et de leurs sympathisants prit rapidement l’allure d’une chasse aux sorcières où la folie le disputait à l’irrationnel et au grotesque. De cette période, on retient aujourd’hui la violence subie par les mis en cause, l’arbitraire d’une machine devenue incontrôlable, son accumulation de dérapages et son arrêt soudain dès lors que vint à l’esprit dérangé du dit sénateur l’idée d’étendre sa croisade à l’armée américaine…

Dans le contexte actuel français d’obsessions régressives liées à « l’islamo-gauchisme » il y a certainement des parallèles à faire même si on n’en est pas encore parvenu à la gravité de la situation américaine de l’époque. Mais quand la ministre française de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (excusez du peu) déclare qu’elle va demander au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de faire une enquête sur l’influence de l’islamo-gauchisme dans l’université, on se dit que quelque chose de sérieux est en train de dérailler dans une macronie qui flirte ouvertement avec l’extrême-droite. McCarthy, lui aussi, voulait extirper « l’hydre communiste » des établissements scolaires et universitaires américaines et cela se traduisit par des milliers de professeurs révoqués ou de bourses refusées. A quand une enquête sur l’islamo-gauchisme dans les hôpitaux, les écoles primaires ou même les entreprises. Le filon est énorme et il ne demande qu’à être exploité.

Mais, avant d’aller plus loin, relevons l’essentiel. On sait ce que fut – et ce qu’est encore (quoique) le communisme. Ses adversaires n’avaient aucun problème à cerner les contours de cette doctrine quelles que soient ses variantes. Quand McCarthy voulait, selon ses mots, « faire la peau au communisme », on avait une idée de ce dont il parlait. Qu’ensuite, le simple fait de se préoccuper de la santé des plus pauvres ou de réclamer des repas chauds dans les cantines scolaires fut qualifié par le sénateur et ses sbires de communisme est tout autre chose. Bref, on sait ce qu’est le communisme mais qui peut bien nous fournir une définition de ce que serait cet islamo-gauchisme qui menacerait tant la République ?

Si l’on exclut le recours à la dérision pour dénoncer une situation ubuesque, personne ne se revendique de l’islamo-gauchisme (ou alors, c’est pour faire peur à madame Vidal ou pour que Jean-Pierre Elkabach sorte de sa tanière). L’islamo-gauchisme, ce n’est rien de tangible. C’est une notion vide de sens. Ce n’est pas un courant politique, ce n’est pas une idéologie, ce n’est pas un texte ni une doctrine et on serait bien en peine d’en désigner le Marx, l’Engels ou même le Lénine. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce terme, péjoratif, est né à l’extrême droite qui en fait le reflet du tristement célèbre complot judéo-maçonnique. C’est la trouvaille des héritiers de Pétain et de Laval pour étendre le champ de la suspicion ambiante aux non-musulmans. Cela fait des années qu’il est facile de jeter l’opprobre sur un Kamel ou un Boualem en laissant entendre qu’ils cacheraient bien leur jeu, qu’ils pratiqueraient la taqqiya (tout le monde connaît désormais ce terme) et qu’ils ne seraient, en fait, que des islamistes déguisés, toujours prêts à prendre quatre femmes et à refuser les lois de la République.

L’étiquette islamo-gauchiste tombe donc à point pour s’attaquer à celles et ceux qui, sans être musulmans, disent avec courage que l’islamophobie – ou la haine des musulmans puisque certains ne supportent pas ce mot – ne cesse de croître en France et qu’il est urgent de la combattre. On remarquera d’ailleurs que souvent, ce sont les mêmes zélotes de la laïcité qui affirment que le terme « islamophobie » n’est qu’une invention des mollahs iraniens – énorme bêtise qui traduit l’inculture ou la mauvaise foi des concernés – et qui usent et abusent du terme islamo-gauchiste comme s’il désignait une réalité tangible ou un courant doctrinaire réel.

Nous assistons-là à une énième diversion dont le but est de donner libre cours à des pulsions racistes très anciennes pour gommer le réel. En France, la crise du Covid-19 a démontré les faiblesses du système de santé, les errements de sa haute administration, les limites de son industrie (pas de vaccins…) et la pusillanimité de son pouvoir politique. Les hurlements convenus contre l’islamo-gauchisme et le séparatisme entendent faire oublier ces longues files d’étudiants qui n’ont rien à manger et qui s’en remettent à la charité d’organisations non gouvernementales.

Il y a quelques jours, le quotidien Le Monde a publié une enquête fouillée sur le Luxembourg, ce paradis ou « havre » fiscal au cœur même de l’Union européenne. Des milliards d’euros ayant échappé au fisc français y dorment et s’y bonifient en toute tranquillité. On pourrait dire que c’est cela le vrai séparatisme, le fait de se dérober à l’obligation de tout citoyen envers l’État et la République car, qu’est-ce qu’un État s’il n’est pas capable de lever l’impôt en toute justice et équité ? A l’heure des bilans en matière de lits d’hôpitaux supprimés et de coupes claires dans les budgets de santé, c’est cela qui devrait faire débat mais cogner encore et encore sur les musulmans et ceux qui dénoncent l’islamophobie est la plus aisée des stratégies. Mais… attention, à en croire la valetaille macroniste et les médias qui roulent pour Le Pen, il parait qu’affirmer cela serait le signe de l’appartenance à l’islamo-gauchisme. Reste à préciser quelle tendance.


Interdit d’interdire – Quid de «l’islamo-gauchisme» ? Frédéric Taddeï reçoit Sami Biasoni, Julien Talpin, Kaoutar Harchi, et Alain Policar. Avec : – Sami Biasoni, doctorant en philosophie à l’Ecole normale supérieure – Julien Talpin, sociologue, chercheur au CNRS – Kaoutar Harchi, sociologue, chercheure associée au CERLIS Paris-Descartes – Alain Policar, agrégé de sciences sociales, docteur en science politique (IEP de Paris)


    Islamo-gauchisme : entre opportunisme politique et débat scientifique

En demandant une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’université, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal a suscité un tollé dans les rangs des chercheurs et des enseignants et ouvert la boîte de Pandore. Que recouvre ce néologisme polémique, tout à coup légitimé par son usage ministériel ? Un « fait social indubitable » comme l’assure le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ou un « thème complotiste » comme le disent des centaines de chercheurs et enseignants dans une tribune ? La controverse, en tout cas, se déplie et n’en finit pas de faire réagir. Elle pose la question grave des libertés académiques et remet sur la table le sujet de la pertinence des études postcoloniales. Dans les cercles universitaires et dans l’arène politique, on s’accuse maintenant du pire : les uns feraient le lit d’un islamisme conquérant, les autres ouvriraient un boulevard à l’extrême droite.

Avec nous pour en parler, Sylvain Bourmeau, journaliste, fondateur et directeur de la revue « AOC » et Alain Policar, chercheur associé au Cevipof, auteur de “L’inquiétante familiarité de la race – Décolonialisme, intersectionnalité et universalisme” (Le bord de l’eau).

 


    Quand l’islamo-gauchiste François Gèze prodigue des conseils au Hirak algérien

L’islamo-gauchiste François Gèze au micro. DR

Par Abdelkader S. –  A l’heure où, en France, le débat bat son plein sur les affres de l’islamo-gauchisme qui a enraciné l’islamisme et le terrorisme en France, François Gèze s’essaye à une nouvelle intrusion dans le champ politique algérien en prodiguant ses conseils au Hirak. Le scénario se répète : les médias français se braquent à nouveau sur l’Algérie et, concomitamment, Emmanuel Macron prend le combiné pour appeler son homologue algérien qu’il assure de toute son amitié et de son souhait de voir les relations entre les deux pays aller de l’avant.

La visite du Premier ministre Jean-Castex à Alger, flanqué, nous disent des sources informées, de pas moins de huit ministres est parasitée, encore une fois, par des commentaires de médias officiels français qui expliquent aux Algériens que la libération des détenus d’opinion suite à la grâce présidentielle prononcée par Abdelmadjid Tebboune vise à «reprendre la main» dans un «geste tactique» qui n’est ni sincère ni innocent. Parmi les voix qui se sont incrustées pour tenter de saboter toute tentative de compromis en Algérie, le véritable auteur de La Sale Guerre, François Gèze, qui a fait signer cette compilation de fables sur l’armée algérienne au félon illettré Habib Souaïdia.

Invité par France 24, le directeur des éditions La Découverte s’est fourvoyé dans une analyse tirée par les cheveux, réinventant le fil à couper le beurre et faisant une projection – diraient les psychanalystes – sur le Hirak dont il reprend les slogans qu’il amplifie à tous crins, régurgitant, dans un reflux gastro-œsophagien ronflant, sa haine viscérale à l’endroit de l’armée algérienne. François Gèze n’analyse pas – en a-t-il les capacités intellectuelles ? –, il souhaite, et il l’avoue. «Si jamais l’étau de la pandémie se desserre un peu, ce qu’il faut souhaiter bien entendu, il (le Hirak, ndlr) reprendra de façon absolument certaine.» «C’est le peuple qui est du côté des gagnants et pas le régime», décrète-t-il.

L’ami du FIS fait sien le fameux yetna’haw gaâ. «Qu’ils s’en aillent, qu’ils dégagent, toute cette nomenklatura, le vrai pouvoir des militaires et sa façade civile que tous ces gens-là disparaissent !» lance-t-il avec un fanatisme presque religieux. Et de révéler son rêve pour l’Algérie : «Puis l’autre revendication, bien entendu, qui est toujours présente et totalement imprégnante et qui mobilise les gens, c’est qu’il faut que l’Algérie devienne un pays démocratique.»

Ignorant les véritables raisons de l’absence de leaders représentatifs consensuels du mouvement de contestation populaire, ou feignant ne pas les connaître, Gèze «explique» aux téléspectateurs de France 24 – les Algériens ne l’écoutent pas, il ne leur apprend rien – que «la répression essaye de façonner, de faire émerger en quelque sorte des figures d’opposition mais, justement, ça ne marche pas, parce que l’immense majorité des Algériens savent que dès qu’il y a des leaders qui apparaissent, ils vont être soit violemment et férocement réprimés, soit, le plus souvent, c’est ce qu’on a observé depuis de longues années, depuis plusieurs décennies même, récupérés». Ne sont-ce pas les manifestants eux-mêmes qui ont refusé d’être représentés par qui que ce soit ?

Annotant la libération des détenus d’opinion, le père du «qui tue qui» avance que «ce qu’on voit depuis un mois ou deux, c’est qu’il y a de plus en plus de militants qui ont été arrêtés et dont les juges décident qu’ils doivent faire l’objet de non-lieu et être libérés et puis certains, au contraire, font l’objet de peines très lourdes, ça c’est le jeu du régime pour essayer d’isoler un tout petit nombre de personnes en disant que ce sont elles les vrais opposants comme si les autres n’existaient pas».

L’islamo-gauchiste François Gèze sera-t-il un jour jugé pour avoir absous les terroristes du GIA de leurs crimes et permis ainsi aux assassins des innocents du Bataclan à Paris, de la Promenade des Anglais à Nice, de Samuel Patty et de fidèles dans une église de mener leur entreprise criminelle en toute quiétude en France ?

A. S.


                              L’islamo-gauchisme à l’épreuve des faits

                          par Nadir Marouf

  Dans une édition récente de ce journal, Akram Belkaid rappelle fort opportunément l’épisode du Maccarthysme qui a sévi durant la Guerre froide aux États-Unis, renvoyant au nom du sénateur américain qui stigmatisait toute revendication sociale contre l’injustice et la discrimination à l’endroit de l’ordre patronal ambiant comme étant d’inspiration communiste.

Le suffixe « isme » donne au nom éponyme la qualification d’une posture idéologique se plaçant à l’opposé d’une autre. Ainsi on peut établir l’opposition entre gauchisme et droitisme (on parle aujourd’hui de droitisation).

Si ce type de stigmatisation renaît de ses cendres en France et plus généralement en Europe de l’Ouest, après un long épisode de « tiers-mondisme », il s’agit-là d’un processus qui agit sur le temps long, et dont le mouvement de bascule s’opère sur une courte durée (Le « temps-surprise » chez le sociologue Georges Gurvitch).

Il faut rappeler que si le lien qui, au cours de l’histoire des peuples s’est tissé dans des circonstances précises entre la revendication sociale et l’imprégnation religieuse, ce n’est là ni un signe d’archaïsme ni une régression rédhibitoire. Un inventaire critique, fût-il sommaire, s’impose. Faisons donc le point :

L’ALLIANCE ENTRE DIEU ET LA GAUCHE

Cette alliance n’est pas propre à l’Islam. Le monde catholique a connu un piétisme qui s’est traduit autant par des actions caritatives (l’Abbé Pierre entre autres) que par une proximité d’avec les gens d’en bas, se recrutant dans le milieu ouvrier ou paysan, voire dans la petite production marchande.

Les manuels français de méthodes en sciences sociales accordent une certaine place à l’enquête monographique, dont les pionniers furent liés à l’Eglise : Frédéric Leplay, le père du Maroussel, et plus tardivement le père Lebret, furent tout à la fois les artisans d’une méthodologie encore active, et d’une manifestation de solidarité qui donne sens à leur pratique de la foi. De la même manière, les prémices de la Révolution Industrielle en Angleterre furent associées à des inventeurs d’obédience protestante. (Écossais pour la plupart) dont la motivation était d’alléger les souffrances des ouvriers affectés aux mines de charbon, comme de ceux qui travaillaient dans les manufactures. Leur nom est associé à leurs trouvailles, pour lesquelles les droits d’invention étaient souvent destinés à des actions philanthropiques. Inutile de rappeler ici l’œuvre magistrate de Max Weber sur l’Ethique protestante et l’origine du capitalisme. Pour ce qui est de la traduction politique, ou plutôt socio-politique, de l’œuvre ecclésiale, rappelons l’encyclique « Rerum Novarum » du pape Jean XXIII (1898), qui fut le fondateur indirect du mouvement démocrate-chrétien en Italie. On peut citer le «sentier lumineux » qui a prospéré en Amérique latine avec le mouvement révolutionnaire anti-capitaliste, chez des militants marxistes comme Che Guevara, lesquels étaient autant catholiques que communistes.

Comme l’art de l’étiquetage est à la mode, peut-on qualifier tous ces hommes de Dieu de « Christiano-gauchistes » ?

Pour clore ce tableau, n’oublions pas que, au-delà de nos amis communistes qui ont milité pour l’indépendance de d’Algérie, beaucoup se réclamaient de la démocratie chrétienne. Ce fut le cas du professeur Mandouze, de Pierre et Claudine Chaulet, Fanny Colonna, pour ne pas citer l’Abbé Berenguer, ancien ambassadeur du FLN à Cuba !

QUID DE L’ISLAMO-GAUCHISME ?

Il n’est pas question de nous étendre ici sur l’histoire de la gauche en pays musulman. Ce thème a rempli des thèses entières. Je laisse de côté les cas de syncrétisme proches du cas latino-américain, notamment au Maghreb durant le mouvement national de la première moitié du 20e siècle, ce thème étant amplement développé par l’historiographie contemporaine.

Je signale, néanmoins, quelques aspects paradoxaux, à savoir comment les mouvements de libération, se réclamant de la gauche, vont subrepticement se muer à la cause sacrée pour le triomphe de l’Islam. Le cas de la Palestine est très instructif, dans la mesure où les premiers mouvements de libération de ce pays constituent l’épicentre de ceux qui vont se déployer, avec des fortunes diverses, dans le monde arabe. Il faut rappeler que le Parti Communiste Palestinien fut créé suite à une scission au sein de l’extrême-gauche sioniste, fondée en 1906. De cette scission, fut créé le Parti Communiste Juif (ancêtre du PC d’Israel). Les deux partis vont connaître un regroupement face au mandat britannique, qui sera vite remis en cause, à la faveur d’une solidarité du parti palestinien avec le Baath, qui affiche une opposition claire à l’impérialisme britannique et au sionisme en tant qu’émanation de « la bourgeoisie alliée à l’impérialisme britannique ».

En 1935, ce parti fait campagne contre l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie fasciste. De même, durant la Guerre d’Espagne, les membres Arabes et Juifs du Parti rejoignent les Brigades Internationales, dont le leadership était Abdel-Khaleq Al-Jibaoui, tué en Espagne. A ses côtés, se trouvait Nadji Sidqi, membre du Secretariat, lequel fut chargé par l’Internationale Communiste de se rapprocher des Marocains enrôlés dans l’armée franquisme pour les en dissuader. Aussi, « Aljabha-al-ch’aabiya», hebdomadaire du PCP, publie un long réquisitoire contre le franquisme.

Après la NAKBA (exil) de 1948, ce parti donne naissance au PCI (Parti communiste d’Israel). Une partie des membres arabes de ce parti se tournent vers la faction syrienne du mouvement panarabe. Il s’avère que la solidarité politique qui unissait Arabes et Juifs concernait un peuple autochtone. Après 1948, le paysage socio-politique, dû aux migrations massives d’après-guerre, change fondamentalement la donne.

LE CAS KHOMEINI

Au milieu des années 70, je résidais à la Cité Internationale de Paris dans le cadre d’un détachement universitaire (préparation de ma thèse d’Etat). Tous les jours que Dieu fait, je voyais les étudiants iraniens qui se réunissaient aux abords du Restaurant pour débattre de la situation pendante dans leur pays. Deux ans après, ils accompagnaient l’Imam Khomeini, de retour à Téhéran, depuis son exil en Île de France. Le contexte se prêtait à une coalition entre communisme et schiisme, du moins à une réinterprétation de l’un au service de l’autre, dans la perspective d’une refondation révolutionnaire de la nation iranienne.

Cette problématique n’était pas nouvelle. Les mouvements de décolonisation en Afrique noire ont réhabilité, dès la fin du 19e siècle, le thème du millénarisme politique et de la nativité du Christ donnant sens à l’action de réhabilitation d’une nation souveraine, donc décolonisée (cf. Mythes fondateurs en Afrique, M. Mulhmann).

Rappelons-nous, par ailleurs, les enjeux politiques du mouvement donatiste, qui, au 5e siècle a réinterprété le message chrétien (n’en déplaise à St Augustin) au service de sa libération de la domination romaine.

RETOUR À L’ISLAMO-GAUCHISME UNIVERSITAIRE

Tout ce qui précède tend à montrer qu’entre les mouvements révolutionnaires et la religion, il y a souvent eu des chemins croisés, dont les issues n’ont pas toujours été, certes, à la hauteur de les attentes populaires.

Dans le cas d’espèce, la formulation est inappropriée, tout simplement parce que si l’Islam peut trouver quelquefois une réponse dans la quête existentielle du franco-maghrébin, cela est vécu comme une thérapie contre la perte de son identité. Quant aux prétendues régressions islamo-gauchistes qui émergent, ici où là, dans les sujets de thèse ou programmes de recherche, cela pose deux problèmes : l’un de principe, l’autre de fond.

Concernant le premier, depuis quand les personnages régaliens de l’Etat s’érigent-ils en experts made in science ? D’un autre côté comment concilier le bien-fondé de cette expertise avec le principe, ânonné à satiété, de la liberté d’expression propre à la Nation française ? Sur un autre plan, l’immixtion outrancière du donneur d’ordres sur ce que doit être la bonne recherche ou le bon sujet relève d’une descente abyssale aux temps médiévaux de l’Inquisition.

Dans le domaine précis des sciences sociales, sans doute la cible principale, les maigres budgets qui sont alloués aux labos de recherche en disent long sur un préjugé qui n’a pas commencé, hier, et qui est la règle à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud.

Dans le cas précis des réalités sociologiques qui peuvent intéresser le chercheur lambda en France, il arrive souvent que le diagnostic qui se contente d’une lecture empirique des faits appréhendés ne soit pas suffisant, et qu’il faille s’autoriser à l’exploration étiologique , la cause du mal, si besoin élargir le périmètre d’investigation à plus loin dans le temps et plus large dans l’espace.

L’islamo-gauchisme, prononcé par les experts patentés, relève d’une posture normative, pour ne pas dire idéologique, sans oublier qu’au surplus, elle constitue une insulte doublée d’un mépris profond pour la communauté scientifique.

ÉPILOGUE

Dans une émission récente sur la chaîne France 5, Gilles Keppel, l’éminent connaisseur de l’Islam politique et auteur d’un ouvrage dont le titre est entré dans le dictionnaire des formules médiatiques (Les territoires perdus de la République), semblait accréditer le verdict de la ministre française de l’Enseignement supérieur sur la prétendue déviation islamo-gauchiste qui préside à certaines recherches universitaires, thèses ou publications sous-jacentes. Je subodore qu’il s’est prêté au rôle de « Conseiller du Roy » dans cette affaire. En effet, sa thèse consiste à dire que l’islamo-gauchisme compense un déficit de connaissances objectives sur le monde arabe-islamique, sur son histoire et sa civilisation, sur sa langue etc. Il rappelle la Belle Époque de l’érudition orientaliste, remplacée de plus en plus, aujourd’hui, par la facilité de l’hyperpolitisation du réel.

En somme, la compétence « entomologique » nous prémunit de la fatuité politicienne et des préjugés normatifs. Faux ! Nous avons connu, en tant jeunes lycéens, l’œuvre des Marçais, Jean et William, comme celle du grammairien arabe émérite Godefroy de Mombynes. Leurs compétences étaient indiscutables. Et pourtant, ils avaient une haine des Arabes non déclarée mais réelle.


     France / Feu sur la caricature de l’islamo-gauchisme

Dans une France traumatisée par les attentats terroristes, la rengaine de l’islamo-gauchisme est de nouveau sur la scène politico-médiatique. L’Assemblée nationale votait, récemment, une loi contre le «séparatisme islamiste», voulue par le président Macron, mais jugée liberticide par des ONG et les communautés musulmanes.

Le slogan, vingt ans après avoir été lancé par le sociologue Pierre-André Taguieff, qui voulait «signaler des formes de dérives d’une gauche très pro-palestinienne vers l’antisémitisme», porte les calculs de l’extrême droite qui, depuis des décennies, vise les communautés musulmanes. Dans cette atmosphère enfiévrée à laquelle le Covid-19 ajoute ses variants, naît la polémique, suite à une déclaration de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Frédérique Vidal, sur une chaîne télévisée.

Alors que le monde estudiantin se débat dans la crise du Covid, lui reprochant d’ignorer sa détresse et de réagir trop tard, elle ajoute de l’huile sur le feu, affirmant que «l’islamo-gauchisme gangrène la société, dans son ensemble, et l’université n’est pas imperméable». Il n’en fallait pas plus pour déclencher la colère. Elle a, en outre, dévoilé sa demande au CNRS de lui fournir «un bilan de l’ensemble des recherches», depuis 2000, séparant les thèmes académiques de ceux du «militantisme». Tollé chez les chercheurs et les universitaires, dont plus de 600 ont exigé sa démission, dans une tribune publiée par Le Monde. Selon eux, il s’agit d’une volonté de «faire planer la menace d’une répression intellectuelle».

Face à la «stupeur» des présidents d’université et à cette tribune, lourde de conséquences, le président Macron a réagi prudemment, affirmant que sa «priorité» est d’ «apporter un soutien financier aux étudiants en difficultés», en temps de Covid, et qu’il affiche «un attachement absolu à l’indépendance des enseignants-chercheurs».

Le CNRS a indiqué, pour sa part, que l’islamo-gauchisme ne correspond à «aucune réalité scientifique» et la Conférence des présidents d’université (CPU) a, même, ironisé: «si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés, pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguments de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition». Cette ambiance rappelle l’épisode Alain Devaquet, en 1986. Elle montre, surtout, que la France vit dans l’angoisse d’une extrême droite aux portes du pouvoir. En se prenant les pieds dans le tapis d’un discours «propre» au Rassemblement national, des ministres risquent de se découvrir en marche…à reculons./

Chaabane BENSACI

 

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