Algérie / Ciblées par tous les gouvernements post Hamrouche : Les réformes de 1988 ont pratiquement toutes été abrogées

Ciblées par tous les gouvernements post Hamrouche: Les réformes de 1988 ont pratiquement toutes été abrogées
                                                          Mouloud Hamrouche

Que reste-t-il des réformes économiques et sociales conçues et mises en œuvre  en réaction au soulèvement populaire du 5 Octobre 1988 ? Très peu, sinon rien, de ce qu’on était en droit d’attendre en termes de rupture avec le système du parti unique, l’économie bureaucratique et rentière, l’ultra dépendance des recettes d’hydrocarbures et le verrouillage des médias.

Arrachées au forceps par une équipe restreinte d’hommes politiques et commis de l’Etat, qui souhaitaient arrimer le pays à la vague de démocratisation qui déferlait sur de nombreux pays du monde, les réformes de 1988 n’ont malheureusement pas tardé à se heurter à de fortes résistances de la part de certains cercles influents du pouvoir qui voyaient d’un mauvais œil les ouvertures concédées hormis, bien entendu, celle du commerce extérieur qui fera de bon nombre d’entre eux de puissants barons de l’import-export.

Pratiquement toutes les lois promulguées dans le sillage des douloureux événements d’octobre, pour offrir davantage d’ouvertures à une société sclérosée par vingt années de « socialisme spécifique », sont aujourd’hui abrogées ou vidées de leurs contenus et de leurs sens originels, par des révisions effectuées spécialement dans ce but.

Les tirs croisés sur les réformateurs ont, en réalité, commencé dès la mise en œuvre des lois visant l’instauration d’une économie de marché au lieu et place des monopoles étatiques qui avait longtemps plombé l’économie et le commerce algériens. La fin des entreprises monopolistes d’Etat, l’autonomie de gestion accordée aux banques et aux entreprises publiques ligotées par leurs tutelles ministérielles, l’octroi de la politique monétaire à une Banque centrale autonome, la liberté de créer de nouveaux syndicats et partis politiques, le libre exercice du droit syndical et du devoir d’informer n’avaient, à l’évidence, pas de quoi réjouir ceux qui tiraient d’énormes privilèges du pacte socialiste. Jamais écartés du pouvoir et, pour certains, aujourd’hui encore en postes aux plus hauts sommets de l’Etat, ces acteurs n’avaient jamais cessé de porter des coups au processus de réformes qu’ils finiront par faire disparaître au profit d’une économie de Bazar qui fera la part belle aux importations et laminera le maigre tissu industriel dont disposait l’Algérie en 1980. Il n’en reste pratiquement plus rien aujourd’hui.

Les réformes étaient prises pour cibles dés le limogeage en 1991 de leur maître d’œuvre, Mouloud Hamrouche. Tous les chefs de gouvernement qui lui avaient succédés semblaient avoir pour mission de remettre en cause les réformes qui dérangeaient le plus, le but étant de remettre sous l’autorité du pouvoir tous les espaces auxquels les réformes avaient autonomisés. Il s’agit on l’a compris des organisations politiques et syndicales qui venaient d’émerger, les journaux qui commençaient à foisonner, les entreprises publiques qui avaient pris leur autonomie et la Banque d’Algérie qui s’était mise à fonctionner en solo. De quoi troubler les autorités politiques habituées à tout contrôler, qui n’iront pas de main morte pour récupérer leurs privilèges en bloquant notamment toute velléité de réformes. C’est ainsi que dès 1996 furent abrogées les lois sur l’autonomie des entreprises publiques économiques (EPE), les Fonds de participations furent dissous, tandis que la loi sur la monnaie et le crédit fut modifiée pour restituer les pouvoirs financiers et monétaires au chef de l’Etat qui, aujourd’hui, décide de tout en la matière. Les holdings publics qui avaient été créés en 1996 à l’effet de privatiser librement les entreprises publiques, seront eux aussi dissous pour laisser place à des sociétés (SGP) plus conciliantes à l’égard des responsables politiques qui tireront bien des avantages du processus de privatisation en cours.

L’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999 sonnera le glas des réformes de 1988. Ce dernier avait dés sa prise de fonction, affirmé que ces réformes mises en œuvre dans le sillage des événements d’octobre 1988, sont les principales causes des désordres multiformes qui affectent l’économie algérienne et qu’il faut par conséquent vite abroger. C’est ce qu’il fit sans tarder en commençant par la Banque d’Algérie, à laquelle il ôtera l’autonomie qui était la sienne pour la soumettre à celle de l’exécutif gouvernemental. La Banque d’Algérie et son Conseil de la Monnaie et du Crédit sont depuis cette contre réforme, soumises aux caprices des autorités politiques.

Il s’attaquera par la suite à toutes les lois jugées « scélérates»,  qui avaient accordé le droit de créer de nouveaux partis, des syndicats autonomes et des médias indépendants. Il tentera de torpiller ces organisations en discréditant les partis politiques existants et en refusant d’agréer les nouveaux partis et associations qui en avaient exprimé la demande. Les syndicats autonomes ne seront pas reconnus officiellement et pour ceux qui l’avaient déjà été, les portes de la concertation avec le gouvernement seront hermétiquement fermées, quand bien même, ces syndicats auraient une très forte capacité de mobilisation. La presse écrite, seule parmi les médias à avoir réussi à s’autonomiser du pouvoir, sera également une cible qu’il finira par atteindre. Il utilisera pour ce faire, les tribunaux et la discrimination de l’accès à la manne publicitaire désormais réservée aux seuls journaux gouvernementaux et à certains titres privés proches du pouvoir. Les journaux récalcitrants en seront totalement privés.

A ce sombre tableau de la caporalisation, il faut ajouter le sort peu enviable réservé aux entreprises privées qui avaient commencé à émerger à la faveur du processus d’ouverture de 1988. Abdelaziz Bouteflika commencera par les priver de leur autonomie vis-à-vis du champ politique et de leur libre choix politique. Aucune entreprise n’aura de chance de prospérer si elle ne lui fait pas allégeance. Cette soumission étant la clé de la réussite entrepreneuriale, beaucoup de chefs d’entreprises se laisseront aller à cette tentation, qui permettra du reste à certains d’entre eux, de devenir de puissants oligarques que la Justice rattrapera bien plus tard, parce qu’ils bénéficiaient plus du soutien de la nomenklatura déchue.

Cette logique de contrôle et de marginalisation de tout ce qui est issu des réformes de 1988 est malheureusement encore en vigueur aujourd’hui. La gestion sécuritaire des médias, des syndicats, des partis politiques, de la société civile et des entreprises, est en effet plus que jamais d’actualité aujourd’hui. L’insurrection populaire du 22 février 2019 a effectivement fragilisé le pouvoir à telle enseigne, qu’il redoute tout regain de contestation susceptible d’être provoqué par ces organisations à qui il ne fait à l’évidence pas du tout confiance. L’Algérie que les réformes de 1988 avaient quelque peu émancipée est, de ce fait, à nouveau tirée vers le bas par cette gestion sécuritaire musclée, qui donne au reste du monde, l’image d’un pays qui a replongé dans la dictature au moment où des pays s’émancipent et se développent, à grande vitesse. Le dialogue et la concertation entre la population insurgée et le régime en place n’étant pas inscrits dans la feuille de route de ce dernier, il est à craindre que la crise politique ne se prolonge et s’exacerbe au point de paralyser le pays.


      Promulguées il y a trente ans au lendemain d’un soulèvement populaire

Les réformes de 1988 n’ont pas survécu aux intrigues politiques

Il y a trente ans étaient promulguées en réponse au soulèvement populaire d’Octobre 1988, mais aussi et surtout en réaction à la mondialisation qui exigeait une toute autre forme de gouvernance économique, toute une batterie de lois visant à rompre avec les monopoles d’Etat en mettant le pays sur la voie de l’économie de marché.

La mainmise de l’Etat sur le commerce extérieur a ainsi été abolie, les prix libérés et l’autonomie de gestion enfin accordée aux entreprises publiques économiques et à la Banque centrale. Une nouvelle Constitution avait été promulguée en février 1999 à l’effet de conforter cette dynamique de changement systémique qui prenait la forme d’un nouveau projet de société qui devait faire de l’Algérie un pays économiquement plus libéral, plus ouvert sur le monde et laissant davantage de place aux initiatives privées. Menées à pas de charge dès la fin de l’année 1988, ces réformes devaient rapidement produire des effets chocs à l’effet de mettre les opposants aux réformes devant le fait accompli.

L’objectif fut globalement atteint dans les toutes premières années de la décennie 90 avec la promulgation de lois fondamentales, comme l’ordonnance sur l’autonomie des entreprises publiques, le dialogue social, la loi relative à la monnaie et au crédit qui ont complètement chamboulé le mode de gestion du secteur public et ouvert la voie à l’initiative privée que le régime socialiste avait longtemps brimée. Cet élan enthousiasmant impulsé par de fortes personnalités politiques, comme Kasdi Merbah et Mouloud Hamrouche, se s’est malheureusement estompé au gré d’une pléthore d’alternances au sommet de l’Etat survenues tout au long de la décennie 90 (5 chefs d’Etat, 8 chefs de gouvernement et une légion de ministres) qui ont chacun imposé leurs propres visions des réformes à mettre en œuvre.

Une transition qui n’en finit pas

Si la transition de l’économie dirigée vers un système de marché à construire a effectivement été l’objectif central de cette pléthore de gouvernants, aucun d’entre eux n’a, en effet, pris la peine de préciser ce que cela signifiait, ni la stratégie qu’il comptait appliquer pour y parvenir. Alors que la durée du processus de transformation ne devait guère dépasser dix années, la transition à l’économie de marché s’est, pour toutes ces raisons, arrêtée au milieu du gué avant même que les réformes engagées n’aient eu le temps de produire des changements concrets et irréversibles dans la société algérienne. La conduite de l’économie s’est de ce fait davantage compliquée notamment pour les entrepreneurs nombreux à ne pas avoir pu résister aux chocs du changement. Les dysfonctionnements générés par la superposition de deux systèmes, l’un, d’obédience socialiste en voie de décomposition mais encore vivace et, l’autre, plus libéral, en phase de construction, ont fini par instaurer un environnement économique et social délétère dont l’Algérie ne s’est pas remise à ce jour.

La durée excessive de la transition à l’économie de marché et les chemins contradictoires que lui ont fait prendre chacune des équipes gouvernementales suscitent aujourd’hui encore de légitimes inquiétudes, aussi bien, chez les acteurs économiques que chez le commun des Algériens qui en subissent aujourd’hui encore les aléas. Se pose alors la question de savoir pourquoi les autorités politiques algériennes ont échoué là où d’autres pays, qui avaient entamé le même processus et à la même période (pays de l’ex- bloc soviétique, les ex-pays socialistes d’Asie et d’Afrique, etc.,) ont réussi ? La réalité est que les autorités politiques algériennes n’ont jamais voulu quitter le système rentier et bureaucratique dans lequel ils étaient confortablement installés jusqu’au 5 octobre 1988, date à laquelle une nécessité impérative de changement leur fut signifiée par une population en furie mais qui n’avait jamais clarifié la nature exacte des changements qu’elle souhaitait. Le concept d’économie de marché avait alors surgi des technocrates qui occupaient des postes de décision importants au plus haut sommet de l’Etat. Le concept d’économie de marché avait été vite offert en pâture aux médias, sans toutefois préciser de quelle économie de marché il s’agissait.

Le flou persiste malheureusement à ce jour puisque trente années après le lancement des reformes, on ne sait toujours pas quelle forme d’économie de marché on veut construire. Ultra libérale, libérale, sociale ? La question n’ayant jamais été tranchée, chaque chef d’Etat, chaque Premier ministre agit en fonction de sa propre conception et souvent même en fonction de son humeur du jour. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’y a, de notre point de vue, aucune raison pour que la transition au système de marché dans laquelle le pays est embarquée depuis le début des années 1990 aille plus rapidement aujourd’hui. Les lois emblématiques promulguées dans le sillage des événements d’Octobre 88 ont pratiquement toutes été abrogées (autonomie des entreprises et de la Banque d’Algérie, le dialogue social ouvert aux syndicats autonomes, etc.) et on voit poindre de troublants signes d’abandon de l’option libérale avec le retour d’un Etat de plus en plus interventionniste.

Fort des excédents de recettes pétrolières, le pouvoir installé en 1999 avec pourtant l’intention officiellement déclarée d’accélérer l’émergence d’un système libéral n’a, au bout du compte, jamais tenu ses engagements en la matière. Bien au contraire, il a renforcé sa présence dans l’économie à laquelle il a impulsé, à coups de gros capitaux publics, une dynamique keynésienne, encore plus forte que celle mise en œuvre à l’époque du socialisme triomphant. Il n’a pas hésité à impulser, à coups d’interdictions d’importations, une dynamique inverse lorsque les recettes d’hydrocarbures ont décliné.
Des velléités de retour au système administré se font en outre des plus pesantes comme l’atteste la remise sous tutelle des ministères des entreprises publiques autrefois autonomes ainsi que la désignation (révocation) de leurs dirigeants par le Premier ministre. L’abrogation de la loi relative à l’autonomie des entreprises publiques économiques qui interdisait, sous peine de poursuite pénale, l’ingérence des administrations publiques dans leur gestion, a clairement ouvert la voie à ce retour aux tutelles qui, aujourd’hui plus que jamais, pilotent à distance les entreprises publiques sans toutefois en assumer les risques pénaux.

Il est tout à fait vrai que l’Algérie a entamé sa transition au système de marché, dans des conditions peu favorables. L’Etat chargé de piloter la transition a, effectivement, été considérablement affaibli par la crise sécuritaire et l’illégitimité chronique de certaines institutions chargées de concevoir et de conduire la transition sous ses diverses déclinaisons, politique, économique, sociale et doctrinale. La crise sécuritaire, qui a duré près de vingt ans, devrait effectivement être prise en considération lorsqu’on analyse l’économie algérienne, car elle a engendré deux effets particulièrement désastreux sur le processus de transition, le premier étant la restriction des libertés qu’elle a induite, le second, étant l’effet repoussoir que cette insécurité ambiante exerce sur les investisseurs, notamment, étrangers, privant le pays d’une masse de capitaux considérable et d’un accompagnement plus rationnel de la nouvelle économie par de grandes firmes internationales.

Absence de volonté politique

L’absence de stratégie dans la conduite des réformes constitue, également, un facteur, et non des moindres, de blocage de la transition. Si on sait, dans quelles conditions (octobre 1988) la transition vers l’économie de marché a démarré, on ignore par contre où elle nous mènera exactement et dans quel type de société (libérale, ultra libérale ou sociale on vivra. Ce flou, qui perdure, entretient comme on le constate depuis fort longtemps un sentiment d’incrédulité et de démobilisation autour des réformes et empêche la fédération des forces vives de la nation autour d’un projet de société susceptible de conduire l’Algérie à la modernité. Faute de volonté politique et d’enthousiasme populaire, la transition au système de marché est, non seulement, très lente mais pire encore, vampirisée par le commerce informel, le négoce à outrance et l’oligarchie prédatrice. On relèvera, enfin, l’impact négatif de la rente pétrolière dont l’usage souvent pervers entrave le changement, notamment lorsque le pouvoir aidé par certains oligarques et gros barons de l’informel s’en emparent, pour retarder les réformes et maintenir un statu quo destiné à pérenniser le système en place.

C’est en grande partie ce qui explique, que contrairement à tous les pays qui ont entamé leurs réformes à la même date et dans les mêmes conditions, l’Algérie n’a, trente ans après l’ouverture de 1988, pas encore réussi à mettre en place ne serait ce que les outils les plus basiques de l’économie de marché. Dans son état actuel, le système de marché algérien constitue, à n’en pas douter, un cadre trop étroit pour les entreprises qui aspirent à travailler selon les règles universelles de gestion. Trente ans après le lancement des réformes, les entreprises algériennes continuent toujours à réclamer des moyens de paiement modernes, des guichets de change, des banques d’investissement à long terme, une authentique bourse des valeurs, des marchés fonciers et immobiliers que le pouvoir tarde à mettre en place en dépit des moyens disponibles.

Le chemin vers la consécration d’une réelle économie de marché est assurément encore très long, d’autant plus, que le plus dur reste à faire et que la volonté politique est à l’évidence moins forte avec un chef d’Etat souffrant et des forces politiques beaucoup moins mobilisées autour de la transition. Le choix de réformer l’économie et plus largement la société algérienne au moyen de lois de finances annuelles et complémentaires remettant souvent en cause les ordonnances de 1988 ont, de surcroît, de quoi refroidir les ardeurs de ceux (les investisseurs notamment) qui espéraient voir un jour cette transition aboutir.


 

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