Règlement de la crise libyenne : Le président Al Sissi désavoué par Washington

14.06.2020

La proposition de sortie de crise concoctée à la hâte la semaine dernière par l’Egypte pour faire taire les armes en Libye prévoyant, entre autres, le départ des «mercenaires étrangers» et le démantèlement et désarmement des milices peut être considérée comme morte et enterrée.

Les Etats-Unis estiment que le règlement de la crise libyenne doit se faire sous l’égide de l’ONU et du processus de Berlin

La raison ? Le gouvernement d’union nationale (GNA) n’y a pas adhéré car la percevant comme une manœuvre pour faire gagner du temps à Khalifa Haftar, dont les troupes sont en déroute. Aux yeux de Tripoli, le président égyptien, Abdelfattah Al Sissi, n’est pas un médiateur crédible du fait qu’il est l’un des principaux soutiens du gouvernement parallèle de Tobrouk.

L’autre écueil auquel fait face le plan de paix égyptien est Washington. Les Etats-Unis s’y opposent frontalement. «Nous remercions l’Egypte pour sa proposition.

Cela dit, nous pensons que le processus sous l’égide de l’ONU et le processus de Berlin sont vraiment le cadre le plus productif pour négocier et faire des progrès vers un cessez-le-feu», a confié jeudi à la presse le secrétaire d’Etat américain adjoint pour le Moyen-Orient, David Schenker. «Nous continuons à appeler à une désescalade, un cessez-le-feu, un retour à des négociations politiques», a-t-il ajouté.

L’Allemagne a réuni en janvier les acteurs-clés à Berlin lors d’une conférence visant à mettre fin à la guerre civile en Libye. Une feuille de route y avait été adoptée. Mais les conclusions de cette conférence sur la Libye sont restées lettres mortes en raison du refus, alors, de Khalifa Haftar de stopper son offensive contre Tripoli.

Axe états-unis – Turquie

La Turquie, pays qui soutient le GNA de Fayez Al Sarraj face aux forces dissidentes de Khalifa Haftar, abonde dans le sens de la position américaine, suggérant qu’il y a une convergence entre les deux pays sur le dossier libyen. Ankara s’est déclarée favorable jeudi à un cessez-le-feu parrainé par les Nations unies, rejetant aussi un appel à la trêve de l’Egypte. «A nos yeux, l’appel au cessez-le-feu (égyptien) est mort-né. Il n’est pas réaliste et n’est pas sincère», a déclaré le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, lors d’une interview à la chaîne d’information NTV.

En revanche, «nous pouvons avoir un cessez-le-feu contraignant, placé sous les auspices de l’ONU», a-t-il ajouté.

Pour sa part, le GNA refuse de s’asseoir à la table du dialogue avec le camp de l’Est libyen avant de reprendre les deux villes stratégiques de Syrte et d’Al Joufra. L’ONU a toutefois annoncé mercredi dernier que les pourparlers indirects entre les membres du comité militaire représentant les deux camps libyens ont repris en visioconférence sur la base du projet de l’accord de février dernier.

L’ONU affirme qu’elle a eu séparément deux réunions à part avec chaque délégation et que les discussions ont été «fructueuses». La Libye est en proie au chaos depuis le renversement par les Occidentaux du régime El Gueddafi en 2011.

Verrous stratégiques

Depuis avril 2019, deux gouvernements rivaux se disputent le pouvoir : le GNA établi à Tripoli et reconnu par l’ONU et l’Eexécutif parallèle de Tobrouk se trouvant dans l’Est libyen.

Au fil des semaines, la crise s’est internationalisée et a évolué en guerre par procuration qui oppose la Turquie à la Russie, à l’Egypte et aux Emirats arabes unis. Après plus d’un an d’une offensive infructueuse sur la capitale, les pro-Haftar ont été contrains de se replier vers leur bastion de l’Est.

La Libye est donc de facto partagée en deux grandes zones d’influence. Il y a d’un côté, la Turquie à l’ouest et de l’autre la Russie, à l’est. La base stratégique d’Al Watiya ainsi que l’aéroport Misrata pourraient devenir des bases militaires turquo-américaines, Al Joufra et Syrte des bases russes.

Le quotidien pro-gouvernemental turc Yeni Safak a rapporté vendredi que la base d’Al Watiya pourrait accueillir des drones. Plusieurs spécialistes affirment que cette partition de la Libye en zones d’influence ressemble à celle opérée par les deux pays en Syrie. «Ce partage se traduit déjà sur le terrain.

Moscou laisse entendre qu’elle a tracé des lignes rouges que le GNA ne doit pas franchir : le kilomètre 60 en allant vers Syrte et le kilomètre 80 en allant vers Al Joufra au sud», indiquent des spécialistes de la Libye. Ces deux villes stratégiques sont des verrous en direction des installations pétrolières du centre du pays.


 / Découverte de charniers : L’ONU demande l’ouverture d’une enquête /

La Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) indique avoir été horrifiée par des informations sur la découverte d’au moins huit charniers dans l’Ouest libyen, appelant les autorités à enquêter rapidement sur ces décès, selon un communiqué. «La Manul relève avec horreur les informations sur au moins huit charniers découverts ces derniers jours, dont la plupart à Tarhouna», environ à 65 kilomètres au sud-est de Tripoli, dernier fief des forces du seigneur de guerre Khalifa Haftar dans l’ouest du pays, pris le 5 juin par les forces du gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU. «Le droit international exige que les autorités mènent des enquêtes rapides, efficaces et transparentes sur tous les cas présumés de décès illégaux», a rappelé la mission onusienne. Elle s’est par ailleurs félicitée de la création jeudi par le ministère de la Justice du GNA d’une commission d’enquête, appelant à entamer «rapidement les travaux» pour «sécuriser les charniers, identifier les victimes, établir les causes de décès et restituer les dépouilles» aux familles. Dans l’un des 8 charniers de Tarhouna, trois sœurs (46, 45 et 38 ans) ont été retrouvées exécutées d’une balle dans la bouche. La plus jeune était enceinte. Elles auraient été Kidnappées le 5 avril dernier car leur frère est l’un des responsables militaires d’une des factions qui combattaient les troupes de Haftar.


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