Roman : « GRANDE TERRE, TOUR A » de Kadour Naïmi – partie IV, chap. 6

La Tribune Diplomatique Internationale publie ce roman

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       depuis  le 21 décembre

 

 

 

 

 

 

6. Kouvalawa

Une idée fulgurante surgit dans l’esprit de Zahra : « Il faut absolument que je parle à Karim, qu’il sache la vérité ! » À cette idée, Zahra est soulagée, mais, aussi, effrayée. En réalité, voilà un certain temps que ce projet turbine au fond de Zahra, jusqu’à ce jaillissement soudain. Une affreuse angoisse la saisit : « Comment réagira-t-il ? »

Elle prend conscience que la réponse sera son « Youm al guiyâma »[1]. Alors, lui revient l’idée libératrice tellement de fois surgie dans son esprit, mais jusqu’à maintenant rejetée, par amour de sa mère : « Si Karim me condamne, je quitterai ce monde !… Ma mère souffrira moins de ma disparition que de savoir ce que fut mon passé. »

Zahra se rappelle comment, à Annaba, dans la partie orientale du pays, une de ses compagnes de misère, Bakhta, se suicida. Elle ingurgita un médicament à une dose telle qu’il lui fit perdre connaissance, puis atteint son cœur qu’il arrêta. Zahra fut impressionnée par ce procédé ; elle l’apprécia. Il correspondait à son caractère. Les mal traitements qu’elle avait subies l’avait immunisée contre toute forme de violence. « Si un jour, s’était-elle promis, je devrais imiter ce qu’a fait Bakhta, j’emploierai son moyen. Je connais le nom du médicament, et je saurai me le procurer. »

« On ne cache pas le soleil avec un tamis[2] !… Karim doit savoir par moi ! À la vie ou à la mort ! » C’est dans ce but que Zahra arrive au lieu où elle proposa de revoir l’homme qui décidera de son destin.

Le ciel est gris, assombri par de bas et gros nuages, presque immobiles ; un vent froid souffle de temps à autre.

Karim et Zahra se rencontrent à l’arrêt de l’autobus du centre-ville, où ils s’étaient vus la première fois. Karim note un fait : depuis le départ du grand frère, Zahra ne met plus de voile ; elle s’habille d’un pantalon, d’une chemise et, cette fois-ci, d’une veste ; l’ensemble est élégant tout en restant modeste.

– Il vaut mieux, propose Karim, aller dans un endroit fermé. Il risque de pleuvoir.

– D’accord.

– Ça te va, un salon de thé ? J’en connais un, pas loin d’ici, confortable, discret, où les clients sont des hommes autant que des femmes.

– Oui.

Peu de temps après, ils sont attablés dans l’endroit indiqué. Zahra le trouve effectivement très agréable et accueillant. À cette heure de l’après-midi, vers dix-sept heures, quelques consommateurs sont présents ; la plupart sont des couples de jeunes. Tous sont vêtus de manière occidentale. À une table sont réunies quatre filles, sirotant des boissons sucrées, et bavardant joyeusement.

– Alors, commence Karim avec son accueillante chaleur, que veux-tu me dire ?

Zahra le dévisage un long moment. Encore une fois, Karim est très enchanté par les grands et beaux yeux marrons brillants de celle qu’il aime. Constatant son silence, il relance avec douceur :

– Je t’écoute.

Zahra promène rapidement son regard alentour. Elle s’assure que personne n’est assez proche pour entendre ses paroles. Puis, elle se dit : « Oh !Inutile de contrôler. Les caméras sont certainement camouflées quelque part. »

Alors, elle décide de parler, mais à voix très basse, dans l’espoir de ne pas permettre qu’un appareil clandestin l’enregistre, tout en pensant « Et puis, qu’importe ! Désormais, ma meilleure arme de défense est la vérité ! »

– Es-tu, dit-elle à Karim, un homme capable d’apprendre une très, très mauvaise information, qui fait très, très mal, et, cependant, ne pas réagir nerveusement, négativement, mais t’efforcer de la comprendre ?

Karim reste interloqué par cette très singulière et inquiétante question. Son esprit et ses nerfs se tendent, afin de recevoir le coup. Ignorant de quoi il s’agit, il fixe les yeux de Zahra. Pour une fois, ils ne reflètent pas leur éclat normal ; ils sont presque froids.

– J’essaierai, promet-il. C’est une question de maladie ?

– Non !

Elle se corrige immédiatement :

– Oui et non.

Elle ne dit plus rien, les yeux toujours rivés sur ceux de Karim. Visiblement, Zahra est la proie tourmentée d’une dernière hésitation. Elle est consciente de la gravité décisive du moment, avec l’angoisse de se jeter, peut-être, dans l’abîme et s’y écraser. Elle s’interroge vivement : « N’aurais-je pas dû attendre ? Mieux réfléchir auparavant ? »

Pour sa part, Karim patiente, résistant à la tension extrême l’ayant saisi. Soudain, une horrible idée surgit dans son esprit : « Va-t-elle me dire qu’elle aime un autre ? » À cette hypothèse, le corps de Karim se glace. Instinctivement, ses mains se crispent très fort. Dans son imagination se présente un trou totalement noir, immense.

Enfin, Zahra, recourant à tout le courage dont elle est capable, se décide. D’une voix tremblante, sèche, elle confesse :

– J’ai honte de ce que je vais te dire. Pourtant, il faut que je t’en parle. Il faut que tu connaisses… Et… Et… si, après, tu en es scandalisé, te lèves et quittes ce lieu, je comprendrais.

Profondément troublé, Karim baisse les yeux, sans savoir quoi penser. Quelques secondes après, il les relève et les fixe de nouveau sur ceux de cet être dont dépend son bonheur sentimental.

– Parle ! invite-t-il d’une voix nouée, devenue rauque, s’efforçant d’être affectueuse. Quelque soit ce que tu diras, je te promets de ne pas me lever et de ne pas partir. Je m’efforcerai d’abord de comprendre, et si je n’y parviens pas, je te demanderai de m’aider à comprendre.

– Que désirez-vous ? dit une suave voix.

C’est celle d’une jeune et jolie employée.

– Que veux-tu boire ? demande Karim à Zahra.

– Rien !

– Pour avoir le droit d’être ici, note Karim gentiment, nous devons consommer.

– Un verre d’eau, alors, propose Zahra.

– Et si on prenait du thé à la menthe, puisque nous sommes dans un salon de thé.

– D’accord.

L’employée s’éloigne.

– Alors, dit Karim, revenons à ce que tu veux me dire. Je te prie de ne pas t’inquiéter, pas trop en tout cas. Quelque soit ce que tu me diras, je t’écouterai et m’efforcerai de comprendre, puis, si nécessaire, je te poserai des questions.

Zahra déclare :

– Que peut faire une femme de plus horrible, de plus indigne, de plus abjecte, de plus condamnable ?

La question surprend totalement Karim. Il s’efforce de deviner. Puis, il hasarde :

– Tuer ses enfants.

– Et si elle n’a pas d’enfants ?

Un rapide moment de délibération, et Karim suggère :

– Tuer d’autres enfants.

– Pas ça, non plus.

– Voler, poursuit Karim, est un acte que je ne considère pas. Dans une société saine, personne ne volerait, donc voler dans une société d’inégalités sociales n’est pas, du moins pour moi, un acte tel que tu le décris.

-Alors, que reste-t-il ?

Karim sent brusquement une torsion très douloureuse à l’estomac. Il se rend également compte que les traits de son visage se sont d’un coup tirés. Mais il empêche ses yeux de s’endurcir, pour ne pas effaroucher celle qu’il aime de toute son âme.

Zahra est devenue rigide, telle une inculpée juste avant la prononciation de l’arrêt qui la condamnera à mourir.

Karim baisse encore une fois les yeux vers la table, se concentre de toute sa force, et cherche. Puis, lentement, il relève les yeux, les rive sur ceux de l’aimée et, la voix asséchée, il murmure :

– Vendre son corps.

Zahra se raidit, en maintenant ses yeux toujours fixés sur ceux de l’homme qui décidera de sa vie.

– C’est cela, n’est-ce pas ? balbutie celui qui résiste pour empêcher son crane d’éclater en mille morceaux.

Le silence éloquent de Zahra confirme l’hypothèse. Karim ferme les yeux, baisse lentement la tête. Du coin de ses prunelles, des larmes surgissent, puis glissent sur les joues abandonnées par le sang.

L’employée revient et dépose un joli petit plateau de cuivre, rond, surmonté d’une théière et de deux verres. Elle remarque discrètement les attitudes abattues des deux clients, puis se retire.

Zahra attend la sentence. Quelques secondes après, Karim relève la tête, regarde Zahra et dit :

– Ce n’est pas l’endroit pour continuer à parler. Je paie et nous irons dans ma voiture.

 

Depuis qu’il a des rendez-vous avec Zahra, Karim prend chaque fois son véhicule, afin d’assurer la discrétion de leur rencontre, et pour éviter tout inconvénient.

Un instant après donc, le couple est assis dans la voiture. À l’extérieur, l’orage éclate.

Sous l’effet d’une bourrasque violente, des gouttes de pluie tambourinent bruyamment sur le toit et les vitres du véhicule.

– Raconte-moi tout, invite Karim, d’un ton doux, où se perçoit une pointe involontaire d’inquiétude.

Zahra commence, le regard fixé sur le pare-brise où la pluie dégouline.

– Ce que tu entendras, dit Zahra, d’une voix altérée par un très profond ébranlement, tu es le premier et le seul à le savoir. Et jamais, auparavant, je n’avais imaginé de le révéler à personne, pas même à ma mère.

Elle se tait un moment, cherchant la manière de commencer son récit. Puis, elle continue :

– J’avais quatorze ans. Une nuit, j’étais seule à la maison. Mon père, en pleine ivresse, chassa ma mère hors de la maison. Mon grand frère était absent, et mon petit frère avait été emmené par ma mère, suite à son expulsion du logis. Elle s’était réfugiée chez une voisine, précisément chez ta mère. Je ne sais pas si tu t’en rappelles.

– Ah, oui ! confirme Karim. Oui, je me le rappelle très bien. L’arrivée de ta mère avec son enfant m’avait beaucoup impressionné. Ce fut la première fois que je vis une épouse battue par son mari, puis expulsée de son foyer. Et ton petit frère pleurait, épouvanté, en se serrant de toute sa force contre sa mère. Je n’ai pas pu en dormir de toute la nuit. Les sanglots de ton petit frère résonnaient tout le temps dans mes oreilles.

– Alors, reprend Zahra, j’ai vu mon père s’approcher de mon lit, s’asseoir puis porter sa main sur…

Elle s’interrompt, hésite quelques secondes, se décide :

-… mon corps. J’étais terrorisée ! Je ne pouvais pas bouger… Puis, sa main s’approcha de mon ventre, glissa entre mes jambes. Je voulus m’écarter, quand les mains de mon père s’emparèrent vigoureusement de moi… Tu devines le reste.

Elle se tait. Elle a besoin de trouver une source d’énergie supplémentaire pour continuer l’horrible méfait. La pluie poursuit son violent tambourinement sur la voiture. Un long roulement tonitruant emplit le ciel, se concluant par un très bruyant tonnerre qui ébranle l’atmosphère.

Zahra reprend :

– Dès l’aube du matin suivant, j’ai fui la maison. J’ai erré. C’était l’hiver, janvier, il faisait très froid et la nuit était très sombre ; des nuages bouchaient le ciel. J’ai marché sur les trottoirs des rues, sans savoir où mes pieds allaient. Je ne sais pas combien de temps… À la fin, je me suis trouvée tout au fond du Front de Mer, au pied de la falaise de Kouvalawa.

Karim est stupéfait d’entendre ce dernier mot. Kouvalawa est un endroit de la cote, au bas de la ville. Il est extrêmement dangereux. C’est une falaise abrupte surplombant des rochers aux arêtes aiguisées, profondément immergés dans les flots. Mais c’est, aussi, un refuge pour les « déchets humains », comme les appelle, avec un affreux dédain, la sœur de Karim, enseignante d’université. Même le nom de ce lieu est étrange. Kouvalawa ne fait pas partie du langage parlé, ni arabe, ni tamazight, ni français, ni espagnol. Ce mot semble être une mystérieuse création du génie linguistique populaire local ; sa signification reste mystérieuse.

Toutefois, cet emplacement a son charme sauvage, selon l’expression consacrée. Par beau temps et si l’humeur est bonne, impossible de voir Kouvalawa sans éprouver un chatouillement agréable des sens, en admirant le va et vient incessant des étincelantes vagues sur les impressionnants rochers, et la blanche écume s’élançant hardiment vers le ciel.

Dans sa première jeunesse, Karim y allait avec des copains, à l’insu des parents, bien entendu. Il descendait la falaise avec précaution, en veillant à ne pas glisser, la chute étant très dangereuse. Arrivé au bas :

Kouvalawa ! criait joyeusement l’un des garçons, quand pas tous ensemble.

Et tous réalisaient une jolie cabriole du corps, en faisant un cercle entier, puis, la tête la première, ils plongeaient dans l’eau. Ainsi, le terme Kouvalawa semblait correspondre à cette adroite contorsion physique. Alors, chacun livrait son corps aux flots dansants, et jouissait de la fraîche baignade.

Étant bon nageur, Karim et ses copains aimaient affronter les vagues, en veillant à ne pas finir sur les rochers. Certains téméraires l’ont payé de leur vie. Heureusement, pas Karim, ni ses petits amis.

Mais, gare à s’approcher de Kouvalawa si l’on est déprimé. La tentation est trop forte d’y jeter son corps pour mettre un terme aux insupportables souffrances de l’âme.

 

– Et alors, à Kouvalawa ? demande Karim à Zahra.

– Instinctivement, poursuit-elle, je suis descendue vers la mer. À mi-chemin, j’ai trouvé un endroit plat. Il commençait à pleuvoir, comme maintenant, la même pluie très forte. J’ai cherché un refuge. J’ai fini par trouver une sorte de grotte. J’y ai pénétré. Là, un éclair lumineux dans le ciel me fit découvrir un corps allongé. Je m’en suis approché. C’était une femme, une vieille, les vêtements tout déchirés, maigre, si maigre que les os pointaient au-dessous de la peau. Je pris peur. Puis, j’ai raisonné. J’ai pensé que la femme dormait. Je voulais m’en assurer. Horreur ! Elle était morte !… Alors, dégoûtée et effrayée, je me suis vite éloignée, et je suis restée sur le seuil de la grotte, malgré la pluie qui me tombait dessus et le froid qui pénétrait ma peau. Je grelottais de tout mon corps.

Zahra s’interrompt, bloquée par l’intense émoi du souvenir. Karim recourt à toute son énergie pour rester apparemment calme, attentif à ce qu’il entend. Zahra reprend :

– Après une heure ou deux, exténuée de fatigue, j’aurais voulu dormir ; je n’y parvenais pas. Mon estomac commença à me faire très mal : la faim !… J’ai résisté… Mes douleurs sont devenues lancinantes, puis insupportables. J’eus peur de m’évanouir. Alors, je suis sortie de la grotte pour chercher si je pouvais trouver quelque chose à manger… J’ai fini par découvrir un poisson mort. Sans hésiter, j’en ai mangé la chair. Puis, je suis retournée dans l’entrée de la grotte. En espérant dormir… Impossible !… Mon corps tremblait fortement. Au bout d’un certain temps, je sentis mon estomac se tordre si violemment que tout ce que j’avais avalé sortit brutalement de ma bouche. Je souffrais atrocement, les mains sur le ventre pour tenter de le calmer. Mais rien !.. rien !… Je me sentais mourir !… Et je voulais mourir, tant les déchirements en moi étaient effroyables… Malheureusement, je continuais à vivre. Désespérée, je me suis mise à sangloter, puis j’ai levé le visage vers le ciel, je me suis efforcée d’ouvrir les yeux, en dépit de la pluie qui frappait mon visage. J’ai voulu crier ; aucun son n’est sorti de ma gorge. Alors, j’ai dit en pensée : « Ya Rabbi[3] !… Où est-tu ?… Où es-tu ?… » Ne voyant rien, n’entendant rien de sa part, j’ai regardé les vagues ; elles venaient se fracasser contre les rochers, immenses, brutales et bruyantes vagues !… « Jette-toi dans la mer ! Jette-toi et tout finira ! » L’abîme  m’attirait. « Jette-toi ! »

Zahra se tait, pour reprendre la force de continuer. Puis :

– Je me suis évanouie. La première lueur de l’aube m’a réveillée. Le temps était devenu calme. Et, miraculeusement, je vivais encore. J’ai, alors, quitté ce lieu, et j’ai, de nouveau, erré… Mes pas m’ont porté jusqu’à une station d’autocars. Je suis montée dans l’un d’entre eux, sans savoir pourquoi ni où il allait. Avant le départ, l’adjoint du chauffeur demanda l’argent aux voyageurs. Je n’en avais pas. Il me chassa du véhicule. À l’extérieur, un homme s’approcha de moi, s’informa gentiment de ma situation. Quand il sut que je n’avais plus de logis ni de famille, il promit de me venir en aide. « J’ai une voiture, viens ! »… Je l’ai suivi. Le véhicule quitta Oran et s’engagea sur l’autoroute. Durant tout ce voyage, l’homme resta silencieux, et moi aussi… À un certain endroit, le chauffeur sortit de l’autoroute et se dirigea vers un bois. Là, l’homme s’arrêta et voulut abuser de moi. J’ai résisté. Il me frappa, me déchira ma robe et, encore une fois, tu devines le reste… Cela ne lui a pas suffit. Il me contraignit à rejoindre la voiture. Nous sommes arrivés à Annaba. Là, j’ai découvert son métier. Il faisait travailler des filles dans des hôtels et sur le trottoir. Il m’obligea à les imiter, en déclarant : « Si tu ne veux pas être égorgée de mes mains… Et ne pense pas aller à la police. Ce sont mes clients et mes amis ! »

De nouveau, Zahra se tait. Son visage est extrêmement blafard, ses yeux hagards fixés devant elle. La physionomie de Karim semble une réplique de celle de sa compagne. Un violent éclair déchire le ciel, suivi par un assourdissant tonnerre dont les roulements se prolongent.

Zahra se remet à parler :

– Au début, sur le trottoir, la nuit, je vomissais tout le temps, jusqu’à perdre connaissance. Voyant que je ne rapportais pas d’argent, l’homme me frappa avec tellement de cruauté que j’en ai gardé les blessures pendant plusieurs jours, en étant obligée de rester au lit. J’ai, alors, pensé à me couper les veines. L’image de ma mère m’en a dissuadée. Je ne voulais pas disparaître sans la revoir. J’avais une dette envers elle : elle m’avait mise au monde, et m’avait nourrie pendant mon enfance. Il me fallait donc, à mon tour, l’aider, la nourrir ; je savais que mon père en était incapable… Dès lors, je n’avais pas le choix. J’ai fini… par satisfaire la volonté de cet homme… pendant un an.

Les yeux de Zahra se ferment, tandis qu’elle reste silencieuse, rigide. Karim, immobile, la fixe du regard. Il attend la relation du reste du cauchemar. Ouvrant de nouveau les yeux, Zahra poursuit :

– Quand cet homme mourut, tué par je ne sais qui, je me suis enfuie, et je suis retournée dans ma famille. Ma mère et mon père m’ont demandé où j’avais été. J’ai raconté que j’étais allée travailler à Alger, chez une dame. Et, une fois celle-ci morte, j’ai perdu mon travail, alors j’ai pensé retourner dans ma famille.

Sa confession terminée, Zahra baisse la tête, et reste sans aucune réaction, comme pétrifiée. La pluie continue à tomber et à ruisseler abondamment sur les vitres du véhicule.

Karim ne sait pas s’il doit hurler de rageuse indignation à cause des méfaits dont fut victime Zahra, ou s’il doit la serrer de toute sa force dans ses bras, pour lui faire oublier les atrocités subies.

A suivre …


[1]     Littéralement « Le Jour de la Levée », autrement dit le « Jugement Dernier ».

[2]     Proverbe populaire algérien.

[3]     « Oh! Mon Dieu! »


 

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