France / Des salaires minimums épars et trop bas

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Alors que le coût de la vie augmente, une étude de la CES publiée le 8 novembre montre que dans 11 États membres de l’UE, les travailleurs payés au salaire minimum dépensent au moins 40 % de leur revenu pour se loger. Le Parlement européen s’apprête à voter la question du salaire minimum européen.

Dans 11 États membres de l’UE, les travailleurs payés au salaire minimum dépensent au moins 40 % de leur revenu pour se loger. C’est ce que révèle une étude de la CES (confédération européenne des syndicats), publiée le 8 novembre. Dans cinq de ces pays, après règlement du loyer, des travailleurs à temps plein disposent de moins de la moitié de leur salaire pour se nourrir, se chauffer et se déplacer.

Dans cinq autres, le loyer représente entre 41 % et 48 % du salaire. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec l’augmentation significative du coût de la vie ces derniers mois, sorte d’effet retard de la crise économique générée par la crise sanitaire.

Augmentation du coût de la vie : l’exemple français

En France, par exemple, les données de l’Insee d’octobre 2021 indiquent une augmentation du prix du tabac de 4,8 % sur un an. En plein essor du travail à distance, les prix des communications ont pris 2,3 %, alors que la facture « loyer, eau et enlèvement des ordures ménagères » a augmenté de 1,3 %. Dans le même temps, les transports ont pris 7,4 % avec un coût de l’énergie accru de 19,6 % de plus que l’année dernière, alors que le budget nourriture, lui, aura connu une hausse de 1 %. C’est dans ce contexte de précarité croissante que la CGT, qui revendique un SMIC à 2000 euros, était encore mobilisée dans la rue pour réclamer — entre autres — l’augmentation des salaires, le 5 octobre dernier.

Disparités européennes

Pour rappel, les salaires minimums varient considérablement en Europe, allant de 312 € mensuels en Bulgarie à 2 142 € au Luxembourg. Dans 20 États membres, le salaire minimum légal est fixé sous le seuil du risque de pauvreté défini par l’UE (60 % du salaire médian national). Et environ 10 % des travailleurs européens sont menacés de pauvreté. « En publiant ces chiffres maintenant, la CES veut montrer que les salaires minimums en Europe ne sont pas à un niveau suffisant pour répondre aux besoins essentiels des travailleurs qui font face à une augmentation des dépenses contraintes, note Denis Meynent, conseiller à l’espace international de la CGT. Il y a un vrai enjeu à faire augmenter le salaire minimum partout en Europe, c’est ce qui explique que la CES et la CGT soient aussi investies dans cette bagarre en faveur de l’adoption d’une directive européenne sur un salaire minimum européen. »

Les propositions de la Commission européenne

Le principe n° 6 du Socle social européen datant du Sommet de Göteborg de 1997 établissait que « des salaires minimums appropriés doivent être garantis, à un niveau permettant de satisfaire aux besoins du travailleur et de sa famille », mais depuis, rien n’avait bougé sur ce front. L’arrivée d’Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission européenne marque un intérêt pour la dimension sociale de l’UE : les partenaires sociaux seront consultés en vue d’élaborer une législation, qui sera finalement présentée fin octobre 2020. La Commission propose l’établissement d’un « seuil de décence » qui permettrait une augmentation pour plus d’un quart de la main-d’œuvre dans six pays de l’UE et le renforcement de la lutte contre les inégalités salariales entre femmes et hommes.

Les femmes en première ligne de la précarité

Pour cela, la commission s’appuie sur l’augmentation de la proportion de travailleurs pauvres passée de 8,3 % en 2007 à 9,4 % en 2018. Une augmentation qui a touché 12 États membres dont des piliers comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne et spécialement les femmes, qui constituent près de 60 % des travailleurs au salaire minimum.

Une situation que la crise sanitaire a encore aggravée, car celles-ci constituent le gros des bataillons des travailleurs de première ligne présents dans la santé, les services à la personne, les commerces ou le nettoyage. La proposition d’établissement de « salaires minimaux adéquats » dans l’UE portée par cette directive européenne serait un tournant pour mettre fin à des années d’austérité qui n’ont cessé de générer toujours plus de précarité et de concurrence entre les travailleurs et les entreprises européennes. Sans surprise, elle est soutenue par la Confédération européenne des syndicats (CES), mais combattue par le patronat européen.

Prochaine échéance : la position du Parlement européen

Le 11 novembre, le Parlement européen devrait adopter sa position quant à cette proposition de directive sur les salaires minimums. « C’est un moment important, car les syndicats espèrent faire adopter des amendements progressistes, qui s’ils passaient constitueraient des améliorations substantielles pour les salariés en Europe », explique Denis Meynent. Car ce qui coince, c’est le niveau du salaire minimum. Difficile d’établir un seuil commun tant les situations économiques diffèrent d’un pays membre à l’autre, mais pourquoi ne pas envisager la mise en place d’un seuil plancher correspondant à un ratio identique ? Le mouvement syndical européen réclame un salaire minimum de 60 % du revenu médian et de 50 % du salaire moyen de chaque pays.

« Cela constituerait des améliorations du salaire horaire dans pas mal de pays européens, relève le syndicaliste. En Belgique, par exemple, ce serait une augmentation du salaire horaire de l’ordre de 2 euros, vous imaginez à la fin du mois… » Le vote du Parlement européen est donc une étape importante avant d’attaquer la bagarre au niveau du conseil de l’union européen, l’autre colégislateur. « Et là, ce sera plus difficile, concède-t-il, car nombre d’États membres ont intérêt à garder des salaires minimums bas parce que c’est là-dessus qu’est assis leur modèle économique — pour le plus grand malheur de leurs propres populations. »

Un rapport de force sur fond d’échéances électorales

Quelques mois avant une élection présidentielle qui pourrait mener à une prolongation des politiques d’austérité et de réduction de la dépense publique, la CGT a fait de l’augmentation du pouvoir d’achat une question centrale : elle a lancé une campagne revendiquant l’ouverture de négociations salariales dans les entreprises, elle milite en faveur de la mise en place de mécanismes qui annulent des coefficients en dessous du SMIC, encore à l’œuvre dans des grilles de salaire de plusieurs conventions de branches…

« Il y a tout ce qu’on fait au niveau national et tout ce qu’on peut faire en complément au niveau européen pour établir le rapport de force nécessaire vis-à-vis du Conseil de l’union européen, c’est-à-dire des États membres, à l’adoption d’une position en faveur des intérêts des travailleurs », note le syndicaliste.

Quelles mobilisations en vue ?

La réunion du conseil de l’Union européenne au début du mois de décembre devrait permettre de préciser les bases de discussion sur les salaires minimums européens entre le Parlement, le conseil et la Commission européenne. « Mais ce trilogue est un processus assez opaque et pour qu’il en sorte une décision favorable aux travailleurs, conclut le syndicaliste, il faudra qu’ils s’invitent dans les discussions entre gens de bonne compagnie et qu’ils montrent leurs muscles ». Alors que les taux de contaminations au Covid-19 repartent à la hausse à travers l’Europe, quelles formes prendront les mobilisations pour l’augmentation des salaires minimums ?


   >>     Faites c’que j’dis, pas c’que j’fais

Publié le 20 octobre 2021
Par Laurent Milet | Rédacteur en chef de la RPDS

Faites c’que j’dis, pas c’que j’fais

Afin de garantir le pouvoir d’achat des salariés, le Smic est indexé sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation. Lorsque cet indice augmente d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du dernier montant du Smic, ce dernier est augmenté dans la même proportion. Suite à une progression de 2,2 % de l’indice des prix à la consommation entre novembre 2020 et août 2021, le niveau du Smic a donc été automatiquement augmenté de 2,2 % au 1er octobre 2021.

V’là-t’y pas que notre ministre du Travail s’est alors précipitée vers les micros pour se féliciter de l’accroissement du pouvoir d’achat des salariés les plus faiblement payés, engendré par cette augmentation. Sauf que non ! L’augmentation automatique intervenue ne permet pas d’accroître le pouvoir d’achat des salariés concernés, mais seulement de leur garantir sa stabilité, eu égard à la hausse importante des prix sur la dernière période.

Or, la ministre n’ignore pas qu’indépendamment de cette indexation, le gouvernement peut procéder à l’augmentation du Smic, ce que l’on appelle le coup de pouce. Il est donc piquant de constater que, dans le même temps où elle exhortait le patronat à augmenter les salaires, la ministre n’a pas jugé bon de donner le fameux coup de pouce. Cela aurait pourtant permis de tirer l’ensemble des salaires vers le haut et d’assurer, enfin, un peu de reconnaissance pour les premiers de corvée. Faites c’que j’dis, pas c’que j’fais. Pouce en bas.


 

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