LIVRES / LE SAVOIR ENGAGÉ

    par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                            Livres

Covid-19. La mise à nu du politique. Essai de Mohamed Mebtoul. Koukou Editions, Alger 2021, 210 pages, 800 dinars

En 26 textes, l’auteur, réfutant de s’inscrire dans la moralisation de la pandémie, dévoile les multiples interpénétrations entre le biologique, le politique et le social, en privilégiant la distance critique vis-à-vis du mal en soi. Il montre au contraire que la pandémie représente un analyseur pertinent des rapports sociaux, du fonctionnement du politique et des bouleversements dramatiques vécus en particulier par les populations les plus vulnérables.

Il a donc mobilisé les connaissances accumulées à la fois sur le plan théorique et empirique durant plus de trente ans, sous -tendues par les multiples enquêtes de terrain sur les maladies chroniques, la médecine et la santé en Algérie pour tenter de comprendre finement la pandémie Covid-19 et ses effets pervers et inédits sur la société et le fonctionnement du politique. Pour lui (et pour presque tous, la majorité des citoyens), la santé est un bien collectif qui appartient à tous, engageant notre Être organique, psychique, social et politique et il semble impossible de gérer politiquement la Santé publique sans comprendre du dedans la vie quotidienne des personnes. Il n’y a qu’à se référer à l’étude (p 69 à 98) «Vivre avec la Covid -19 à Oran»: 29 entretiens approfondis qui représentent une richesse de données importantes

L’Auteur : Fondateur de l’anthropologie de la santé en Algérie. Professeur de Sociologie à l’Université Oran 2. Chercheur associé au G.r.a.s (Unité de recherche en Sciences Sociales et Santé). Auteur de plusieurs ouvrages (dont la citoyenneté impossible ?) et de travaux collectifs (direction et/ou en collaboration).

Table des matières : Première partie : Pandémie et société/ Deuxième partie : Vivre avec la pandémie Covid-19 à Oran/ Troisième partie : Enjeux sociopolitiques de la crise sanitaire/ Quatrième partie : Pour un savoir engagé/Epilogue/ Références bibliographiques

Extraits : «Force est de relever que la société algérienne a été construite comme un roman national où tout est pour le «mieux», même dans le faire-semblant, montrant une Algérie arrogante grâce au pouvoir qui administre de façon «héroïque» la société du «ventre» dans le but d’obtenir la paix sociale» (p37), «La société du «ventre» qui ne date pas d’aujourd’hui, est hégémonique quand tout fonctionne à l’interdit culturel et politique, aux censures et aux autocensures, ne pouvant en conséquence que fabriquer de la transgression» (p57), «Un système de santé sans débat contradictoire, sans émergence d’un espace local décentralisé, s’inscrit dans l’interdit politique. Il ne permet pas d’ouvrir ce champ du possible» (p132).

Avis : L’impression du déjà entendu, dit et/ou lu mais en réalité parce que c’est l’exacte vérité, tant et tant de fois répétée par l’auteur-chercheur. Hélas, il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre… et surtout qui croit savoir. Souvent le politique et parfois le citoyen lui-même.

Citations : «La société du risque est soutenue par la production des savoirs peu innocents» (p23), «Ne pas avoir confiance, c’est se positionner dans une logique de soupçon à l’égard d’un pouvoir donné» (p63), «Le mot médiation ne semble pas avoir le même sens pour ceux qui sont au pouvoir ou proches de celui-ci, et les populations qui souhaitent rompre avec la logique de l’attente et la «consommation» d’informations qui leur sont extérieures, produites sans aucune concertation» (p151), «Le scientifique est souvent étiqueté négativement par le politique. Il est toujours dans l’exagération et la critique radicale» (p179), «L’accumulation scientifique ne consiste pas à additionner mécaniquement les recherches, mais à s’inscrire résolument dans leur dépassement scientifique, pour produire des connaissances encore plus novatrices, plus actualisées, dans le but de permettre la belle concurrence-stimulation et la critique devant «nourrir» et renforcer le débat entre les pairs» (p195), «L’émancipation politique du système de santé se conjugue avec celle de la société. L’une ne va pas sans l’autre» (p202)

Algérie. La citoyenneté impossible ? Essai de Mohamed Mebtoul. Koukou Editions, Alger/Cheraga, 2018, 800 dinars, 216 pages (Fiche déjà publiée. Pour rappel)

Un fil conducteur central, en partant des pratiques sociales des individus: la difficulté d’être citoyen en Algérie.

Jusqu’ici, en Algérie, on croit, encore, en haut lieu et ailleurs, que l’on naît citoyen… alors qu’on le devient. La citoyenneté est une construction socio-politique. Elle est de l’ordre d’un «contrat» reconnu et respecté par les différents pouvoirs à l’égard de la population. Et, selon moi, aussi, par ceux-là mêmes qui sont et se sentent et se disent «citoyens». Donc, pour suivre l’auteur, loin d’être une notion abstraite et spéculative, la citoyenneté se donne à lire à partir de situations précises déployées par le citoyen. C’est ce que fait l’auteur tout au long d’une trentaine de chapitres distribués en cinq parties. A travers différents pans de la société (sport, éducation, université, recherche, hygiène publique, santé, travail, argent, vie politique, jeunesse, harga, hogra…).

En référence aux multiples expériences sociales des différents acteurs sociaux, il montre son absence, sa non-production, sa perversion (la citoyenneté) par les différents pouvoirs. Pourquoi ? Car, normalisée dans un système socio-politique producteur de statuquo : «Celui-ci reproduit à l’identique un populisme simplificateur et uniforme qui opère par déni du réel, faisant peu cas de la complexité et de la diversité de la société». Un système (au sein duquel le pouvoir va privilégier, depuis 1962, de façon récurrente, la violence politique comme mode d’appropriation de l’Etat… et où le «père» est institué et désigné par la force) orphelin de toute «épaisseur» intellectuelle et politique prônant un égalitarisme de façade ; des acteurs politiques évoquant sans cesse «le peuple», lui promettant le bonheur, mais sans lui demander son avis. Réactions : «La société n’étant pas une cruche vide ou une machine sociale qu’il importe de remplir de connaissances et d’attitudes, les personnes contournent en permanence les règles prescrites par les pouvoirs, sachant pertinemment qu’elles ne sont pas respectées par ceux-là même qui les ont produits. Elles élaborent leurs propres normes pratiques, en se retirant du jeu politique officiel, privilégiant l’indifférence ou l’indocilité» (A. Mbembe, 1998). Résultat des courses (sic !): une citoyenneté en «creux» qui n’accède pas à la reconnaissance sociale et politique de la personne, un statu quo favorisant la société du «ventre», antithèse de la citoyenneté. Déprimant, non !

L’Auteur : Voir plus haut

Extraits : «En réfutant, depuis 1962, toute légitimité populaire qui suppose la reconnaissance et le respect de l’Autre, et donc du citoyen, le pouvoir va privilégier de façon récurrente la violence politique comme mode d’appropriation de l’Etat. En effet, le «père» est institué et désigné par la force, la rhétorique populiste et la mise en scène électorale. Ce processus politique lui permet d’accéder au statut de responsable de la Nation» (p 13), «Les régimes arabes ont «réussi» le seul pari, celui de construire dans l’opacité et le secret une élite politique à sens unique, composée de cercles sociaux strictement dépendants du zaïm» (p 31), «Ce ne sont pas les personnes qui sont dépolitisées ou «inconscientes» du fait politique, mais plutôt la pratique politique actuelle en total déphasage avec la société qui semble exiger plus de transparence, de justice et d’exemplarité de la part des responsables politiques, produits d’appareils fermés sur eux-mêmes, sans enracinement et proximité avec les populations» (p 39).

Avis : Une analyse sans complaisance (assez engagée ?) du système politique algérien et de la société. A (très bien) lire… absolument… pour enfin se réveiller du statu quo, ce «si doux cauchemar»… tout en sachant que ce n’est pas «demain la veille» que nos «maladies» disparaîtront. Trop tard ? De plus, nous manquent des issues… au moins de «secours»

Citations : «La dignité est une forme sociale d’existence qui redonne sens à la personne pouvant exprime, dans l’espace public, sa joie, ses frustrations et ses espoirs» (p 27), «L’incorporation du culte du secret est un élément invariant et structure, indissociable du fonctionnement du politique en Algérie» (p 48), «La force des savoirs, c’est-à-dire leur ancrage profond dans la société, est intrinsèquement liée à la liberté de penser, qui représente la valeur centrale devant être inculquée dès le plus jeune âge, pour se prémunir de l’enfermement, de l’instrumentalisation et de l’endoctrinement» (p 68), «L’usage inconsidéré du verbe permet de s’inscrire dans l’inversion. User du verbe permet de s’approprier le pouvoir de dire… La magie du verbe devient une inversion de la compétence de fait, qui consiste à montrer, discrètement sur le terrain, ses capacités, son savoir-faire et son savoir-être» (p 148), «Faire semblant» n’est pas seulement une tactique ou une simple stratégie d’acteurs en mal d’ambitions, mais imprègne profondément le mode de fonctionnement de la société» (p 151), «La non-citoyenneté se traduit par une auto-culpabilisation collective face à des situations d’incivisme, d’hygiène publique ou de retrait de l’espace dit «public» (p 201)


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