«Allez chercher le savoir jusqu’en Chine»

       par Djamel Labidi

La Chine a mis fin, du moins pour l’instant, à l’épidémie de Covid-19. C’est une victoire stratégique. Le secret de cette victoire: elle n’a pas simplement voulu limiter l’épidémie, la gérer, comme c’est le cas dans la plupart des pays du monde où on se réjouit seulement que l’épidémie ne s’étende pas. Elle a voulu stopper, arrêter l’épidémie.

Pour la Chine, un cas de contamination est déjà un cas de trop. Une épidémie commence toujours par un cas. C’est la règle même des épidémies que beaucoup, hélas, ne semblent avoir compris. Derrière son succès, qui pourrait beaucoup nous apprendre, il y a aussi d’autres facteurs et d’abord un facteur social, moral: on estime là-bas que la morale c’est tenir compte avant tout de l’autre, de la santé de l’autre. C’est la base du contrat social. On met alors le masque pour préserver l’autre. Ailleurs, y compris chez nous, on pourra revendiquer, au nom de la liberté, le droit de ne pas le porter. On pourra penser, en toute bonne foi, qu’il s’agit de sa propre vie et qu’on est seul en droit de décider de la mettre en péril ou pas. C’est du pain béni pour le virus.

Le témoignage sur la Chaîne française ‘LCI’ d’un médecin français résident en Chine, « la Chine a fait la fête après l’éradication de l’épidémie à Wuhan, mais nous en France, nous l’avons faite pendant l’épidémie. Elle a fait la rentrée scolaire après la fin de l’épidémie à Wuhan, nous, nous la faisons pendant ».

C’est aussi une victoire technologique: 10 millions de tests dans la seule ville de Wuhan, pas un habitant qui n’ait été contrôlé. L’utilisation par tous des applications numériques qui font que chacun peut savoir s’il y a une personne contaminée dans ses environs. Ailleurs, on se méfie des gouvernants, les théories complotistes fleurissent, le Pr Raoult vient proposer son médicament miracle de l’hydroxychloroquine à une opinion et des gouvernants crédules ont polémiqué à l’infini sur l’atteinte aux libertés que représentent les applications numériques. On pourra ainsi suffoquer mais avec le plaisir d’être « libre ».

La Chine prend le large

En Chine, au lieu d’être un frein, cette épidémie s’est transformée en un élan technologique, social et moral. L’activité économique n’a pas été opposée aux impératifs humains, comme cela se passe désormais, un peu partout, où on envisage froidement un coût humain à l’épidémie. La liquidation de l’épidémie, la prise en compte avant tout du facteur humain, celui de la santé des populations (1) a créé un climat de confiance envers le pouvoir. L’activité économique a alors repris puissamment, démontrant par là même, que les deux options, économique et humaine ne devaient pas être opposées. La Chine prend désormais le large, aussi bien sur le plan économique que technologique.

Or, dans la plupart des pays, tout se passe comme si on n’avait d’autre vision que statique, c’est-à-dire revenir à avant la Covid-19, au passé et d’autres ambitions que de lancer, dans une atmosphère irréelle, des plans de relance économique à coups de dizaines de milliards de dollars, dont on ne sait d’où ils viennent en l’absence de croissance, et qu’on ne comprenne pas qu’on est rentré vraiment dans une autre époque. Quand donc va-t-ton comprendre que cette épidémie est un test pour chaque gouvernement, pour chaque pays, pour chaque société, et qu’elle déterminera son avenir à chacun.

Pour se convaincre de la différence d’efficacité dans l’approche de l’épidémie, il suffit de considérer et de comparer la situation actuelle de la Chine avec un pays de même population comme l’Inde. Que dire aussi de la comparaison avec les Etats-Unis.

C’est la deuxième victoire stratégique que la Chine remporte sur une épidémie après celle de 2005 sur le virus SARAS. Elle est significative. Tout laisse, en effet, croire que dans l’avenir, ces situations épidémiques vont se répéter avec la mondialisation et le développement de la population humaine, qu’elles exigeront de nouveaux moyens technologiques et économiques, et de profondes réformes sociales.

Ne pourrait-on pas, en Algèrie, essayer d’apprendre de l’expérience de la Chine, d’y envoyer des missions d’information ? « Allez chercher le savoir jusqu’en Chine ».

(1) La Chine a donné la priorité à la vie et à la santé de son peuple malgré les avantages économiques à court terme..» déclare Wang Hufeng, directeur du Centre d’études pour la réforme des soins de santé de l’Université Renmin de Chine.


Lire aussi :   

Vers les sociétés du savoir : Rapport mondial de l’UNESCO

Préface
Éducation, science, culture, communication : l’ampleur du domaine couvert par l’UNESCO garantit la pertinence de sa mission, tout en signalant sa complexité croissante. De fait, avec les bouleversements issus de la troisième révolution industrielle – celle des nouvelles technologies –, une nouvelle dynamique s’est créée, puisque la formation des individus et des groupes, les avancées scientifiques et techniques et les modes d’expression culturelle ne cessent d’évoluer depuis le milieu du XXe siècle, notamment dans le sens d’une interdépendance croissante. Ce dernier point, avouons-le, est plutôt une bonne chose.
Pour ne prendre qu’un exemple, peut-on imaginer aujourd’hui un usage des biotechnologies qui ne se préoccuperait pas des conditions culturelles de sa mise en œuvre ? une science qui ne se soucierait pas de l’éducation scientifique ou des savoirs locaux ? une culture qui négligerait la transmission éducative et les nouvel-les formes de savoir ? Quoi qu’il en soit, la notion de savoir est au cœur de ces mutations. On reconnaît aujourd’hui que le savoir est devenu l’objet d’immen-ses enjeux économiques, politiques et culturels, au point de pouvoir prétendre qualifier les sociétés dont nous commençons à voir se préciser les contours.« Sociétés du savoir » : si l’on s’accorde en général sur la pertinence de l’expression, il n’en va pas de même pour son contenu. De quel(s) savoir(s) parle-t-on en effet ? Faut-il entériner l’hégémonie du modèle techno-scientifique dans la définition du savoir légitime et productif ?
Et que faire, face aux déséquilibres qui marquent l’accès au savoir et aux obstacles qui s’y opposent, à l’échelle locale comme à l’échelle globale ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles ce premier Rapport mondial de l’UNESCO s’efforce d’apporter des éléments de réponse éthiques et pratiques, guidé par une conviction forte : les sociétés émergentes ne sauraient se contenter d’être de simples composantes d’une société globale de l’in-formation ; pour demeurer humaines et vivables, elles devront être des sociétés du savoir partagé. Le pluriel vient ici consacrer la nécessité d’une diversité assumée. Le moment semble bien choisi pour reprendre ce dossier : la multiplication des études sur le nouveau statut du savoir et la prise en compte croissante de ces questions dans les initiatives de développement permettent désormais d’avoir le recul nécessaire à un premier bilan et d’en tirer des enseignements propres à motiver une force de proposition en ce domaine.

Tout cela justifie pleinement le titre et les orientations de ce rapport.Au fil de ces pages se dessinera un panorama qui peint l’avenir sous des traits tour à tour prometteurs et préoccupants. Prometteurs, car le potentiel offert par un usage raisonné et volontariste des nouvelles technologies ouvre de véritables perspectives pour le développement humain et durable et pour l’édification de sociétés plus démocratiques. Préoccupants, car les obstacles et les pièges sur la voie de cette construction existent bel et bien. On a souvent évoqué la fracture numérique, qui est réelle. Mais il est un fait encore plus inquiétant : la fracture cognitive qui sépare les pays les plus favorisés des pays en développement, notamment les pays les moins avancés, risque de s’aggraver, tandis que, au sein même des sociétés, des fractures tout aussi profondes apparaissent ou s’élargissent.

Comment les futures sociétés du savoir pourraient-elles accepter d’être des sociétés dissociées ?C’est le rôle de la prospective que de ne pas minimiser les tensions et les dangers futurs au nom d’un optimisme de convention. Mais l’anticipation se veut aussi une incitation à l’action. En cela, elle ne sau-rait non plus céder au pessimisme. C’est à cette con-dition que la réflexion prospective peut se faire, à bon droit et à bon escient, prescriptive. Forum et carrefour, c’est-à-dire tout à la fois lieu de rencontres, d’échanges et de débats, l’UNESCO a pour vocation d’inventer des cheminements qui, tout en nous orientant vers des horizons communs, préservent la diversité des rythmes et des méthodes. Et, ajouterai-je, ne se contentent pas de préserver cette diversité, mais s’appuient sur elle, en la considérant comme un atout et non comme une faiblesse.

Qu’on ne cherche pas ici des solutions simples et unilatérales. Qu’on y cherche en revanche des pistes Préfacede réflexion et d’action pour mettre la communication et l’information au service de la transmission du savoir, transmission que l’on voudrait voir s’ancrer dans le temps et s’étendre dans l’espace, opérant entre les générations et entre les cultures.Pour faire face à un tel défi, l’UNESCO, de par ses domaines de compétence, dispose d’une exper-tise et d’une expérience précieuses.

La révolution technologique et cognitive que nous avons héritée du XXe siècle a donné une dimension nouvelle au mandat de l’Organisation : désormais plus stratégiques et plus complexes, les défis que nous avons à relever n’en sont que plus stimulants. Les constats et les pro-jets que nous proposons ici, dans le premier Rapport mondial de l’UNESCO, soulignent tous la nécessité de refonder une éthique pour orienter les sociétés du savoir en devenir, une éthique de la liberté et de la responsabilité. Une éthique qui sera, répétons-le, fondée sur le partage des savoirs.

Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO


Sommaire

Liste des encadrés, figures et tableaux 11
Liste des sigles et acronymes 14
Introduction 17
Vue d’ensemble 24
1. De la société de l’information aux sociétés du savoir 27
Les sociétés du savoir, source de développement 27
La solidarité numérique 29
La liberté d’expression, pierre de touche des sociétés du savoir 39
2. Sociétés en réseaux, savoirs et nouvelles technologies 45
L’économie de la connaissance dans les sociétés en réseaux 45
L’impact des nouvelles technologies sur les savoirs en réseaux 47
Des sociétés de mémoire aux sociétés du savoir ? 52
3. Les sociétés apprenantes 57
Vers une culture de l’innovation ? 57
Apprendre, valeur clé des sociétés du savoir 60
La disponibilité des savoirs 64
4. Vers l’éducation pour tous tout au long de la vie 69
L’éducation de base pour tous 71L’éducation pour tous tout au long de la vie 78
Enrichir l’éducation : réforme des institutions, formation des enseignants et qualité de l’éducation 82
« E-ducation » : nouvelles technologies et éducation à distance 85
5. L’avenir de l’enseignement supérieur 89
Vers un marché de l’enseignement supérieur ? Les enjeux du financement 89
Des réseaux universitaires qui restent à inventer 93
Les nouvelles missions de l’enseignement supérieur 98
6. Une révolution de la recherche ? 101
Les nouveaux lieux de la recherche 101
Les nouvelles frontières de la science 114
Recherche et développement : les enjeux du futur 117
7. Sciences, publics et sociétés du savoir 123
Une bonne gouvernance des sciences et des technologies 123
Une crise de l’enseignement des sciences ? 130
 Pour une culture scientifique 134
 8. Risques et sécurité humaine dans les sociétés du savoir 139
 Le savoir, une panacée contre les risques ? Prospective et anticipation des catastrophes 139
 Les sociétés du savoir, source de nouveaux risques ? Risques globaux, risques stratégiques et nouvelles criminalités 144
Sociétés du savoir, sécurité humaine, droits humains et lutte contre la pauvreté 146Vers des sociétés du développement durable ? 148
9. Savoirs locaux et autochtones, diversité linguistique et sociétés du savoir 155
Préserver les savoirs locaux et auto chtones 156
Diversité linguistique et sociétés du savoir 160
Pluralisme, traduction et partage du savoir 165
10. De l’accès à la participation : vers des sociétés du savoir pour tous 167
 De la fracture cognitive au partage du savoir 167
Les femmes dans les sociétés du savoir 176
L’accès universel au savoir : partage du savoir et protection de la propriété intellectuelle 178
 Le renouveau des espaces publics démocratiques dans les sociétés du savoir 188
Conclusion 195

Recommandations 201

Références 205

Notes 222   /  Vers les sociétés du savoir — ISBN 92-3-204000-X — © UNESCO 2005 


Lire : le Rapport intégral

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      Place de la science et de la technologie dans un plan de développement véritable pour une économie nouvelle

par Mohand Tahar Belaroussi*

Dans le cadre de la Conférence nationale portant sur le Plan de relance pour une économie nouvelle tenue les 18 et 19 août 2020 au CIC (Centre international de conférences – Club des Pins), j’ai participé, en tant qu’expert, à cette rencontre à l’occasion de laquelle un document de travail et des documents de référence relatifs aux ateliers de travail ont été remis aux participants, et parmi lesquels le Plan d’action du gouvernement dans son volet économique.

C’est justement sur l’élaboration de ce Plan que la présente contribution se propose de mettre davantage en lumière le thème de la science et la technologie (S&T) qui est absent dans l’ensemble du document proposé et qu’il convient de lui accorder une grande importance quant à l’élément intégration de la politique scientifique et technologique dans le processus de planification comme conditions du développement socioéconomique dans une perspective nationale et internationale. Cependant, tous les efforts consentis par l’Etat ne constituent que des mesures d’urgence, appoints sans doute précieux au plan actuel de développement national, mais seulement des variantes, à peine mises à jour, des précédents plans qui ont précipité le pays en situation de vulnérabilité économique et sociale.

Dans cette contribution, il ne s’agit pas tant de vouloir résoudre des problèmes d’urgence, mais davantage d’élaborer une stratégie de développement économique plus durable permettant de définir plus clairement les buts et les moyens d’une économie adaptée aux conditions concrètes du décollage de notre pays et d’éviter ainsi de reproduire les mêmes schémas d’élaboration de plans où la recherche, bien qu’elle figure dans l’un des chapitres des plans des gouvernements successifs, n’a aucune prise sur les secteurs de l’activité nationale.

Puisque le principal sujet inscrit dans cette rencontre est le développement d’une économie nouvelle qui est essentiel à l’heure actuelle, l’intégration des apports de la S&T dans les plans et les activités concrètes de développement économique, social et culturel, devait être le sujet de préoccupation majeure. Celles-ci ont en effet joué un rôle clé dans la croissance économique, qui est à la fois relativement clair et généralement reconnu de tous. Constater les progrès rapides de la S&T, les changements considérables entraînés par ce progrès dans les divers secteurs de la vie économique, les dépenses croissantes de recherche et la nécessité ressentie par les Etats de se doter de politique volontariste de la S&T, devrait nous conduire à admettre l’existence d’une relation d’interdépendance entre science, technologie et croissance économique. Refuser d’accepter cette évidence, ce serait priver sa population de toute perspective réelle.

Par conséquent, il est capital et extrêmement urgent, à ce tournant décisif de l’histoire de notre pays et de son évolution, que nos responsables fassent preuve de la volonté politique et du courage requis pour modifier en profondeur la situation actuelle concernant l’utilisation de la S&T en tant que base de développement socioéconomique.

Sans vouloir reproduire et répéter ici les différents points déjà cités à travers nombre de nos contributions à ce très important débat sur le Plan de développement pour une économie nouvelle, nous voulons nous attacher en particulier à mettre en évidence la structure générale du Plan national de développement qui place la S&T au cœur de la stratégie de développement [1-4].

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous aimerions citer ce passage très significatif du livre de consultants de l’UNESCO à propos de la question sur lequel est structurée la présente contribution : «Il n’y a pas de plan, et d’une manière générale, de politique de la recherche s’il n’y a pas d’idées scientifiques/technologiques nouvelles et de volonté d’orientations originales de développement national pour leur donner des champs d’application possibles. Sans ces idées, la démarche du cheminement intellectuel de la programmation n’est que bureaucratie stérile. Par contre, si des idées scientifiques et technologiques nouvelles se présentent, alors l’exercice de planification-programmation-budgétisation vise à leur donner corps et constitue un processus de valorisation raisonnée de ces idées. Le risque couru dans ce dernier cas est un changement de structures, de modification des habitudes et de certaines relations entre les hommes et des intérêts qu’ils représentent. Si ce risque n’est pas couru, il est inutile d’élaborer une politique de la recherche véritable et d’entreprendre une procédure de la programmation» [5].

Ce passage renferme quelques éléments clés qui me semblent particulièrement importants pour nous aider à réussir dans cette entreprise collective que nous présentons ci-dessous.

1. La planification à moyen ou à long terme dans le domaine de la scienceet technologie

Nous soulignons que les passages ci-dessous relatifs à la planification reprennent et résument aux mieux l’approche méthodologique utilisée qui est décrite dans le livre susmentionné sur laquelle nos responsables devraient s’appuyer dans l’élaboration d’un Plan national de développement.

La planification est de nature essentiellement politique et stratégique. Ce sont des responsables de haut niveau dans le gouvernement ou dans les sphères socioéconomiques les plus élevées qui en définissent les contours, qui prononcent les premiers les termes qui seront retenus plus tard comme objectifs, qui suggèrent les ordres de grandeur financiers, les délais, les institutions éventuelles d’exécution. Bien entendu, ces personnalités n’inventent pas tout cela. Elles ne font que traduire des demandes collectives ou professionnelles, des informations sur la concurrence internationale, des impressions personnelles. Ce sont des preneurs de risques conseillés sur le plan scientifique et technologique par des personnalités au plus haut niveau dans leur pays, et le plus souvent reconnus internationalement par la communauté scientifique.

«Un Plan national de développement est normalement divisé en chapitres dont l’un précise les options macro-économiques de base et dont les autres correspondent aux divers secteurs de l’activité nationale. La pratique se répand lentement mais sûrement de consacrer un chapitre du Plan aux activités scientifiques et technologiques nationales, c’est-à-dire à la recherche-développement (R&D)** et aux services scientifiques et technologiques connexes (SST)***. Mais il reste entendu que les divers chapitres du Plan consacrés au secteur productifs de l’économie (biens et services) doivent indiquer les apports attendus de la R&D nationale et des transferts de technologie. En d’autres termes, le Plan national de développement doit distinguer clairement :

i. d’une part, les programmes spécifiques de S&T (horizontaux) concernant le Système scientifique et technologique national proprement dit et servant plusieurs secteurs de l’activité nationale ou plusieurs objectifs socioéconomiques de développement, ou encore l’objectif de progrès général des sciences. Ces programmes décrits dans un chapitre particulier du Plan sont constitués par :

– des actions visant à développer les ressources humaines, financières, institutionnelles, matérielles et informationnelles consacrées à la R&D et aux SST (le potentiel scientifique et technologique) ;

– des actions visant au progrès général de la science en tant que telle (recherche fondamentale et service scientifique de base) ;

– des actions de recherche appliquée et de développement expérimental contribuant à plusieurs secteurs ou objectifs socioéconomiques, ainsi que des services scientifiques et technologiques connexes.

ii. D’autre part, les programmes socioéconomiques (verticaux) concernant les différents secteurs de l’activité nationale et faisant appel à des apports scientifiques et technologiques prévus dans des sous-programmes de S&T chargés de développer de nouveaux produits ou procédés ou d’adapter localement les technologies importées. Ces apports sont décrits en termes généraux dans les chapitres du Plan concernant ces différents secteurs : agriculture, industrie, énergie, santé, transport, télécommunications, etc.».

Dans ce domaine, les pays d’Asie tels que la Chine, la Corée du Sud, Singapour, la Malaisie, le Vietnam, qui ont une expérience dans le domaine de la planification, ont effectivement réussi un décollage économique spectaculaire dans des délais relativement brefs, multipliant leur poids dans l’économie mondiale. Leur expérience pourrait être mise à contribution à travers des formations spécifiques sur les questions liées à l’intégration de la S&T dans le développement économique, social et culturel. Ces formations offriront aux personnels œuvrant dans tous les secteurs de l’économie, y compris le socioculturel, les bases méthodologiques et informationnelles assurant une maîtrise suffisante des principes et techniques de management moderne, en particulier dans le domaine de l’application de la S&T au développement (Management S&T) [6].

Sur le plan des idées, il convient mieux de citer Mao Tsé-toung qui disait : «La meilleure preuve de la justesse de nos idées, c’est leur réussite dans le domaine économique».

2. Définition des leviers pour le développement d’une économie nouvelle

La rapidité de l’évolution des technologies est un des traits les plus marquants de notre époque. Les progrès technologiques se manifestent dans des technologies dites «de hautes technologies», «de pointe» ou «universelles». Elles ne sont pas seulement de plus en plus utilisées dans les produits et les services, mais constituent aussi la base des techniques de production de pointe sur lesquelles se fonde la compétitivité économique internationale de tous les pays avancés.

Les pays d’Asie ont suivi la même voie et ont acquis une nouvelle force industrielle grâce à ces technologies. L’intérêt se concentre principalement sur trois familles de technologie sur le plan fondamental, lesquelles ont un impact majeur sur une large gamme d’activités économiques, sociales et environnementales et qui sont les matériaux nouveaux, la microélectronique et la biotechnologie. Ces technologies sont utilisées pour fonder de nouvelles entreprises, créer de nouveaux emplois et développer les moyens de protéger l’environnement.

Comme antécédents formels, il convient de souligner que ces technologies ont fait l’objet de prises de positions officielles au niveau international gouvernemental. Nous avons la ferme conviction qu’elles peuvent constituer des leviers potentiels de croissance de l’économie nationale et «des vecteurs de réforme centraux» pour reprendre l’expression du Professeur Elias Zerhouni. Ces technologies contribueraient par-là à l’insertion de notre pays dans l’économie mondiale en ciblant un positionnement sur leur chaîne de valeur et en saisissant les opportunités qui s’offrent à nous [7].

Sachant que c’est de l’entreprise que partent les changements économiques, ce qu’il faut à ce stade, c’est de rechercher des gagnants. En fait, rien ne réussit autant que le succès. Si l’on peut trouver quelques gagnants dans l’exploitation des technologies susmentionnées à des fins commerciales dans les secteurs basés sur les ressources naturelles et sur l’intelligence des ressources humaines, il faut les mettre en évidence et en faire la promotion. D’autres se dépêcheront de les suivre sans qu’on les y incite beaucoup. Alors, et alors seulement, on verra apparaître une véritable demande de mise en place d’une stratégie et d’une politique de soutien à l’innovation, à laquelle répondront donneurs et gouvernements.

Ce qu’il faut maintenant, l’étincelle en quelque sorte, ce serait une action énergique de communication pour faire connaître les idées émises aux utilisateurs finaux, appartenant à l’industrie, à l’administration, aux centres de recherche et aux universités. Ce travail comporterait une présentation des idées et des résultats à des auditoires sélectionnés issus des divers systèmes d’innovation, avec des tables rondes conduisant à des actions spécifiques et s’inspirant des apports des participants eux-mêmes et principalement les compétences nationales expatriées. Il devrait être extrêmement structuré, conduit par un secrétariat dévoué utilisant des outils formels de communication, et devrait permettre d’élaborer en commun des idées à diffuser et d’établir des réseaux stables de personnes et d’institutions à l’échelle nationale. Ce n’est que par ce processus de discussion des problèmes, des possibilités et des mécanismes liés à la stratégie développée que les idées prendront racine et auront des effets à la mesure de leur potentiel.

3. Diagnostic, politique et réponses stratégiques

L’expérience vécue par de nombreux pays montre que la création d’institutions de recherche ne garantit pas que ces institutions contribueront automatiquement au développement. Pour constituer un potentiel de recherche scientifique et technologique au service du développement national, il est nécessaire de disposer d’instruments de planification, de coordination et de gestion adéquats.

L’Algérie était dépourvue depuis longtemps d’un organe de politique scientifique et technologique, le gouvernement s’est efforcé de combler cette lacune en créant la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique, un organe prévu par la loi n°08-05 du 23 février 2008, modifiant et complétant la loi n°98-11 du 22 août 1998, sous l’autorité du ministre de la Recherche scientifique. Elle est chargée de la mise en œuvre, dans un cadre collégial et intersectoriel, de la politique nationale de recherche scientifique et de développement technologique. Elle est également chargée de gérer le Fonds national de la recherche scientifique et du développement technologique (FNRSDT).

Comment expliquer la déception, la morosité et l’échec -osons le mot- des deux dernières décennies 2000 et 2010 ? Le diagnostic est simple :

– le manque de personnel qualifié pour l’élaboration de politiques, la collecte, l’analyse et l’exploitation de données statistiques, la planification, la programmation budgétaire et autres méthodes de management, en particulier dans le domaine de la S&T ;

– la non-atteinte des objectifs de développement associés aux programmes nationaux de recherche (PNR) liée à la méconnaissance de l’ensemble de la démarche du processus d’innovation, à savoir la séquence Recherche-Développement-Production-Commercialisation ;

– la faiblesse du système d’information des décideurs et des spécialistes chargés de la préparation des décisions ;

– la faiblesse des services scientifiques et technologiques ;

– la source de financement est trop dispersée et leur répartition s’effectue entre des entités trop nombreuses dont la plupart n’atteint pas la taille critique ;

– la coordination déficiente entraînant un manque de confiance et de connaissance mutuelle et une forte tendance aux doubles emplois ainsi qu’à l’utilisation de petits moyens ;

– la mobilité des chercheurs est faible ;

– l’étranger, par des conditions de travail favorable, attire de nombreux chercheurs parmi les meilleurs ;

– l’université n’engendre pas d’entrepreneurs, capables de mettre sur pied de nouvelles entreprises en technologie et encore moins en hautes technologies, pourtant si nécessaires à une reconversion industrielle, faute de plateformes technologiques de pointe ;

– l’absence d’entités de R&D opérationnelles au sein des entreprises -le chaînon manquant de notre système national de recherche- d’où l’absence d’activités de développement expérimental et par conséquent l’absence des liens entre les universités, en tant qu’institutions d’appui, et le secteur de production industrielle.

On assiste ainsi au gaspillage d’un potentiel intellectuel, qui avait pourtant acquis une excellente réputation avant les années quatre-vingt-dix. Tous ces éléments-là sont évidemment liés et ils tiennent tous en profondeur à une cause facile à identifier : l’absence d’un plan stratégique !

Cependant, quelle que soit la nature de l’organe de politique scientifique et technologique mis en place, il doit cependant être en mesure, avec l’aide des comités consultatifs (dans notre cas, ce sont les comités sectoriels permanents et les commissions intersectorielles), d’assurer efficacement inter-alia les fonctions ci-après [7]:

– établissement de plans de développement des structures et du personnel de recherche ;

– détermination d’un équilibre adéquat entre recherche fondamentale, recherche appliquée et développement expérimental ;

– coordination des activités des différentes institutions de recherche intervenant dans le pays ;

– établissement d’un budget général pour toutes les activités scientifiques et technologiques nationales ;

– orientation et «monitoring» de toutes les activités liées aux transferts de technologie.

Pour que l’organe directeur de la politique de recherche puisse remplir effectivement sa mission, il devrait bénéficier effectivement d’un appui au plus haut niveau possible, en vue de disposer d’une autorité suffisante pour pouvoir effectuer des arbitrages. C’est pour cette raison, que dans les pays désireux de mettre en œuvre une politique volontariste de développement, l’organe directeur est placé sous la tutelle de la plus haute instance politique.

En outre, il doit disposer de moyens adéquats, en particulier d’un personnel ayant la maîtrise des méthodes de planification et de programmation des activités S&T ainsi que du processus de leur intégration dans le plan national de développement.

Enfin, l’organe directeur doit disposer d’un inventaire à jour du potentiel scientifique et technologique national ainsi que des statistiques fiables dans tous les domaines d’activité économique nationale, afin de pouvoir organiser, orienter et utiliser efficacement les moyens disponibles et de prendre les mesures les plus appropriées pour les renforcer.

En conclusion, le système national de recherche n’offre pas la fertilité que l’on est en droit d’attendre de lui. Non pas qu’il manque d’oxygène, mais parce qu’il souffre d’un problème d’ordre structurel, organisationnel et managérial.

N’y a-t-il pas intérêt pour nous à tirer les enseignements de l’exemple des pays émergents de l’Asie, Singapour, la Malaisie, le Vietnam, etc., -grâce à la lucidité et la détermination inébranlable de leurs protagonistes comme précurseurs de leur essor- mettent plus que jamais l’accent sur le rôle de la recherche fondamentale et les capacités offensives de la R&D ainsi que la formation de chercheurs de haut niveau. Plus que la volonté politique d’hommes isolés, c’est la motivation de la population toute entière pour le progrès technologique qui représentait dans ces pays un atout majeur.

Nous restons à l’affût des conditions nouvelles qui se profilent aujourd’hui à l’horizon. Les nouvelles autorités politiques, et à leur tête le président de la République, ont affiché résolument les options stratégiques de refondation de la gouvernance socioéconomique et politique, notamment en affirmant une volonté politique pour s’appuyer sur la recherche scientifique, l’innovation technologique et l’économie de la connaissance, comme facteurs-clés d’impulsion du processus de développement économique et social. Cette volonté révèle une forte prise de conscience au sein des autorités sur cet état de fait et sur le potentiel de développement que recèle notre pays.

Toutefois, à ce tournant décisif de notre histoire, espérons que nous ne reproduirons plus les erreurs du passé, car nous avons plein d’espoir, de bonne volonté et d’idées concrètes en vue de parvenir à un meilleur avenir pour l’Algérie.

Rare est le regard de celui qui voit et qui scrute les signes des temps qu’il est des instants privilégiés dans l’Histoire, comme un rendez-vous avec le Destin, où une politique paraît menacée de tous les dangers, alors qu’en réalité, le péril dégage l’horizon d’une manière tellement décisive qu’il présente plus d’avantages à éclater au grand jour que de risques pour l’œuvre ; car les obstacles qu’il met en évidence éclairent si bien la situation qu’ils ressemblent davantage à des appels à une prise de conscience et à une stratégie, comme un rappel à l’ordre, qu’à des barrières dressées sur le chemin à parcourir.

Il en est ainsi de l’évolution actuelle de notre société où les principes de morale politique sont bafoués, alors que notre pays a tout ce qu’il faut pour relever le défi dans le siècle qui s’ouvre devant nous, caractérisé par une conjoncture favorable : une économie mondiale ouverte et interdépendante et une désagrégation de la chaîne de valeur dans les secteurs des technologies universelles.

Nous avons des atouts, les ressources minérales et énergétiques. Nous avons une capacité humaine aussi bien locale qu’expatriée possédant des qualités intrinsèques susceptibles de s’actualiser et d’accomplir le miracle. Il y a plusieurs raisons de garder espoir et de l’entretenir. Aurons-nous la volonté ou la sagesse de les mettre à profit et, surtout, le courage et la volonté politique de passer à l’action ? Plutôt que de tourner le dos à une société en mal de vie et de rejeter notre responsabilité sur les autres qui ne peut, en effet, que nous porter préjudice, nous devons plutôt exercer notre liberté de changer par la traduction de notre prise de conscience en action, comme dit ailleurs, pour un projet de société ; c’est là l’essence même de l’humanité [4].

** Le sigle R&D : désigne globalement les activités de recherche scientifique et de développement technologique qui, de façon complémentaire à court ou à long terme, conduisent à l¢application de nouveaux procédés et la production de nouveaux produits. La R&D englobe les trois types d’opérations de recherche : recherche fondamentale, recherche appliquée et développement expérimental.

*** Les Services Scientifiques et Technologiques (SST) : désignent les essais, la normalisation, la métrologie, le contrôle de qualité, la collecte et le traitement des données scientifiques, les collections scientifiques et technologiques, la diffusion de la documentation et des données scientifiques, la vulgarisation, le dépôt de brevets et l’enregistrement de licences, etc.

Références :

1. Science et Technologie : la nécessité absolue d’un changement d’orientation stratégique, M.T. Belaroussi, El Watan, 6 février 2005

2. Pour une politique de recherche véritable, M.T. Belaroussi, El Watan, 12 juillet 2005

3. Recherche scientifique et politique de développement : quelle orientation pour la gouvernance ? M.T. Belaroussi, El Watan Economie, 30 juin 2008

4. La programmation de la recherche nationale : autopsie d’un échec annoncé, M.T. Belaroussi, Le Quotidien d’Oran, 6 janvier 2009

5. Méthodes de programmation applicables à l’orientation et à la gestion de la R&D nationale, Études et documents de politiques scientifiques – UNESCO, n° 68 (Paris, 1990)

6. http://www.unesco.org/new/en/natural-sciences/science-technology/sti-policy/asia/asia-stepan/

7. Stratégies et tactiques de réforme, Communication du Pr. E. Zerhouni, Rencontre nationale sur le plan de relance pour une économie nouvelle, CIC, 18 août 2020

8. Sciences, Technologie et Développement endogène en Afrique : Tendances, problèmes et perspectives. Castafrica II – Unesco – Juillet 1987

*Docteur en microélectronique


Autre source :  La science, la technologie et l’innovation dans l’optique
du programme de développement pour l’après-2015


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