Think tank sur la sécurité alimentaire dans les pays arabes : L’Algérie sera-t-elle, un jour, le Svalbard norvégien, ou le grenier du monde arabe ?

       

Par Mahmoud Ameur (*)

«La terre est un gâteau plein de douceur.»
(Charles Baudelaire.
Les fleurs du mal)

«L’agriculture est la plus ancienne occupation de l’homme : c’est elle qui fournit l’indispensable nourriture, irremplaçable source de vie.»
(Ibn Khaldoun. Discours sur l’Histoire Universelle. XIVe siècle)

«Nous proclamons notre volonté politique et notre engagement commun et national de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous et de déployer un effort constant afin d’éradiquer la faim dans tous les pays et, dans l’immédiat, de réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d’ici 2015 au plus tard.» Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale. Sommet mondial de l’alimentation du 13 au 17 novembre 1996/Rome.
La sécurité alimentaire est un enjeu de taille pour chaque pays, car la paix sociale en dépend intrinsèquement. D’ailleurs, certains chercheurs n’hésitent pas à pointer du doigt l’inexistence (ou la défaillance) de la sécurité alimentaire dans certains pays pour expliquer les manifestations ou les violentes émeutes qui se sont déroulées par exemple lors des «Printemps arabes». Il est donc de bonne guerre de réunir des experts autour de cette question. Car les États arabes sont les premiers importateurs de céréales dans le monde. Pour certains chercheurs, les pays arabes doivent se mobiliser pour renforcer leur sécurité alimentaire. Car les projections de leur dépendance à l’égard des importations de céréales vont progresser de près de 64% au cours des vingt prochaines années. Les facteurs ci-après : — faiblesse de la productivité et la croissance de la démographie dans ces pays ; leur dépendance totale à l’égard des marchés mondiaux des produits de base — vont peut-être engendrer des situations dangereuses dans certains de ces pays. «Mais, d’abord, c’est quoi la sécurité alimentaire ? Le terme ‘’sécurité alimentaire’’ est utilisé ici pour décrire, non seulement, la disponibilité de la nourriture, mais aussi la capacité d’acheter la nourriture. Pour une nation ou un ménage, être en situation de sécurité alimentaire, c’est disposer d’une source de nourriture fiable et de ressources suffisantes pour l’acheter.» Conseil économique et social. ONU. «Sécurité alimentaire en Afrique».
Selon la conférence du Sommet mondial de l’alimentation (1996), quatre dimensions doivent être complétées pour atteindre la sécurité alimentaire :
– la disponibilité des aliments, c’est-à-dire une production agricole suffisante. La FAO estime qu’il faudra augmenter la production agricole de 60% pour faire face à l’augmentation de la population d’ici 2050.
– L’accès aux aliments, grâce à des moyens de subsistance et un niveau de vie adéquats.
– L’utilisation ou la qualité de l’alimentation, tant au plan de la sécurité sanitaire que de la nutrition.
– La stabilité ou la régularité des approvisionnements permettant de prévenir les crises alimentaires. Sources : Nations unies. Rome. OAA/FAO/FIDA/PAM. 26/10/2021.
L’Algérie peut jouer un rôle de premier plan dans le domaine de la sécurité alimentaire. Elle dispose de grandes superficies, de la plus grande nappe d’eau souterraine au monde : la nappe de l’Albien. Cette nappe est à cheval sur trois pays : l’Algérie ; la Libye et la Tunisie. Or, la plus grande superficie (70%) se trouve en Algérie. Source : Wikipédia. Notre pays dispose en outre de 170 semences de qualité, «adaptées aux conditions climatiques, plus tolérantes aux maladies et avec des rendements conséquents à l’hectare». (Source Le Soir d’Algérie. Massiva Zehraoui, vendredi 19-samedi 20 mai 2023). De plus, un projet agricole implanté à Adrar sur une superficie de 4 000 hectares concernant la production de blé, d’orge, de luzerne et de lentilles, ainsi que l’élevage de bovins et d’ovins a déjà porté ses fruits. Initié dans le désert par le groupe turc Dekinsan, il fait partie des projets agricoles inclus dans les plans stratégiques de développement du pays par le gouvernement. Le blé récolté est de très bonne qualité. Le rendement est de 7 tonnes à l’hectare. Source : «Algérie : un projet agricole initié dans le désert produit ses premières récoltes de blé.» Agence Anadolu (Agence turque : 3 mai 2023. ESAT FIRAT). C’est un exemple édifiant, le gouvernement devrait, sans plus tarder, mettre en valeur de grandes superficies au Sahara. L’utilisation de la nappe d’eau souterraine est nécessaire. Le recours aux biotechnologies et à l’intelligence artificielle appliquées dans le domaine agricole est indispensable. Car ces sciences ont fait leurs preuves. Plusieurs pays dans le monde les appliquent à outrance.
Dans l’agriculture moderne, plusieurs paramètres doivent être pris en considération : mise en valeur des terres, l’eau, les biotechnologies et l’intelligence artificielle applicables dans le secteur agricole.
Je reproduis ici intégralement un article de Maria Franquesa publié dans le magazine Agroptima (spécialisé dans l’agriculture) le 18 février 2020. «Tout savoir sur les biotechnologies dans le secteur agricole.»
On entend par biotechnologies toutes les techniques qui utilisent des organismes vivants ou des substances obtenues à partir de ces organismes, pour la création ou la modification de produits à des fins pratiques déterminées. Les biotechnologies peuvent- être appliquées à tous types d’organismes et de microorganismes, depuis les virus et les bactéries jusqu’aux animaux et aux plantes. Ceci constitue un élément de grande importance pour la médecine ; l’agriculture et l’industrie modernes.

Les biotechnologies dans le secteur agricole
La biotechnologie agricole moderne englobe toute une palette d’instruments, utilisés par les scientifiques pour évaluer et manipuler les structures génétiques de ces organismes qui seront utilisés lors de la prochaine production ou l’élaboration de produits agricoles. Dans la production et l’élaboration agricole, les biotechnologies sont utilisées pour résoudre tous types de problèmes ; pour augmenter le rendement de la culture ; renforcer la résistance aux ravageurs ; lutter contre les conditions difficiles et également pour augmenter la teneur en nutriments de l’aliment.

Avantages des biotéchnologies en agriculture
Les biotechnologies apportent à l’agriculture :
Une plus grande résistance à la sécheresse
La sécheresse continue à être la plus grande menace pour la productivité agricole. Le changement climatique menace continuellement d’allonger la sécheresse et d’augmenter ses effets. Les biotechnologies figurent parmi les différents éléments qui peuvent aider les agriculteurs. Un exemple : le maïs en Afrique. On dit qu’environ 300 millions de personnes dépendent du maïs comme principale source d’alimentation. Les prévisions de sécheresse dans la zone africaine sont chaque fois plus impressionnantes. Un projet a vu le jour en 2017, qui envisage la plantation de maïs biotechnologique pour pallier ce problème.

Résistance aux maladies
Les biotechnologies vont augmenter la résistance à certaines maladies (champignons, bactéries et autres pathogènes) et les pertes économiques vont ainsi diminuer.

La tolérance aux herbicides
Avec des cultures biotechnologiques, l’agriculteur pourra choisir les herbicides qu’il jugera adaptés et les appliquer uniquement lorsque cela est nécessaire. De plus, cela renforcera les méthodes de culture directe, sans labour, qui encouragent la préservation des sols et réduisent les émissions de dioxyde de carbone.

Les ravageurs
Les biotechnologies permettent la production de cultures qui résistent aux attaques de certains insectes. Exemple : on trouve le maïs dont les variétés ont été modifiées pour incorporer une protéine insecticide qui donne aux plantes une protection contre les vers ou chenilles spécifiques. Le soja, le coton et certaines cultures maraîchères comme l’aubergine constituent des exemples significatifs.

Meilleure qualité nutritionnelle
D’autre part, les biotechnologies sont également utilisées pour améliorer les propriétés de certains produits alimentaires. Dans le cas des huiles de cuisine, des produits de plus en plus meilleurs pour la santé sont élaborés. Des progrès sont également réalisés dans les aliments pour enfants. Une nouvelle variété de riz, modifiée grâce aux biotechnologies, est renforcée avec du bêta-carotène, composant intéressant que notre organisme utilise pour la production de la vitamine A. La carence en vitamine A cause des millions de morts dans le monde et des centaines de milliers de cas de cécité irréversible.

Utilisation en élevage

En élevage aussi on obtient des avancées très importantes grâce aux biotechnologies. Dans la production du fourrage et l’alimentation du bétail pour améliorer sa nutrition et réduire les déchets, mais également pour aider au diagnostic des maladies et créer de nouveaux vaccins contre ces pathologies. Source Agroptima. Maria Franquesa 18 février 2020.

L’intelligence artificielle utilisée dans l’agriculture
Des scientifiques affirment que l’intelligence artificielle (IA) peut aider à optimiser la gestion de la culture, à l’amélioration du bien-être animal ou encore à l’amélioration du quotidien de l’agriculteur en utilisant ses données. Des moyens sophistiqués sont utilisés dans cette optique : tracteurs et engins agricoles dotés de systèmes intelligents, des drones, des pulvérisateurs, des robots…Ainsi, les drones sont capables de survoler une parcelle et de rendre compte de l’état des cultures. Les tracteurs peuvent être programmés et réaliser ainsi des opérations de façon autonome. Les robots peuvent jouer un rôle considérable. En effet, ils peuvent nettoyer les bâtiments d’élevage, par exemple. On affirme que les robots réduisent ainsi d’une manière considérable le stress des animaux. En effet, l’intrusion de l’homme dans les bâtiments (étables par exemple) est très réduite. Les animaux ne sont pas dérangés, ce qui abaisse le stress d’une manière significative. De plus, ces robots connectés à l’IA peuvent détecter certaines maladies qui peuvent toucher les bêtes. En outre, ces engins peuvent détecter une baisse de production d’un animal, par comparaison aux précédentes données collectées. L’agriculteur est ainsi alerté sur une éventuelle maladie de son troupeau. L’intelligence artificielle va même plus loin puisque l’agriculteur peut disposer de capteurs de données environnementales, de son et d’équipements basés sur des analyses par vidéos, lui permettant de détecter de manière précoce tout ce qui touche à son bétail : maladies, vêlage, agressivité, baisse de rendement, etc. L’IA n’a pas négligé l’irrigation. En effet, l’intelligence artificielle couplée à des capteurs de température et de stress hydrique permet de gérer l’apport en eau de manière automatique, dans les endroits les plus asséchés des parcelles. L’intelligence artificielle joue donc un rôle considérable dans le secteur agricole : elle permet à l’agriculteur d’augmenter la productivité et la qualité de ses récoltes, d’utiliser moins de produits chimiques, de faire des économies, de prévenir les maladies de ses animaux, etc.

En guise de conclusion
L’Algérie a les moyens de parvenir, non seulement, à l’autosuffisance alimentaire, mais aussi d’exporter (pourquoi pas ?) des récoltes de céréales vers d’autres pays. Il ne faut pas oublier que sous la Régence du Dey d’Alger, notre pays avait exporté durant plus de 250 ans du blé vers la France. L’Algérie deviendra, dans le futur (inchallah), le Svalbard norvégien, ou le grenier du monde arabe ou même de l’Afrique. Pourquoi pas ? Les technologies et les compétences sont disponibles. Et la terre est toujours généreuse. «La terre est un gâteau plein de douceur», disait Charles Baudelaire. Les fleurs du mal.


M. A.

(*) Chef de service régional du travail à la retraite ; ex-correspondant de presse.


Sources :
Citations de Baudelaire (Les fleurs du mal) et Ibn Khaldoun (Discours sur l’histoire universelle).
Déclaration sur la sécurité alimentaire. Sommet mondial sur la sécurité alimentaire. Rome 1996.
Le Svalbard norvégien (ou grenier du monde). C’est un endroit situé sur l’île norvégienne de Spitzberg, c’est la «chambre forte mondiale de graines» ou «chambre forte du Jugement dernier» ou encore l’«arche de Noé végétale». C’est en quelque sorte un filet de sécurité face aux catastrophes naturelles, aux guerres, aux changements climatiques, aux maladies ou encore aux impérities des hommes. C’est la plus grosse réserve mondiale de semences (1 million).
«Algérie : un projet agricole initié dans le désert produit ses premières récoltes de blé» (Agence turque Anadolu 3 mai 2023 ESAT FIRAT).
Le Soir d’Algérie vendredi 19-samedi 20 mai 2023 M. Zehraoui.
Agroptima. «Tout savoir sur les biotechnologies» Maria Franquesa. 18 février 2020.
Cross Data «Les réponses de l’intelligence artificielle face aux enjeux agricoles». Blog 9 septembre 2021.
La nappe de l’Albien, Wikipédia.
Conférence du sommet mondial de l’alimentation. Rome 1996 OAA/FIDA/FAO/PAM/2021.
«L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017». FAO/FIDA/OMS/PAM et l’Unicef 2017.
Nations unies (ONU). Conseil économique et social. «Sécurité alimentaire en Afrique», octobre 2009.

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