Six clés pour comprendre le quotidien des enfants confinés

La prédilection pour les écrans sort renforcée par le confinement.    Pixabay, CC BY   

Le confinement institué en France au printemps 2020 pour lutter contre la première vague de l’épidémie de Covid-19 a brutalement changé les conditions de vie et de travail. Ses effets pour les adultes commencent à être établis, en particulier l’accentuation des inégalités sociales. Assignés à résidence pendant au moins deux mois, les enfants ont été coupés de leurs interactions sociales et activités habituelles.

En s’appuyant sur l’enquête réalisée auprès de milliers d’enfants suivis depuis leur naissance, les cohortes Elfe et Epipage2, nous examinons ici le quotidien des enfants de 8 et 9 ans pendant cette période exceptionnelle.

Ont-ils passé leur temps devant des écrans ? Ont-ils été accaparés par des tâches domestiques pour aider leurs parents ? L’anxiété et les troubles du sommeil ont-ils augmenté chez eux ? Quelles sont les catégories d’enfants qui ont le plus pâti de cet épisode inédit ? Ce vécu se caractérise par sa diversité selon le contexte familial, l’emploi des parents, le niveau de vie et les conditions d’habitat.

Travail scolaire : les familles populaires en tête

Comment les enfants se sont-ils adaptés pour « passer le temps » ? Ils ont joué ou lu, beaucoup ; fait leurs devoirs, souvent ; aidé leurs parents, parfois ; sont sortis se promener, un peu.

Malgré la fermeture des écoles, le contact entre les enseignants et les familles n’a pas été rompu. La quasi-totalité des parents interrogés déclare ainsi que l’enseignant a transmis du travail scolaire et 95 % jugent que cela s’est fait sans trop de difficultés techniques, par courrier électronique (83 %) ou via l’espace numérique de travail de l’école (33 %). Le dispositif du Centre national d’enseignement à distance (Cned) « Ma classe à la maison » n’a été utilisé que par un enfant sur cinq, et le plus souvent occasionnellement.

Les parents déclarent également que le travail scolaire des enfants à la maison s’est plutôt bien passé. Deux tiers d’entre eux (65 %) ont pu facilement s’isoler pour travailler ; 95 % ont bénéficié de l’aide d’un proche, plus souvent de la mère que du père (respectivement 92 % et 60 %), parfois d’un frère ou d’une sœur (17 %).

Ce bilan plutôt positif doit néanmoins être nuancé. Les élèves ont en effet travaillé dans des conditions très inhabituelles. Les deux tiers d’entre eux ont travaillé moins de trois heures par jour. Seuls 13 % ont été aidés plus de 3 heures par jour. Et, dans un cas sur cinq, les proches auraient éprouvé des difficultés pour aider les enfants. La « continuité pédagogique » a donc été relative, reposant très largement sur la capacité des enfants à apprendre dans ces nouvelles conditions.

Figure issue des enfants à l’épreuve du premier confinement, Population et sociétés, n° 585, Xavier Thierry, Bertrand Geay, Ariane Pailhé, et al.., 2021. Author provided

C’est dans les milieux modestes que le temps consacré au travail scolaire par l’enfant et par la personne qui l’aide a été le plus important, signe du volontarisme des parents concernés et sans doute aussi de leurs difficultés pour mettre en œuvre « l’école à la maison ». Toutes choses égales par ailleurs, les chances d’être aidé à ce niveau sont accrues de 80 % dans les foyers à dominante employé, ouvrier ou de travailleur indépendant comparés à ceux avec des parents cadres.

Écrans et charges domestiques : des différences de genre

En dehors du travail scolaire, les enfants ont consacré en moyenne 2h45 par jour aux écrans sous toutes leurs formes, 1h45 à la lecture, aux activités artistiques et aux jeux de société, et plus de deux heures aux activités physiques et sportives.

Les écrans ont représenté plus de deux tiers du temps total de loisir pour 13 % des enfants. La prédilection pour les écrans sort donc renforcée par le confinement. À situation familiale et statut socioéconomique des parents équivalents, la probabilité d’être un gros consommateur d’écrans (y avoir consacré plus de deux tiers du temps total de loisir) fait plus que doubler chez les enfants vivant dans l’espace contraint d’un appartement par rapport à ceux qui habitent dans une maison en zone urbaine.

Les enfants vivant dans des foyers à dominante ouvrière ou employée sont également plus enclins à être de gros consommateurs d’écrans que les enfants de cadres (respectivement 2,7 et 2 fois plus). Cette situation met en évidence un effet lié à la taille de la fratrie – les enfants uniques, privés de partenaires de jeux durant le confinement, ont été davantage exposés que ceux qui ont des frères et sœurs. Elle illustre aussi un effet de genre déjà connu – les garçons ont 1,7 fois plus de chances d’être de gros consommateurs d’écrans par rapport aux filles.

La question du genre se retrouve aussi au niveau de l’implication dans les tâches domestiques. Les enfants ont été sollicités pour faire face à l’augmentation des charges liées à la fermeture des cantines et à la présence continue dans le logement. Ainsi, 44 % des parents déclarent une augmentation de la participation de leur enfant aux tâches domestiques pendant le confinement, des filles plus souvent que des garçons.

Comme elles participent déjà davantage en temps normal, le confinement a accentué les inégalités de genre dans le travail domestique des enfants. C’est dans les foyers aisés et chez les cadres que l’augmentation de la participation des enfants est la plus forte.

Climat familial et conditions de logement

Ce bouleversement des activités quotidiennes constitue une expérience potentiellement anxiogène et a pu retentir sur l’entente familiale, la qualité du sommeil et l’équilibre psychologique des enfants.

Mais ce vécu en vase clos n’a que peu affecté le climat familial. La grande majorité des parents déclarent ainsi que leurs relations avec leur(s) enfant(s) n’ont pas changé (61 %) ou se sont même améliorées (23 %). Une faible proportion (16 %) les trouve cependant plus tendues que d’habitude. Il en est de même pour les relations entre frères et sœurs. Les enfants vivant avec un seul parent ont plus souvent des relations dégradées avec lui (26 %) que ceux vivant avec leurs deux parents (15 %).

Les enfants à l’épreuve du premier confinement, Population et sociétés, n° 585, Xavier Thierry, Bertrand Geay, Ariane Pailhé, et al.., 2021. Author provided

Le climat familial s’est plus souvent amélioré dans les ménages de cadres. Les relations se sont en revanche dégradées lorsque la situation financière du ménage est perçue comme difficile. Les conditions d’habitat sont aussi déterminantes, les relations se sont plus souvent détériorées lorsque le logement ne disposait pas d’espace extérieur.

Une apparition de troubles du sommeil

Avec la disparition de l’obligation de se lever pour aller à l’école, près de 40 % des enfants ont vu leur durée de sommeil augmenter, mais elle a cependant diminué pour 14 % d’entre eux. Le confinement a eu un impact délétère sur le sommeil pour 22 % des enfants : la moitié connaissaient déjà des problèmes de sommeil auparavant et les a vus s’aggraver, dans les autres cas, les troubles sont apparus pendant le confinement.

Toutes choses égales par ailleurs, la présence de problèmes liés au sommeil en temps de confinement a été plus forte pour les filles que pour les garçons, les enfants de ménages à bas revenus que ceux de ménages aisés, et les enfants qui vivaient dans un immeuble par rapport à ceux vivant dans une maison urbaine.

Une petite proportion d’enfants, 13 %, ont quant à eux connu des difficultés socio-émotionnelles comme l’anxiété et la difficulté à se concentrer ou l’impulsivité. Ces problèmes sont très liés au type de famille et de logement. La proportion d’enfants présentant ce type de difficulté est élevée chez ceux vivant avec un seul parent (27 %) ou en appartement, surtout ceux sans balcon (23 %).

Même s’ils ont eu moins de contacts avec d’autres enfants pendant le confinement, les enfants uniques n’ont pas eu plus de difficultés. Les garçons ont subi plus de difficultés socio-émotionnelles que les filles, comme cela est observé en temps normal. Les enfants présentant ces troubles sont également surreprésentés dans les ménages aux revenus les plus modestes, notamment ceux confrontés à une baisse de revenus pendant le confinement (19 %) comparés aux ménages aisés et aux revenus constants (10 %).

Une dégradation au fil du confinement

Si l’on résume le faisceau de difficultés éprouvées par les enfants par un score synthétique, on observe que 55 % d’entre eux n’ont eu aucun problème particulier, 30 % en ont eu un seul, 10 % deux, 5 % trois ou plus. Les difficultés les plus fréquemment rencontrées sont la surutilisation des écrans et les troubles du sommeil.

Globalement, le risque d’être affecté par plusieurs de ces problèmes s’est accru de 25 % entre le milieu et la fin du confinement.

En dépit du bouleversement de leur quotidien, les enfants de 8 à 9 ans se sont plutôt bien adaptés au premier confinement. Le cadre protecteur de la famille a amorti le choc de la crise sanitaire et économique. Cependant, une partie d’entre eux l’a vécu plus difficilement. Il s’agit généralement d’enfants qui, en temps normal, ont des comportements et des difficultés spécifiques que le confinement a accentués.


Sont également co-auteurs de cet article : Nathalie Berthomier, Jérome Camus, Nicolas Cauchi-Duval, Jean‑Louis Lanoë, Sylvie Octobre, Julie Pagis, Lidia Panico, Thierry Siméon, Anne Solaz et l’équipe SAPRIS.

Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 585, « Les enfants à l’épreuve du premier confinement »


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