Algérie / DÉPASSER LE STATU QUO SUICIDAIRE : Six conditions pour pour une nouvelle gouvernance

      Par :  Dr Abderrahmane MEBTOUL

PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS, EXPERT INTERNATIONAL

L’entrave  principale  au  développement  en   Algérie  provient  de  l’entropie  qu’il  s’agit  de  dépasser  impérativement, renvoyant pas seulement aux facteurs économiques, mais également sociaux et politiques, dont une autre gouvernance par la profonde moralisation des dirigeants et de la société.

Une femme ou un homme politique qui n’insère pas ses actions au sein d’un cadre théorique cohérent aboutit par ses actions à des effets pervers qui peuvent se chiffrer en pertes pour la Nation en dizaines de milliards de dollars. Un théoricien qui élabore des schémas en dehors de la réalité aboutit aux mêmes effets négatifs, d’où l’importance de synchroniser la théorie et la pratique. C’est faute de comprendre l’essence du fonctionnement de la société comme le poids de la bureaucratie, de la sphère informelle, l’inflation et la cotation des monnaies, le faible taux de croissance, le chômage, le gel de projets tel que souligné récemment par le président de la République que l’on s’appesantit sur des mesures conjoncturelles. Ce qui explique qu’après plusieurs décennies d’indépendance politique nous avons toujours une économie rentière (97/98% des recettes en devises provenant des hydrocarbures avec les dérivés), influant sur le taux de croissance, de l’emploi, des réserves de change et de la cotation du dinar. Pour des raisons de sécurité nationale, l’Algérie n’a pas d’autre choix que de réussir les réformes devant éviter la vision bureaucratique, de croire que l’élaboration de lois est la seule solution, alors que la solution durable est de s’attaquer au fonctionnement de la société avec des actions concrètes sur le terrain, loin des discours et promesses utopiques. Combien d’organisations et de codes d’investissement depuis l’indépendance politique sans impacts réels ? Sans être exhaustif, je recense six actions de sortie de crise.
Premièrement, la politique de relance économique doit tenir compte des engagements internationaux de l’Algérie et évaluer sans passion les impacts des accords de libre-échange avec l’Europe, avec le monde arabe, avec le continent Afrique, ainsi que les déséquilibres de la balance commerciale avec d’autres pays comme la Chine et la Russie, accords qui nécessitent des dégrèvements tarifaires progressifs ne pouvant pénétrer les marchés mondiaux où règne une concurrence acerbe qu’avec des entreprises publiques et privées performantes, innovantes.
Deuxièmement, la forte croissance peut revenir en Algérie. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisées, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité ; les politiques parleront de justice sociale. La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être conduite que si, au plus haut niveau de l’État, une volonté politique forte les conduit et convainc les Algériens de leur importance, d’où, avec l’ère d’internet, une communication active transparente permanente. Ensuite, chaque ministre devra recevoir une “feuille de route” personnelle complétant sa lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence. Au regard de l’importance des mesures à lancer et de l’urgence de la situation, le gouvernement devra choisir le mode de mise en œuvre le plus adapté à chaque décision : l’accélération de projets et d’initiatives existantes, le vote d’une loi accompagnée, dès sa présentation au Parlement, des décrets d’application nécessaires à sa mise en œuvre et, pour les urgences seulement, des décisions par ordonnance pourront être utilisées.
Troisièmement, les actions coordonnées et synchronisées dans le temps exigent le courage de réformer vite et massivement, non des replâtrages conjoncturels, mais de profondes réformes structurelles à tous les niveaux, en ayant une vision stratégique pour le moyen et le long terme, devant donc réhabiliter la planification et le management stratégique. L’Algérie peut y parvenir dans un délai raisonnable. Elle en a les moyens. Pour cela, elle doit réapprendre à envisager son avenir avec confiance, libérer l’initiative, la concurrence et l’innovation, car le principal défi du XXIe sera la maîtrise du temps. Le monde ne nous attend pas et toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à la désintégration lente, à l’appauvrissement, une perte de confiance en l’avenir, puisque, avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Cette croissance exige l’engagement de tous, et pas seulement celui de l’État, en organisant les solidarités devant concilier efficacité économique et équité par une participation citoyenne et un dialogue productif permanent.
Quatrièmement, le pouvoir algérien a vécu longtemps sur l’illusion de la rente éternelle. La majorité des Algériens dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doit savoir que l’avenir de l’emploi et du pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. La nature du pouvoir doit également changer en supposant une refonte progressive de l’État par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’État gestionnaire à l’État régulateur, conciliant les coûts sociaux et les coûts privés, étant le cœur de la conscience collective, par une gestion plus saine de ses différentes structures.
Cinquièmement, pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, en développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Elle doit ensuite faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi. Elle doit favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs-clés, dont : le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement, les services à la personne avec le vieillissement de la population. Simultanément, il est nécessaire de créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle et de permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi, en toute sécurité. Pour mener à bien ces réformes, l’État et les collectivités locales doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune, concentrer leurs moyens sur les groupes sociaux qui en ont réellement besoin, faire place à la différenciation et à l’expérimentation, évaluer systématiquement toute décision, a priori et a posteriori.
Sixièmement, la justice sociale ne signifiant pas égalitarisme, source de démotivation, n’est pas l’antinomie de l’efficacité économique. Mais toute Nation ne peut distribuer plus que ce qu’elle produit, si elle veut éviter la dérive sociale. Il s’agira de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, en intégrant la sphère informelle représentant plus de 40% de la masse monétaire en circulation, plus de 30% du PIB et, non compris les hydrocarbures, entre 40 et 50% de la superficie économique et de l’emploi, que l’on ne combat pas par des mesures administratives qui ont pour effet son extension.
En résumé, il est nécessaire d’avoir une vision positive de l’avenir et d’éviter les positions et comportements défaitistes. L’entrave principale au développement en Algérie provient de l’entropie qu’il s’agit de dépasser impérativement, renvoyant pas seulement aux facteurs économiques, mais également sociaux et politiques, dont une autre gouvernance par la profonde moralisation des dirigeants et de la société. Les changements géostratégiques et économiques survenus depuis quelques années dans le monde, ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir, le monde devant connaître entre 2022/2030/2040 un profond bouleversement du pouvoir économique. Le temps ne se rattrape jamais en économie ; toute Nation qui n’avance pas recule forcément sur le plan mondial. Le principal obstacle au développement en Algérie est le pouvoir bureaucratique rentier qui bloque toute énergie créatrice. Le pouvoir bureaucratique sclérosant a ainsi trois conséquences comme frein à l’épanouissement des énergies créatrices. Première conséquence : une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays.
Deuxième conséquence : l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique. Troisième conséquence : la bureaucratie bâtit au nom de l’État des plans dont l’efficacité sinon l’imagination se révèle bien faible, déconnectés des réalités sociales.
Espérons des actions concrètes pour l’avenir, loin des discours populistes et des séminaires sans aucune portée, afin de dynamiser l’économie nationale. En ce mois de décembre 2021, la configuration socioéconomique est globalement la même que les précédentes décennies ; une économie de nature publique rentière. Sonatrach, c’est l’Algérie, et l’Algérie, c’est toujours Sonatrach.


 

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