Stratégie de Trump au Moyen-Orient : Unilatéralisme, Déni et Défi du Droit International

 

“The Trump administration has been acting as an errand boy for Israël in order to get as many victories for Israël. And now, it’s rushing like mad in a race against time before [leaving] office, in order to reposition Israël, to normalize relations with the Arab world, and deliver Palestine to Israël, and to legalize and legitimize the occupation of Palestine and the land left of Palestine” (Hanan Ashrawi, Democracy Now, December 9, 2020).

Par Arezki Ighemat 


A l’instar de sa politique nationale, la politique étrangère de Trump — et notamment sa politique au Moyen-Orient — est totalement différente de celle de tous ses prédécesseurs. Les administrations américaines ont toujours eu, et de façon constante, une attitude «soft» (tendre) vis-à-vis de ce qu’elles considèrent leur «eternal ally» (allié éternel) — Israël — et une attitude plus dure vis-à-vis de la Palestine, le nœud gordien de la crise au Moyen-Orient. Plusieurs administrations américaines ont essayé de trouver une sortie à cette crise existentielle — par moments faisant croire que la paix était à portée de mains — mais aucune n’a mis fin à ce conflit qui dure depuis l’inception d’Israël en 1948, soit près de trois-quarts de siècle. Jusqu’à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en 2017, les gouvernements américains avaient tenté de (re)mettre en relation — de donner la parole et donc la décision — aux deux principaux protagonistes : les dirigeants israéliens d’un côté et les dirigeants palestiniens de l’autre.

A l’exception des Accords d’Oslo-I (1993) et Oslo-II (1995) — qui étaient une tentative de mettre en relation les deux belligérants directement concernés, Israël et la Palestine — tous les autres accords ont essayé de mettre en relation un pays arabe non directement impliqué dans le conflit et Israël. C’était le cas de l’accord de Camp David entre Israël et l’Egypte et de l’accord Jordanie-Israël. L’Egypte a été le premier pays à inaugurer cette voie avec la signature le 17 septembre 1978 de l’Accord Egypte-Israël par le Président Anouar Saddat (assassiné ultérieurement) et l’ancien Premier ministre Menachem Begin à Camp David, aux Etats-Unis. Le second pays qui a conclu un accord de paix avec Israël est la Jordonanie, qui a signé le 26 Octobre 1994 — seize ans après l’accord Egype-Israël — l’accord d’Arabah (Israël), paraphé par Ishak Rabin du côté israélien et le Premier Ministre Abdelsalam Majali, du côté Jordanien.

Cette seconde voie des accords bilatéraux séparés entre un pays arabe et Israël semble avoir prévalu aujourd’hui sur la voie des accords directs entre Israël et la Palestine. Donald Trump — probablement de connivence avec le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu et Jared Kushner, son beau-fils et conseiller spécial pour les affaires du Moyen-Orient — semble privilégier cette voie dans son approche de la paix dans la région. En effet, Trump semble avoir complètement mis «off the table» (c’est son expression) la question palestinienne et privilégié la voie des accords séparés pays arabes-Israël.

Premières décisions unilatérales : Jérusalem, capitale d’Israël et transfert de l’ambassade US

La première série de mesures prises par Donald Trump pour inaugurer cette stratégie détournée de règlement de la crise au Moyen-Orient est celle de déclarer — publiquement et unilatéralement (ou plutôt en tandem avec le Premier Ministre israélien Netanyahu) — Jérusalem la nouvelle capitale de l’Etat Hébreu à la place de son ancienne capitale Tel Aviv. Cette décision, prise le 17 Décembre 2017, a été suivie par une autre décision concomitante : le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Cette décision est en totale contradiction par rapport aux décisions prises par les gouvernements américains depuis 1949, date de création d’Israël. D’abord, les Etats-Unis avaient opté pour un régime international concernant Jérusalem et le statut de la ville sainte devait être scellé par des négociations entre Israël et l’Autorité Palestinienne.

Ensuite, les Etats-Unis s’étaient opposés en 1949 à la Déclaration par Israël de faire de Jérusalem sa capitale, comme ils s’étaient opposés d’ailleurs à la Déclration de la Jordanie en 1959 de faire de Jerusalem sa seconde capitale. Les Etats-Unis s’étaient aussi opposés à l’annexion par Israël de Jérusalem-Est à la suite de la guerre de 1967. A l’opposé, le Congrès américain avait adopté en 1995 le «Jerusalem Embassy Act» qui déclarait «Jerusalem should be recognized as the capital of Israël» (Jérusalem devrait être reconnue comme la capitale d’Israël). La même loi recommandait que «the american embassy should be moved to Jerusalem within five years” (l’ambassade américaine devrait être transférée à Jérusalem dans l’espace de cinq ans, c’est-à dire, normalement en 2000). Même le Président Obama, un Démocrate, avait déclaré, devant AIPAC (American-Israël Public Affairs Committe), le 4 juin 2008 : «Jerusalem will remain the capital of Israël and it must remain undivided» (Jérusalem demeurera la capitale d’Israël et ne doit pas être divisée).

Il ajustera ultérieurement quelque peu sa déclaration en disant que «le sort de Jérusalem devrait faire l’objet de négociations entre les deux parties au conflit». Trump semble donc s’appuyer sur le «Jerusalem Embassy Act de 1995» pour justifier sa décision de faire que Jérusalem devienne la capitale d’Israël, qu’il appelle «the eternal capital of the Jewish State» (la capitale éternelle de l’Etat juif). Il faut rappeler qu’en 1947, le Plan de Partition UN, Résolution 181 (II), prévoyait que Jérusalem aurait un statut international : «The city of Jerusalem shall be established as a «corpus separatum» under a Special International regime and shall be administered by the United Nations” (La ville de Jérusalem devra avoir le statut de «corpus separatum» selon un régime international spécial et devra être administrée par les Nations Unies). Cette proclamation avait été réitérée après la guerre israélo-arabe en 1948 dans la Résolution 194 de 1948 et la Résolution 303 (IV) de 1949, ainsi qu’en 1979.

L’Assemblée Générale de l’ONU, dans sa résolution 63/30 de 2009 stipulait «que toutes actions prises par Israël, la puissance occupante, pour imposer ses lois, sa juridiction, et son administration sur la ville sainte de Jérusalem seraient illégales et par suite nulles et non avenues et ne devraient avoir aucune validité et elle appelle [Israël] à cesser ses mesures illégales et unilatérales» (Résolution 63/30 de l’Assemblée Générale de l’ONU, United Nations, 23 January 009). Cette proclamation a aussi été réinstituée par la Résolution de l’AG de l’ONU le 30 Novembre 2011 (Résolution 68/18) qui stipule que les résolutions précédentes 181 et 194 sont toujours en vigueur. Trump a fait fi de toutes ces dispositions de l’ONU lorsqu’il a décidé, sans consulter personne — sauf le Premier Ministre Israëlien Netanyahu — d’établir Jérusalem comme capitale d’Israël.

Voici les termes exacts de la Déclaration officielle faite par Trump: «[…] today, we finally acknowledge the obvious : that Jerusalem is Israël’s capital. This is nothing more or less than a recognition of reality. It is also the right thing to do. It’s something that has to be done” (aujourd’hui, nous reconnaissons finalement ce qui est l’évidence : que Jérusalem est la capitale d’Israël. Ceci n’est ni plus ni moins la reconnaissance de la réalité. C’était la bonne chose à faire. C’était quelque chose qui devait être fait) (Déclaration de Trump, 6 Décembre, 2020). Trump ajoute immédiatement : «Conformément au Jerusalem Embassy Act [de 1995], j’ai demandé au Secrétariat américain aux Affaires Etrangères de commencer la préparation du transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem. Toujours dans la même Déclaration, et comme pour tempérer quelque peu sa décision brutale, Trump dira : «We want an agreement that is a great deal for the Israëlis and a great deal for the Palestinians” (Nous voulons un accord qui soit un grand deal pour les Israéliens et les Palestiniens). Dans une autre Déclaration, et tout à fait en opposition avec ce qui vient juste d’être dit, Trump dira : «We took Jerusalem off the table. We don’t have to talk about it anymore» (Nous avons retiré Jérusalem de la table [de négociations]. Nous n’avons plus besoin d’en parler à nouveau) (Donald Trump, Al Jazeera, February 12, 2018). La plupart des pays arabes ont, quant à eux, condamné cette décision unilatérale et venue comme une surprise.

Comme pour contrecarrer les propos de Trump selon lesquels «Jérusalem est la capitale éternelle d’Israël», le leader Palestinien Mahmoud Abbas dira : «Jerusalem is the eternal capital of the State of Palestine” (Jerusalem est la capitale éternelle de l’Etat de Palestine). Il ajoutera : «La décision de Trump est équivalente à l’abdication du rôle des Etats-Unis comme médiateur de paix au Moyen-Orient». D’autres leaders mondiaux rejoignent cet avis. C’est ainsi que le Président français Emmanuel Macron déclarait lors d’une de ses visites à Alger : «Le statut de Jérusalem doit être déterminé par les Israéliens et les Palestiniens dans le cadre de négociations et sous les auspices des Nations-Unies» (Mark Heinrich, Arabs, Europe, UN reject Trump’s recognition of Jerusalem as Israëli capital, Reuters, December 7, 2017). Le Secrétaire Général de l’ONU, lui-même, Antonio Guterres, dira : «Je me suis constamment opposé à toutes mesures unilatérales qui mettraient en danger la perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire que les leaders Israéliens et Palestiniens retournent à des négociations significatives».

Il est donc clair que la décision de Trump concernant Jérusalem est un total défi et déni au Droit International et à l’opinion publique générale.

Deuxièmes décisions unilatérales : les «Abraham Accords» entre certains pays arabes et Israël
Un des slogans de campagne de Trump au niveau des relations internationales est «America First» (L’Amérique d’abord). Cependant, quand on regarde le nombre et l’importance des mesures qu’il a prises durant ses quatre premières et dernières années à la Maison Blanche, celles qui émergent sont les mesures qu’il a prises en faveur de «l’allié éternel» des Etats-Unis : Israël. Ce qui justifierait l’élargissement de son slogan à «America and Israël First». En effet, en dehors de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la décision concomitante du transfert de l’ambassade US de Tel Avis à Jérusalem, Trump a entamé une autre série d’initiatives unilatérales qui sont d’un intérêt stratégique pour Israël. Il s’agit de ce qu’il a appelé les «Abraham Accords». La stratégie consiste à convaincre les pays arabes de la région MENA à passer des accords dit de «normalisation des relations diplomatiques» avec l’Etat hébreu. En moins d’une année, quatre pays de la région ont accepté d’établir des accords avec Israël en 2020 : Soudan, EAU, Bahrain et le Maroc. Nous n’examinerons que les trois derniers accords (EAU, Bahrain, Maroc) en raison de leur importance stratégique.

Le premier de ces accords est celui entre Israël et les Emirats Arabes Unis signé par les deux pays sous les auspices et sur l’initiative du Président Trump le 15 septembre 2020 à la Maison Blanche. Cet accord ne fait qu’entériner et officialiser des relations économiques qui, selon plusieurs sources, remontent à très longtemps. Les EAU soulignent que cet accord n’empêche pas leur pays de continuer à appuyer le peuple palestinien et à défendre la solution à deux Etats. Ils soutiennent que cet accord prévoit qu’Israël gèle immédiatement son plan d’annexion de certaines parties de la Rive Ouest. Cependant, pour Netanyahu, il n’est pas question de «geler» ce plan mais seulement de le «suspendre momentanément». Pour souligner encore plus cette nuance, Netanyahu ajoutera : «There is no change in our plans to apply sovereignty over Judea and Samaria…I remain committed to that” (Il n’y a aucun changement dans nos plans d’appliquer notre souveraineté sur la Judée et la Samaria…Ma promesse dans ce domaine demeure la même) (Eric Cortelessa, Trump misspoke in saving Israël is suspending «settlements, meant annexation, August 14, 2020).

De son côté, le conseiller de Mahmoud Abbas a rejeté ce deal en ces termes : «The Palestinian leadership rejects and denounces the UAE, Isral and US trilateral, surprising, announcement» (Le leadership palestinien rejète et dénonce le communiqué trilatéral surprenant UAE, Israël et USA) (Nabil Abu Rudeneih, in Mohamed Tobkman, Palestinian leader rejects and denounces Israël-UAE deal, Reuters, August 13, 2020). Il ajoute : «Ce deal est une trahison de Jérusalem, Al Aqsa, et de la cause palestinienne». Mahmoud Abbas lui-même a déclaré : «Notre cause nationale fait face à divers complots et dangers». Même certains milieux israéliens critiquent cet accord, disant : «Bien que la normalisation des relations entre Israël et les Etats arabes soit en elle-même une chose désirée, l’abandon des Palestiniens ne servira pas les intérêts de la paix et encore moins ceux d’Israël» (Jerome Segal, Président du Lobby Juif pour la Paix, cité par Michael Collins and Deidre Shesgreen, USA Today, Septembre 15, 2020).

Le second accord entrant dans les «Abraham Accords»–qu’on appelle aussi «Declaration of Peace, Cooperation and Constructive Diplomatic and Friendly Relations» (Déclaration de Paix, Coopération et Relations Diplomatiques Constructives et Amicales) — est celui entre Israël et le royaume de Bahrain, annoncé par Trump le 11 septembre 2020 et signé le 15 septembre 2020. Cet accord, comme le précédent, entre dans le cadre du Plan de Paix au Moyen-Orient établi par Trump et intitulé «Peace to Prosperity : A Vision to Improve the Lives of the Palestinian and Israëli People» (de la Paix à la Prospérité : Une vision pour améliorer les vies des peuples palestinien et israélien) dévoilé le 28 janvier 2020 à la Maison Blanche en présence du Premier Ministre israélien Netanyahu, plan qui a été élaboré principalement par Jared Kushner, le beau-fils de Trump et son principal conseiller pour les affaires du Moyen-Orient. Dans la Déclaration officielle de cet accord, Trump indiquera que «l’ouverture de relations directes entre deux des plus dynamiques nations du Moyen-Orient contribuera à un futur plus sûr et plus prospère pour les peuples des deux pays et la région dans son ensemble» (Joint Statement by the United States, the Kingdom of Bahrain and the State of Israël, October 19, 2020).

Cette déclaration, comme dans le cas de l’accord précédent, fait une place à la question palestinienne en ces termes : «The parties will continue their efforts to achieve a just, comprehensive and enduring resolution to the Israëlo-Palestinian conflict» (Les parties à l’accord continueront leurs efforts pour une résolution juste, complète et durable du conflit israélo-palestinien). Selon Trump et les promoteurs de ces accords — qui excluent catégoriquement la Palestine de la table des négociations — ces «deals» vont «systématiquement» contribuer à la paix dans la région et à la résolution du conflit Israélo-Palestinien. Ce que ces accords ne disent pas — ou ne veulent pas dire — c’est comment ces accords séparés et bilatéraux peuvent réaliser un tel objectif. Dans un tweet du 12 septembre 2020, Trump dira de l’accord Israël-Bahrain : «Another HISTORIC beakthrough today ! Our two GREAT friends Israël and the Kingdom of Bahrain agree to a Peace Deal — the second Arab country to make peace with Israël in 30 days” (Une autre percée HISTORIQUE aujourd’hui! Nos deux GRANDS amis Israël et le royaume de Bahrain sont d’accord pour faire la paix — le second pays arabe à faire la paix avec Israël en 30 jours).

Cet accord a été caractérisé comme un accord «Peace-for-Peace» (Paix contre Paix), probablement par comparaison aux accords précédents du type «Peace-for-Land» (Paix contre Territoires). Comme dans les accords précédents, la question palestinienne est évoquée, mais subrepticement par Abdullah R. al-Kahlifa, l’ambassadeur Bahraini aux USA : «[…] a just and comprehensive peace with the Palestinian people is the best and the true interest for their future and future of the peoples of the region” (une paix juste et totale avec le peuple palestinien est le meilleur et le vrai intérêt pour les Palestiniens et le futur des peuples de la région) (Omri Nahmias, Tovah Lazaroff, Bahrain agrees to normalize relations wih Israël, Trump announces, The Jerusalem Post, September 12, 2020).

Cette revendication a été reprise par BNA, l’agence nationale de presse Bahrainie, qui rapporte que le roi du Bahrain «a clarifié dans une conversation avec Trump et Natenyahu, que Bahrain demeure engagée pour la cause palestinienne et pour la réalisation d’une paix juste et durable entre les Israéliens et les Palestiniens sur la base de la solution à deux Etats» (Omri Nahmias, op.cit). De son côté, la diplomate et parlementaire palestinienne Hanan Ashrawi dira de l’accord : «Israël occupe la terre palestinienne, donc c’est là que vous devez faire la paix — non avec les pays qui n’ont pas de conflit. Avec Israël, c’est un spectacle qui a été monté pour créer l’impression que Trump peut faire la paix là où la paix était inutile» (Hanan Ashrawi, in Daniel Estrin, Palestinians Condemn US-brokered Bahrain-Israël Normalization, NPR, September 12, 2020).

Le troisième accord entrant dans les «Abraham Accords» est le tout récent accord passé entre Israël et le royaume du Maroc annoncé par le Président Trump le 10 Décembre 2020. Par cet accord, le Maroc a accepté d’établir des relations officielles avec l’Etat hébreu. En contrepartie, les Etats-Unis reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara Occidental, occupé à 80% environ par le Maroc. Trump fera la même déclaration que celle qu’il a faite lors de l’accord Israël-Bahrain : «Une autre HISTORIQUE percée aujourd’hui ! Nos deux GRANDS amis Israël et le Royaume du Maroc se sont mis d’accord pour établir des relations diplomatiques officielles — une percée massive pour la paix au Moyen-Orient» (Donald Trump, tweet, December 10, 2020). De son côté, le Premier Ministre israélien Netanyahu commentera : «Ce sera une paix chaude. La paix n’a jamais — la lumière de la paix en ce jour de Hanukka — brillé plus fort qu’aujourd’hui au Moyen-Orient».

Le communiqué de la Maison Blanche ira jusqu’à dire «qu’un Etat Sahrawi indépendant n’est pas une option réaliste pour résoudre le conflit entre le Maroc et le Sahara Occidental et qu’une autonomie authentique du Sahara Occidental, sous la souveraineté marocaine, est la seule solution faisable» (Trump Declaration, December 10, 2020). Il faut rappeler que le Maroc a proposé à la population Sahrawie une certaine forme d’autonomie dans le cadre du «Plan d’autonomie» établi par le gouvernement marocain. La réaction du leadership du Sahara Occidental, le Front Polisario — qui contrôle environ 20% du territoire — ne s’est pas faite attendre : «Nous regrettons vivement ce changement dans la politique US qu’il considère «strange but not surprising» (étrange mais non surprenante) (Steve Holland, Morocco joins other Arab nations agreeing to normalize Israël ties, Reuters, December 10, 2020). Selon le représentant du Polisario en Europe, Oubi Bachraya «Cet accord ne changera pas d’un pouce la réalité du conflit [Maroc-Sahara Occidental] et le droit du peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination» (Steve Holland, op.cit). Il faut aussi rappeler que le Sahara Occidental — une ancienne colonie espagnole — est sur la liste des territoires n’ayant pas de gouvernements autonomes et en attente de décolonisation.

Pour le moment, le Front Polisario contrôle environ 1/5 du territoire. Par ailleurs, l’ONU est toujours en charge du mandat d’établir un référendum d’autodétermination, mais avec cet accord, une telle perspective semble s’éloigner. Les Nations Unies disent que cet accord ne change rien à la compétence de l’ONU dans cette question de décolonisation : «Recognition will not simplify the territory’s complicate status, as it is still designated by the UN as a «non-self-governing territory» (La reconnaissance ne simplifiera pas le statut compliqué du territoire étant encore toujours désigné comme «territoire-sans-gouvernement autonome) (What next for Western Sahara after Moroco-Israël deal?, France 24, 16 décembre 2020). Comme dans les précédents accords, les dirigeants marocains ont voulu réassurer l’Autorité Palestinienne que l’accord n’évacue pas totalement la question palestinienne.

C’est ainsi que la Cour Royale marocaine a publié un communiqué officiel le 10 décembre 2020 indiquant que : «le roi Mohammed VI a appelé le Président Palestinien Mahmoud Abbas pour lui donner des garanties que la position de Rabat sur la cause palestinienne, notamment la solution à deux Etats, demeure inchangée» (Daoud Kuttab, Palstinian Leadership Silent over Morocco-Israël deal to Normalize relations, Arab News, December 11, 2020). Le communiqué précise encore que «His Majesty (King Mohammed VI) stressed that Morocco always put the Palestinian issue at the same level as the issue of the Sahara, and that Morroco’s work to consolidate its Marocanness will never be, neither today nor in the future, at the expense of the Palestinian people’s struggle for their legitimate rights” (Sa Majesté, le Roi Mohammed VI, a souligné que le Maroc placera toujours la question palestinienne au même niveau que la question du Sahara, et que le travail du Maroc pour consolider sa marocanité ne se fera jamais, ni aujourd’hui ni dans le futur, au dépend de la lutte du peuple palestinien pour ses droits légitimes) (Daoud Kuttab, op.cit).

Conclusion

Sur la base de l’analyse précédente, il apparaît que la stratégie de Donald Trump au Moyen-Orient tourne autour de deux axes principaux : (1) offrir à Israël, «l’allié éternel des Etats-Unis», le maximum de cadeaux avant de quitter la Maison Blanche le 20 janvier 2020 et (2) constituer un «Club» de pays arabes alliés d’Israël avec pour objectifs : (a) faire oublier la question qui fâche, la Palestine, et (b) contrecarrer l’ennemi commun d’Israël et des royaumes du Moyen-Orient : L’Iran. Cette stratégie a été, en grande partie résumée par Hanan Ashrawi : «The Trump administration has been acting as an errand boy for Israël in order to get as many victories for Israël.

And now, it’s rushing like mad in a race against time before [leaving] office in order to reposition Israël, to normalize relations with the Arab world, and deliver Palestine to Israël and to legalize and legitimize the occupation of Palestine and the land left of Palestine” (L’administration Trump a agi comme une sorte de garçon de courses pour Israël dans le but de lui offrir autant de victoires que possible. Et aujourd’hui, elle s’empresse comme folle dans une course contre la montre, avant de quitter la Maison Blanche, en vue de repositionner Israël, de normaliser ses relations avec le monde arabe, et de livrer la Palestine à Israël ainsi que de légaliser et légitimer l’occupation de la Palestine et de ce qui reste du territoire palestinien) (Hanan Ashrawi, Democracy Now, December 9, 2020).

Jared Kushner, le beau-fils et conseiller spécial de Trump au Moyen-Orient et l’archictecte de tous ces accords, a suggéré — même si ce n’était pas son intention — aux pays arabes de suivre cette stratégie lorsqu’il déclare : «Je pense que cela [ces accords] aidera à réduire les tensions dans le monde musulman et permettra aux peuples de séparer la question palestinienne de leurs intérêts nationaux — de la politique étrangère qui devrait être basée désormais essentiellement sur leurs priorités nationales».

Il est clair que Trump et son beau-fils considèrent — de manière tout à fait crédule — que les accords de paix bilatéraux entre les pays arabes et Israël vont conduire automatiquement à la paix au Moyen-Orient et contribueraient — par un effet ricochet — à résoudre le conflit entre les deux principaux belligérants : Israël et la Palestine. La vérité est que ces décisions unilatérales, en plus d’être un défi et un déni au Droit International, ne font qu’éloigner de jour en jour la solution du conflit qui mine le Moyen-Orient depuis 1947 et que la majorité des pays de l’ONU considèrent la plus plausible : la solution à deux Etats. En attendant, et contrairement à la «Vision» de Trump pour le Moyen-Orient — qui, rappelons-le, visaient à une vie meilleure pour les Israéliens et les Palestiniens — si la vie et la sécurité des Israéliens se sont certainement améliorées suite à ces accords, celles des Palestiniens demeurent dans un doute absolu.


Par Arezki Ighemat, Ph.D en économie Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


 

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