Algérie / Structure ou pas de l’intifadha populaire ?

Débats

Désolé pour la longueur du texte : l’importance du thème et la nécessaire argumentation l’exigent. Partons d’une anecdote populaire. À une personne qui a faim, l’un offre, avec son plus charmant sourire, du pain ;  un autre, au contraire, l’expression sérieuse et préoccupée, propose à l’affamé d’apprendre à fabriquer lui-même du pain.

C’est dire que le premier crée, pour toujours, une dépendance de l’affamé envers lui, et de la reconnaissance ; tandis que le second vise à ce que l’affamé soit totalement indépendant, autonome. Évidemment, offrir un aliment est facile, mais apprendre à se le procurer par soi-même est comparativement difficile. Quant à l’affamé, s’il est conditionné par une mentalité servile, il acceptera la première charité ; si, au contraire, il possède un esprit libre et autonome, il optera pour la seconde solution. Elle exige plus d’énergie, mais règle définitivement le problème de la faim et de la dépendance d’autrui… Bien entendu, l’affamé peut et doit accepter l’offre immédiate, pour satisfaire une nécessité physiologique urgente, tout en décidant d’adopter la seconde solution, à terme plus ou moins long.

Cet exemple est exposé pour comprendre que trop souvent des experts plus ou moins authentiques, de bonne ou de mauvaise foi, exposent un problème social de telle manière qu’il apparaît d’une complexité telle que le lecteur ou l’auditeur ordinaires ou moyens, n’y comprenant rien, sont contraints d’adopter le point de vue de l’expert.

Infiltration étatique.

Prenons le cas de l’intifadha populaire actuelle en Algérie. Voici l’argumentation de Lahouari Addi : « Ce serait une erreur stratégique que l’État-major exploitera pour diviser et affaiblir la dynamique du mouvement, comme l’a fait le DRS lors de la protestation populaire en Kabylie en noyautant les ‘arouchs et en provoquant leurs divisions. » (1)

Examinons cet argument. Depuis toujours et partout dans le monde, a-t-on vu un mouvement populaire contestataire ne pas être infiltré par les agents du pouvoir étatique pour le diviser ?… Jamais… Par conséquent, la nécessité du mouvement populaire de se structurer doit tenir compte non pas de ce risque, mais de cette certitude de réaction de la part du pouvoir étatique. En outre, le mouvement populaire, conscient de cette réaction étatique, doit trouver les moyens de la neutraliser.

Comparaison n’est certes pas raison, mais refuser la structuration du mouvement populaire, – quelle que soit sa spécificité, et où qu’il existe dans le monde -, c’est comme si on disait au peuple algérien, avant le déclenchement de la guerre de libération nationale : « Ne te structure pas en Front de Libération Nationale », car l’État français « exploitera pour diviser et affaiblir la dynamique du mouvement » patriotique. En effet, l’État colonialiste alla jusqu’à réussir l’opération d’infiltration dénommée « bleuite », durant laquelle des chefs de la guerre de libération nationale assassinèrent la fleur de l’élite intellectuelle patriotique qui avait rejoint le combat patriotique, mais qui fut soupçonnée, par l’intoxication des « services » de l’armée coloniale, d’être composée d’agents à son service, infiltrés dans l’Armée de Libération Nationale… Malgré ce très grave fait, l’ALN et le FLN ont continué le combat jusqu’à la concrétisation du but : l’indépendance nationale.

À propos d’agents visant à « diviser et affaiblir la dynamique du mouvement », seraient-ils uniquement en provenance de « l’État-major » ?… Est-il correct de négliger d’autres menaces, provenant, par exemple, de l’organisation islamiste comme « Rajah » (2) ?

Diversités idéologiques.

Lahouari Addi poursuit : « Le hirak est un mouvement social porteur d’une revendication nationale qui réunit l’ensemble des couches de la société. Il ne peut par conséquent se donner une organisation partisane que se disputeront les différents courants idéologiques dans la société. »

Notons la formule d’implication « par conséquent ». Comment se justifie-t-elle ?… Le texte ne le dit pas. Là, encore, reprenons le cas du mouvement patriotique pour l’indépendance. Il était « un mouvement social porteur d’une revendication nationale qui réunit l’ensemble des couches de la société ». Et il comprenait «  différents courants idéologiques dans la société ».

Ces faits n’ont pas eu la « conséquence » de ne pas créer le Front de Libération Nationale. Cela pour dire que « les différents courants idéologiques dans la société » ne justifient en aucune manière, quel que soit le pays et l’époque, le refus de constitution d’une « organisation partisane ». Et, bien entendu, cela fait partie de l’action que dans cette organisation « différents courants idéologiques » se disputent le leadership, pour finir par voir la composante la plus puissante diriger l’ensemble de l’organisation, sur la base d’une plate-forme commune. Ainsi ont fonctionné non seulement les divers Fronts de Libération Nationale (Viet Nam, Algérie), mais, également, les fronts constitués lors des révolutions : « Commune de Paris » de 1871, révolutions russe, chinoise, cubaine, etc. Dans ces derniers cas, le parti politique le mieux structuré fut le dirigeant de l’ensemble du front contestataire.

Leadership-Représentants.

À propos de Front, on note que l’actuel mouvement populaire algérien refuse tout leadership. C’est là une nouveauté caractéristique. Cependant, ce refus est à lire de deux manières totalement opposées.

Hypothèse négative. Le refus du leadership serait téléguidé par des agents occultes (peu importe ici leur identité) qui exercent réellement ce leadership, donc empêche le mouvement populaire de se doter de représentants issus de son sein, par élection démocratique.

Hypothèse positive. Le refus du leadership serait la manifestation de la conscience du peuple des marches hebdomadaires d’éviter la hiérarchisation du mouvement, par l’apparition du phénomène du « Chef Salvateur », du « zaïmisme ». Dans ce cas, le mouvement populaire révélerait une mentalité auto-gestionnaire, ce qui serait merveilleux !… Alors, le mouvement algérien reprendrait le combat réellement émancipateur des peuples, et cela depuis la « Commune de Paris » de 1871, les Soviets russes de 1905 et 1917, la « Commune de Canton » de 1927 en Chine, les « Collettividad » espagnoles de 1936-1939, le surgissement des comités d’autogestion agricole et industrielle en Yougoslavie, puis en Algérie, juste après l’indépendance algérienne.

La participation physique aux marches hebdomadaires en Algérie, ainsi que la vision des vidéos sur les réseaux sociaux indiquent une lutte entre ces deux hypothèses : un leadership imposé de manière occulte, servant une caste visant la conquête du pouvoir étatique, et une vision auto-gestionnaire où le leadership serait exercé par le peuple des marches hebdomadaires.

Mais cette seconde hypothèse bénéficie de peu de voix. L’opinion majoritaire, notamment parmi les intellectuels, dont Lahouari Addi et Youcef Benzatat, dans leurs textes, refusent au mouvement populaire la nécessité de s’auto-structurer.

Projet.

Lahouari Addi ajoute, pour justifier sa thèse : « Le hirak n’est pas porteur d’un projet de société ; il est porteur d’un projet d’État où le président et les députés sont élus démocratiquement et non désignés par la hiérarchie militaire. »

Passons sur la discussion pour élucider si un « projet d’État » n’est pas « porteur d’un projet de société ». Supposons qu’il en soit ainsi, et que le mouvement populaire aspire principalement à ce qu’indique Lahouari Addi.

Encore une fois, en quoi ce « projet d’État » justifierait-il le refus de structuration du mouvement populaire ?… Lahouari Addi avance l’argument suivant : parce que « un seul mot d’ordre qui fait sa force : le transfert de l’autorité de l’État à des civils. (…) Il est difficile de diviser le hirak sur cette revendication : dawla madania, machi ‘askaria ».

Si, effectivement, l’exigence de remplacement des militaires par des civils dans la gestion de l’État bénéficie de l’adhésion de tous, essayons de réfléchir davantage.

Le mouvement populaire, de fait, veut un « État civil et non militaire », en estimant qu’ainsi serait établie la démocratie. Mais de quel type de démocratie s’agirait-il ?… Celle capitaliste où l’État serait géré par des hommes d’affaires qui, détenant la puissance économique, feront des dirigeants politiques civils de simples harkis au service d’une oligarchie économique, comme c’est le cas partout dans le monde ?

On objecterait : cependant, dans ce genre de démocratie, il serait loisible au peuple de créer ses organisations autonomes pour défendre ses intérêts spécifiques…. Que l’on cite un seul pays démocratique du monde où cette action populaire a été possible ?… Le système démocratique capitaliste s’arrange toujours, par la puissance de l’argent des actionnaires, à produire le consensus  populaire en faveur du système social dominant, en s’appuyant sur le contrôle de… l’armée (3), pour amener le peuple a toujours élire des représentants qui servent les intérêts de l’oligarchie économique… Si, par miracle, le peuple parvient à se révolter, le pouvoir civil fait appel aux… militaires pour le neutraliser, par exemple aux États-Unis contre le combat pour les droits civils, ou en France quand le Président De Gaulle, lors de la révolution de Mai 68, abandonna l’Élysée pour aller se « consulter » avec le … général Massu, stationné en Allemagne avec une partie de l’armée française.

Revenons au mouvement populaire algérien. Pour lui, l’unique possibilité que le remplacement de la gestion militaire par une gestion civile de l’État n’en fasse pas le dindon de la farce, c’est, justement, d’exploiter cette période de faiblesse étatique et d’ébullition populaire, pour se structurer, en tenant compte de ses diverses composantes, de manière démocratique, et en trouvant des solutions pour neutraliser les infiltrations diverses et remplacer les représentants qui seraient emprisonnés.

Le slogan « État civil et non militaire » exige une autre remarque. L’organisation « Rajah » et son représentant actuel le plus en vue, M. Mohamed Larbi Zitout, ont comme principal mot d’ordre : « État civil et non militaire ». Si l’on examine mieux leur position, on note que l’expression qui revient le plus est nuancée : « pas de pouvoir aux généraux ».

Question : est-ce que tous les généraux de l’armée algérienne, qui comprend plusieurs centaines, seraient des corrompus et des anti-patriotes ?… S’ils l’étaient, l’armée algérienne ne serait-elle pas, alors, inféodée aux armées impérialistes et à leurs vassaux islamistes (Arabie saoudite, Émirats, Qatar, Maroc) sans oublier la Turquie ?… Par conséquent, à quoi vise cette accusation générique sur l’ensemble de l’encadrement de l’armée algérienne ?

Approfondissant l’examen. L’organisation « Rachad » et M. Zitout sont très présents dans le mouvement populaire, ouvertement dans les réseaux sociaux, et de manière plus ou moins occulte dans les marches populaires. Des vidéos sur internet montrent que  « Rachad » et M. Zitout, sous prétexte de démocratie et de pouvoir aux civils en Libye, avaient défendu et soutenu l’agression contre cette nation des armées néo-colonialistes occidentales, alliées aux oligarchies turque, saoudienne, qatarie et marocaine. Résultat :  destruction de l’État et de la nation libyens, à présent la proie des multinationales, dans le domaine économique, et des groupes terroristes islamistes, dans la « gestion » du pays. Certes, la Libye était dirigée par un dictateur, mais il soutenait la lutte du peuple palestinien pour ses droits légitimes à posséder une nation, et combattait l’idéologie wahhabite islamiste et des « Frères musulmans », dont M. Zitout et l’organisation « Rachad » font partie.

En Algérie, les dirigeants algériens, certes dictateurs, se caractérisent également par le soutien au peuple palestinien pour une patrie légitime, combattent d’une certaine manière l’idéologie wahhabite islamiste, et ont refusé de faire partie du front, constitué et dirigé par l’oligarchie saoudienne, contre l’Iran puis contre le peuple du Yémen… Ces faits sont condamnables dans la conception idéologique de « Rajah » dont M. Zitout fait partie. Quelle conséquence en tirer ?… Que l’emploi du slogan « État civil et non militaire », par M. Zitout et « Rachad », ne vise pas à l’établissement d’une démocratie civile (ils avaient déjà utilisé cet argument pour justifier la destruction de la nation libyenne), mais à détruire la seule institution en mesure de défendre l’intégrité de la nation algérienne. Or l’existence de celle-ci est contraire à l’idéologie de « Rachad » et de M. Zitout : ils veulent l’établissement d’une « oumma » islamiste, laquelle ne peut exister qu’en éliminant les nations, donc l’instrument principal qui les défend, à savoir l’armée.

Par conséquent, avancer le slogan « État civil et non militaire » n’exige-t-il pas d’être davantage explicité, pour ne pas tomber dans le piège des « Frères musulmans », donc de la destruction de la nation algérienne ?… Et pour ne pas tomber dans ce piège, le mouvement populaire ne devrait-il pas se structurer, afin de débattre et d’élucider le contenu réel de ses slogans, et comment les concrétiser ? Notamment pour écarter de ses rangs pas uniquement un mais deux menaces : d’une part, les infiltrations étatiques, visant à diviser le peuple ; mais aussi, d’autre part, les infiltrations  islamistes qui veulent opposer le peuple et l’armée de manière (comme en Irak, en Libye et en Syrie), à l’affaiblir au point de permettre, sous prétexte de sauver le peuple et établir la démocratie, une agression contre l’Algérie, avec le résultat que l’on constate en Irak, en Syrie et en Libye. Ceux qui pointent du doigt uniquement le DRS ou l’État-Major ignorent-ils l’action de l’organisation « Rachad » et de son mentor sur les réseaux sociaux M. Zitout ?

Moyen et objectif.

Examinons la partie conclusive de Lahouari Addi.

« Les Algériens seront unis pour arracher la transition vers un régime civil ». Ne faut-il pas préciser de quel type ?… Une démocratie capitaliste oligarchique servirait-elle les intérêts des Algériens ?

« Pour cette tâche, ils [les Algériens] n’ont pas besoin de structures organiques. » Évidemment, pour l’instauration d’un régime civil capitaliste, nul besoin pour le peuple de se structurer en tant que tel. Cependant, Lahouari Addi avance une autre justification : « Il faut juste obliger l’État-major à négocier la transition avec des militants emprisonnés, renforcés par quelques personnalités crédibles qui n’ont jamais eu aucun lien avec le régime. »

Comment, concrètement, « obliger l’État-major » à s’auto-suicider, à travers une transition ? Suffit-il d’avoir été un militant emprisonné pour qu’il mérite de parler au nom du peuple ?… Quant aux personnalités, n’avoir « jamais eu aucun lien avec le régime » suffit-il à leur « crédibilité » ? Par exemple, un Ali Belhadj serait-il dans ce cas ? Et, à l’opposé, si des citoyens proposent (on le voit déjà dans certaines manifestations) M. Mohamed Larbi Zitout comme représentant du « hirak », faut-il le refuser parce qu’il eut dans le passé un lien avec le régime (il était militaire durant la répression d’octobre 1988, puis diplomate) ?… Enfin, qu’en est-il du principe de l’élection démocratique par le peuple ?…  Évidemment, pour que celui-ci puisse l’exercer, il faut qu’il se structure. Mais cet objectif lui ai dénié.

Perspective.

« Le hirak réussira parce que son objectif est clair et correspond à une profonde aspiration nationale à laquelle adhèrent aussi beaucoup de militaires : un État de droit dirigé par une élite sortie des urnes et non fabriquée artificiellement dans les laboratoires de la police politique. »

Après l’exposé qui vient d’être présenté, peut-on affirmer « le hirak réussira parce que son objectif est clair » ?… Où est la preuve de cette clarté ? Où est la preuve que « beaucoup de militaires » y adhèrent ? Quelle est la nature de cette « élite » qui sortirait des urnes, quand elle serait choisie par un peuple dépourvu de structures autonomes, donc de conscience propre de ses propres intérêts ?

Que convient-il au peuple : se faire offrir le « poisson » d’une « démocratie » gérée par une « élite » de civils, ou que le peuple « apprenne à pécher », en se structurant de manière à gérer lui-même sa nation, à travers des institutions inédites, produisant ses authentiques représentants ? N’est-ce pas là que serait, alors, pour le mouvement populaire algérien la réalisation d’un miracle en fournissant au monde entier le meilleur exemple d’émancipation d’un peuple par lui-même ?

Risques et difficultés.

Terminons par des remarques qui rejoignent à leur manière celles de Lahouari Addi. Un commentateur d’une précédente contribution de l’auteur de ces lignes déclare, à son propos : « (il  veut qu’on [le « hirak »] travaille sur des propositions politiques sous la pluie et sur le bitume car il sait que Gaid Salah refuse aux opposants des salles de 20 places et plus)» (4). Un autre commentateur écrit : « Nommer ses (du « hirak ») leaders, c’est les précipiter dans les géôles de GS, c’est courir le risque de décapiter le mouvement. »… Un troisième affirme : « pas désigner des représentants car ils seront emprisonnés ou soudoyés ». Youcef Benzatat déclare : « Désigner des représentants dans ces conditions s’avère être suicidaire pour la Révolution. En plus du risque de son implosion, qui serait provoquée par des divergences insurmontables entre ses différentes composantes partisanes, il y a aussi et surtout les risques d’infiltration, de manipulation et de toute forme de récupération par des forces contre-révolutionnaires. » (5)

Voix des partis politiques.

Le président de Jil Jadid, M. Sofiane Djilali, pose des questions contenant leurs réponses : «Comment peut-on vouloir la démocratie et organiser en même temps un peuple au sein d’une même structure en lui déniant, ce faisant, le droit à la pluralité ? Comment peut-on désigner des représentants d’un peuple pour les cantonner dans la position d’un interlocuteur face à un pouvoir d’Etat ? Le peuple élit des dirigeants d’un pays et non pas des porte-parole pour quémander des droits »» (6).

Est-ce une vérité absolue qu’une « une même structure » dénie automatiquement « le droit à la pluralité » ?… Les diverses formes de front politique ou social n’ont-elles pas, généralement, non seulement admis mais trouvèrent leur force dans la « pluralité » ?… Par exemple, le « Front populaire » de 1936 en France, le F.L.N. de la guerre de libération nationale en Algérie, l’ « Alliance populaire » de Salvador Allende au Chili au début des années 1970, et autres exemples ?

Quand aux représentants du peuple, effectivement, il est nécessaire non pas de les désigner, mais qu’ils soient le résultat d’une élection démocratique. Certes, des élections traditionnelles, pratiquées dans les « démocraties » dites « libérales », agissent de cette manière. Avec le résultat que l’on sait : une caste dominant le peuple… Mais des expériences historiques de réel changement de système social, en faveur du peuple, ont montré une autre manière d’élire les représentants du peuple. C’est le cas de la « Commune de Paris » de 1871, des soviets russes (avant leur récupération par les bolcheviks), des « Colletividad » espagnoles durant la guerre civile espagnole de 1936-1939, et, dans une moindre mesure, les comités d’autogestion agricole et industrielle en Algérie en 1962. Il est vrai que, dans ces cas-là, on ignora les partis politiques, les sachant composés d’une caste élitiste dominatrice et privilégiée, et que le peuple disposa de ses authentiques représentants.

Aussi, il n’y a pas à s’étonner de voir le président du parti politique « Jil Jadid » conclure ses assertions en considérant les partis politiques comme « l’échine de la démocratie », en estimant que « pour animer une démocratie, il est nécessaire d’avoir des hommes et des femmes politiques capables d’assumer leur rôle ». Que signifie ce jugement sinon que le peuple des marches hebdomadaires est incapable de reconnaître en son sein et de choisir ses représentants en dehors des partis politiques, dont celui de M. S. Djilali ? Évidemment, ce dernier, vu sa position, peut-il arguer pour autre chose que pour son moulin ? Mais quelle fut, jusqu’à aujourd’hui, son action réelle pour l’émancipation du peuple ? 

Rappel historique.

À toutes ces objections, l’histoire des peuples répond, si l’on prend la peine de l’étudier sans préjugés élitistes : partout et depuis toujours, tout mouvement populaire contestataire voit surgir contre lui les réactions de ses adversaires, ouvertes et occultes, jusqu’à, en dernier recours, la répression armée et les massacres. Et partout et toujours, un mouvement populaire voit des partis politiques tenter de l’infiltrer pour s’en déclarer le représentant, afin de le faire servir à leurs intérêt de caste politique.

Si le mouvement populaire est incapable d’affronter efficacement tous ces dangers, son action est vouée à l’échec, à moins de … se structurer de manière autonome.

Quant à la « transition », comment éviter qu’elle n’accouche d’une nouvelle oligarchie, moins cruelle mais néanmoins oligarchie, si le peuple n’a pas de moyen de peser sur la balance du rapport de force avec ses adversaires ?… Quel est ce moyen pour le peuple, sinon de disposer de sa structure autonome pour défendre efficacement ses intérêts ?

À propos de ceux qui estiment que le peuple algérien, et cela malgré neuf mois de mobilisation dans les rues, n’a pas besoin de se structurer, faisons deux remarques.

Dans le domaine social et politique, le déni de structuration du peuple est une conception partagée par les officines impérialistes des « révolutions colorées » et du « printemps arabe », ainsi que par les oligarchies autochtones. Les unes et les autres, poursuivant leur intérêt spécifique, veulent disposer de la gestion-contrôle  du peuple.

Seconde remarque. Le déni de structuration du peuple est identique à celui formulé par les capitalistes, privés ou étatiques, qui dénient aux travailleurs de se structurer en syndicat. Les négateurs arguent, les uns du risque d’infiltrations, d’arrestations et de divisions au sein des travailleurs ; les autres estiment représenter et défendre mieux les intérêts des travailleurs que ces derniers eux-mêmes.

Autre constatation. Depuis l’indépendance, à part la phase d’autogestion agricole et industrielle, tellement de partis politiques et tellement de « personnalités » ont cru pouvoir satisfaire les intérêts du peuple, sans lui proposer de s’auto-structurer. On constate les résultats. Malgré ce lamentable échec, certains continuent à nier au peuple de se structurer, et cela avec les mêmes arguments.

Pourtant, voilà plus d’un siècle, un slogan proclama : « L’émancipation des travailleurs ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », tandis qu’un ouvrier cordonnier chanta : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ! »… Est-ce là seulement des paroles d’utopistes et d’aventuristes irresponsables ?… L’histoire ne jugera pas, elle a déjà prononcé son verdict, et les victimes sont les peuples, parce qu’ils n’ont pas su se structurer de manière efficace, pour se sauver eux-mêmes. Ne serait-ce que pour discuter ce problème, le peuple des marches hebdomadaires ne devrait-il pas trouver le moyen de se rencontrer et d’exprimer ses opinions ? N’est-ce pas ce qui urge le plus au mouvement populaire, s’il veut rendre réellement efficaces ses marches hebdomadaires ? L’auteur de ce texte a déjà posé ce problème tout au début du mouvement populaire (7).

Kaddour Naïmi

[email protected]


(1) Inhttps://web.facebook.com/lahouari.addi/posts/2432467403636420?_rdc=1&_rdr

(2)  Une prochaine contribution y sera consacrée. Entre-temps voirhttps://www.youtube.com/watch?v=Q3k23lqHnu8

(3) « Le complexe militaro-industriel », selon l’expression d’Eisenhower lors du discours de clôture de son mandat présidentiel.

(4) Voir « Qui gère l’intifadha populaire ? » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/11/qui-gere-l-intifadha-populaire.html

(5)  In https://www.algeriepatriotique.com/2019/11/21/une-contribution-de-youcef-benzatat-le-joker-cache-de-letat-major-de-larmee/

(6) In https://www.algeriepatriotique.com/2019/11/21/sofiane-djilali-structurer-le-hirak-en-un-mouvement-unique-est-une-aberration/

(7) « Du cri à l’organisation »,  27 février 2019 in https://www.algeriepatriotique.com/2019/02/27/du-cri-a-lorganisation/#comments


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