Syrie / La guerre est terminée: pourquoi Erdogan souhaite revoir Poutine

Ankara a accueilli un sommet entre la Russie, la Turquie et l’Iran au sujet du processus de paix en Syrie.

Dans les murs du palais historique de Çankaya, les dirigeants russe, turc et iranien évoquent la situation dans la région syrienne d’Idlib et la formation du Comité constitutionnel en Syrie. Cette rencontre trilatérale intervient après une déclaration retentissante de Moscou, qui a annoncé la fin de la guerre dans la république arabe. Mais Téhéran et Ankara sont-ils de cet avis?

Les divergences avec les Américains

«Au moment où la Turquie est fermement disposée à nettoyer le Nord de la Syrie des groupes terroristes, les États-Unis veulent nous diriger tout en dirigeant également ces derniers», a déclaré début septembre Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier craignait que les Américains créent une zone de sécurité non pas pour combattre les terroristes, mais bien au profit de ces terroristes. Il a répété: «C’est inadmissible pour nous.»

La résistance kurde en Syrie constitue la pierre d’achoppement entre les deux capitales. En effet, Washington soutient la coalition des Forces démocratiques syriennes, alors que les unités d’autodéfense populaire kurdes qui en font partie sont reconnues comme terroristes en Turquie.

En août, après plusieurs mois de consultations, Ankara et Washington sont tombés d’accord sur une zone de sécurité en Syrie à la frontière turque. Cependant, afin de protéger les frontières contre les groupes kurdes, Erdogan veut que cette zone de sécurité avance de 30-40 km sur le territoire syrien. Et il insiste sur le retrait de toutes les unités kurdes de cette zone ainsi que sur la destruction de leurs sites.

«Nos militaires mènent des négociations avec les collègues américains. Actuellement, nos hélicoptères y patrouillent avec ceux des Américains. Mais ce n’est pas suffisant. Nous attendons d’autres actions des États-Unis contre les terroristes dans la zone de sécurité, et pour l’instant nous ne voyons pas ce que nous attendons. Je rencontrerai très probablement Trump à l’Assemblée générale des Nations unies fin septembre pour évoquer de nouveau ces questions», a déclaré le Président turc aux journalistes.

Thème principal: Idlib

Mais avant de partir à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, Erdogan a réuni à Ankara un sommet trilatéral avec ses homologues russe Vladimir Poutine et iranien Hassan Rohani. Le thème principal de cette rencontre sera la situation à Idlib – la seule province syrienne dont une grande partie reste sous le contrôle des rebelles. Le dirigeant turc compte échanger les points de vue sur les postes d’observation turcs dans cette zone.

La dernière réunion en date de ce «trio» avait eu lieu en février 2019 à Sotchi, là où le premier sommet entre ces trois dirigeants s’était tenu en novembre 2017 également. Les préparatifs avaient été particulièrement chargés: le chef de l’État russe s’est d’abord entretenu avec Hassan Rohani en Iran, puis avec Recep Erdogan à Sotchi, avant de recevoir le président syrien Bachar el-Assad. De plus, Vladimir Poutine avait parlé à Donald Trump et à d’autres dirigeants du Moyen-Orient.

Le premier sommet s’est soldé par les appels à un large dialogue intersyrien avec la participation de tous les représentants de la société syrienne, ainsi que la confirmation de la souveraineté et la nécessité de rétablir l’intégrité territoriale du pays. Une attention particulière a été accordée à la lutte contre Daech*, le Front al-Nosra* et d’autres organisations extrémistes.

Les dirigeants se sont réunis six mois plus tard pour la deuxième fois, en avril 2018. Dans leur communiqué commun, ils avaient reconnu que le conflit syrien ne pouvait pas être réglé par la voie militaire et qu’il fallait trouver une solution politique. Il avait également été décidé de séparer les groupes terroristes radicaux de ladite opposition modérée. Vladimir Poutine avait qualifié cette rencontre de «réussie».

En septembre 2018, la discussion s’est réduite à la situation dans la province d’Idleb, où a été initié le processus de désescalade. Idlib a également constitué le thème principal du dernier sommet en date, le 14 février 2019 à Sotchi.

La situation dans cette province s’est aggravée en août. A Noursoultan (capitale du Kazakhstan) a été conclue une nouvelle entente de cessez-le-feu. Les combattants ont enfreint cet accord. Les forces gouvernementales ont relancé l’offensive et ont encerclé la ville de Khan Cheikhoun, où se situe un poste d’observation turc. Après quoi Erdogan s’est empressé de se rendre à Moscou.

Le nouveau cessez-le-feu est entré en vigueur le 31 août. D’après le ministère russe de la Défense, des tirs se produisent encore dans différentes régions du pays. Cela signifie que la réunion du 16 septembre ne sera certainement pas la dernière.

Une coalition sans précédent

Les dirigeants ont besoin de trouver un compromis sur les nombreux sujets où les positions des pays divergent fortement.

Avant tout, le sommet marque la continuité des pourparlers précédents des dirigeants de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, explique Boris Dolgov du Centre d’études arabes et islamiques à l’Institut d’études orientales affilié à l’Académie des sciences de Russie.

«Ces rencontres ont donné un résultat: la création de la zone de désescalade à Idlib, l’entente sur le cessez-le-feu. Cependant, à un moment donné, les tirs ont tout de même repris», a indiqué l’interlocuteur à Sputnik. Il est effectivement difficile de convenir des actions à entreprendre dans la région. L’objectif des négociations à venir consiste à rapprocher les parties d’un compromis.

C’est également l’avis de l’orientaliste et politologue Stanislav Tarassov.

«La Russie sait parfaitement ce qui se passe actuellement à Idlib, où est menée une patrouille conjointe. La Turquie est responsable de cette zone, mais Ankara ne parvient toujours pas à séparer les islamistes radicaux des non radicaux», a-t-il expliqué à Sputnik.

La coalition des membres du format d’Astana est complexe, peu standard et historiquement sans précédent. Les difficultés sont inévitables. Par exemple, il existe un plan de règlement proposé par la Russie. La Turquie s’oppose à l’un des points: la participation des unités kurdes, alors que les Kurdes ont apporté une grande contribution à la victoire contre Daech et ont mérité un statut particulier, estime l’expert.

«De toute évidence, les Kurdes pourraient obtenir leur autonomie au sein de la Syrie, mais Ankara s’y oppose. Une autonomie kurde existe déjà en Irak, et elle se profile en Syrie. Du coup, à un moment donné, cela risque d’arriver jusqu’à la Turquie, or les Kurdes y sont considérés comme des terroristes», indique-t-il.

D’autant que, selon Stanislav Tarassov, la coopération militaro-technique entre Ankara et Moscou est plus étroite qu’entre Moscou et Téhéran.

Un événement important a précédé ce sommet: la déclaration du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. «C’est une position fondamentalement nouvelle, le passage du règlement du problème syrien du plan militaire au plan politique et diplomatique», note l’expert. Mais, là aussi, les positions des parties peuvent ne pas coïncider.

«La Russie estime que la guerre est terminée, mais l’Iran ou la Turquie pourraient dire: non, ce n’est pas le cas. Des questions aussi primordiales nécessitent une entente – que faut-il considérer comme la fin de la guerre, comme la victoire. Sinon ce sera comme avec les annonces de la victoire sur Daech*: différents pays ont déclaré plusieurs fois que ce groupe était vaincu, mais les terroristes y courent toujours», explique le politologue.

Les spécialistes de la région s’entendent à dire qu’à l’heure actuelle la coopération militaire passe au second plan par rapport à la politique. Reste à venir l’optimisation du travail de la commission constitutionnelle de la Syrie, la reconstruction de l’infrastructure. Et bien que les parties se rodent encore, la discussion passe au niveau supérieur.

*Organisation terroriste interdite en Russie


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