LIVRES / VIOLENCES (I)

    par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                                                      Livres

Violences algériennes. Essai de Allaoua Bendif, Koukou Editions, Cheraga Banlieue 2019, 335 pages, 1.000 dinars

Un livre qui a commencé à être rédigé durant l’été 2014. Un livre consacré à l’étude des différentes formes de violence qui se manifestent au sein de la société algérienne et de ce qui semble être leurs causes et leur génèse possibles.

Tout est parti d’une question fondamentale : pourquoi la violence semble devenue un mode relationnel significatif au sein de la société algérienne en général… principalement durant les années 90 (décennie noire) mais aussi en d’autres situations et la liste est bien longue.

La conclusion pour l’auteur, après analyse des faits et des situations de violence, est là : C’est (en tout cas une partie importante) le résultat d’un certain nombre de dysfonctionnements sociaux en général (dont ceux venant du fonctionnement de l’Etat et de ses démembrements… et de la perversion du contrat citoyen liant les responsables de l’Etat national et les Algériens…)…Mais comment expliquer le caractère non violent, pacifique du Hirak… les vendredis ? Une stratégie ? Une bienveillance réciproque et une facilitation ?

Dans une première partie, l’auteur décortique la «contre-violence» légitime ou violence terroriste visant à imposer un modèle politique et social… en remontant à décembre 1991… Au passage, il s’interroge sur les causes profondes de la violence terroriste ayant sévi en Algérie: est-ce la décennie noire qui a ouvert la boîte de Pandorre des violences ou, alors, est-ce l’ évolution globale de l’organisation de la société algérienne et de l’Etat algérien qui a engendré les processus de rupture majeurs…et ce, depuis les années 70 et que l’Etat algérien n’a jamais pu (ou voulu) prendre sérieusement et rigoureusement en considération et en charge ?

Par la suite, il analyse les principales violences : dans le monde du football, sur les routes, délictuelle et criminelle, institutionnelle et bureaucratique, de l’environnement international. Ici, pour lui, la mondialisation, dans sa configuration actuelle, est loin d’être une solution aux innombrables problèmes infligés à l’humanité et à la planète, c’en est même une agression continue, aux conséquences de plus en plus graves. Et il est impensable que les violences s’étant manifestées en Algérie, entre autres pendant la décennie du terrorisme, soit sécables de cette violence supra nationale

L’Auteur : Né en mars 1953 à Skikda, docteur en psychologie clinique (Constantine puis Lille 3). Enseignant universitaire, adepte d’une psychologie d’implication dans les processus psychosociaux et institutionnels d’une Algérie en mutation. Psychologue particien, il a exercé en situations d’urgence (dont, notamment, la prise en charge de victimes d’ accidents industriels et de violence terroriste)

Table des matières : Prologue/ Introduction/Première partie : «Contre-violence» légitime ou violence terroriste visant à imposer un modèle politique et social: faits et interpretation /Deuxième partie : Les violences comme indices de dysfonctionnements sociaux

Extraits : «La mise en échec du véritable complot du cinquième mandat de Bouteflika, et le processus de neutralisation du clan de ce dernier et de tous ses démembrements actifs, n’aurait pas été possible sans cette conjonction globale entre le peuple en Hirak et les hautes autorités de l’Anp» (p11), «Les Etats ont besoin de poser les limites légales des devoirs et des droits de chacune des deux parties en citoyenneté, car ces limites sont indispensables en leur fonctionnement stable» (p26), «Le projet jihadiste de recourir à la violence pour renverser le régime en place par la force des armes et le remplacer par un état théocratique est donc bien antérieur à l’interruption des élections de 1991 contrairement à ce que tentent de faire accroire certains cercles en Algérie et à l’étranger» (p44)

Avis : Un point d’appui plus qu’utile pour mieux cerner le phénomène des violences, ici et là… un éclairage supplémentaire sur l’islamisme violent et ses ressorts… ici et là

Citations : «La non-violence, la tolérance et l’esprit citoyen encore visible, le vendredi, sont encore largement à construire tous les autres jours, dans tous les autres espaces et dans tous les domaines du vivre ensemble national» ( p15), «Partout où il s’est implanté, l’islamisme politique est clairement structuré autour de deux référents idéologiques : le fondamentalisme temporairement légaliste, éventuellement opportuniste (mais jusqu’où et jusqu’à quand ?) et le néo fondamentalisme jihadiste terroriste» (p 85 , «Que peut-on raisonnablement attendre de cette culture du lynchage médiatique et politique, sinon la brutalisation des rapports sociaux, la structuration durable de la violence dans les rapports politiques ?» (p124), «Le jihad mineur se trouve être en cohérence totale avec la morale humaine universelle telle qu’elle existe dans toutes les civilisations et dans toutes les cultures (….). Le problème ne vient donc pas du jihad défensif…Il vient du glissement de sens, de l’amalgame stratégiquement introduit entre jihad et jihadisme» (p 167), «Le jihadisme n’est donc pas le jihad au sens de l’entendement traditionnel de l’orthodoxie musulmane mais une doctrine extrémiste, ultra-violente et supranationale, élaborée à partir de manipulations exégétiques pour servir certains projets politiques et également diversement vassalisés dans le cadre des projets géostratégiques des uns et des autres» (p177)

De la violence en Algérie. Les lois du chaos. Essai de Abderrahmane Moussaoui. Barzakh Editions, Alger 2006. 447 pages, 600 dinars (Déjà publié. Pour rappel)

Anthropologue, l’auteur a beaucoup travaillé sur les questions liées à l’espace et aux croyances qui président à son organisation. Il sait donc de quoi il parle quand il se penche sur le «malade» Algérie pour essayer de trouver, les causes de la violence durant les «années noires» et d’en comprendre les mécanismes.

Ni analyse politique du «chaos» algérien, ni analyse journalistique distribuant les certificats de bonne conscience en désignant les bourreaux et les victimes, ni lecture «urgentiste», mais seulement une tentative de lecture anthropologique d’un moment de l‘histoire du pays, à travers l’échange de violence et de mort; un pays, et c’est une particularité des sociétés maghrébines, où «l’entreprise de la guerre» – donc de la violence – »a fini par s’institutionnaliser comme valeur».

Le chercheur avertit d’emblée : son regard sera essentiellement focalisé sur l’opposition islamiste armée car, «en général, les actions du pouvoir établi demeurent largement déterminés par les formes classiques de la répression de régimes autoritaires».

On sent déjà, malgré, tout un certain parti-pris qui, comme bien d’autres, va, sans l’écrire, trouver des «circonstances atténuantes» aux violences et aux crimes terroristes et «charger», sans le dire, et indirectement, l’autre camp.

Par ailleurs, sa démarche se veut transcender les démarches essentialistes qui voient dans tel ou tel phénomène un produit inéluctable de telle culture, telle religion ou telle race. A la lumière des événements et des faits concrets recueillis dans le cadre de l’expérience algérienne, il veut tenter de comprendre les mécanismes qui président à l’explosion de la violence et les logiques qui la nourissent. Le quoi et le comment pour expliquer le pourquoi ! Une autre manière de mettre sur le même pied d’égalité les protagonistes du drame. Dramatique….comme démarche, non?

Avis : Ça fait du bien de lire, de temps en temps, une oeuvre scientifique sur un tel sujet. Potion amère, mais potion guérisseuse. Et, celle-ci en est une.

Déprimante certes, mais porteuse d’espoir (????). Car, pour rejoindre un propos de l’auteur: Si «le discours commun parle d’une société qui se désagrège et se fragmente (….), on peut également faire remarquer que c’est à cette période précise que l’Algérie a connu un brassage favorisant une meilleure intégration à l’espace national et des agrégations de type sociétal. La violence peut, au contraire, être perçue comme le signe d’une volonté de vivre ensemble mais autrement». Pourquoi pas ! Mais quel autrement ? Voilà donc le sujet d’une autre recherche.


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