«La pile Wonder ne s’use que si l’on s’en sert». Qui ne connaît pas ce slogan publicitaire qui veut convaincre le consommateur d’acheter la pile en question plutôt que celle de ses concurrents ?
Même les mots s’usent à force de s’en servir
Ce slogan, si simple et si terre-à-terre, tellement il est frappé de bon sens, peut tout aussi bien servir à faire avancer la vente d’autres produits de consommation, de la vulgaire pâte dentifrice à la voiture automobile de luxe, sans oublier les produits alimentaires d’usage courant.
On peut également étendre son emploi aux concepts abstraits de la philosophie comme de la politique. Car rien ne réduit la valeur d’un concept que son usage excessif, mal à propos et dans des circonstances qui ne conviennent pas au sens où il est généralement accepté.
La démocratie, un concept démonétisé
On n’a nullement besoin de recourir aux lumières des analystes politiques pour constater que l’un des termes les plus souvent employés pour justifier toutes sortes de mauvaises actions menées contre les peuples, tant de l’intérieur que de l’extérieur, est le concept de «démocratie».
Dans la période actuelle, toutes les agressions extérieures, les coups d’Etat militaires, les interventions extérieures, violentes ou secrètes, les soulèvements spontanés ou manipulés, les actes terroristes, et bien d’autres actions que condamnent tant le bon sens que la morale politique la plus élémentaire, se parent du qualificatif de «démocratique» pour se justifier. Ainsi, voit-on toute une partie du monde réduite en cendres, ses villes et ses villages détruits, sa population civile tuée ou déracinée, ses institutions étatiques les plus banales mises hors d’état de fonctionner, etc. etc. Tout cela au nom de la démocratie.
C’est en quelque sorte répandre le virus de la peste, créer une situation d’épidémie de cette maladie terrible, au nom de la «lutte pour améliorer la santé des populations visées».
Même Israël, la seule colonie de peuplement occidental encore existante, justifie son projet de génocide des Palestiniens par le caractère «démocratique» de son système politique, omettant de rappeler que ce système ne concerne que les «Juifs,» qui seuls jouissent de tous les droits politiques et personnels, et du statut «d’êtres humains», la population palestinienne ayant le droit de tenter de survivre dans une système où elle est soumise à 5500 règlements de sécurité et ne jouit même pas du droit de circuler en toute liberté et du droit à la propriété privée. On veut même, dans «la patrie des droits de l’homme», interdire que le système colonial, même s’il est «juif» dont Israël est le parfait exemple, soit dénoncé car ce serait de « l’antisémitisme». N’y a-t-il pas de plus raciste que cette interdiction qui fait automatiquement des Palestiniens des «untermenschen» (sous-hommes) selon l’expression nazie bien connue, puisqu’il est interdit de décrire l’oppression sioniste dont ils souffrent de la part d’un Etat qui se déclare «juif» ? Faut-il blâmer les Hans chinois pour cette oppression ?
Que l’ancienne puissance coloniale adhère à cette ligne n’a rien de surprenant, car le système colonial « juif » en Israël lui rappelle le bon vieux temps du «colonialisme civilisateur» dont le peuple algérien a connu les méfaits et le racisme pendant plus d’un siècle.
La démocratie comme arme de destruction massive
Et, de plus, on constate que l’usage du terme «démocratie» à des fins de destruction massive n’intervient que quand les «intérêts vitaux» de ces nations qui se sont donné pour noble objectif de «rendre le monde meilleur» sont en jeu. On ne veut pas démocratiser tous ceux des Etats du monde qui, d’une manière ou d’une autre, ont des régimes «non démocratiques» mais seulement ceux de ces Etats dont les actions portent préjudice à ces «intérêts vitaux.»
Bref, on veut bien défendre la démocratie, à condition que ça rapporte, tout comme on est disposé à appuyer le despotisme s’il rapporte plus que la démocratie. On se trouve donc, non dans une processus de «fin de l’histoire,» mais plutôt d’exploitation cynique d’un terme qui est supposé représenter le progrès ultime des sociétés, et qui implique la moralisation de la gestion des affaires politique au profit de tous les citoyens, et non à celui d’un petit groupe de pays ou de personnes au sommet de la «pyramide alimentaire,» du pouvoir politique mondial ou national.
Le colonialisme est loin d’avoir été une école de démocratie
On a donné un mauvais «nom» à la démocratie, comme on a donné hier, au bon vieux temps du partage du monde entre puissances colonisatrices, un mauvais nom à «la mission civilisatrice» qui servait de slogan à l’invasion coloniale.
L’Algérie, comme entité géographique, a été – faut-il le rappeler ? l’un des premiers pays «colonisés» à connaitre la pratique démocratique, puisque le système «démocratique» a été l’un des «bienfaits» de la colonisation, pour remplacer le système «féodal» de la période antérieure.
Le problème est que les bienfaits de cette pratique démocratiques ont été limités à la population minoritaire en provenance de la puissance coloniale ou de pays européens, population généralement chrétienne, la population algérienne autochtone continuant à être gouvernée selon les mêmes principes féodaux hérités de la période des deys. Le slogan «liberté, égalité, fraternité» était inscrit en lettre d’or sur le frontispice des toutes les «communes à plein exercice,» dont la composition démographique était dominée par des «Blancs de blancs» judéo-chrétiens. Ce n’était pas seulement la laïcité qui n’avait pas le droit de cité en Algérie, et n’était pas exportable, selon les dires mêmes de Gambetta, un des présidents du Conseil de l’époque, mais même ces «fameux droits de l’homme» dont la patrie était censée être la puissance coloniale.
On rappellera, en passant, qu’il y a avait en fait, trois régimes politiques dans l’Algérie coloniale :
– la démocratie représentative exclusivement au profit de la population émigrée ou autochtone judéo-chrétienne ; les «communes de plein exercice» concrétisaient ce système de démocratie représentative dans les régions où la population judéo-chrétienne était majoritaire ;
– l’administration directe de la population «indigène,» terme qui désignait les Algériennes et Algériens, puisque le qualificatif d’Algériennes et Algériens était réservé aux populations judéo-chrétiennes résidentes en Algérie, et son emploi par les «Indigènes» était considéré comme subversif. Cette administration couvrait les régions du Nord dans laquelle la «population indigène» était majoritaire et était établie sous forme de «communes mixtes.»
– l’administration militaire dans les territoires du Sud, faisant de cette partie de notre pays une vaste caserne coloniale, où la population était soumise à l’impôt du sang au profit de l’armée coloniale, et selon les caprices du «caïd» indigène local.
Même le principe de base démocratique de l’égalité devant la loi a été rejeté par le système colonial
L’Algérien était, certes, considéré comme «Français» de par la loi, mais il avait des droits et des obligations qui ne coïncidaient pas avec son statut juridique proclamé. Avec les «évènements», la pratique juridique avait perdu toute relation avec le statut de «Français» octroyé à l’Algérien. Mitterand, alors ministre de l’intérieur, puis ministre de la Justice pouvait ordonner que soit exécuté sur-le-champ tout Algérien pris les armes à la main. On n’a pas entendu beaucoup de protestations relevant que tout crime commis ressortissait du code pénal et de procédures judiciaires définies par la loi française. On ne se souvient pas que ce ministre ou les exécutants de ses ordres ait été censuré ou poursuivi pour avoir ordonné l’exécution sommaire de «Français,» en violation des lois de la République.
Les crimes commis au nom de la démocratie, comme au nom de la «mission civilisatrice» dont se réclamait le système colonial en Algérie sont trop nombreux pour qu’un court écrit puisse en épuiser la liste. Le silence imposé par les lois françaises contre le rappel des crimes coloniaux qui ont été perpétrés jusqu’à la dernière heure du système colonial, prouvent, s’il le fallait, que la patrie des droits de l’homme a encore beaucoup à faire sur le plan moral pour se laver de ses crimes commis au nom d’idéaux dont elle prétendait et continue à prétendre qu’elle en est la concrétisation. Ce sursaut moral est évidemment son affaire. Les seuls à ne pas jouer aux censeurs du système politique algérien, et à ne pas tenter de donner des leçons au peuple algérien, sont bien les anciens colonisateurs.
La démocratie n’est pas un des legs du colonialisme
On ne peut pas donc dire que l’expérience «démocratique» a été l’un des «legs» du système colonial, au contraire. L’Algérie a hérité d’une expérience politique coloniale où les belles déclarations, les nobles principes qu’évoque le concept politique de «démocratie» étaient accompagnés de pratiques politiques n’ayant aucun rapport avec la démocratie, et ne faisant que cacher le maintien en vie des comportements politiques hérités du système militaro-féodal animé par le régime des deys. Combien de générations faut-il pour effacer dans les pratiques sociales tous les comportements, toutes les habitudes, y compris l’usage de la langue du colonisateur ? Il n’y a pas de réponse à cette question.
Mais faire croire que le système colonial n’a pas laissé dans la mentalité des Algériens d’autre trace que les institutions administratives, la législation, l’attrait pour les structures de consommation et les goûts de l’ancienne puissance coloniale, y compris les goûts littéraires, c’est faire preuve de mauvaise foi ou d’inconscience. Si ces prémices, que l’observation la plus superficielle de la société algérienne permet de vérifier, sont acceptées, et elles ne peuvent que l’être, la décolonisation politique de l’Algérie est loin d’être achevée, et le système politique algérien reflète des pratiques, et des réflexes, qui trouvent leur source dans les pratiques et réflexes qui ont servi à la puissance coloniale de s’assurer la domination de la «population autochtone».
La prise de conscience de la continuité du système colonial dans la pratique politique algérienne constitue le premier pas vers le progrès politique dans le pays, progrès qui passe par la mise en place d’un système institutionnel donnant réellement le pouvoir au peuple, et reconnaissant la centralité de la Constitution comme fondement de ce système, et non comme simple règlement intérieur que se donne le pouvoir politique pour légitimer et légaliser son autorité.
La tâche essentielle est donc de rompre avec la pratique politique coloniale, qui faisait fi de son propre système institutionnel et avait fait de la violation de ses propres principes politiques hautement proclamés le fondement de cette pratique. Le système colonial a appris aux Algériens que les principes, les lois devaient obéir, dans leur mise en œuvre, aux besoins politiques du moment, et ne pas être considérées comme des guides rigides auxquels les autorités politiques devaient à tout prix se conformer dans leur comportement.
En conclusion
A l’indépendance, les Algériens n’avaient d’autre exemple de système politique que celui mis en place par les autorités coloniales, et visant deux objectifs :
– faciliter l’exploitation des ressources naturelles du pays au profit exclusif de la minorité blanche judéo-chrétienne ;
– Entretenir les divisions entre les différents éléments du peuple algérien pour perpétuer la domination et l’exploitation du pays.
En termes d’expérience politique, les Algériens ont été à la plus mauvaise des écoles. Le colonisateur n’a commencé à penser à démocratiser les Algériens qu’au dernier quart d’heure de sa domination, faisant du système électoral un instrument de pacification à usage strictement militaire. Il ne s’agissait pas de concrétiser un idéal démocratique, mais seulement de combattre «la rébellion» par un instrument plus sophistiqué que le fusil ou la bombe, mais non moins violent, car destiné à perpétuer l’oppression coloniale.
Les autorités coloniales avaient 132 années devant elles pour apprendre aux Algériens ce qu’était la vraie démocratie, et pour les «civiliser.» Ils n’ont accompli ni l’une ni l’autre de ces missions. S’ils nous avaient appris la démocratie, nous l’aurions eue dés l’Indépendance. S’ils nous avaient civilisés, nous n’aurions pas eu besoin de leur assistance technique pour construire et gérer l’aéroport d’Alger, et pour creuser et gérer le métro de la capitale, et nos librairies seraient pleines exclusivement ou presque de livres écrits par des Algériennes et Algériens !
Il ne s’agit pas là de tout mettre sur le dos du système colonial, ni même de minimiser le rôle des autorités publiques dans la construction politique algérienne après l’indépendance, mais seulement de rappeler que la rupture historique qu’était cette indépendance n’a ni transformé, comme par miracle, la société algérienne, ni effacé sur elle les traces du système colonial.
On ne se décolonise pas automatiquement en devenant indépendant. Cela demande un effort concerté et cohérent. L’Etat national algérien a-t-il fait cet effort ? Rien n’est moins certain, et tout un chacun peut le constater.
Il est temps de mettre fin à ce système politique, mélange de «commune mixte» et de «territoire militaire,» qui reflète une tradition politique héritée du système colonial, et non un choix libre de la part des Algériennes et Algériens.
Les efforts des dirigeants algériens doivent se porter sur la «décolonisation» de leur système politique et la reconnaissance, finalement, de la citoyenneté algérienne pleine et entière.
Certains évoquent l’exemple syrien. L’analogie est la forme la plus primitive de l’analyse politique et il n’est nul besoin d’être versé dans les arcanes de la géopolitique pour conclure qu’il n’y a aucun rapport entre la situation de l’Algérie et celle de la Syrie, à moins que cette analogie ne soit rien d’autre qu’une menace de noyer le pays dans un bain de sang si les Algériennes et Algériennes persistent à demander de devenir finalement des citoyens de plein statut dans une Algérie libérée des pratiques politiques hérités du système colonial.
Ce que veulent les Algériennes et les Algériens, c’est un changement de système, non sa perpétuation sous le couvert d’un calendrier électoral présidentiel.
Qui vivra verra ! Et il ne reste qu’à espérer que les détenteurs réels du pouvoir résistent à la tentation de l’usage de la violence armée pour garder à tout prix les privilèges qu’ils tirent de ce pouvoir.