L’histoire de l’Algérie post indépendance a été jalonnée de soubresauts politiques liés pour l’essentiel au problème de la légitimité de ses dirigeants, lesquels ont chacun, à sa manière, essayé d’exploiter à son profit les forces du moment, quand celles-ci jouaient à sa faveur, pour s’imposer.
A aucun moment les dirigeants qui étaient à la tête de ce pays ne l’ont été par le fait d’un choix populaire librement exercé ou portés par la transparence des urnes.
Cette histoire nous montre également que la Constitution n’a jamais représenté un obstacle pour ceux qui voulaient s’accaparer du pouvoir et qu’en définitive la seule légitimité qui était à l’ordre du jour n’était pas la légitimité constitutionnelle, mais celle du plus fort.
Il en est ainsi de la Constitution d’octobre 1963, élaborée dans une salle de cinéma et définitivement abandonnée après le coup d’Etat du 19 juin 1965 et la destitution de Ben Bella par l’armée.
Il aura fallu attendre plus de 10 ans pour que soit adoptée une nouvelle Constitution, celle de 1976 calquée sur le modèle des anciens pays socialistes d’Europe de l’Est qui va consacrer le régime d’unité du pouvoir et donner une base juridique au système socialiste dont les principales composantes avaient été mises en place entre 1965 et 1976.
La suprématie du gouvernement par le parti unique perdurera jusqu’en 1989. Cette période de la politique algérienne (de 1962 à 1989) sera essentiellement marquée par l’interdiction non seulement des partis politiques qui furent contraints à la clandestinité, mais également de toute organisation syndicale qui refuse de se mettre sous l’égide du parti unique.
Le tournant décisif dans l’histoire constitutionnelle de l’Algérie post indépendance fut pris lors des événements d’Octobre 1988 qui ont fait en sorte que la chape de plomb de la pensée unique finit par se lézarder pour céder la place à une nouvelle conception de la chose politique plus ouverte.
La révolte d’Octobre 1988 a obligé les décideurs politiques de s’ouvrir aux bienfaits de la démocratie et du multipartisme par l’adoption d’une Constitution, approuvée par référendum le 23 février 1989, introduisant le pluralisme politique et consacrant le principe de la séparation des pouvoirs.
Ce nouveau texte qui a profondément changé le régime constitutionnel algérien a, à son tour, été amendé en 1996. Mais dans la réalité des faits, cette ouverture n’a jamais véritablement eu lieu.
En fait, elle n’a été qu’un faire-valoir pour permettre au système, qui a été mis à mal par des dissensions internes, de se remettre et se structurer sur de nouvelles bases à coloration démocratique et qui n’avait de démocratique que l’apparence.
En fait, les différents remaniements constitutionnels n’ont fait que renforcer le pouvoir politique au détriment du pouvoir constitutionnel. Que ce soit la Constitution de 1976 dans laquelle la fonction présidentielle était déjà surdimensionnée, ou encore la Constitution de 1989 remaniée en 1996 et dans laquelle les articles 74 à 78 notamment indiquant «que le président de la République dispose de plus larges prérogatives. Qu’il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Qu’il peut légiférer, dans certains cas, par ordonnance. Qu’il peut dissoudre l’Assemblée nationale sans que celle-ci puisse mettre en jeu sa responsabilité».
Dans tous les cas de figure, nous restons dans une situation où le pouvoir exécutif est entre les mains exclusives du chef de l’Etat.
C’est ainsi que dans ce système que l’on peut qualifier de présidentialiste, système fondé sur la primauté du président de la République, le chef du gouvernement n’a aucun pouvoir.
Les amendements constitutionnels introduits par le président Bouteflika, outre quelques points somme toute assez anodins, comme l’article 5 révisé de la Constitution qui précise que «l’emblème national et l’hymne national sont des conquêtes de la Révolution du 1er Novembre 1954 et sont immuables», ou encore l’article 62, qui stipule que «l’Etat garantit le respect des symboles de la révolution, la mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayants droit et des moudjahidine», les autres amendements, notamment celui proposé à l’article 74 qui, tout en maintenant la durée du mandat présidentiel, qui est de cinq ans, dispose que le président de la République est rééligible sans limitation de son mandat. Nous sommes passés ainsi, par la grâce de cette révision constitutionnelle, à un régime présidentiel pur et dur.
Si dans la Constitution de 1989 amendée en 1996, les pouvoirs du président étaient déjà exorbitants, l’institution d’un régime présidentiel et la suppression de la fonction du chef de l’Exécutif en tant qu’émanation de la majorité parlementaire n’ont fait que renforcer la tendance qui marque de façon prégnante l’omnipotence et l’omniscience de la fonction présidentielle au détriment des autres pouvoirs.
Tout ça, c’est pour dire, Monsieur Gaïd Salah, que la solution ne peut être que politique, elle ne peut en aucun se trouver dans une Constitution taillée sur mesure par un pouvoir qui refuse toute ouverture démocratique. Aujourd’hui, si la solution constitutionnelle a permis une avancée par le biais de l’activation de l’article 102, vouloir à tout prix rester dans le cadre de cette Constitution ne peut que mener à une situation de blocage politique, annonciateur de tous les dangers.
Par contre, la solution politique sera annonciatrice de la stabilité politique à laquelle nous aspirons tous, une stabilité politique qui ouvrirait les portes du pouvoir et de la gouvernance à toutes les bonnes volontés, à tous les patriotes qui ont ce pays à cœur, à tous ceux qui sont prêts à accepter de mettre les intérêts supérieurs de la nation au-dessus des intérêts étroits de personnes ou de clans, une gouvernance qui rendrait l’alternance au pouvoir une réalité tangible et non un vœu pieux.
Comme vous pouvez le constater, monsieur Gaïd Salah, la solution constitutionnelle vient de montrer ses limites et les scandales financiers continuent à défrayer la chronique (Khalifa, Tonic emballage, BCIA, l’autoroute Est-ouest, l’affaire Sonatrach, l’affaire Haddad et toutes les autres affaires qui seront immanquablement dénoncées), la corruption est devenue une véritable institution, l’économie refuse de décoller parce que rien n’est fait pour qu’elle décolle, les banques n’accordent plus de crédits à tous les Algériens et ne peuvent d’ailleurs même pas être qualifiées de banques puisqu’elles n’obéissent à aucune des lois de l’orthodoxie bancaire. Ce sont de simples guichets de payement. Nos billets de banque n’ont aucune valeur devant les monnaies étrangères.
On continue à ignorer superbement le payement par chèque et par carte bancaire.
Notre système éducatif, tous paliers confondus, est sinistré. Les grèves se multiplient sans que cela émeuve qui que ce soit et sans que cela ait le moindre effet sur les décideurs qui continuent à ignorer avec un mépris galactique cet appel de fond d’une société qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans le marasme des fins de mois difficiles.
Le cantonnement dans une solution exclusivement constitutionnelle ne peut que prolonger la survie politique d’un système honni par toute une nation. Il faut qu’on écoute, Monsieur Gaïd Salah, ce que cette jeunesse descendue par millions dans les rue a à nous dire.
Cette jeunesse est bel et bien la seule force de changement possible ; les jeunes, qui totalisent à eux seuls près de 60% de la population, n’ont pas connu, pour la majorité d’entre eux, la guerre d’Algérie et ses affres. Ils n’ont pas connu le parti unique et ses malversations spoliatrices. Pour ce qui est de la décennie noire, la plupart d’entre eux étaient trop jeunes pour pouvoir s’en faire une idée précise. Cette jeunesse n’est heureusement pas encore corrompue, elle est encore saine et n’aspire qu’à mieux vivre.
Cette jeunesse qui a toujours été marginalisée, infantilisée, abrutie par un système éducatif qui n’a jamais œuvré dans le sens de l’excellence et du développement de l’esprit critique. Cette jeunesse qui a perdu confiance dans ses aînés, lesquels, s’ils ne sont pas corrompus, sont totalement démissionnaires.
Cette jeunesse qui hier encore n’avait aucun espoir autre que celui de fuir ce pays et si possible le plus loin possible. Cette jeunesse qui malheureusement a toujours eu une conscience aiguë des conditions de vie qui lui sont imposées, des restrictions auxquelles elle est quotidiennement confrontée et de la quasi-inexistence d’infrastructures d’accueil qui répondent à ses besoins.
Cette jeunesse livrée à elle-même, réduite à squatter les porches des immeubles, ou à rester adossée à longueur de journée aux murs des quartiers, cette jeunesse qui ne rêve plus et qui n’avait malheureusement qu’une seule idée en tête, le seul rêve que ce système a échoué à lui confisquer : fuir ce pays, quitter l’Algérie dans le but d’une situation meilleure en Europe, au Canada ou même en Australie. Cette jeunesse qui n’a pas suivi les révolutions quand elles ont eu lieu se réveille aujourd’hui pour faire sa propre révolution tranquille et pacifique doit être unique.
Oui, Monsieur Gaïd Salah, la révolution algérienne tranquille et pacifique menée par nos jeunes est unique, elle a étonné le monde entier par son pacifisme. Les Algériens viennent de démontrer aujourd’hui encore une fois aux yeux du monde entier que lorsque les Algériens font leur révolution, il faut que celle-ci soit unique comme le fut la Révolution de Novembre 54, dont vous faites partie.
Le système politique algérien, instrumentant avec brio les chocs successifs que ce peuple a subis, s’est cru momentanément à l’abri d’un soulèvement populaire malgré l’exemple des révolutions arabes (Tunisie, Libye, Egypte et Syrie) parce qu’il pensait que le peuple algérien est fatigué et qu’il a eu sa part de malheurs, ce système n’a pas voulu voir ni entendre.
Le pouvoir est autiste. C’est Einstein qui disait que seules deux choses sont infinies : l’espace et la bêtise humaine. Cette citation s’applique parfaitement à nos hommes politiques, lesquels, contre toute logique, contre tout bon sens et par pure bêtise, ont refusé d’admettre que le changement est inéluctable.
En effet, une nouvelle génération, connectée et désireuse de vivre normalement, sans la censure des dictateurs, ni les fatwas des imams, est en train progressivement de prendre la relève et avec laquelle il va falloir dorénavant compter. Aujourd’hui, l’Algérie vient de rentrer par la grande porte dans un processus révolutionnaire inédit dans l’histoire de l’humanité.
C’est la seule révolution au monde dans laquelle les révolutionnaires continuent à vaquer le plus normalement du monde à leurs besoins sans entraver le cours normal des institutions, c’est la seule révolution au monde dans laquelle les révolutionnaires sont des gens normaux, qui sortent le soir en famille pour aller au restaurant, mais qui se sont mis d’accord sur un seul principe : faire une révolution tranquille, pacifique et joyeuse mais qui reste néanmoins un véritable sacerdoce, une mission sacrée et rien au monde ne viendra les en détourner parce que les Algériens ont compris aujourd’hui qu’ils sont un grand peuple et qu’ils sont vraiment les dignes héritiers du groupe des (22) et tous les martyrs tombés au champ d’honneur.
Ils veulent aujourd’hui permettre à nos valeureux chouhada de reposer en paix. Notre Révolution Tranquille, Pacifique et Joyeuse est un cas d’école. Monsieur Gaïd Salah, s’il nous reste aujourd’hui une seule certitude, c’est que les Algériens ne rentreront pas chez eux tant que ce système n’aura pas définitivement abdiqué.
Il nous reste à espérer que cette dynamique unique dans les annales de l’histoire ne soit pas détournée ou, pire encore, brisée car il y va de l’avenir de notre nation. Monsieur Gaïd Salah, il ne faut pas que notre jeunesse qui a payé un lourd tribut à ce régime, que vous aviez qualifié de mafieux, soit encore une fois dépossédée de son espoir. Il ne faut pas que notre jeunesse perde cet élan vital qui l’a poussée dans les rues pour demander une vie meilleure retombe une fois de plus dans le désespoir, car cette fois-ci elle ne s’en remettra pas, et Dieu seul sait ce qui adviendra si cela venait à se réaliser.
Djeich, Chaâb, Khawa khawa : Slogan ou Réalité ?
Monsieur Gaïd Salah, à travers l’institution militaire respectable et respectueuse du peuple, vous êtes aujourd’hui le seul rempart qui peut empêcher ces forces extraconstitutionnelles d’agir et ce faisant, vous rentrerez dans l’histoire par la grande porte comme étant celui qui a sauvé l’Algérie des forces du mal.
Faites en sorte que ce magnifique élan salvateur qui est en train de libérer l’Algérie ne soit pas vain et aboutisse sur des solutions qui mettront définitivement l’Algérie sur les rails du développement durable et surtout qui feront renaître l’espoir dans le cœur des Algériens.
Nous vivons aujourd’hui un processus révolutionnaire historique et unique de par son pacifisme exceptionnel et il vous appartient, Monsieur Gaïd Salah, de le capitaliser pour le bien-être de nos enfants et pour l’avenir de notre pays.
L’Algérie recèle un potentiel énorme, incommensurable, il ne faut pas le laisser entre des mains malveillantes. Il vous appartient de faire en sorte que ce potentiel soit remis entre des mains sûres, des mains qui ont l’amour de ce pays profondément enraciné dans leurs convictions.
La patrie en sera à jamais reconnaissante et Dieu bénira l’institution militaire. Faites en sorte, Monsieur Gaïd Salah, que des solutions à la hauteur des attentes de toute une nation soient trouvées et mises en application dans de brefs délais. Le temps, comme vous l’avez déjà souligné, joue contre nous, il faut aller au plus vite vers la mise en place d’institutions de transition constituées de personnalités honnêtes, de personnalités propres et acceptées par le peuple.
Faites en sorte qu’une présidence consensuelle soit rapidement mise en place à la tête du pays pour gérer cette transition avec un gouvernement d’union nationale constitué de personnalités compétentes, des universitaires et Dieu seul sait combien est grand ce potentiel en Algérie, des universitaires issus de toutes les universités algériennes et même de l’étranger et qui sont, à n’en pas douter, hautement habilités à gérer la transition et les affaires courantes.
Faites en sorte qu’une nouvelle commission électorale voit le jour pour que l’on puisse enfin aller vers des élections propres et honnêtes qui assoieront définitivement la démocratie dans notre pays.
LES ÉTAPES POUR UNE TRANSITION POLITIQUE : IROUHOU GA3 !
Pour mener à bien une transition démocratique, les premières élections doivent garantir le franchissement d’une vraie démocratie. Parfois, une chute peut survenir. La transition démocratique, sans la dissolution du régime et ses appareils satellitaires, ne peut aboutir à son effondrement total.
Certaines anciennes figures pourront prendre de nouveau le dessus de la scène politique et cela grâce et par le biais d’élections libres. Dans ce cas, n’est-il pas nécessaire de dissoudre, au nom du peuple, toutes les institutions du régime et ses satellites et aller vers une réelle transition ?
La révolution tranquille et pacifique que connaît notre pays exprime le désir de mettre fin au régime autoritaire afin d’installer un système démocratique, et ce, à travers des élections libres. La mise en place d’un système politique démocratique nécessite, en fait, le passage par un ensemble de processus à travers lesquels l’objectif sera atteint d’une manière pacifique.
La tenue des élections libres et concurrentielles favorisant la participation des citoyens, des différents partis politiques, des observateurs nationaux et de la société civile ainsi que des médias, présente un facteur déterminant pour le passage à un système démocratique. Mais rien ne peut se faire sans une volonté et un courage politiques réels. Cette volonté politique devra être traduite par des décisions répondant aux aspirations et aux rêves de tout un peuple.
Monsieur Gaïd Salah, le politique est tel un corps souffrant d’une gangrène. Il faut couper la partie gangrenée ; en d’autres termes, sacrifier la partie gangrenée au risque de mettre en danger réel le corps tout entier.
En politique, c’est pareil. Pour répondre favorablement aux aspirations du peuple, il est demandé de :
LES NOUVELLES ATTENTES DU PEUPLE
1/ La destitution du président de l’Etat
2/ La dissolution du Sénat
3/ La dissolution de l’APN
4/ La dissolution du Conseil constitutionnel
5/ La dissolution des partis, appareils et syndicats du régime en place.
LES NOUVELLES ORIENTATIONS DU PEUPLE
1/ Un Haut conseil politique
2/ Un gouvernement de transition (des universitaires des 4 coins du pays et de notre communauté vivant à l’étranger)
3/ Création de nouveaux partis politiques, associations et syndicats
4/ Organisation d’une Conférence nationale – Commission indépendante
5/ Election présidentielle.
– La durée de la transition ne dépassera pas 18 mois.
UNE CHANCE À NE PAS RATER
C’est une chance historique qui s’offre à nous, une chance exceptionnelle qui ne s’offre qu’une fois dans la vie d’une nation, si nous la ratons, nous risquons d’entraîner le pays dans une crise dont les conséquences risquent d’être terribles.
Alors, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de cette nation qui n’a que trop souffert, nous vous demandons de siffler la fin de la récréation, faites en sorte que l’espoir qui vient de naître ne soit pas étouffé, comme cela fut le cas en octobre 1988.
Il faut aujourd’hui que l’Armée Nationale Algérienne, la digne héritière de l’Armée de Libération Nationale, accompagne les algériens dans leur projet qui ne souffre aucune équivoque : la construction d’un Etat fort, un Etat de droit, une démocratie dans laquelle tous les Algériens sont égaux devant les lois de la République… de la Nouvelle République, faudrait-il encore le souligner.
Faites en sorte, Monsieur Gaïd Salah, que la démocratie ne soit plus un vain mot. Qu’elle soit une réalité palpable. Enfin, l’histoire retiendra que grâce à la sagesse, à la volonté et à la clairvoyance de l’institution militaire que la Nouvelle République Algérienne est née.
Gloire et honneur à nos martyrs !
Vive l’Algérie libre et indépendante !
Par HOCINE BENHADID. Général à la retraite.
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