Pendant des milliers d’années, l’Egypte est la puissance dominatrice de la corne de l’Afrique dont l’un des grands atouts est le Nil. Il a toujours eu le véto sur les eaux du Nil même si ses voisins le Soudan et l’Ethiopie semblent pas toujours d’accord. En 1959, il fait signer à ses voisins un traité sur le partage des eaux du fleuve et contrôle tous les plans le concernant jusqu’en 2010. En Avril 2011, l’Ethiopie lance un projet pharaonique et stratégique de construction d’un nouveau barrage baptisé « Barrage de la Renaissance » sur les eaux du Nil bleu. Ce projet longtemps controversé, sera source de nouvelles confrontations avec l’Egypte, le Soudan et l’Erythrée.
Barrage de la renaissance ou de la discorde ?
Devenue une puissance régionale grâce au textile, l’immobilier et l’agriculture, l’Ethiopie a aujourd’hui, un besoin croissant de + 30% par an en électricité. Pour assurer ce besoin, l’Ethiopie multiplie la construction des barrages sur le cours du Nil dont celui de la Renaissance, appelé à être le plus grand barrage de l’Afrique avec un coût de près de 6 milliards de dollars. Haut de 170 m et près de 2km de large, il aura une capacité de production d’électricité de 6000MW (soit trois fois le barrage d’Assouan en Egypte).La construction de ce barrage permettra à l’Ethiopie d’irriguer ses terres pour l’agriculture, prévenir l’inondation (rétention de 62 à 100 milliards m3 d’eau), de satisfaire à la fois, ses propres besoins énergétiques et surtout, d’exporter à coût de plus de 730 millions d’euros par an de l’électricité aux pays voisins comme le Djibouti, le Soudan et le Kenya. Les eaux venues des plateaux éthiopiens représentent 86 % de l’eau consommée en Egypte et 95 % en période de crue. À lui seul, le Nil bleu fournit 59 % du débit du Nil. Le projet de barrage de la Renaissance diminuera de 25 % le débit du Nil en Egypte. Les tensions avec le gouvernement du Caire sont inévitables.
Pour comprendre l’impact potentiel de ce barrage sur l’Egypte, il faut aller dans la région du delta du Nil, le poumon de l’agriculture de l’Egypte, où 30 millions d’habitants vivent des eaux du fleuve. Les agriculteurs de cette région sont, depuis des milliers d’années, spécialistes de la riziculture. Cette dernière ne sera cependant plus adaptée avec la baisse des eaux du fleuve, ce qui incite le gouvernement à encourager la population à d’autres cultures. Très inquiet, l’Egypte parle de sécurité alimentaire et donc de sécurité nationale. Le Soudan est confronté à la même problématique : une population jeune qui augmente en raison d’une transition démographique ; un pays confronté à des difficultés de développement. Le Nil bleu fournit principalement au Soudan, 77 % d’eaux entrant et le barrage de la renaissance impactera l’agriculture et les besoins énergétiques du pays. Mais aujourd’hui, le Soudan semble soutenir le projet Ethiopien.
La guerre des eaux du Nil
Le projet du grand barrage de la Renaissance assurera la continuité du développement de l’Ethiopie. C’est un enjeu national car, longtemps controversé par ses voisins, les bailleurs de fonds étrangers se sont désolidarisés du projet et l’Ethiopie le réalise sur fonds propres et grâce à une taxe imposée à la population. Pour l’Egypte, il n’est pas question que ce projet voit le jour. En 2011, dans une réunion diffusée à la télé, le président Egyptien Hosni Moubarak et ses ministres abordent le sujet du barrage, et pour la plupart des ministres, ils doivent passer par tous les moyens pour arrêter ce projet. Il est bon de savoir qu’en 1875, l’Égypte et l’Éthiopie s’étaient déjà affrontés à cause d’une controverse relative au Nil. En 1978, le président égyptien d’antan Anouar el-Sadate, avait menacé son homologue éthiopien, le général Mengistu, de représailles s’il se mettait en tête de retenir une partie des eaux du fleuve. Malgré les menaces des pays voisins, l’Ethiopie entame son projet. En 2014, pour des raisons de crédibilité, le nouveau président Abdel Fattah al-Sissi se penche rapidement sur le sujet, créé une cellule de gestion d’hydro-crise pour tenter de trouver un accord avec l’Ethiopie. En mars 2015, un accord de principe a été signé entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, portant sur la répartition de l’eau et plus particulièrement sur le barrage de la Renaissance. Mais rien n’avance. En mars 2017, l’Ethiopie a affirmé avoir neutralisé une attaque planifiée contre le barrage de la Renaissance par un groupe soutenu par l’Erythrée. Une déclaration qui n’apaisera pas les tensions entre les deux pays. Le porte-parole adjoint du gouvernement, Zadig Abrha, qui a révélé l’information, a affirmé que les forces de sécurité éthiopiennes avaient tué 13 des 20 membres de la Benishangul Gumuz People’s Liberation Movement (BPLM) à l’origine de l’attaque. Les 7 restants ont réussi à fuir vers le Soudan où ils ont été arrêtés et ramenés en Ethiopie.
Les dénégations de l’Erythrée
Le gouvernement érythréen a, pour sa part, démenti ces allégations affirmant ne jamais avoir entendu parler dudit groupe. « Cette accusation est grotesque et propagée pour de sinistres raisons », a affirmé sur Twitter Yemane Gebremeskel, le ministre érythréen de l’information. L’Erythrée a obtenu son indépendance de l’Ethiopie en 1993, après une guerre qui aura duré 31 ans. Entre 1998 et 2000, les deux pays sont ensuite entrés dans une dispute territoriale pour la région de Badme qui a fait 50 000 morts. La BPLM, qui est mise en cause par l’Ethiopie pour cette attaque, est un membre de la People’s Alliance for Freedom and Democracy, une coalition anti-gouvernementale éthiopienne qui, selon Mr Zadig Abrha, est « clairement supportée et entrainée par l’Erythrée ». D’autres sources soutiennent que l’Egypte serait probablement impliqué dans cette attaque. En décembre 2017, Sameh Choukry, ministre égyptien des Affaires étrangères s’était rendu en Éthiopie afin de faire avancer les négociations mais ce fût encore un échec. Le 2 janvier 2018, l’Égypte souhaite discuter directement avec l’Éthiopie en excluant le Soudan des négociations, et propose la Banque mondiale comme médiateur neutre dans le conflit. Le 18 janvier 2018, le Premier ministre d’Éthiopie, Haile Mariam Dessalegn rend visite au président de la République d’Égypte Abdel Fattah al-Sissi afin d’obtenir un assouplissement de la position des deux pays : l’Éthiopie souhaiterait un remplissage rapide du barrage(de moins de 7 ans) afin de bénéficier rapidement de la production électrique. l’Égypte voudrait cependant rallonger ce délai, afin de ne pas diminuer trop le débit du Nil. L’Éthiopie refuse l’arbitrage de la Banque mondiale qui n’avait pas voulu financer la construction du barrage. Au début d’avril 2018, les négociations sont à nouveau en échec, selon Ibrahim Ghandour, ministre soudanais des Affaires étrangères, alors que le barrage est construit à plus de 70 %. Pour Rashid Abdi de l’International Crisis Group, plus que l’eau, c’est aussi l’hégémonie égyptienne sur la région qui est remise en cause alors que le barrage est un symbole de fierté nationale en Éthiopie. Le jeudi 26 juillet 2018 la figure emblématique Simegnew Bekele, directeur du barrage de la Renaissance, est retrouvée mort par balle dans sa voiture. Jusqu’aujourd’hui aucune enquête n’a pu éclairer cette affaire.
Résultat des rapports de force
Depuis le lancement du projet de la Renaissance, les tensions ne font que se multiplier malgré un constat d’une hydro-diplomatie qui se joue par les acteurs de cette confrontation.L’Ethiopie entend boucler la réalisation de ce barrage jusqu’à la fin de cette année. Même si le remplissage de ce barrage est actuellement la grande problématique entre les deux pays, la construction évolue et l’on peut dire qu’elle a grandement avancée et est pratiquement fini.
Yemi DJAKOPO / INFOGUERRE / 04.01.2019