L’affaire Fillon soulève, au-delà de l’indignation ou de la colère qu’elle peut légitimement susciter y compris au sein même des Républicains, une question de fond relative à la relation de confiance que les Français entretiennent avec leur personnel politique. Elle s’inscrit en effet sur le registre d’une dénonciation commune de la « malhonnêteté » voire de la « corruption » du personnel politique en France.
En somme, les commentaires plus ou moins savants s’organisent généralement sur le mode de la confirmation de ce qui semble être bien connu depuis longtemps. C’est « une affaire de plus » qui permet de constater que « la culture politique française » reste décidément toujours la même avec son oligarchie sinon peu scrupuleuse, du moins prisonnière de son habitus lui ôtant même la conscience qu’elle pourrait avoir, comme le commun des mortels et des citoyens, des limites morales de l’exercice politique en démocratie. Les commentateurs de la vie politique française égrènent au long d’interminables conversations télévisées la liste de tout ce qui fait fond de commerce populiste sur ces élites « dont on sait » qu’elles vivent en circuit fermé et que « les Français ne peuvent plus supporter ».
Qu’est-ce que l’honnêteté en politique ?
Outre le fait que le traitement du personnel politique ainsi réalisé est assez grossier, puisque personne ne semble vouloir distinguer les élus locaux des élus nationaux alors même que les maires obtiennent la confiance de 63 % des Français, l’analyse de la défiance ou de la confiance dans le personnel politique est inscrite dans un rapport binaire opposant de manière simpliste l’honnêteté à la malhonnêteté.
Or les citoyens ne raisonnent pas en termes aussi tranchés et leurs attentes s’inscrivent dans des configurations précises. L’honnêteté en politique n’est jamais sainte car elle est toujours relative et mise en contexte en fonction des attentes des uns et des autres. Et les citoyens ne sont pas plus vertueux ou purs que leurs élus. On peut avoir des élus corrompus mais très efficaces dans leur circonscription ce qui permet de comprendre comment les acteurs d’affaires retentissantes peuvent continuer à se faire réélire.
Les facteurs de la confiance
L’analyse des données de la vague 8 de décembre 2016 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof permet d’analyser en détail les facteurs qui motivent la confiance ou la défiance des Français dans le personnel politique. La question de la confiance est alors rapportée à plusieurs dimensions : le fait de bien connaître ses dossiers, d’être honnête, d’être proche des gens (comme l’enquêté), de tenir ses promesses, d’être à la hauteur de ses fonctions. Ces items sont posés en deux temps pour déterminer ce qui vient en première puis en seconde position.
Le croisement de ces deux ensembles permet de repérer trois axes principaux le long desquels s’organise la confiance : celui de la morale (être honnête, tenir ses promesses), celui de la compétence professionnelle (connaître ses dossiers) ou sociale (être à la hauteur) et celui de la proximité sociale (être proche). La question de la confiance dans le personnel politique est donc loin d’être une affaire simple car elle s’inscrit sur des registres sociaux particuliers.
L’honnêteté arrive sans doute en tête des justifications avancées par les enquêtés pour expliquer en premier lieu le degré de confiance qu’ils ont dans les responsables politiques. Mais elle ne regroupe que le tiers des réponses (35 %) et elle est suivie, dans l’ordre, par le fait d’être à la hauteur de ses fonctions (19 %), par le fait de tenir ses promesses (14 %), puis par la bonne connaissance des dossiers (12 %) et enfin par la proximité sociale entre les élus et les citoyens (8 %).
On observe également que 12 % des enquêtés ne savent pas du tout ce qui peut les pousser à faire ou pas confiance à un responsable politique. On ne peut donc pas réduire la question de la confiance, ou inversement du « divorce entre les Français et leurs élites » à la seule question de leur honnêteté. D’autres dimensions interviennent qui montrent que le rapport entre les électeurs et les élus est bien plus complexe, ambigu et chargé d’arrière-pensées que le débat sur la « corruption » le laisse entendre.
Honnêteté, programme et comportement
Si l’on croise les réponses qui arrivent en première et en seconde position, on voit ensuite que l’honnêteté est toujours associée à une autre caractéristique qui lui donne sa connotation sociale et politique : l’honnêteté peut ainsi s’associer au fait de tenir ses promesses ou d’être à la hauteur de ses fonctions, ce qui donne deux perspectives de jugement différentes. Dans le premier cas, l’honnêteté est rapportée à sa dimension programmatique, au fait de tenir ses engagements sur le long terme, de ne pas mener une politique contraire aux objectifs déclinés pendant les campagnes. Dans le second, l’honnêteté relève de la dignité que l’on attend d’une fonction élective mais s’associe également au savoir-faire comme au savoir-être d’un représentant qui ne doit pas tomber dans l’opprobre public pour des malversations. La distribution des réponses dévoile au final une assez grande diversité de situation comme le montre le graphique 1.
Confiance et groupes sociaux
L’analyse montre ensuite que la distribution des facteurs de confiance obéit à une logique sociale. Les arguments relatifs à l’axe moral, qu’il s’agisse de l’honnêteté ou du fait de tenir ses promesses, comme à l’axe social (le fait que les élus soient proches des électeurs) sont surtout évoqués par les catégories populaires et les enquêtés peu diplômés alors que l’axe de la compétence, qu’elle soit professionnelle (les dossiers) ou liée à la dignité de l’élu (être à la hauteur de ses fonctions) est surtout évoqué par les cadres et les membres des professions libérales, fortement diplômés et habitant dans les grandes villes ou dans l’agglomération parisienne.
À défaut de pouvoir présenter ici le plan factoriel qui montre l’organisation des divers arguments, on peut souligner que la dimension morale de la confiance est évoquée par exemple par 37 % des ouvriers contre 30 % des cadres et 26 % des membres des professions intermédiaires. La dimension sociale de la confiance est retenue par 21 % des ouvriers et des employés contre 8 % des cadres et des membres des professions libérales.
En revanche, la question de la compétence est surtout relevée par 52 % des cadres et des membres des professions libérales comme par 52 % également des retraités contre 36 % des employés et 24 % des ouvriers. La question morale est de même évoquée par 43 % des personnes sans diplôme contre 26 % des diplômés de grandes écoles alors que la question de la compétence est mentionnée par 61 % des seconds contre 18 % des premiers.
À ces différences sociologiques s’adjoignent des différences politiques qui s’expriment notamment par des variations importantes du niveau de libéralisme économique. Celui-ci peut être mesuré sur la base d’un indice allant de 0 à 3 et construit sur la base de trois questions (réduire le nombre des fonctionnaires, faire confiance aux entreprises, prendre aux riches pour donner aux pauvres afin d’assurer la justice sociale). Le niveau moyen de cet indice passe de 1,68 pour ceux qui parlent surtout de compétence à 1,52 pour ceux qui parlent surtout de morale et à 1,32 pour ceux qui mentionnent surtout la dimension sociale de la confiance.
C’est dans ce contexte qu’il faut alors interpréter la candidature de François Fillon et le fait que bon nombre de ses soutiens considèrent, même de manière implicite, qu’il existe autre chose que la morale pour établir un lien de confiance avec le représentant des Républicains à l’élection présidentielle.
The Conversation / 7.02.2017