Auréolé par d’innombrables faits d’armes, le 7e RTA est délibérément confiné dans ses casernes. Sa hiérarchie l’isole, le met à l’écart de la tragédie mortifère. La machine destructrice est obstruée par les guirlandes de la fête ensanglantée. La mise en quarantaine s’estompe au bout d’une interminable semaine. Soit le 22 mai. Ayant hâte de rentrer à la maison, le 7e régiment arrive à Sétif le 24 mai. Il est accueilli en grande fanfare. Un comité spécial est à la réception.
Dossier réalisé par Kamel Beniaïche
Malgré le poids des ans, les massacres du 8 Mai 1945 n’ont pas divulgué tous leurs secrets. De nombreux sujets se rapportant à un massacre d’Etat demeurent méconnus. Pour la 75e commémoration de la blessure béante, El Watan ouvre la balafre du 7e Régiment de tirailleurs algériens (7e RTA). Caché par la haute administration, le funèbre accueil des libérateurs de la France est occulté par les écrits idéologiques et les défenseurs de la mémoire coloniale.
Une autre page de la tragédie de Mai 1945 est abordée pour la première fois par un quotidien algérien. De retour du front où ils ont payé un lourd tribut, les valeureux combattants indigènes n’échappent pas au cyclone. Après s’être distingué en Tunisie, en Italie, en France, le 7e Régiment de tirailleurs algériens (7e RTA), intégré dans la 3e Division d’infanterie algérienne (IIIe DIA), est estomaqué par l’horreur. Bardé de galons récoltés dans les champs de mines de Monte Cassino (Italie), des Abruzzes (Sienne), de Mulhouse, de Toulon, de Strasbourg, des Vosges et dans de nombreuses contrées de l’Hexagone où périront 6000 Algériens musulmans, le régiment débarque à Alger le 16 mai 1945.(1)
Auréolé par d’innombrables faits d’armes, le 7e RTA est délibérément confiné dans ses casernes. Sa hiérarchie l’isole, le met à l’écart de la tragédie mortifère. La machine destructrice est obstruée par les guirlandes de la fête ensanglantée. La mise en quarantaine s’estompe au bout d’une interminable semaine. Soit le 22 mai. Ayant hâte de rentrer à la maison, le 7e Régiment arrive à Sétif le 24 mai. Il est accueilli en grande fanfare. Un comité spécial est à la réception.
Composé du général Duval (commandant de la division territoriale de Constantine), du colonel Bourdilla (commandant de la subdivision militaire de Sétif) – principaux responsables d’une répression disproportionnée et aveugle – et des autorités civiles de la ville, ledit comité fait semblant. Il essaye de masquer son malaise, de voiler le drame des familles indigènes laminées par la machine destructrice. Le 25 mai, les braves soldats obtiennent la «quille» tant attendue. A partir de cet instant, ils sont autorisés à rejoindre les leurs. En posant pied dans leurs douars et mechtas dévastés, les médaillés de la Légion d’honneur découvrent un décor funèbre. La stupéfaction des guerriers est incommensurable.
Le drame de ces «chairs à canon» est telle qu’il nous est impossible de vous faire part de toutes les mésaventures endurées par des intrépides vexés et touchés dans leur amour-propre. Un aperçu des misères faites à un groupe de rescapés vous permettra certainement d’avoir une idée plus ou moins précise sur l’ampleur de la tragédie mortifère. Attendant avec impatience l’instant de renouer avec le cocon familial, Amor Kaddour revient au bled avec la satisfaction du devoir accompli. Heureux de retrouver les siens, des gens humbles, le soldat Amor tombe des nues. Son gourbi n’est qu’un amas de ruines.
Choqué par un décor apocalyptique, le pauvre bidasse retombe de son piédestal. Il est sous le choc. Après avoir passé de longs mois à la belle étoile et sous les feux nourris d’une guerre des plus meurtrières, le valeureux combattant se retrouve SDF (Sans domicile fixe). Clouée au pilori, l’administration coloniale ne pouvant réparer l’énorme préjudice moral subi par le démobilisé consent à rapiécer le gîte soufflé.[Le 15 juin 1945, le sous-préfet de Sétif saisit l’administrateur des Eulma : le nommé Amor Kaddour du 7e RTA de Mechta Bouitil douar Medjounes a trouvé son gourbi incendié alors que lui-même était mobilisé et que son frère, aveugle, n’avait pu prendre part à l’émeute. Il conviendra de lui faire reconstruire son gourbi le plus tôt possible gratuitement, en lui procurant les matériaux nécessaires…](2)
Lounes Hanouz arrive à Kherrata où une grande partie de sa famille est décimée. La croix de guerre et la médaille militaire gagnées dans les combats avec l’armée de Lattre De Tassigny n’ont plus de valeur. Du parapet bordant les routes des gorges de Chaabat Lakhra, on lui montre les ossements de son père Hanouz Arab et de ses frères Tayeb (25 ans), Abdelmadjid (22 ans) et Hanafi (18 ans) et de leurs compagnons Benkhemiche Mansour et Lajga Ahmed assassinés par la justice expéditive le 11 mai 1945. Les jugements et exécutions ont été conduits par la légion étrangère et son lieutenant Bergery (ex-sujet allemand). Tombé sur un rocher plat situé à 15 mètres en contrebas de la route, le cadavre de Hanouz Abdelmadjid, dégageant une odeur nauséabonde, est resté coincé durant dix longs mois. L’administration locale n’a pas jugé utile de mettre un terme au supplice d’un cadavre.(3)
Prisonnier de guerre, Boulkifane Ahmed ayant sacrifié une partie de sa jeunesse au service de la «Mère Patrie» est mal récompensé lui aussi. Pour les «bons et loyaux services», l’ex-prisonnier de guerre est dépossédé de ses biens. Dans l’espoir d’obtenir une réparation, à la dimension des pertes subies, l’ex-militaire frappe à toutes les portes de l’administration coloniale. Faisant dans le deux poids deux mesures, l’autorité lui propose le 8 avril 1947 une compensation de l’ordre de 18 400 francs.(4) S’estimant lésé, le plaignant refuse le maigre dédommagement ne représentant à ses yeux qu’une infime partie des préjudices subis. Ne baissant pas les bras, Ahmed engage un bras de fer. Ses innombrables démarches butent sur une fin de non-recevoir.
N’ayant pas obtenu gain de cause, l’ex-militaire adresse en ultime recours, le 6 novembre 1949, une requête au gouverneur général : «Je soussigné Boulkifane Ahmed, cultivateur demeurant au douar Arbaoun commune mixte de Perigotville, département de Constantine, ai l’honneur de venir très respectueusement vous exposer les faits suivants : en mai 1945, lors des passages des troupes dans notre région, alors que je me trouvais dans les camps de concentration d’Allemagne, mes récoltes furent incendiées, ma ferme pillée et mon cheptel disparu.
Dès ma libération, je n’ai pas manqué de signaler ces faits à la haute administration qui, à son tour, m’a promis réparation des dommages causés. Je me retourne aujourd’hui vers vous, Monsieur le Gouverneur Général, parce que je sais que vous êtes le fervent des anciens et prisonniers de guerre, pour obtenir une indemnité pouvant couvrir les pertes, par moi, subies au cours des événements de Mai 1945, auxquels, j’étais totalement étranger…».(5) Les pertes étaient telles que l’ex-pensionnaire des camps de concentration nazis ne pouvait lâcher prise.
Après avoir tout brûlé, tout détruit, le cyclone emporte dans ses flots 3 armoires, 6 lampes en cuivre, 9 couvertures en laine, 1 tapis, 3 matelas, 12 coussins, 6 plateaux en cuivre, 6 cafetières en argent, 33 tasses à café, 6 grandes bassines en cuivre, 5 quintaux de blé dur, 2 quintaux de blé tendre, 200 filets de fourrages incendiés, 70 filets de fèves, 50 filets de petits poids, divers bijoux estimés à 15 000 francs, 45 sacs de laine, 80 toisons de laine, 3 juments, 16 mulets, 12 bœufs, 14 vaches dont 7 suitées, 8 génisses, 150 moutons, 95 chèvres, 3 ânes, 18 celliers avec brides.(6) Au final, le pot de terre ne pouvait bousculer le puissant pot de fer, à la fois juge et partie.
Mutilé de la Première guerre mondiale, Bellagoun Lakhdar de Périgotville (Aïn El Kebira) n’échappe pas à la foudre. La demeure du détenteur de la Légion d’honneur se tenant pourtant à l’écart du «Théâtre des opérations» est décimée. Ses objets volés. En guise de remerciements pour les sacrifices consentis, l’autorité fait dans la discrimination. L’assourdissant silence de l’administration coloniale répondant avec diligence aux doléances des Européens (les exemples ne manquent pas), ébranle le grand invalide de 14/18.
Touché dans sa chair, le vieil homme proteste. Entreprises par une tierce personne, les nombreuses démarches n’aboutissent pas, trois ans après. En dépit des discriminations et de l’injustice subie, le vieux soldat ne déserte pas. Le 30 mai 1948, cheikh Lakhdar demande à travers une pathétique lettre manuscrite l’intervention du gouverneur général : «J’ai l’honneur d’attirer très respectueusement votre haute et bienveillante attention sur ma situation. Lors des événements de Mai 1945, ma maison a été saccagée, tout mon mobilier, mes vêtements et ceux de ma femme et de mes huit enfants ont été détruits et brûlés. Mes papiers, y compris mes diplômes de la Légion d’honneur et de la médaille militaire ont disparu.
Je me trouve depuis lors dans le dénuement le plus complet. Je couche avec ma famille à même le sol, sans matelas ni couvertures, ma modeste pension de mutilé ne me permettant pas de renouveler ni le mobilier ni notre garde-robe. Aveugle de la guerre 1914-1918, chevalier de la Légion d’honneur et médaillé militaire, je suis titulaire d’une pension d’invalidité de 100% avec bénéfice de l’article 9 de la loi du 31 mars 1919. Je ne peux me déplacer qu’avec l’assistance d’une tierce personne. Ma situation était déjà lamentable sans qu’il soit encore besoin de ces nouveaux malheurs qui se sont abattus sur moi et sur ma famille. De par ma conduite, je crois avoir donné assez de preuves de mon loyalisme et de mon attachement à la France pour espérer une juste réparation».(7)
Eclaboussé lui aussi par les déflagrations d’une guerre sans frontières et sans limites humaines, Laouachra Lakhdar, d’Amoucha, monte au front puis tombe dans les griffes de l’armée nazie. Il est conduit vers un camp de concentration où il y passera plusieurs années subissant les pires sévices. A la fin de la guerre, l’ex-membre du 7e RTA réintègre le bercail. Ses biens sont dévastés par la tornade. La mort dans l’âme, l’ancien prisonnier de guerre est contraint de faire connaissance avec une dramatique opération de «maintien de l’ordre». Ne voyant pas le bout du tunnel d’un long feuilleton de tourments, l’ancien combattant envahi par la douleur expulse à son corps défendant la colère enfouie. Le 18 octobre 1948, il écrit au préfet de Constantine : «Prisonnier de guerre de 1940 à 1945 date de ma libération par les Forces alliées, j’ai l’honneur de venir très respectueusement vous faire connaître qu’au moment de mon retour à mon foyer, j’avais constaté qu’il avait été détruit et pillé au cours des événements qui ont ensanglanté le Constantinois le 8 Mai 1945.
En conséquence, je vous prie de bien vouloir me dédommager afin que je puisse recréer un logis, car aujourd’hui je suis comme un être errant sans lendemain malgré toutes les souffrances que j’ai endurées pour la cause de Notre Chère Mère Patrie la France et pour celle de l’Humanité éprise de liberté et de paix. Convaincu des sentiments qui animent votre noble cœur de chef équitable et juste, j’espère, Monsieur le Préfet, qu’en m’octroyant ce que je postule, vous me permettrez de faire dissiper le spectre du malheur et de la misère qui pèsent sur moi actuellement.»(8)
Les désagréments subis par Bouchrit Slimane, l’enfant de Oued El Berd, ne diffèrent en aucune manière des préjudices causés à ses coreligionnaires. Pour illustrer l’ampleur de la lésion, il suffit de la sonder par un examen radiologique. Insoutenables, les atrocités d’après-guerre taraudent le cerveau de l’ancien combattant des années durant. En guise de récompense, le soldat ne trouve que les débris d’une maison ravagée par le typhon. Afin d’obtenir une réparation, il formule des demandes. Ses requêtes restent lettre morte. Malgré le déni d’une administration coloniale ingrate, le mobilisé n’est pas prêt de lâcher prise. Pour que sa cause soit entendue et reconnue, le soldat qui a fait preuve d’un grand courage durant les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne, s’adresse, le 19 février 1949, à la plus haute autorité civile du département de Constantine : «J’ai l’honneur de venir très respectueusement vous faire savoir ce qui suit : j’ai été mobilisé en 1943, ayant fait les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Lors de ma démobilisation en 1945 après les événements du 8 Mai 1945, en arrivant chez moi, je ne trouve même pas ma maison. Ladite maison a été brûlée par la légion étrangère avec ces objets : 1 machine à coudre, 1 haïk, 2 costumes, 1 fusil de chasse calibre-16, 2 burnous et 1 paire de souliers».(9) Ne réclamant pourtant pas l’aumône, Bouchrit Slimane est ignoré. Sa requête est classée. Elle est probablement rejetée pour le fallacieux motif de «demande tardive et ne rappelant aucune demande antérieure».
Prisonnier de guerre de 1940 à 1945, date de sa libération par les forces alliées, Laouachra Lakhdar est débouté lui aussi. Dans la correspondance adressée le 28 juin 1949 au sous-préfet de Sétif, l’administrateur de la mixte de Takitount justifie son refus par la mention : «participation aux émeutes».(10) Une telle réponse nous laisse dubitatif. Peut-on être à la fois pensionnaire d’un camp nazi et émeutier écumant un coin d’un bled aussi escarpé que la montagneuse région d’Amoucha ? La réponse coule de source. Les malheurs des rescapés de la guerre dépassent le cadre de la spoliation. L’hommage de façade des premiers jours cède la place à une sournoise campagne de filature. Les braves soldats qui ont participé à la guerre de gré ou de force sont suspectés, discriminés et soumis à une surveillance particulièrement serrée. Les méthodes de surveillance, de contrôle et de répression sont renforcées par l’implication directe de l’administration locale et ses relais. Ainsi, les faits et gestes des guerriers sont non seulement épiés mais consignés dans des rapports.
Méconnaissant les souffrances morales et physiques générées par les horribles spectacles auxquels ils ont assisté contre leur volonté, l’administration coloniale – sous l’emprise d’une meute de pétainistes – trouve le moyen de calomnier de vulnérables personnes blessées et malades de surcroît. «Candidats» potentiels à des actions de trouble à l’ordre public, Saidi Tayeb, Amar Khoudour, Mohamed Kouider, Hamoudi-Mahor-Bacha, Mohamed Chennah, Madani Boulmaredj et beaucoup d’autres héros de la Deuxième guerre mondiale et libérateurs du «berceau» des droits de l’homme font l’objet d’une filature continue. Décidée par les maîtres d’Alger, la «chasse» a perduré dans le temps.
Elle ne s’est pas estompée à la fin du complot prémédité maquillé par le fallacieux alibi de «maintien de l’ordre». Ainsi, le 25 octobre 1945, l’administrateur de la commune mixte des Eulma répond à l’administrateur principal. La correspondance (militaires démobilisés suspects) est frappée du sceau «Secret» : «Comme suite à votre transmission citée en référence (n°538 du 5/10/45), j’ai l’honneur de vous rendre compte de ce que le nommé Mahour Bacha Hamoudi ben Mohamed n’a point regagné le douar natal depuis sa démobilisation. L’intéressé serait actuellement domicilié avec sa famille à Constantine. J’ai néanmoins donné aux services de police placés sous mes ordres toutes les instructions utiles en vue de surveiller les agissements de ce démobilisé pour le cas où il reviendrait au douar Bellaâ.»(11) Le 19 novembre 1945, l’administrateur de la commune mixte des RIRHA (ex-Saint-Arnaud), fait de même : «Comme suite à votre transmission citée en référence (n°538 du 5/10/45), j’ai l’honneur de vous faire connaître que l’ex-militaire Saïdi Tayeb n’a pas encore rejoint son douar d’origine. Il se trouverait actuellement chez M. L. Mignard, rue du Tripot à Bray sur Seine (S. et M.) Des instructions ont été données pour que, dès son retour dans ma commune, une discrète surveillance soit exercée sur son compte.»(12).
A propos du «suspect» Amar-Khoudour, l’administrateur en chef des services civils de la commune mixte des Maadid (Bordj Bou Arréridj), écrit le 22 novembre 1945 : «En réponse à la notification citée en référence (n°538 du 5/10/45), j’ai l’honneur de vous informer que le nommé Amar Khoudour, né au douar Ghilassa, de ma commune mixte, n’a pas encore regagné son domicile. Néanmoins, la surveillance discrète qui doit être exercée sur ses agissements le sera dès son retour au douar. Quant au nommé Mohamed Kouider, malgré toutes les recherches effectuées, il est inconnu dans ma commune mixte.»(13)
N’ayant pas rendu compte à temps à propos de Rouabhi Laribi (l’autre suspect), le maire de la commune d’Aïn Abassa mentionne dans le document du 22 novembre 1945 : «Suite aux transmissions citées en référence (n°538/10/45 et télégramme officiel n°3793 du 21/11/45), j’ai l’honneur de vous faire connaître que le nommé Rouabhi Laribi a contracté un engagement de trois mois et se trouve actuellement à la commission de gare de Maison-Carrée (El Harrach)»(14)
Passant de héros à de vulgaires suspects, Mohamed Chennah et Madani Boulmaredj sont eux aussi accablés par de faux soupçons. N’ayant rien à se reprocher, Mohamed Chennah souffrant sur un lit d’hôpital n’est pas épargné. Le 28 novembre 1945, le maire de Tocqueville (Ras El Oued) qui ne savait pas que son écrit sera rendu public un jour ou l’autre, met à nu, sans le vouloir, le procédé de sa hiérarchie : «Suite à votre transmission n° 538 du 5 octobre 1945, le nommé Chenah Mohamed fils de Maireche et de Zineb bent Mohamed, né présumé en 1942 à Tocqueville, est actuellement en traitement à l’hôpital Maillot à Alger. Son état de santé est grave d’après un télégramme adressé par l’hôpital Maillot au père de Chenah Mohamed (Chenah Mairèche).»(15) Poursuivi sans raison, Madani Boulmaredj est enfin disculpé.
Au grand dam des initiateurs de la cabale. Le 12 décembre 1945, le maire de Sétif est certainement «navré» de ne pouvoir donner du grain à moudre au sous-préfet : «J’ai l’honneur de vous donner ci-dessous copie des renseignements fournis par Monsieur le commissaire central de la police d’Etat (rapport du 27/11/45) au sujet du nommé Boulmaredj Madani… il résulte que le nommé Boulmaredj Madani a séjourné à Alger jusqu’au début de Novembre 1945. Il est revenu ensuite à Sétif où il est resté une semaine environ, puis il est reparti à Alger afin de réembarquer pour la France pour se faire démobiliser, son unité n’étant pas représentée en Afrique du Nord. Depuis, il n’est pas revenu à Sétif.»(16)
Comme vous l’avez certainement constaté, les conclusions des enquêtes déclenchées par la police sous injonction de l’administration coloniale jetant en pâture des hommes fatigués, malades, traumatisés et laminés par l’apocalypse, ont clairement disculpé de braves soldats, soupçonnés d’avoir participé ou de vouloir prendre part à de nouvelles violences.
Sans le savoir, des contingents du 7e RTA et survivants de la guerre ont été placés en détention préventive à ciel ouvert. Diffamés, des centaines d’innocents ont dû attendre près de 75 ans pour être enfin libérés du joug d’une infâme calomnie. L’évocation de la conjuration nous fait penser aux sacrifices consentis par des hommes ayant bravé la mort en Alsace, Lorraine, Auvergne, Picardie et dans différents coins de la «Mère Patrie».
Il est cependant étonnant de constater à quel point, presque 75 ans après, nous ne connaissons encore rien d’un tel épisode. Nous ne prétendons pas vouloir ou pouvoir dresser un tableau complet sur les misères faites aux anciens combattants, mais nous continuons à dire que l’état de nos connaissances se rapportant à de nombreux sujets (la répression judiciaire, administrative et financière, les réparations de la razzia de Mai 1945, le malheur des orphelins, les pilonnages…) confinés dans des tonnes d’ archives pris en otage demeurent éparses…
Références :
1)Histoire de l’Algérie des origines à nos jours – Pierre Montagnon – page 246
2) ; 3) ; 4) ; 5) ; 6 ) ; 7) ; FRANOM 937//34
8) idem
9) idem
10) idem
11) idem
12)FR ANOM 937//33
13)idem
14)Idem
15)Idem
16) idem