Note de la FRS n°12/2019
Valérie Niquet, 24 juillet 2019
En 2018, la République populaire de Chine n’est pas revenue sur ses ambitions territoriales en mer de Chine méridionale. Elle occupe la totalité de l’archipel des Paracels et sept « éléments » qui n’ont pas le statut d’îlots dans l’archipel des Spratleys. Par ailleurs, la Chine a poursuivi ses travaux de remblayages des rocs ou bancs émergés qu’elle contrôle. Pourtant, la Chine n’a procédé à aucune nouvelle occupation et, à l’occasion du 31ème sommet de l’ASEAN qui s’est tenu à Manille au mois de novembre 2017, Pékin a signé le traité d’amitié et de coopération avec l’ASEAN et s’est déclaré prêt à reprendre les négociations sur la mise en œuvre d’un code de conduite, initié sans progrès notable en 2013.
Au mois d’août 2018, un projet a été élaboré, prévoyant entre autres la protection de l’environnement maritime en mer de Chine méridionale, fortement dégradé par les opérations de dragage mises en œuvre par la Chine. Ce projet comporte toutefois de nombreuses lacunes, il ne définit pas précisément le périmètre géographique de la mer de Chine du Sud, limite fortement le rôle des parties extérieures et précise que la signature éventuelle d’un code de conduite ne remet pas en cause les revendications territoriales des parties impliquées.
Ces dernières évolutions qui semblent aller dans le sens de l’apaisement, sont une des conséquences positives du jugement du Tribunal arbitral de La Haye de 2016, qui a rejeté sur le fond toutes les revendications chinoises en mer de Chine méridionale. En effet, tout en rejetant la validité des conclusions du tribunal d’arbitrage, la Chine a préféré tenter de consolider une position fragilisée en Asie du Sud-Est plutôt que de procéder à de nouvelles avancées territoriales. Dans un contexte stratégique plus large, alors que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump augmente les incertitudes, Pékin s’inquiète également d’un renforcement de l’engagement américain aux côtés des pays d’Asie du Sud-Est sur la question de la mer de Chine méridionale.
La stratégie d’apaisement mise en œuvre par Pékin, dont les propositions de route de la soie maritime et les tentatives de division de l’ASEAN, s’inscrit dans le même cadre d’évolution de la stratégie régionale de la RPC.
Avec les Philippines, qui présidaient l’ASEAN en 2017, les contentieux sont loin d’être achevés mais, depuis l’arrivée au pouvoir du président Duterte en 2017, Manille a accepté de ne pas aborder la question du jugement du tribunal d’arbitrage de La Haye qui lui était pourtant favorable. Le Président Duterte a mis en place une stratégie intéressée d’apaisement avec la Chine, en échange de promesses d’aide économique et d’accès aux ressources halieutiques pour les pêcheurs philippins dans les zones revendiquées par la RPC, dont Scarborough Shoal.
La Chine n’a pas abandonné ses ambitions en mer de Chine méridionale
Toutefois, si la RPC a adopté une attitude moins offensive en 2017-2018, elle n’a pas renoncé à ses ambitions et à sa stratégie de prise de contrôle de la mer de Chine méridionale. La Chine a ainsi poursuivi la militarisation de tous les territoires, bancs de sables ou rocs qu’elle occupe avec la construction de pistes pouvant accueillir ses bombardiers stratégiques, le déploiement de capacités antiaériennes, de moyens d’observation (radars) et la construction d’infrastructures portuaires.Au mois de mai 2018, pour la première fois, le premier bombardier stratégique H6K, capable d’emporter des charges nucléaires, a opéré à partir de Woody Island, dans l’archipel des Paracels, confirmant la mainmise de Pékin sur cet archipel et son inclusion dans un dispositif plus large d’interdiction. Au mois d’avril de la même année, les premiers missiles sol-mer et sol-air avaient été déployés sur les îlots remblayés de Subi, Mischief et Fiery reef.
Cette « opérationnalisation » des éléments contrôlés par la Chine dans les Paracels et les Spratleys permet à Pékin d’étendre ses capacités de projection vers le sud de la mer de Chine méridionale, aux confins de l’Indonésie, et vers le Pacifique Sud, avec la multiplication des patrouilles et exercices navals et aériens. D’un point de vue stratégique, dans la mise en œuvre d’une stratégie « d’interdiction » (A2AD) destinée à accroître la marge de manœuvre de la Chine en Asie face aux États-Unis, la mer de Chine du Sud pourrait être transformée en bastion, même si, en cas de conflit, et comme l’a démontré la guerre du Pacifique avec le Japon, la défense d’îles éloignées du continent – et plus encore d’îlots à la surface réduite – s’avère très illusoire.
En période de paix, dans des opérations de « zones grises » impliquant des flottilles de pêche et les forces navales de maintien de l’ordre, les ancrages chinois dans la zone offrent des possibilités de relais non négligeables. Ces constructions permettent également – même si la Chine agit hors de tout cadre reconnu par les instances internationales – de tenter d’imposer le principe de sa souveraineté sur cet espace. Pour le Global Times, « La Chine a absolument le droit de construire tout ce dont elle estime avoir besoin sur son territoire en mer de Chine méridionale pour défendre ses intérêts et sa sécurité ». Pékin considère officiellement que les opérations de remblaiement et de militarisation qui ont été menées en 2017 sont à la fois « raisonnables » et légitimes, en dépit des engagements pris auprès de ses voisins d’Asie du Sud-Est sur la négociation d’un projet de code de conduite.
Cette stratégie d’expansion navale en mer de Chine méridionale fait par ailleurs partie des priorités du Président Xi Jinping. C’est l’une des premières missions confiées à une APL « prête au combat », avec le développement des capacités du Commandement sud, dont dépendent la mer de Chine méridionale et Taiwan.
De fait, si la Chine, depuis 2016, se veut plus prudente, cela n’a pas interdit la poursuite des tensions en mer de Chine méridionale, rendant plus aléatoire un apaisement durable favorable au développement conjoint des ressources souvent évoqué mais jamais mis en œuvre. Avec la multiplication des manœuvres chinoises dans la zone, impliquant des bâtiments de la marine et des garde-côtes, les incidents se sont au contraire multipliés, certains impliquant les États-Unis. Dernier en date, au mois de septembre 2018, une collision a été évitée de très peu avec un bâtiment américain, impliquant un bâtiment des garde-côtes chinois.
Pékin dispose de la plus importante flotte de garde-côtes au monde, avec plus de 200 bâtiments, dont plusieurs navires récents de fort tonnage supérieurs à 1 500 tonnes. Depuis le mois de décembre 2018, les garde-côtes ont par ailleurs été placés sous l’autorité de la Commission militaire centrale ayant à sa tête Xi Jinping. Illustration de la stratégie « floue » mise en œuvre par Pékin en mer de Chine méridionale comme en mer de Chine orientale, 75% des 53 incidents majeurs qui se sont produits en mer de Chine méridionale de 2011 à 2017 impliquaient des bâtiments de garde-côtes.
Un enjeu stratégique croissant pour les pays de la région
Pourtant non directement concernée par les revendications territoriales chinoises, l’Indonésie a réaffirmé sa volonté de renforcer la protection de sa souveraineté sur mer, en relation notamment avec l’exploitation des ressources halieutiques et – potentiellement – en hydrocarbures aux confins de son territoire maritime et de sa zone économique exclusive. En 2017, l’Indonésie a ainsi publié de nouvelles cartes renommant le sud de la mer de Chine méridionale, où les incursions de bâtiments chinois se sont multipliées, « North Natuna Sea » pour confirmer sa souveraineté dans la région.
Pour la Malaisie, partie prenante aux revendications territoriales sur une partie de la mer de Chine méridionale, la question est considérée désormais comme un problème majeur pour la puissance politique et les forces armées. Si la Malaisie a toujours privilégié avec la Chine une attitude moins confrontationnelle, les nouvelles autorités malaysiennes, depuis la réélection du Premier ministre Mohamad Mahathir en 2018, ont rappelé leur opposition au concept de « ligne en neuf points » revendiqué par Pékin, tout en réaffirmant leur attachement au respect du droit de la mer fondé sur l’UNCLOS et à un règlement négocié impliquant tous les acteurs régionaux.
La Malaisie dénonce également avec une fermeté croissante les incursions de bâtiments chinois civils et militaires. Ces incursions auraient augmenté de 30 % en 2017, dans une volonté de tester la détermination de réaction des autorités malaisiennes. Pour la Malaisie, la question de la mer de Chine du Sud est d’autant plus vitale qu’elle sépare le territoire en deux parties entre la Malaisie de l’Est, où se situent les États plus fragiles de Sabah et de Sarawak, et la Malaisie péninsulaire.
De leur côté, les Philippines sont toujours sur la ligne de front des confrontations avec la Chine en mer de Chine méridionale, même si l’arrivée au pouvoir du Président Duterte en 2016 a en partie changé la donne dans les relations avec la RPC. Le nouveau Président a choisi de se rapprocher de Pékin et surtout de ne pas tenter d’imposer une application de la décision du Tribunal d’arbitrage de La Haye non contraignante mais donnant raison aux Philippines sur l’ensemble de leurs revendications. Depuis son élection, de nombreux échanges au plus haut niveau ont eu lieu entre Pékin et Manille, avec notamment la visite aux Philippines du Président Xi Jinping en 2018.
Dans le même temps, le Président philippin, qui souhaite profiter des offres économiques de Pékin et affirme ne pouvoir s’opposer par la force aux revendications chinoises, notamment autour du récif de Scarborough, cherche également à maintenir un jeu d’équilibre avec d’autres puissances régionales dont l’Australie et le Japon. Ce dernier a fourni aux Philippines, au titre du développement des capacités, des bâtiments de patrouille de garde-côtes réformés des forces japonaises d’autodéfense.
De même, les liens entre les Philippines et les États-Unis n’ont pas été rompus. Renforcés depuis l’élection de Donald Trump par l’absence de pressions sur la question des Droits de l’homme aux Philippines et la participation des forces américaines pour contrôler l’insurrection des forces islamiques au Sud de Mindanao en 2017.
Autre État de la ligne de front, le Vietnam place toujours les questions de souveraineté en mer de Chine méridionale face à la Chine au premier plan de ses préoccupations stratégiques. Pour Hanoi, les enjeux sont multidimensionnels impliquant des questions de souveraineté territoriale, avec notamment les pressions exercées par Pékin pour interdire tout forage ou exploration dans des zones que la RPC revendique comme siennes et à l’inverse les opérations de forage menées par Pékin dans des zones qu’elle contrôle hors du cadre législatif international. Au mois de juillet 2017, le Vietnam a ainsi suspendu ses opérations d’explorations dans le bloc 136-03 sous pression de la Chine.
Au-delà des enjeux territoriaux, la question de la délimitation des ZEE, avec un potentiel de ressources exploitables en hydrocarbure significatif et l’accès libre aux ressources, est également essentielle pour un État comme le Vietnam. Enfin, comme l’a démontré le Tribunal de La Haye, les questions juridiques globales de droit de la mer sont également en jeu. Comme les Philippines, face aux actions coercitives de la RPC, le Vietnam poursuit également une politique active d’équilibre stratégique en direction des États-Unis et du Japon.
Enfin, pour tous les acteurs régionaux et extra régionaux, au-delà de l’exploitation des ressources en hydrocarbures qui serait particulièrement coûteuse en raison des technologies impliquées, la question de la protection des zones de pêche face aux incursions chinoises est devenue un problème majeur.
Les avancées chinoises ont-elles entraîné un changement réel du statu quo ?
La Chine a mobilisé une palette de moyens diversifiés pour faire évoluer le statu quo en mer de Chine, sans toutefois aller au-delà des limites pouvant faire courir le risque d’une intervention extérieure. Au niveau juridique, Pékin tente d’imposer une interprétation maximaliste de l’article 21 de la section 3 de l’UNCLOS concernant le « droit de passage » innocent des bâtiments militaires en haute mer.La Chine a ratifié l’UNCLOS en 1996, avec toutefois des réserves exprimées notamment dans la loi chinoise sur les zones économiques spéciales et le plateau continental adoptée par l’Assemblée nationale le 20 juin 1998.
Plus globalement, la position de la Chine quant à la mise en œuvre de la Convention des États-Unis sur le droit de la mer (UNCLOS) éclaire la manière dont Pékin se positionne par rapport au système international. Si la RPC a signé et ratifié l’UNCLOS, et ne semble pas prête à s’en retirer, il semble que le respect des règles initialement acceptées dépend en réalité d’un rapport de force toujours mouvant et des intérêts définis par les autorités chinoises elles-mêmes.
De même, avec des fondements juridiques encore plus fragiles, la Chine tente d’étendre le concept de « droits historiques » pour imposer progressivement la reconnaissance de son influence en mer de Chine. Ces manœuvres juridiques sont accompagnées d’activités de remblayages et de construction destinées à étayer les revendications chinoises et à consolider une présence. Il s’agit de construire un système coercitif susceptible de faire évoluer la position des voisins de Pékin dans le sens de la reconnaissance d’un nouvel état de fait incontestable.
Toutefois, en dépit de ces efforts constants, qui tentent aussi d’imposer l’idée d’une évolution sans retour en arrière possible, la stratégie chinoise a connu plusieurs revers. Le plus important, sur le plan juridique et sur celui de l’image, est le jugement du Tribunal arbitral de La Haye rendu le 12 juin 2016. La Chine a par exemple pesé de tout son poids économique pour limiter la sévérité de la déclaration commune de l’UE, et le jugement ne comporte aucune clause impérative de mise en œuvre. Toutefois, sur le fond, c’est l’ensemble des revendications chinoises qui ont été déboutées et, depuis, tout en rejetant le principe même de la légitimité du Tribunal, Pékin a limité son utilisation du concept de ligne en 9 points. Par ailleurs, la décision a été accueillie très positivement en Asie du Sud-Est et au Japon, mettant un peu plus en évidence l’isolement de la République populaire de Chine sur la question de la mer de Chine méridionale.
Surtout, la stratégie plus agressive suivie par Pékin depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en dépit de l’attractivité des projets économiques de « Routes de la soie » destinés à regagner le soutien des pays de la région, a provoqué en retour des contre-stratégies régionales qui visent, a minima, à rééquilibrer la puissance chinoise.
Au niveau de l’ASEAN, des initiatives régionales ont été mises en place, qui, si elles ne ciblent pas ouvertement Pékin pour des raisons diplomatiques, prennent en compte les avancées chinoises dans la région. En Indonésie, le document définissant la nouvelle politique océanique du pays met l’accent sur la défense maritime dans toutes ses dimensions sécuritaires, de maintien de l’ordre et de « sûreté » face aux nouveaux risques liés aux trafics et à l’environnement. Il est prévu que les forces navales soient considérablement renforcées avec l’acquisition de 90 nouveaux bâtiments, dont 42 patrouilleurs de haute mer et 12 sous-marins.
L’évolution est la même en Malaisie, renforcée par le retour au pouvoir du Premier ministre Mahathir qui adopte une posture moins conciliante et a choisi de remettre à plat les contrats signés par son prédécesseur avec Pékin dans le cadre des projets BRI (Belt and Road Initiative). Là aussi, des moyens nouveaux, destinés à renforcer les capacités des garde-côtes, sont prévus pour faire face à des incursions chinoises qui auraient augmenté de plus de 30 % en 2017.
Enfin, au mois de juin 2017, l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines du Président Duterte ont mis en place des patrouilles maritimes trilatérales officiellement destinées à lutter contre la piraterie dans la zone de Sulawesi, mais qui ont également pour objectif de mieux contrôler les « frontières maritimes » de ces trois États, notamment face aux incursions de flottilles de pêche. Pékin, conscient des risques, a officiellement protesté au nom de ses « droits de pêche historiques ».
Vers l’internationalisation du conflit ?
Surtout, alors que la RPC espérait pouvoir contenir la gestion des tensions en mer de Chine au niveau bilatéral qui lui est plus favorable en raison de l’asymétrie de puissance économique et militaire avec l’ensemble de ses voisins, on assiste, particulièrement depuis le jugement du tribunal international de La Haye, à une internationalisation du conflit. Les réactions, et les mesures d’opposition, s’étendent bien au-delà du cadre strictement régional.
Aux États-Unis, si Donald Trump prône la défense des intérêts américains avant tout (America first), et si, dans les mois qui ont suivi son élection, on a pu craindre que la mer de Chine ne devienne un pion dans le jeu qui semblait se mettre en place entre Washington et Pékin sur les questions commerciales et la Corée du Nord, c’est la fermeté stratégique qui l’emporte face à une Chine qui a « déçu ».
L’incident qui s’est produit au mois de septembre 2018 entre un bâtiment chinois et un bâtiment américain a renforcé la volonté américaine de marquer leur présence, notamment avec la reprise des opérations de liberté de navigation (FONOP) dans des eaux revendiquées par Pékin. En 2018, Washington a également renoncé à inviter les forces chinoises à participer aux manœuvres communes « Pacific Rim » qui leur avaient été ouvertes deux ans auparavant en signe d’ouverture. Plus globalement, les États-Unis poursuivent leur stratégie de rapprochement avec les États de la région confrontés aux actions chinoises, au premier rang desquels le Vietnam et les Philippines.
Cette stratégie de soutien se fait par ailleurs en coordination avec l’allié japonais qui, depuis l’adoption de nouvelles règles d’exportations militaires plus souples en 2014, renouvelle la flotte de garde-côtes du Vietnam et des Philippines et participe à la formation de sous-mariniers vietnamiens. Plus concrètement, l’adoption des nouvelles lois de défense en 2015 et en 2016 autorise potentiellement, avec le droit de défense collective, la participation des forces d’autodéfense à des patrouilles communes, y compris en mer de Chine méridionale. À l’automne 2018, le Japon a pour la première fois envoyé un sous-marin en mer de Chine méridionale.
Le Japon partage en effet avec ses voisins d’Asie du Sud-Est une même inquiétude face aux avancées chinoises en mer de Chine orientale ou méridionale. En 2018, Tokyo a adopté de nouvelles lignes directrices pour le développement des capacités des FAD qui renforcent les capacités de projection de l’archipel, en prévoyant notamment de transformer – sous certaines conditions – les porte-hélicoptères Izumo en porte-avions. Lors du dialogue Shangri La qui s’est tenu à Singapour au mois de juin 2018, le ministre de la Défense japonais avait également fait preuve d’une très grande fermeté sur la question de la mer de Chine, rappelant les conclusions du Tribunal de La Haye.
Plus éloignée géographiquement, l’Europe a également vu évoluer sa posture face à la Chine dans un sens moins favorable à Pékin, et la stratégie chinoise en mer de Chine méridionale y a fortement contribué en remettant en cause des principes fondamentaux, dont celui de résolution pacifique des conflits, auxquels l’Union européenne est particulièrement attachée. Les pays les plus engagés dans la région, au premier rang desquels la France, qui, par ses territoires de l’océan Indien et du Pacifique, possède des intérêts directs dans la région et y maintient des forces pré positionnées, ont adopté un discours de fermeté qui s’accompagne de mesures concrètes.
À Singapour au mois de juin 2018, le ministre de la Défense Florence Parly a ainsi rappelé l’attachement de la France au principe de libre circulation sur toutes les mers, reprenant la posture du ministre Le Drian son prédécesseur. De même, le discours du président Macron en Australie en 2017 puis en 2019, à l’occasion de la signature du contrat de ventes de sous-marins à l’Australie, qui mentionne l’adhésion de la France au principe d’espace Indo-Pacifique libre et ouvert, est une réponse à la stratégie maritime offensive de la Chine. Il en va de même du passage de bâtiments français et britanniques en mer de Chine méridionale, en dépit des avertissements des bâtiments chinois, destinés à réaffirmer les règles de libre-passage en haute mer. Pour la première fois, en 2019, cette mission sera confiée au porte-avions Charles de Gaulle.
Conclusion
Les tensions en mer de Chine méridionale n’ont pas disparu, même si la Chine n’a pas procédé à de nouvelles prises de possession d’éléments contestés en 2018. Sur le fond, la position n’a pas évolué, et les retraits sont d’abord des retraits tactiques pour tenter d’apaiser les voisins de Pékin, de limiter les conséquences négatives sur l’image de la Chine et de freiner la constitution de coalitions régionales et extrarégionales.
Les causes de ces tensions sont en effet toujours présentes. En ce qui concerne les ressources, au-delà des enjeux énergétiques, la question de l’accès aux zones de pêche prend une importance croissante et est la cause de la majorité des incidents avec les pays riverains, dont l’Indonésie. Au-delà, la question de la rivalité de puissance avec les États-Unis, qui s’exprime aussi en mer de Chine méridionale, est un facteur important, même si, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, ce facteur joue plutôt en faveur d’un ralentissement des avancées chinoises dans un calcul permanent du rapport de forces.
Pour Pékin, l’imprévisibilité du président américain majore les risques d’incidents et impose une plus grande prudence. Au-delà, si – en théorie – une mer de Chine méridionale entièrement contrôlée par Pékin pourrait jouer le rôle de bastion pour les forces chinoises, et plus particulièrement de ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, cette perspective est aujourd’hui très éloignée des capacités réelles de Pékin, en cas de conflit.
Au niveau des principes, les enjeux pour l’ensemble des puissances extérieures à la zone sont trop importants en termes de liberté de navigation, de respect des règles de droit et de défense des intérêts économiques pour que le processus d’internationalisation du conflit soit interrompu.
Face à ces évolutions, un débat s’est par ailleurs développé en Chine même, y compris au sein du parti dans les cercles proches du pouvoir entre ceux qui défendent la stratégie offensive de Xi Jinping et ceux qui considèrent aujourd’hui qu’elle a d’ores et déjà entraîné des conséquences négatives pour une Chine qui ne dispose toujours pas des moyens de ses ambitions si elle fait face à une véritable opposition, notamment de la part des États-Unis. L’opacité des prises de décision rend difficile une analyse fine des prises de position, mais ceux qui déplorent les contradictions qui existent entre le discours consensuel sur l’initiative BRI en direction des pays d’Asie du Sud-Est et une stratégie trop agressive en mer de Chine méridionale semblent nombreux, y compris parmi les plus influents réputés proches du pouvoir comme Yan Xuetong ou Shen Dingli.
Le scénario le plus probable d’évolution à court terme est donc celui d’une stabilisation avec alternance des périodes de tensions et de reculs, en fonction de la réaction des « adversaires » de Pékin, au premier rang desquels les États-Unis. Le risque d’une véritable confrontation militaire allant au-delà d’un incident sans escalade est par ailleurs peu probable en l’état actuel du rapport de forces, à moins que les États-Unis ne choisissent une stratégie d’apaisement avec la RPC.
Cette éventualité potentiellement très déstabilisatrice ne peut être écartée, particulièrement si Pékin choisit de coopérer pleinement avec Washington sur la question nord-coréenne ou sur les questions commerciales, offrant à Donald Trump un véritable « deal ». Toutefois, en se retirant de la mer de Chine méridionale, les États-Unis prendraient le risque d’affaiblir leur posture globale et la confiance déjà fragilisée de leurs alliés, compromettant à termes leurs intérêts fondamentaux dans une zone d’importance vitale au niveau stratégique comme au niveau économique.
Enfin, sur le fond le régime chinois en l’état ne pourrait accepter un règlement des conflits appliquant les règles de l’UNCLOS qui ne lui accorderait une souveraineté que sur une portion limitée de la mer de Chine, la plus proche des côtes chinoises. Surtout, pour un régime qui assoit sa survie sur l’image de grande puissance qu’il projette d’abord aux yeux de sa propre population, céder sur le fond ne serait pas acceptable.