RENÉ NABA — Ce texte est publié en partenariat avec www.madaniya.info.
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Un article de Nadine Sayegh, chroniqueuse du site https://www.5njoum.com/, dirigé par le journaliste libanais Sami Kleib, ancien responsable du service arabe de RFI et dissident de la chaîne trans-frontière du Qatar Al Jazeera. Universitaire franco syrienne, parfaitement bilingue franco-arabe, sans pour autant avoir été gangrénée par l’islamisme.
Note de la rédaction https://www.madaniya.info/
De la France et De la langue arabe
Et si l’apprentissage de la langue arabe permettait une meilleure maîtrise de la langue française ?
Luc Ferry a estimé que l’apprentissage de la langue arabe en France serait «le meilleur moyen de booster la prolifération des écoles coraniques ou des écoles confessionnelles», suggérant par là une sournoise islamisation rampante de la France via la langue du prodigieux Abou Tayeb Al Moutannabi (1).
Par la superficialité de sa réplique à la proposition d’Emmanuel Macron, Luc Ferry apporte la preuve non d’un gai savoir, mais d’un triste savoir. Un pitoyable savoir d’un redoutable ignorant.
Le président français avait émis le 2 octobre dernier, lors de son discours sur le « séparatisme » aux Mureaux le souhait de faire en sorte que la langue arabe » soit davantage enseignée à l’école ou dans un cadre périscolaire « que nous maîtrisons ». « Notre jeunesse est aussi riche de cette culture plurielle », avait alors scandé le chef de l’État.
A-t-il jamais songé ce philosophe, ancien ministre de l’Éducation Nationale et de la Recherche du gouvernement de Jean Pierre Raffarin (2002-2004), que l’enseignement de la langue arabe pourrait assurer une meilleure maitrise du Français pour l’ensemble des locuteurs de la langue de Molière tant il est vrai que la langue française contient davantage de mots d’origine arabe que du gaulois. Et que l’Europe aura été le fossoyeur de sa propre cause du fait de son bellicisme exacerbé et sa prédation colonial de la planète? A plaindre les passagers des onéreuses croisières pédagogiques du professeur Ferry en Méditerranée.
Pour aller plus loin :
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De la France et de son legs colonial
Jean Pruvost, auteur de “la fabuleuse histoire des mots français d’origine arabe» l’assure sans ambages: «La langue arabe est extrêmement présente dans la langue française. L’arabe est la troisième langue d’emprunt, puisque la première c’est l’anglais, ensuite l’italien. L’arabe n’a cessé d’enrichir notre langue entre le IXe siècle et aujourd’hui.
… »Au départ, c’est principalement Al Andalus, l’Espagne musulmane qui a donné de nombreux mots courants et mots savants au XIIIe siècle en français. Plus tard, la colonisation et la décolonisation ont apporté une nouvelle vague de mots, avec notamment un volet important dans le domaine de la gastronomie », soutient-il.
Pour aller plus loin :
- https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/04/08/37002-20170408ARTFIG00002-la-fabuleuse-histoire-des-mots-francais-d-origine-arabe.php
- https://www.franceinter.fr/culture/plus-d-arabe-que-de-gaulois-dan-la-langue-francais
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Barbara Lefebvre, enseignante, adopte une position sensiblement voisine de celle formulée par Luc Ferry, estimant que: «L’arabe n’a pas à être enseigné à l’école publique dès le primaire»
Outre les arguments anti-discrimination et anti-islamisme, certains promoteurs de la généralisation de l’enseignement de l’arabe avancent un argument pro-business. «L’arabe est un atout dans la mondialisation vu le poids pris par les pays du Golfe et le Maghreb dans nos échanges économiques», plaide ainsi l’essayiste franco-tunisien Hakim El Karoui.
La France baigne dans son legs colonial, sans toutefois vouloir l’admettre, sans peut être s’en rendre compte. Ses villes et villages en portent l’empreinte et sa langue en est imprégnée, «à l’insu des Français», d’une manière impensée.
Très peu savent que Ramatuelle, rieuse bourgade du sud de la France, tire son origine d’une action de grâce des migrants « infidèles » arrivant à bon port, invoquant la miséricorde de Dieu (Rahmatou Llah), Carcassonne, d’une reine arabe (Karkachouna). Que la France communique avec l’extérieur par le truchement (tourjoumane, interprète) de ses diplomates. Que les Field Medal décernés à ses mathématiciens résultent de leur maîtrise de l’Algèbre et du Logarithme (al jabr, al khawarizmi), que les grades de l’armée française empruntent à l’ordonnancement arabe de l’Amiral (Amir al Bahr, le seigneur des mers), au capitaine (Al Qabda-la poigne) et par extension Qobtane, l’homme qui assure la maîtrise.
Que le meilleur coup de colère, enfin, n’est jamais mieux exprimé que dans le langage du bled (al bilad, le pays), surtout lorsqu’on vous «casse les glaouis», suscitant, en retour, une envie de les «niquer», sans doute le terme le plus usité de la langue française, devant les exorbitants droits de douanes (diwan, canapé installé à l’entrée des villes pour prélever les taxes), dont on aimerait être exonéré, de même que les honoraires du psychanalyste après passage sur son divan, sauf à recourir à l’alcool (al kouhoul) pour soigner les blessures du corps, de même que les blessures du cœur, à moins d’y célébrer l’alchimie (al kimia’) de la belle symbiose linguistique franco-arabe.
La France a un sérieux problème de mémoire, dont elle veut se jouer, en occultant ses aspects hideux, qui se jouent finalement d’elle. Des embardées répétitives comme autant de remugles mal digérés de l’histoire tourmentée de ce pays, qui expliquent les dérives du débat public en France. Le seul pays qui soit traversé périodiquement par le débat sur l’identité nationale, signe patent d’une pathologie mémorielle.
La politique des égards
Il fut un temps où apprendre le turc, l’arabe ou le persan, c’est à dire les langues vernaculaires des peuples autochtones, constituait le dernier des raffinements. Bien avant la Révolution, Molière, à l’instar de Monsieur Jourdain, s’ouvrant par curiosité intellectuelle à la culture des autres, s’y était essayé avec son Mamamouchi au XVII me siècle, et, Voltaire, un siècle plus tard, avec Zadig, ce jeune babylonien (Irak) qui se hissera au symbole de la sagesse contrariée par l’injustice.
Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc à l’époque pour savoir que la politique d’un pays est dictée par son histoire et sa géographie et qu’une diplomatie de bon voisinage est gage de prospérité.
François Ier (1494-1574) et Soliman Le Magnifique, surmonteront ainsi leurs récriminations réciproques sur le contentieux des Croisades, particulièrement le sac de Jérusalem (1099) et de Constantinople (1204), -«les pages honteuses de l’Occident chrétien», selon l’expression de l’historien Jacques Le Goff-, pour sceller une audacieuse alliance. Pris en tenaille entre l’Allemagne et l’Espagne, tous deux sous la couronne de Charles Quint (1550-1558), François Ier pactisera avec le chef de l’Empire ottoman, un infidèle, au grand scandale de la chrétienté d’alors, en vue de contrebalancer la puissance du saint Empire. Dans la même veine de son inspiration, il créera le «Collège des lecteurs royaux», précurseur du Collège de France et imposera l’enseignement de l’arabe, en1537, qui connaîtra sa consécration cinquante ans plus tard par la création de la chaire d’arabe.
Louis XIV parachèvera son œuvre sur le plan culturel. Sous l’impulsion de Colbert désireux de mettre à la disposition des négociants français des interlocuteurs appropriés en Orient, le Roi Soleil fonde la section des langues orientales au Collège Louis le Grand.
Colbert, l’auteur du si horrible «Code Noir de l’esclavage» qui sera publié après sa mort sous l’Édit de Mars 1695, décrétera «le privilège de la terre de France» et son pouvoir libératoire; une clause de sauvegarde qui permettait de satisfaire un triple objectif: l’affranchissement automatique des esclaves du seul fait de fouler le sol français, la consécration a priori de l’esclavage ans les possessions d’outre-mer et la préservation des intérêts fondamentaux de la France par la mise en valeur de sa tradition d’hospitalité et de son bon renom dans le monde.
Sous la Révolution, la section des langues orientales du collège Louis le grand deviendra une institution autonome «l’École des langues orientales». L’arabe, le turc et le persan y seront les premières langues enseignées. Le général Bonaparte en Égypte décrétera la politique des égards…à l’égard des indigènes. Non pas par tropisme arabo musulman, mais pour l’évidente raison que le respect d’autrui constitue la première forme de respect de soi. En un mot par un réalisme enrobé d’idéalisme qu’il considérera comme le meilleur gage de la pérennisation de son action.
François Ier le précurseur, Bonaparte, le successeur, percevront les dividendes de cette politique d’ouverture vers l’outremer, deux siècles plus tard avec Jean François Champollion, l’un des plus illustres élève des «Langues O», décrypteur des hiéroglyphes égyptiennes, une découverte qui fera de l’Égypte, l’un des centres du rayonnement culturel français en Orient, un exemple de rentabilité opérationnelle, le fameux «retour sur investissement» du jargon moderne.
En stratège, le général corse, sans doute plus averti des subtilités géostratégiques de la Méditerranée, s’est borné à recentré la politique de son royal prédécesseur considérant que La Mecque et non Constantinople constituait le centre d’impulsion de la politique française de la zone. Se gardant de tout messianisme, il revendiquera pour la France la charge du domaine régalien, laissant aux autochtones la gestion de leurs propres affaires locales, en application de «la politique des égards», première expression politique de l’autogestion des territoires conquis. Son neveu, Napoléon III, caressera même le projet de fonder un «Grand Royaume Arabe» en Algérie.
Cette évidence mettra deux siècles à s’imposer. Mais, entretemps, que d’humiliations, que de gâchis. Pour avoir méconnu ce principe, pour avoir renié ces propres principes, la France en paiera le prix.
Pour aller plus loin : https://www.renenaba.com/genocide-armenien-le-jeu-trouble-de-la-france/
Au delà de la controverse, ci joint une ode à la langue arabe par une universitaire franco syrienne, parfaitement bilingue franco-arabe, sans pour autant avoir été gangrénée par l’islamisme. Une démonstration par l’absurde de la thèse de Luc Ferry et de Barbara Lefebvre –
Fin de la note de la rédaction
Nadine Sayegh
https://www.5njoum.com/news/la-langue-arabe-le-combat-contre-l-air-du-temps
Animatrice d’une chronique “A Double sens” du site https://www.5njoum.com/, pour briser l’unilatéralisme occidentaliste de la vision du monde et suggérer un regard croisé des deux rives de la Méditerranée sur les grands thèmes du débat contemporain.
LA LANGUE ARABE, LE COMBAT CONTRE L’AIR DU TEMPS !
L’arabe, comme toute langue, est d’abord un véhicule de culture et de beauté, bien au-delà d’une région ou d’une religion. Quant à cette belle langue, trésor pour la France, comme le crie haut et fort le président de l’Institut du Monde Arabe, Jack Lang, reste un sujet polémique!
La langue arabe, un marqueur identitaire?
De l’inanité de l’équation entre langue arabe et Islam: Le cas de l’Indonésie et des Églises d’orient
Aujourd’hui plus que jamais, Il est crucial de dissocier l’arabe de l’islam. Cette langue qui a existé bien avant la religion à laquelle elle est toujours associée. Force est de constater que l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé au monde, ne parle pas l’arabe !
Née des écritures araméenne et nabatéenne, les Églises d’Orient et les communautés juives l’utilisent depuis des siècles comme principal outil pour transmettre les sciences et les savoirs grecs. C’est aussi en langue arabe que Maimonide, ce grand philosophe juif du Moyen Age, a écrit «le Guide des égarés».
Bon nombre de chrétiens arabes ont puissamment contribué au combat pour la libération de la Palestine, à l’instar de Georges Habache, chef du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (grec-orthodoxe), de Mgr Hilarion Capucci, Archevêque grec catholique de Jérusalem, de l’universitaire américano palestinien Edward Said ou encore Béchara Takla, fondateur du journal égyptien Al Ahram.
>> Sur la contribution des chrétiens arabes à la renaissance culturelle du monde arabe, cf ce lien : https://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes/
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L’engouement croissant pour la langue arabe
C’est la langue des scientifiques. Des artistes. Des entrepreneurs. La cinquième langue la plus parlée au monde, une langue que l’on pratique parfois sans le savoir tant elle a imprégné le français: café, algèbre, sucre, chimie…… plus de six cents mots en sont encore restés! L’arabe, c’est à la fois un trésor mondial et un patrimoine national.
Quand François Ier fonde le Collège royal en 1530, devenu Collège de France, il exige que les enseignements soient assurés en arabe, en grec et en hébreu. À la même époque, Rabelais recommande d’apprendre l’arabe.
Assurément, la France a eu et aura toujours un rôle unique à jouer dans la compréhension mutuelle entre les pays arabes et le reste du monde, d’autant plus que les cours ne désemplissent pas à Sciences Po, Normale Sup et Polytechnique. Le plurilinguisme reste source de richesse.
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L’arabe, un tabou en France
Cependant, même si l’arabe continue à être associée, pour beaucoup, à la langue du Coran, Jack Lang reste un grand partisan pour le dissocier et bat en brèche toutes idées reçues dans ce sens, lui qui s’est battu pour en créer une certification internationale de maîtrise de l’arabe (la CIMA) au même titre que le TOEFL pour l’anglais ou le DELE pour l’espagnol.
«N’abandonnons pas l’enseignement de l’arabe aux religieux… Il faut le développer et lui donner du prestige pour échapper aux structures dédiées à des dérives communautaristes», dit-il.
Quant au remède, Emmanuel Macron l’a trouvé pour la rentrée en septembre 2020. Il confirme qu’ «il est indispensable que toute personne qui enseigne cette langue puisse faire l’objet d’un contrôle sur la maitrise du français et le respect des lois de la République».
Ainsi les ELCO (enseignements de langue et culture d’origine) créés dans les années 70, avec des pays partenaires tels l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie afin d’assurer un enseignement culturel et linguistique aux enfants d’immigrés, seront remplacés par les EILE (enseignements internationaux de langue étrangère) au même titre que l’allemand, l’espagnol, le chinois ou l’italien, pour que l’enseignement soit contrôlé par l’Education nationale et ouvert à tout élève scolarisé.
Et comme le répète Jack Lang: «C’est en assurant pleinement l’enseignement laïque de la langue arabe dans l’École de la République que l’on contribuera à affaiblir les séparatismes».
Pour aller plus loin sur ce thème
- https://www.madaniya.info/2018/10/25/du-bougnoule-au-petit-negre-de-la-permanence-dune-culture-francaise-de-la-stigmatisation/
- https://www.madaniya.info/2020/07/27/de-lusage-du-terme-ensauvagement-par-le-ministre-de-linterieur-gerald-darmanin/
Et pour preuve de l’absence du chauvinisme de ce site et le plaisir de la lecture, ci joint une piqûre de rappel concernant la langue française, cf; ce lien
RÉFÉRENCES
Abou T̩ayeb Ah̩mad ibn al-H̩usayn al-Mutanabbī est un poète arabe appartenant à la tribu Kinda, né en 915 à Coufa, et mort assassiné en 965 près de Dayr al-Akul (au sud de Bagdad) Il est considéré comme le plus grand poète arabe de tous les temps, et celui qui a pu au mieux maîtriser la langue arabe et ses rouages. Il lègue un grand patrimoine de poésie avec 326 poèmes, qui raconte sa vie tumultueuse auprès des rois, et qui donne une vision sur la vie arabe du Xe siècle.
Il est connu pour sa grande intelligence, il disait ses poèmes sur le vif, sans préparation. Il a déclamé ses premiers poèmes très jeune avant ses 10 ans. D’un caractère altier et aventureux, l’un de ses poèmes causera sa perte en précipitant son assassinat.
Le nom « al-Mutanabbi » voulant dire: « celui qui se dit prophète », lui fut adjoint durant sa jeunesse quand il écrivit des textes qu’il disait d’inspiration divine.