par M.K. Bhadrakumar.
Une nouvelle dynamique se dessine dans la semaine qui a suivi l’assassinat du charismatique Général iranien Qassem Soleimani le 2 janvier dernier. Elle se manifeste à trois niveaux.
L’ampleur stupéfiante de l’effusion des sentiments publics en Iran pendant les funérailles de Soleimani rend certain à 100% qu’avec la fin de la période de deuil mardi, Téhéran commencera à travailler à la réalisation du vœu du Guide Suprême Ali Khamenei de prendre une « sévère vengeance » contre les États-Unis.
De toute évidence, les scènes émotionnelles de la réunion des funérailles de Soleimani hier ont souligné que le Commandant charismatique était plutôt un fils pour l’Ayatollah Khamenei, dont le chagrin est intensément personnel.
Il reste à voir quelle forme cela prendra. L’Iran ne cherche pas une guerre avec les États-Unis, mais il peut s’appuyer sur « l’Axe de la Résistance ». Les multiples déclarations des responsables iraniens laissent entendre que les cibles seront les ressources et le personnel militaires US dans la région et dans le monde.
Pour l’instant, l’Iran n’a pas l’intention de s’attaquer aux alliés régionaux des États-Unis, en particulier à Israël. (Fait important, pas un seul responsable iranien n’a pointé du doigt Israël pour son implication dans le meurtre de Soleimani).
Les régimes arabes du Golfe ont demandé indépendamment des assurances à l’Iran, ce qui explique le voyage précipité à Washington du Vice-Ministre saoudien de la Défense, le prince Khalid (frère du Prince Héritier et Ministre de la Défense Mohammed bin Salman). Le Prince Khalid a rencontré le Secrétaire d’État Mike Pompeo et le Secrétaire à la Défense Mark Esper.
Riyad appelle publiquement à la retenue de la part de l’Administration Trump. Il y a deux jours, le Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires Étrangères qatari Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al Thani (qui appartient à la famille royale) était à Téhéran et a été reçu par le Président Hassan Rohani. Les États Arabes du Golfe s’inquiètent des dommages collatéraux en cas de représailles iraniennes contre toute attaque directe des États-Unis.
Entre-temps, un deuxième modèle a fait son apparition sous la forme de la demande d’évacuation de l’armée US par l’Irak. Washington n’a pas réussi à anticiper la décision du Parlement Irakien et a du mal à répondre à sa demande.
Il y a de la confusion à Washington. Le Commandant US en Irak, le Général de Brigade William Seely, a adressé une communication informant l’armée irakienne que « dans le respect de la souveraineté » de l’Irak, la coalition dirigée par les États-Unis « repositionnera ses forces au cours des prochains jours et des prochaines semaines pour préparer la poursuite du mouvement… afin de s’assurer que le mouvement de sortie de l’Irak est mené de manière sûre et efficace ».
Le Général a ajouté que « nous mènerons ces opérations pendant les heures d’obscurité pour aider à atténuer toute perception que nous pourrions amener davantage de forces de la coalition » en Irak.
Mais le Pentagone s’est empressé depuis de désavouer cette lettre en disant qu’elle était « mal rédigée ». Le Secrétaire à la Défense Mark Esper et le Président des Chefs d’État-Major, le Général Mark Milley, ont nié à la hâte que les États-Unis retiraient leurs troupes d’Irak.
Bien sûr, il est inconcevable que le Général Seely ou le Général Milley et Esper aient pris de leur propre chef des décisions aussi contradictoires sans l’approbation de Trump. De toute évidence, Trump ne peut pas se décider.
Les commandants du Pentagone devraient être très conscients de l’énorme vague de sentiments anti-US en Irak après l’assassinat d’Abu Mahdi al-Muhandis, qui était le Commandant de facto des Forces de Mobilisation Populaire soutenues par l’Iran (mais sanctionnées par l’État irakien) et composées de milices chiites aguerries.
Ils estiment de manière réaliste que le maintien de la présence militaire US en Irak devient intenable. Mais l’optique d’un retrait juste à ce stade sera extrêmement préjudiciable à Trump sur le plan politique.
D’autre part, les quelque 5 000 soldats US dispersés dans les bases en Irak seront confrontés à l’attrition. On ne peut pas exclure une répétition des bombardements des casernes de Beyrouth en 1983 – l’attaque d’un complexe de Marines à Beyrouth dans la nuit du 23 octobre au cours de laquelle 241 membres du personnel US ont été tués, forçant Reagan à ordonner le retrait des troupes du Liban.
Trump doit calculer qu’il peut menacer l’Iran et le forcer à contenir les milices irakiennes. Mais c’est une erreur. En outre, plusieurs milices irakiennes armées et en liberté sont en lice, dont certaines ont combattu dans l’insurrection chiite après l’invasion US de 2003.
Cependant, à un niveau plus fondamental, il y a un troisième modèle qui lutte pour naître et qui n’a pas reçu l’attention nécessaire : L’annonce faite dimanche par l’Iran concernant la cinquième et dernière étape qu’il s’était engagé à entreprendre en réponse au retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015 (connu sous le nom de JCPOA) en mai 2018.
L’Iran a annoncé qu’il ne respecterait plus les limitations qui lui sont imposées par le JCPOA en ce qui concerne « le nombre de centrifugeuses … la production, notamment la capacité d’enrichissement, le pourcentage et le volume d’uranium enrichi, la recherche et l’expansion ».
C’est une décision calibrée. Cela ne signifie pas que l’Iran met fin au JCPOA, mais qu’il a rendu la matrice inefficace. Selon le Ministre des Affaires Étrangères Javad Zarif, l’Iran continuera de permettre à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) de contrôler sa recherche nucléaire, et serait prêt à rejoindre le JCPOA si les sanctions contre lui sont levées.
On peut soutenir que cela pourrait signifier la révérence finale au JCPOA, mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. L’Iran se réserve le droit de porter immédiatement ses niveaux d’enrichissement à 20%, mais il ne le fera peut-être pas et permettrait à l’AIEA de maintenir l’accès aux inspections.
Cette approche mesurée de la politique nucléaire pourrait avoir une incidence sur l’escalade des tensions avec les États-Unis. Il est extrêmement important que Téhéran ait fait cette annonce pendant la période de deuil. Ne vous y trompez pas, cette décision porte l’imprimatur du Guide Suprême Ali Khamenei.
Elle suggère que Téhéran garde une fenêtre étroite pour la diplomatie. L’UE a invité Zarif à rencontrer vendredi à Bruxelles les ministres des Affaires Étrangères du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne.
La question cruciale est de savoir si cette fenêtre s’ouvrira plus largement ou si elle se refermera bientôt. Car, si elle reste ouverte, l’approche de « pression maximale » de Trump (sanctions contre l’Iran) y sera inévitablement intégrée à un moment donné, et une dynamique entièrement nouvelle peut être générée face à l’impasse générale entre les États-Unis et l’Iran.
Trump est critiqué par les Démocrates et les grands médias US pour sa décision de précipiter la confrontation actuelle. Dans l’état actuel des choses, sa candidature à la réélection pourrait même être compromise si la confrontation s’intensifie dans les mois à venir.
Ce qui peut encore être possible, c’est que la « vengeance sévère » de l’Iran soit d’une ampleur que Trump peut supporter, permettant d’ouvrir la porte sur la voie menant aux négociations. Il s’agit d’un maigre espoir, mais c’est mieux que de ne pas avoir d’espoir du tout.
source : A forlorn hope in US-Iran confrontation
traduit par Réseau International