Le rapport sur Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie que l’historien Benjamin Stora vient de remettre au Président de la République Française se veut œuvre de mémoire. Mais en fait il m’apparait être comme une nouvelle forme de proposition néocoloniale, voulant garder l’Algérie dans l’interdépendance de la France.
1) Albert Camus.
2) Mouloud Feraoun.
A mon sens, il aurait dû en 3ème position, publier aussi le chapitre de Moufdi Zakaria, que je reprendrai ci-dessous)
– Premier extrait repris par Stora : cette citation d’Albert Camus est un appel rédigé et lancé par lui, pour une Trêve Civile le 22 janvier 1956 à Alger. Il s’inscrit dans l’histoire de la Guerre d’Algérie en tant que tentative de réconciliation entre les communautés européennes et musulmanes, autour de l’initiative pacifiste des libéraux d’Algérie.
« J’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’ai connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création ».
L’Histoire a aimé retenir la position de Camus faisant passer sa mère avant la Justice, ce qu’il nous apprend, c’est que l’Humanisme qu’il prône n’est pas une logique de priorité de l’homme sur la vérité idéologique, mais une vérité définie à l’aune de l’être humain. En le citant Benjamin Stora a-t-il voulut s’identifier à lui ?
On ne peut pas enlever à Benjamin Stora un exercice de pensée avec sa tête et son cœur puisque né à Constantine (Algérie)le 2 décembre 1950, il peut se faire qu’il ait cette patine Algérienne qui fait la différence d’avec d’autres sociétés. Mais hélas force est de constater que ce n’est pas le cas, il reste certainement encore sous l’effet du décret Crémieux, qui a eu sur la société Algérienne une influence reconnue comme déterminante.
Rappelons donc que le 24 octobre 1870 a été publié un décret qui dit exactement ceci : « Les israélites des départements d’Algérie sont déclarés citoyens français. En conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglé par la loi française. » (Fin de citation).
Quant aux musulmans, ils avaient gardé et garderont leur statut inférieur d’indigènes. Il faudra une lutte de libération acharnée pour qu’ils se libèrent du joug colonial enfin et de cette loi.
Le décret Crémieux a fait haïr les juifs algériens, non seulement par les colons français qui ont sombré à partir de 1870 dans un antisémitisme de plus en plus délirant, mais aussi par les autochtones algériens qui virent d’un seul coup leurs voisins de village ou d’immeubles accéder au statut de citoyen français et devenir les collaborateurs du colonialisme.
Et depuis les indigènes ont la haine des juifs ; ils n’ont pu voir sans scandale que c’est à eux que passait, pour une large part, le gouvernement de l’Algérie et de la France même. La conquête française a livré les indigènes aux juifs.Il semblerait qu’une sorte d’accord devait se produire entre les indigènes et les colons. Il n’en est rien, et c’est là ce qui complique singulièrement le problème. Le Français d’Algérie, s’il a la haine du juif, a le mépris de l’indigène.
Dans son rapport, Stora euphémise les effets du décret Crémieux, partagés entre leurs deux patries, la France qui leur a donné l’exercice de la citoyenneté par le décret Crémieux, et l’Algérie, terre natale où ils étaient enracinés, les Juifs d’Algérie n’ont pas basculé dans le camp de l’indépendance algérienne, souligne le rapport Stora. Ce même Stora nous semble plus proches de la réalité historique quand il écrivait en 2006 à la page 54 de son livre, Les Trois Exils Juifs d’Algérie :
« Du jour au lendemain, les juifs changent de camp et se solidarisent avec l’envahisseur. »
Quand on veut faire œuvre mémorielle, quand on déclare par ailleurs : il faut trouver la juste mémoire, ne doit-on pas se souvenir de ses propres écrits ? Pourquoi changer de vision Monsieur Stora, serais-ce une obligation de service ?
– Deuxième extrait repris par Stora : cette citation est tirée du journal de Mouloud Feraoun, écrivain algérien d’expression française. Né le 8 mars 1913 en Haute Kabylie (Algérie) et mort assassiné par l’OAS à Alger le 15 mars 1962,
«Le pays se réveille aveuglé par la colère et plein de pressentiments ; une force confuse monte en lui doucement. Il est tout effrayé encore mais bientôt il en aura pleinement conscience. Alors, il s’en servira et demandera des comptes à ceux qui ont prolongé son sommeil » (Mouloud Feraoun, Journal 1955 1962.)
Feraoun qui se situait clairement au-dessus des haines, paya de sa vie le fait qu’il soit un indépendantiste. Dommage qu’un tel témoin intègre et si clairvoyant ne soit pas encore en vie pour connaitre la situation actuelle, car je pense qu’il aurait continué à clarifier la situation. Je rappelle ici ce qu’il a écrit de l’occupation à Camus.
« J’ai pensé simplement que, s’il n’y avait pas ce fossé entre nous, vous nous auriez mieux connus ; vous vous seriez senti capable de parler de nous avec la même générosité dont bénéficient tous les autres. Je regrette toujours, de tout cœur, que vous ne nous connaissiez pas suffisamment et que nous n’ayons personne pour nous comprendre ».
Je dirais aujourd’hui la même chose à Monsieur Benjamin Stora, et j’ajouterais qu’il est dommage que vous ayez si longtemps trompé les Algériens en leur disant comme De Gaulle « Je vous ai compris ». Alors que vous n’avez rien compris à la colonisation française de l’Algérie. Et pour vous rafraîchir la mémoire, permettez que je rapporte ici les propos d’un grand avocat de la cause Algérienne, maitre Vergés qui raconte un rêve à un citoyen français convaincu des aspects positifs de la colonisation.
J’ai rêvé : Qu’Hitler, ayant gagné la guerre, avait décidé de coloniser la France. Sur l’aspect culturel, l’enseignement sera dispensé en Allemand par des enseignants Allemands.
Dans l’esprit du colonisateur, la langue française, réduite à un emploi vernaculaire, disparaitra progressivement. S’employer à effacer toute présence publique de la langue française en changeant les noms des communes, avenues et rue, déboulonnant même les statues des grands hommes français. Seule la langue Allemande était autorisée et la fête du 14 juillet interdite. Sur le plan économique, inspirés par la colonisation de l’Algérie, les Allemands implantèrent leur excédent de la population à l’ouest de la France. Les groupes industriels incités à investir après la mise en faillite des anciennes industries françaises, malgré l’éclatement de révoltes sporadiques que la gestapo a matées sans faiblesses.
Mais ce n’est pas un rêve, s’exclama l’interlocuteur, c’est un cauchemar.
-Oui, c’est celui que les Algériens ont vécu pendant 132 ans.
– Je voudrais aussi rappeler à Monsieur Stora qu’il aurait du publier le texte, écrit par Monsieur Moufdi Zakaria le 25 Avril 1955 dans les geôles de la prison d’Alger, et dont je reprends un extrait ici :
Nous jurons ! Par les tempêtes dévastatrices abattues sur nous
Par le sang noble et pur généreusement versé
Par les éclatants étendards flottant au vent
Sur les cimes altières de nos fières montagnes
Que nous nous sommes dressés pour la vie ou la mort
Car nous avons décidé que l’Algérie vivra
Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin !
Ô France ! Le temps des palabres est révolu
Nous l’avons clos comme on ferme un livre
Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes
Prépare-toi ! Voici notre réponse
Le verdict, Notre révolution le rendra
Car nous avons décidé que l’Algérie vivra
Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin !
PS/ A toute fin utile, je rappelle que ce texte après être devenue l’hymne national Algérien, a, depuis lors hanté les esprits des différents apôtres du pouvoir Français, qui tous désiraient qu’il soit effacé, gommer, oublier, et pour cela, ils s’évertuèrent à le faire amputer de ce couplet qui resta, comme une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.
«Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, Notre révolution le rendra. Car nous avons décidé que l’Algérie vivra. Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! »
Ce n’est qu’avec l’avènement De Monsieur Lamine Zeroual à la tête de l’Algérie que cette hymne national fut réhabilité et scander dans son intégralité répétant de plus belle :
« Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes.
Le rapport sur Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie que l’historien Benjamin Stora a remis à Monsieur Macron, Président de la République Française, n’est en fait qu’un plan néocolonial, visant à instituer, sous des formes nouvelles, le maintien de l’Algérie dans l’interdépendance de la France.
Dans tous les cas, les propositions de cet historien,restent un dialogue à une personne qui croit que son interlocuteur veut discuter sur le même plan. Ce rapport est un aveu de faiblesse, un acte déguisé pour se défiler devant la «dette imprescriptible».
« Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation ».
Une réconciliation se fait à deux et la première critique de cet exercice est qu’il est vain car il a été fait par une seule personne, si talentueuse soit-elle. Où sont les Algériens qui partagent les mêmes valeurs de critique historique de leur propre histoire ? De plus, la critique historique est le sous-jacent de sa volonté de projeter des valeurs que la France croit universelles dans n’importe quelle culture, n’importe quelle civilisation, n’importe quelle tradition, n’importe quel pays. Il ne s’agit pas de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question.
Des lors du déclenchement de la lutte de libération Algérienneque coordonnait Mohamed Boudiaf, n’est-ce pas François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, qui proclamait le 1er décembre 1954 :« L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne. »Ce même Mitterrand devenu ministre de la Justice du gouvernement de la France coloniale, fidèle à la politique criminelle qui s’installe. La guillotine devient une de ces armes préférées pour le problème Algérien.Et quand il quitte la place Vendôme à la fin du mois de mai 1957, quarante-cinq condamnés à mort ont été guillotinés en seize mois.
Par la suite François Mitterrand est devenue Chef d’Etat Français et Mohamed Boudiaf Chef d’Etat Algérien. Imaginons un seul instant qu’il ait du se rencontrer ! Comment se serait alors comporté Mitterrand qui auparavant soutenait mordicus que l’Algérie était Française et Boudiaf sans faiblesse, soutenait que l’Algérie était Algérienne. Thèse et antithèse se rencontraient ?? La fierté de l’un faisant la honte de l’autre ; il fallait absolument que les services français, empêchent cette rencontre ; il allait de l’honneur de la France. Et la rencontre n’a jamais eu lieu. Et ne put se faire puisque le Président Algérien Mohamed Boudiaf fut assassiné. Par qui ? Pourquoi ? On cherche encore à savoir.
En tout cas- Nacer Boudiaf, le fils de l’ancien Président Algérien assassiné accuse dans un entretien (Observalgérie.com) François Mitterrand d’être mêlé à ce meurtre. Dans ses accusations, le fils du Président assassiné, va jusqu’à affirmer sa conviction, que le crime a été commis avec la bénédiction de l’ancien Président français François Mitterrand, qui a donné le feu vert. Cette conviction s’est renforcée, explique le fils de Boudiaf, après la parution du livre de l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, dans lequel il dit que «la France n’a pas laissé Boudiaf mener à bien sa mission». De quelle mission s’agit-il ?
Pour revenir à la vision de Benjamin Stora sur les questions mémorielles de la colonisation Française de l’Algérie. Cette historien, né pourtant en Algérie ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation.
Extrait du discours de Nikolas Sarkozy prononcé le 5 décembre 2007 devant des étudiants à l’université Mentouri de Constantine :
« Dans cette ville [Constantine], que je n’ai pas choisie par hasard, les pierres se souviennent encore de ce jour de 1837 où un peuple libre et fier, exténué après avoir résisté jusqu’à l’extrême limite de ses forces, fut contraint de renoncer à sa liberté. Les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit couler ici le sang, pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région et tua tant d’innocents étaient le produit de l’injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligé au peuple algérien. L’injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui étaient venus s’installer en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l’intention d’asservir ni d’exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation. (…) »
François Hollande, Discours prononcé le 20 décembre 2012 à Alger, devant le Parlement algérien :
« Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli, et encore moins dans le déni. La vérité, elle n’abîme pas, elle répare, la vérité, elle ne divise pas, elle rassemble. Alors, l’histoire, même quand elle est tragique, même quand elle est douloureuse pour nos deux pays, doit être dite. Et la vérité, je vais la dire ici, devant vous. Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c’est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a eu en 1945, les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata, qui, je sais, demeurent ancrés dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français. Parce qu’à Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles. La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial, sur cette guerre qui, longtemps, n’a pas dit son nom en France, la guerre d’Algérie. Voilà, nous avons le respect de la mémoire, de toutes les mémoires. Nous avons ce devoir de vérité sur la violence, sur les injustices, sur les massacres, sur la torture. Connaître, établir la vérité, c’est une obligation, et elle lie les Algériens et les Français. C’est pourquoi il est nécessaire que les historiens aient accès aux archives, et qu’une coopération dans ce domaine puisse être engagée, poursuivie, et que progressivement, cette vérité puisse être connue de tous. »
Alger – Emmanuel Macron : Entretien du le 15 février 2017 sur Echorouk News.
« Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains, il y a un peu plus de dix ans [la loi du 23 février 2005 mentionnait le rôle positifde la colonisation, ont voulu faire ça en France. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai condamné toujours la colonisation comme un acte de barbarie. Je l’ai fait en France, je le fais ici. (…) La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes (…). Il y a eu des crimes terribles, de la torture, de la barbarie (…) mais en même temps, je ne veux pas tomber dans la culture de la culpabilisation sur laquelle on ne construit rien. C’est ce chemin de crête que je veux que nous prenions ensemble. »
Et voilà qu’à la suite de la remise du rapport Stora, au Président Macron, celui-ci déclare que,des «actes symboliques» sont envisagés, mais qu’il n’y aura «ni repentance ni excuses»
Pourtant Macron lors de son déplacement à Alger, qualifie la colonisation française de «crime contre l’humanité» (libération du 15 février 2017).
Et déclare encore à El Chourouk du 15 février 2017. La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes
– Que se passe-t-il ?
– Pourquoi ce changement d’attitude, de la part du chef de l’Etat Français, vis-à-vis de l’Algérie ?
-Pourquoi le Président Macron qui créditait à la grandeur de la France une véritable volonté de bienveillance, de chercher une sortie de conflit, de réconciliation où tout le monde serait gagnant, change de ton.
La principale demande historique des Algériens, étant la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation.
a) Posons-nous la question de savoir qui a commis ces crimes ?
C’est l’armée Française sur ordre et avec l’accord des politiques Français. L’institution militaire Française n’a pas intérêt à ce que les excuses soit faite par la France à l’Algérie car cela suppose la reconnaissance de l’entité militaire Française comme étant criminelle de guerre. Oui selon les détenteurs du pouvoir de l’ombre, admettre la criminalisation de la guerre d’Algérie, ferait de l’armée Française des criminelles de guerre. Et cela depuis l’indépendance de l’Algérie ; les chefs de la France ont tout fait pour l’empêcher, le cacher, l’éviter. Tous les moyens ont été utilisés pour empêcher que le peuple Algérien n’en vienne à comprendre, la vérité de la guerre du maintien colonial perpétré durant des décennies.
b) Une autre question vient à l’esprit : Pourquoi monsieur Benjamin Stora n’a-t-il pas rapporté dans son rapport que l’Emir Abdelkader lorsqu’il faisait des prisonniers, leur demandait d’enseigner leurs savoir à ces hommes en échange de leurs libertés. Ce qui permettrait à la France de comprendre que l’indemnité peut se faire par la transmission de savoir et de connaissance. Ce moyen reste une très honorable façon de réparer les torts, cette façon d’indemniser pourrait être remise à l’ordre du jour.
Monsieur Stora doit certainement avoir à l’esprit l’affaire des Bacri et Bujnah juifs algériens qui à l’époque de la Régence d’Alger se sont rendues indispensables comme fournisseurs quasi exclusifs de blé algérien à l’Europe, et qui ont affamés les Algériens en détournant leurs blés vers la France. (Selon nos sources ce blé n’a jamais été payé.) Se peut-il que l’histoire se reproduise, et qu’à son tour Monsieur Stora veuille nous vendre pour quelque sacs de blés ? (Pognon Fric).
Je n’émets ici qu’une supposition : Se peut-il que Monsieur Benjamin Stora pour mériter les acquis du décret Crémieux, et le mérite de la légion d’honneur, ai été préparé au rôle qu’il joue aujourd’hui ? A savoir convaincre qu’il n’y a pas de criminalisation de la guerre coloniale Française faite à l’Algérie ! Sinon comment expliquer que le Président Macron après qu’il, eu reconnus et déclaré(…) La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes (…).
Aujourd’hui Monsieur Macron Président de la République Française, dit l’inverse « Des «actes symboliques» sont envisagés, mais qu’il n’y aura «ni repentance ni excuses» ».
Bien d’autres questions se posent alors :
– Et nous sommes en droit, nous Algériens de nous demander, comment pouvons-nous avoir confiance, et continuer à marcher avec celui et ceux qui nous ont fait tant de mal et qui ne veulent pas s’en excuser ?
– Comment pouvons-nous avoir confiance dans les propositions françaises de mise en place de conditions d’une relation apaisée et tournée vers l’avenir ?
Difficile et dure en même temps ; nos martyrs diraient surement qu’il faut rompre toute relation avec l’Etat Français et ce tant qu’il n’a pas reconnu officiellement La principale demande historique des Algériens, à savoir : la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation.
J’aurai besoin de votre indulgence pour cette longue narration. Peut-être trouverez-vous que je prends trop de liberté à parler ainsi. Ce sera ainsi la preuve que mon écrit arrive à dire ma pensée et que je n’ai pas eu tort de vouloir faire cette réponse à qui de droit.
* Moudjahed membre A.L.N. et fils de Chahid. Auteur, Ecrivain.
Algérie/France – France/Algérie, une contribution de l’Association Josette et Maurice Audin
par A- J. & M.A.
Alors que le rapport de l’historien Benjamin Stora fait couler beaucoup d’encre et suscite des réactions contrastées, l’Association Josette et Maurice Audin poursuit ses actions de rapprochement entre la France et l’Algérie, pour la vérité et pour la justice. Et met en débat ses suggestions.
Les pistes Dire et partager la vérité sur la colonisation de l’Algérie par la France et les atrocités et injustices commises par celle-ci sur le peuple algérien.
Ouvrir toutes les archives relatives à la colonisation et la guerre d’Algérie/guerre d’indépendance algérienne.
Continuer à établir la vérité sur les conditions de l’assassinat de Maurice Audin et la disparition de milliers d’Algériens et de Français de cette guerre.
Soutenir politiquement et financièrement toutes les initiatives citoyennes de solidarité et d’amitié entre les peuples français et algérien.
L’Association Josette et Maurice Audin, créée en 2004 à l’initiative du mathématicien Gérard Tronel (ancien membre du Comité Audin 1957-1962), s’est donné comme objectifs d’établir la vérité sur les circonstances de l’assassinat de Maurice Audin par des militaires français et sur le lieu où sa dépouille a été enterrée; d’établir la vérité sur la disparition de milliers d’Algériens et de Français pendant la guerre; dénoncer l’utilisation de la torture comme système de terreur à l’égard de la population algérienne et plus largement combattre l’utilisation de la torture contre les peuples dans le monde entier; agir pour la défense des mathématiciens victimes de persécutions et de répression dans le monde entier; renforcer les liens d’amitiés et de solidarité entre les peuples algérien et français, en particulier avec le Prix Maurice Audin de mathématiques.
L’affaire Maurice Audin
Le combat de Josette Audin et de ses enfants, de leurs avocats, de médias, de mathématiciens, d’élus, de militants politiques et associatifs a permis que le 13 septembre 2018, le président de la République Emmanuel Macron reconnaisse la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de Maurice Audin et dans la mise en place d’un système d’arrestations, de tortures et d’assassinats, soutenu par l’ensemble des pouvoirs publics à l’encontre des militants de l’indépendance algérienne.
En 2019, un cénotaphe (monument funéraire ne renfermant pas de dépouille) a été inauguré au cimetière parisien du Père-Lachaise, cimetière où les cendres de Josette Audin, disparue début 2019, ont été répandues. Un représentant de l’ambassade d’Algérie en France assistait à cette inauguration. Ce cénotaphe, qui est le seul monument en France dédié à un combattant de l’indépendance algérienne, a donc acquis une position symbolique importante.
Depuis, chaque année, le 11 juin, date anniversaire de l’enlèvement de Maurice Audin, un rassemblement est organisé autour de la famille, des militants de l’Association, des élus locaux, des parlementaires, des mathématiciens, des historiens, des journalistes.
– Le 11 juin 2021 et les 11 juin suivants, il serait bien que la République française soit représentée au plus haut niveau de son exécutif à cette cérémonie anniversaire.
– Un nouvel appel à l’ouverture d’archives privées et de collecte de témoignages doit être lancé afin de continuer à rechercher des éléments à propos de l’assassinat de Maurice Audin et du lieu où il a été enterré.
Les disparus
La question des personnes «disparues» comme Maurice Audin entre les mains des forces de l’ordre françaises durant la guerre d’indépendance algérienne est une préoccupation majeure de l’AJMA.
Celle-ci soutient depuis son lancement en septembre 2018 le travail de recherche mené sur le site www.1000autres.org, qui fait appel à témoignages sur le sort d’un gros millier de personnes victimes de disparition forcée, restées anonymes depuis leur enlèvement par l’armée française à Alger en 1957. Il a reçu des centaines de témoignages qui lui ont permis à ce jour d’identifier 320 disparus définitifs, morts sous la torture ou d’exécution sommaire, leurs corps restant introuvables.
Le 20 septembre 2019, l’AJMA a coorganisé à l’Assemblée nationale une riche journée d’étude impliquant des historiens, des archivistes et des juristes, consacrée à cette question. L’intégralité des communications et débats a été diffusée en ligne. Au cours de cette journée, le projet d’un recours devant le Conseil d’État pour obtenir la levée de l’entrave à l’accès à certaines archives concernant les disparitions, recours déposé depuis, avait été débattu et formulé.
– La recherche de ces «disparus» doit être menée beaucoup plus activement qu’elle ne l’a été depuis 1962. Un bilan de l’activité du groupe de travail dédié depuis 2012 à cette recherche doit être rendu public. Une véritable campagne d’appel au versement dans les centres d’archives publics des archives privées des acteurs de l’époque doit être menée. L’Association contribuera pour sa part à des initiatives et rencontres en Algérie avec des proches et descendants de disparus.
– Soutenir l’idée avancée par Benjamin Stora de reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel [avocat, ami de René Capitant, compagnon du général de Gaulle, défenestré par l’officier français, Paul Aussaresses, en mars 1957, meurtre avoué par le bourreau dans ses Mémoires]. Cette reconnaissance marquerait un pas supplémentaire dans le fait de regarder en face ce passé colonial, comme une suite de la déclaration Audin, en souhaitant que tous les proches et descendants des victimes de la disparition forcée, de la torture et des exécutions sommaires reçoivent aussi cette réparation symbolique qu’elles attendent du crime dont elles ont été victimes. Le site 1000autres.org fournit la preuve de l’importance de cette question des disparus.
– L’État français et l’État algérien doivent coopérer et mettre en place des moyens afin de recueillir des informations pour identifier les tombes et fosses communes, ainsi que des moyens pour l’identification des corps.
Les archives
Bien qu’une communication « de plein droit » découle de la loi en vigueur pour les archives de plus de 50 ans, une instruction interministérielle (IGI) rend obligatoire une procédure de déclassification préalable pour tous les documents classifiés depuis 1934 !
L’effet immédiat de ce texte est d’interrompre brutalement des centaines de travaux de recherche, dont des thèses de doctorat, dans les archives publiques ayant trait à la vie publique de notre pays. Ce sont des décennies couvrant des périodes aussi sensibles que la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide et les conflits coloniaux ou encore Mai 68, qui sont désormais soumises au bon vouloir et aux faibles moyens humains des administrations, ainsi qu’aux longs délais d’échanges entre les services versants et les centres d’archives alors que la loi de 2008 les rend en principe librement communicables jusqu’en 1970.
Cette IGI asservit la liberté de la recherche et porte une atteinte irrémédiable à ce travail sans quoi il n’existe pas de République démocratique : le respect de la loi. Avec l’IGI-1300, un texte réglementaire se substitue à la loi et va à l’encontre d’un principe fondamental de notre droit intégré à la Constitution « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (art. 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1789).
Elle contrarie considérablement la réalisation de la promesse du président de la République lors de sa visite à Josette Audin d’une plus grande ouverture des archives de la guerre d’Algérie, notamment concernant les disparus. «Aussi, le travail de mémoire ne s’achève-t-il pas avec cette déclaration. Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires. Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’État qui concernent ce sujet» (Déclaration du président de la République le 13 septembre 2018).
Cette situation soulève une vive protestation d’historiens, français et étrangers, d’archivistes et de citoyens.
– L’Instruction interministérielle doit être annulée, et l’accès aux archives être soumis à la loi de 2008. Des directives du Premier ministre et de la ministre de la Culture doivent être données à l’ensemble des administrations détentrices des archives.
– La dérogation générale annoncée par le président de la République le 13 septembre 2018 doit être prise sans tarder
– La venue en France de chercheurs algériens pour consulter les archives françaises doit être facilitée.
– Le guide des disparus de la guerre d’Algérie doit être complété, remanié notamment en ce qui concerne la période couverte ainsi que sur la nature des disparitions, par exemple les cotes d’archives non encore communicables et indiquées dans le guide doivent être rendues communicables par un arrêté de dérogation générale. Le travail du site www.1000autres.org doit être reconnu et aidé par les autorités publiques et une collaboration doit être introduite entre ce site et les équipes des Archives nationales qui ont commencé à établir un Guide des disparus.
Les anticolonialistes en France
Benjamin Stora: «Ces anticolonialistes, intellectuels et militants surtout, sont encore peu connus en France et en Algérie De Louise Michel à Jean Jaurès, d’André Breton à François Mauriac, d’Edgar Morin à Emilie Busquant, la femme de Messali Hadj, ou de Pierre Vidal-Naquet à Gisèle Halimi, les noms et les trajectoires de ceux qui ont refusé le système colonial doivent être portés à la connaissance des jeunes générations, pour que l’on sorte des mémoires séparées, communautarisées».
– Promouvoir cette histoire, qui au-delà des noms connus est celle des «soldats du refus», des éditeurs, des journalistes, des militants politiques ou des manifestants
Le prix de mathématiques Maurice Audin
En 2004, à l’initiative du mathématicien Gérard Tronel et de l’Association Maurice Audin, un prix de mathématiques Maurice Audin a été créé reprenant ainsi l’initiative lancée en 1958 par le mathématicien Laurent Schwartz, président du Comité Audin.
La particularité de ce prix de mathématiques est qu’il est attribué (d’abord chaque année et maintenant tous les deux ans) à deux mathématiciens: un algérien et un français.
Il est d’une grande valeur scientifique car le jury est composé de mathématiciens de renom, algériens et français, certains titulaires de la célèbre médaille Fields (Pierre-Louis Lions, Wendelin Werner, Cédric Villani, Ngô B£o Châu). Afin que les lauréats puissent présenter leurs travaux à leurs collègues, ils reçoivent une somme d’argent couvrant les frais de déplacement. Il est soutenu en Algérie par la direction générale de la recherche scientifique et le ministère chargé de la Recherche scientifique; en France, par l’Institut Henri Poincaré et les sociétés de mathématiques. Ce prix est l’expression d’une volonté de coopération scientifique entre mathématiciens algériens et français.
– Cette initiative inscrite dans la durée mérite d’être mieux connue et valorisée. Des moyens financiers durables [ministère des Affaires Étrangères, ministère de l’Enseignement supérieur ] doivent venir appuyer l’initiative et permettre ainsi de la pérenniser.
– Les chaires de mathématiques Maurice Audin dans les deux pays doivent également être mieux connues et encouragées.
Échanges et liens d’amitiés
Un rapprochement des peuples algérien et français passe par des échanges, échanges réguliers et soutenus dans de nombreux domaines : culturel, scientifique, sportif, associatif. L’accueil réciproque des chercheurs doit être organisé et amplifié.
– Revoir la politique des visas afin de faciliter ces échanges.
– Contribuer à la production d’événements ou de documents, notamment audiovisuels, permettant de faire connaître largement cette histoire et ses enjeux, en particulier aux jeunes. L’association soutient d’ores et déjà plusieurs projets en ce sens.
Le 4 février 2021
L’Association Josette et Maurice Audin communique cette contribution au président de la République ainsi qu’aux ministres en charge des différents sujets : ministre de la Culture, ministre de l’Enseignement supérieur, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur.
Ce document est également adressé à l’ambassadeur d’Algérie en France, ainsi qu’à l’ambassadeur de France en Algérie, ainsi qu’à l’ensemble des médias, français et algériens.
Lorsque la situation sanitaire le permettra, l’Association organisera des rencontres en Algérie avec des proches et descendants de disparus.
Association Josette et Maurice Audin c/o Ligue des Droits de l’homme, 138 rue Marcadet, 75018 Paris.
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Le rapport Stora : vers une commission de justice transitionnelle ?
par Emmanuel Alcaraz *
La proposition la plus importante du rapport Stora est la création d’une commission Mémoires et vérité qui semble s’inspirer de la commission Vérité et réconciliation, l’instance de justice transitionnelle créée en Afrique du Sud pour solder les comptes de l’apartheid.
Si la piste proposée est intéressante, quelques écueils doivent être évités pour que le processus puisse aboutir. Une telle commission ne doit pas devenir un «Tribunal des larmes» enfermant les témoins dans une posture victimaire. En clair, la vérité doit prendre le pas sur les mémoires. Selon la politologue Sandrine Lefranc, auteur de travaux remarqués sur l’expérience de justice transitionnelle sud-africaine, le souci de ce «tribunal des larmes» a été de mettre en scène une parole victimaire dirigée obligeant les témoins à un impératif de réconciliation. La justice transitionnelle privilégie également la recherche de compromis contrairement à la justice pénale qui favorise la division, ce qui est conforme aux buts recherchés ici : réconcilier les Français et les Algériens.
Généralement, les commissions de justice transitionnelle sont plutôt utilisées pour résoudre des problèmes intérieurs et pas pour solder les comptes d’un conflit mémoriel opposant deux Etats. Elles ont été employées en Amérique latine pour œuvrer à la transition démocratique, après des génocides ou des guerres civiles. Le Maghreb a aussi connu de telles expériences au Maroc avec l’Instance équité et réconciliation sur les «années de plomb» sous le règne de Hassan II et l’Instance vérité et dignité en Tunisie sur la période Bourguiba et Ben Ali. Par contre, l’Algérie a jusqu’à maintenant ignoré de telles procédures après «la décennie noire» dans les années 1990. Le gouvernement algérien a préféré adopter une loi sur la concorde civile en 1999 et une Charte pour la paix et la réconciliation nationale en 2005. A ma connaissance, c’est la première fois qu’une instance de justice transitionnelle est utilisée à propos d’une guerre coloniale. Mais, la guerre d’Algérie a aussi été une guerre civile y compris entre Français, ce qui justifie le choix opéré. De surcroît, jusqu’à maintenant, ces instances ont été créées pour gérer à chaud une transition politique, pour apaiser des sociétés menacées d’implosion. Ici les faits remontent à une soixantaine d’années, ce qui rend possible la distance critique et l’impartialité, même si les guerres mémorielles ont continué.
L’autre difficulté du rapport Stora dans sa mise en œuvre est la multiplication de groupes et de commissions sur les massacres d’Européens à Oran le 5 juillet 1962, sur les disparus aussi bien Européens qu’Algériens, sur la question des Archives, même si l’Instance Mémoires et vérité demeure le pôle central. Pour la mise en œuvre, ce n’est pas sans poser des questions techniques rendant la chose complexe, si des conflits venaient à apparaître entre ces différentes instances, ce qui pose le problème du pilotage de l’ensemble et de son autonomie par rapport au pouvoir politique. Reste aussi la question de la réponse algérienne à ce rapport. Le gouvernement algérien acceptera-t-il de participer à cette initiative en sachant que dès le départ, la question des excuses est évacuée par l’Elysée et par Benjamin Stora ? Si la question des excuses n’est pas une question intéressant les historiens, mais les politiques et les citoyens, à titre personnel, je regrette que la réponse soit rendue au départ alors qu’il aurait peut-être fallu attendre les résultats des travaux de cette Instance Mémoires et vérité dont la feuille de route semble bien cadrée.
Ce choix traduit bien à un an des élections présidentielles les effets de la «zemmourisation» des esprits, le célèbre journaliste Eric Zemmour animant tous les soirs une émission sur une chaîne d’information continue où cet admirateur du Maréchal Bugeaud, qui est le champion des nostalgiques de l’Algérie française, est en passe de devenir l’intellectuel dominant des droites conservatrices et de l’extrême-droite. La France est un pays où Marine Le Pen a obtenu 33,9% des voix en 2017 au second tour des présidentielles, avant les Gilets jaunes et avant la pandémie de la Covid se traduisant par une diminution de plus de 8% du PIB en France. Et, l’extrême-droite, le national-populisme, le camp des anti-Lumières, progresse sur la misère. Il devenait donc nécessaire dans un rapport commandé par le président Macron d’évacuer cette question des excuses pour ne pas subir le flot de critiques d’une partie de la droite républicaine et de l’extrême-droite pendant la campagne électorale de 2022. Lorsque Pascal Blanchard déclare qu’après ce travail de déconstruction mémorielle fait des deux côtés de la Méditerranée, viendra le temps de réfléchir aux excuses, à la manière ont il faudra tourner la page, à l’acte symbolique majeur, c’est totalement illusoire et cela n’est pas la vérité. Il tente ici une opération de communication auprès du public algérien. Le contexte politique a grandement changé en France depuis les déclarations du candidat Emmanuel Macron sur la colonisation comme crime contre l’humain en 2017. Il n’y aura pas d’excuses du gouvernement français, point barre. Stora a eu au moins le mérite et l’honnêteté d’être clair. Aucune force politique d’envergure ne porte plus cette revendication de repentance de la République française y compris les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, dont les positions par rapport au passé colonial sont en retrait par rapport à celles du président Macron. L’influence des «décoloniaux» est limitée à quelques cercles médiatiques, militants et intellectuels restreints et ne mobilise pas les jeunes en France issus de l’immigration dans les territoires dits sensibles de la République. Telle est la situation en France aujourd’hui. Le rapport Stora ne fait que tirer les conclusions de cette réalité. Dans ce document, les références au précédent du gouvernement japonais qui s’était excusé auprès des Coréens ne sont qu’une justification scientifique d’une décision politique. Au gouvernement algérien de voir s’il accepte d’entrer dans ce processus dans ces conditions, s’il y voit quelque intérêt. L’historien Guy Pervillé a rappelé que cette demande des excuses du gouvernement algérien n’est apparue que dans les années 1990. Elle n’existait pas auparavant.
Toutes ces commissions et groupes de travail sont aussi proposés pour que les Algériens puissent choisir les thématiques où ils acceptent de participer et celles où ils ne viendront pas. Concernant la commission historique proposée sur les massacres d’Oran en juillet 1962, il est possible que les autorités algériennes n’acceptent pas d’y participer. Mais, je pense qu’elles le devraient dans le sens où cela permettrait d’apporter une réponse définitive à des rumeurs et des contre-vérités circulant en France sur ces questions. A titre personnel, j’ai fait des recherches non encore publiées et j’ai des éléments nouveaux allant dans ce sens.
Il est indéniable que ce travail est salutaire pour réconcilier la société française dans un pays où l’extrême-droite et même une partie de la droite républicaine, mais aussi une partie de l’extrême-gauche, ont sans cesse cherché à instrumentaliser les questions mémorielles relatives à la guerre d’Algérie pour s’affirmer sur la scène politique. Il y a toutefois un passage dans le rapport qui me paraît discutable ou du moins relever d’une interprétation optimiste. Stora écrit : «Les harkis dont le général de Gaulle ne souhaitait pas le rapatriement par crainte d’une possible instrumentalisation de leur histoire par l’extrême-droite». J’ai une autre interprétation. Je laisse le lecteur juge. Le 3 avril 1962, le général de Gaulle, devant le Comité des affaires algériennes, déclare : «Les supplétifs algériens sont un magma d’auxiliaires qui n’a jamais servi à rien et dont il faut se débarrasser sans délai». Autre passage, particulièrement éloquent, le général déclare : «On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu’ils ne s’entendront pas avec leur gouvernement. Le terme rapatrié ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne reviennent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés». Il me semble à la lecture de ces déclarations que la manière dont le général de Gaulle a réglé la question des harkis a peu à voir avec l’extrême-droite. Je crois, et c’est mon interprétation, que Stora, en homme de gauche, à la manière d’André Malraux ou de David Rousset, idéalise quelque peu le général de Gaulle, qui est certes l’homme du 18 juin, mais qui est bien issu de cette droite bonapartiste, gaulo-barresienne, qui a refusé le régime de Vichy, pour reprendre la célèbre typologie de René Remond qui a eu comme élève le jeune Benjamin Stora. Sur de Gaulle, tout comme Churchill au Royaume-Uni, il y a quand même quelques points où la critique est possible comme l’ont montré les travaux de Maurice Vaïsse et d’historiens anglo-saxons comme Todd Shepard et Julian Jackson. Dans ce que Stora appelle l’extrême-droite au moment de la guerre d’Algérie, comptant le dernier carré des partisans de l’Algérie française, Stora oublie de mentionner que dans ce groupe il y avait beaucoup d’anciens gaullistes, de résistants ou de soldats ayant participé à la libération du territoire français pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais, il le fait dans d’autres textes et dans ces documentaires, me semble-t-il. Tous ces aspects sont bien connus du président Macron qui a une connaissance intime, et non uniquement académique comme Benjamin Stora, des cultures politiques de droite comme le président a fait sa scolarité dans le secondaire dans un lycée catholique privé à Amiens. D’une certaine manière, de Gaulle est la statue du commandeur qu’il ne faut pas toucher dans un rapport à finalité mémorielle, le dernier grand mythe français, un peu comme Boumediene en Algérie ou Bourguiba en Tunisie.
L’histoire franco-française est compliquée, au moins autant que l’histoire algéro-algérienne. Rude tâche que de reconnaître ce qui nous fait tant de mal et qui mine nos sociétés depuis des années. Cela demande un effort particulier sur soi. A titre personnel, j’aurais tendance à me référer davantage à Clemenceau, qui a défendu Dreyfus et qui était anticolonialiste. Clemenceau a voulu se faire enterrer avec le bouquet que lui avait offert un tirailleur algérien dans les tranchées. A chacun son grand homme. Comme les socialistes l’ont dit à propos de François Mitterrand, il faut faire l’inventaire. Et, Stora l’a fait à l’égard du président socialiste, en rappelant son refus de gracier les patriotes algériens, condamnés à mort, ce qui aurait peut-être alimenté une certaine culpabilité, selon l’historien, expliquant son soutien au combat abolitionniste de Robert Badinter ayant abouti à la suppression de la peine de mort en France en 1981. Stora n’a pas jugé bon de mener ce travail critique à l’égard du général de Gaulle préférant peut-être sur ce point le roman national à l’histoire. D’ailleurs, même l’action du«tigre», surnom de Clemenceau peut être critiquée, notamment sa politique vis-à-vis du mouvement ouvrier français et la loi Jonnart, après la Première Guerre mondiale, qui s’est heurtée aux intérêts des gros colons, était bien timide. Et, Clemenceau a été contraint à la démission en 1920, l’Assemblée lui ayant préféré à la présidence de la République le quasi-oublié Paul Deschanel démissionnaire quelques mois plus tard à cause de sa situation mentale.
Hormis ce point qui peut être sujet à un beau débat, le rapport de Benjamin Stora est indéniablement d’une grande qualité. Les gestes symboliques proposés par le rapport, s’ils sont acceptés par le président Macron sont des pistes très riches, mais ne sont pas exhaustives. Certains sont aussi des concessions aux associations des rapatriés. Le rapport demande «de donner à des rues de communes françaises l’inscription de noms de Français particulièrement méritants, en particulier, médecins, artistes, enseignants, issus de territoires placés sous la souveraineté de la France». C’est une bonne idée à condition que ces Français aient eu des positions progressistes en situation coloniale, vis-à-vis des Algériens et que ces derniers le reconnaissent aujourd’hui. Sinon, cela pourrait être interprété comme une concession aux défenseurs de l’héritage positif de la colonisation. Je pense que pour les Oranais célèbres, des rues Yves Saint Laurent, s’imposent à titre d’exemple ou encore Emmanuel Roblès, l’ami d’Albert Camus et de Mouloud Feraoun. Robles a fait publier son journal à titre posthume. A titre personnel, j’aurais ajouté au calendrier des commémorations, le 5 juillet, qui est la fête de la jeunesse en Algérie et le 1er novembre 1954 qui est une proposition en France de l’historien Guy Pervillé. Pourquoi seulement retenir Ali Boumendjel ? Pourquoi ne pas inclure également Larbi Ben M’hidi et d’autres personnalités représentatives de tous les courants du nationalisme algérien ? J’aurais insisté sur les six martyrs de la coopération franco-algérienne assassinés par l’OAS le 15 mars 1962 : trois Algériens et trois Européens : Mouloud Feraoun, Ali Hammoutene, Salah Ould Aoudia, Max Marchand, Marcel Basset et Robert Eymard. Peut-être que le rapport de l’historien Abdelmadjid Chikhi viendra combler ces oublis et d’autres, non vus par moi, en sachant que cet exercice permet difficilement l’exhaustivité et qu’il faut faire des choix suscitant forcément approbation des uns et regrets des autres. L’important est d’avancer en ayant une démarche constructive véritablement nécessaire afin que les liens entre l’Algérie et la France soient renouvelés et soient l’axe moteur d’un nouveau partenariat euro-méditerranéen et euro-africain, de la même manière que l’axe franco-allemand est le pivot de l’Union européenne. C’est aux Algériens et aux Français de voir s’ils veulent construire ensemble la route des Lumières, qui me paraît davantage spirituelle et émancipatrice, si ses principes sont véritablement appliqués, que la très matérialiste route de la soie où l’Algérie ne serait qu’une étape secondaire.
*Docteur en histoire