Origines et aspects méconnus de la conquête de l’Algérie. Partie n° 10

     

Alger sous la Régence turque

 Au moment où les troupes françaises débarquaient à Siddi-Ferruch en 1830, l’Algérie existait-elle en tant que Nation souveraine et indépendante dotée d’un Etat ?

Cette question mérite d’être débattue. Pour cela essayons d’y voir un peu plus clair.

Depuis la création par les Turcs de la Régence d’Alger, toute l’organisation administrative, militaire et religieuse était entre les mains des Pachas sous tutelle de la Sublime Porte. Les Maghrébins s’étaient mis au service des Turcs, ils étaient surnommés les « Turcs d’Alger ». Ils s’étaient constitués en organisation militaire, cette organisation ne devait subir aucun changement profond jusqu’à la conquête du Maghreb par les Français sous Charles X.

Cette organisation militaire était une milice composée en grande partie de janissaires regroupés en ojâq (foyer). Les Janissaires composaient ce corps d’élite qui pesait sur les affaires, par leur influence.

Au départ, ces milices se composaient de Chrétiens enlevés par les corsaires turcs, pendant les « courses », ainsi que dans les populations en Anatolie.

A Alger, ils devenaient une sorte de « petite aristocratie ». Ceux qui gagnaient du grade par l’ancienneté, pouvaient devenir un Agha ( commandant général de la milice), ou des mensoulhaga. Les ortas (compagnies) vivaient en casernes. Ces milices animées d’un puissant esprit de corps tenaient leur « Divan » (conseil) pour la défense de leurs intérêts. Elles ne tardèrent pas à les confondre avec celles du Pacha.

Elles prirent un tel pouvoir dans les affaires à la fois administratives, militaires, qu’elles dominèrent toutes les questions gouvernementales concernant la Régence d’Alger.

« Ses coups étaient dirigés non seulement contre les beylerbeys, mais contre la caste rivale des raïs qui les appuyaient ».

Le Gouvernement des Beylerbeys.

Les beylerbeys (Émir des Émirs) étaient désignés par le Sultan et gouvernaient la Régence, par l’entremise des Kalifas. Ils exerçaient leur suzeraineté sur les Pachas de Tunis et de Tripoli, se comportant en « véritables « rois d’Alger ».

Tout les liait au Sultan Sublime Porte, à laquelle ils vouaient fidélité. Tout ce que le « Grand Seigneur » de la Sublime Porte commandait, les Beylerbeys l’exécutaient. Les ordres venus de Constantinople déclenchaient toute action ou entreprise de la Régence d’Alger.

A Alger, les Beylerbeys vivaient dans « la jenina » (jardin). Il s’agissait du palais beylical, vastes bâtiments (Dâr es-Soltân), ornés de cours et de fontaines, jets d’eau, dignes des Mille et une nuits.

Les Pachas, grâce à l’anarchie qui régnait dans le pays, ne se contentaient pas d’Alger, mais étendirent leurs conquêtes et l’exploitation des Algériens, renforçant leur pouvoir aidés en cela par les confréries et les garnisons (mounas), placées un peu partout dans les villes stratégiques du Maghreb.

Ils mirent en place un système d’impôts très lourd qui pressurait les populations. Pour recouvrir ces impôts, ils avaient recours aux tribus Makgzen. Ils créèrent des corps expéditionnaires, (les mehallas), collecteurs d’impôts.

« Tout l’or que le Pacha ne versait pas au Sultan pour s’assurer ses faveurs, grossissait son trésor ».

De plus en plus méfiants devant le pouvoir des Janissaires, les beylerbeys engagèrent des contingents kabyles, les Zwawa, pour créer une armée un peu plus fidèle.

Mais la méfiance du Sultan de la Sublime Porte allait croissant, devant ces milices organisées. Il redoutait la création au Maghreb, d’un Etat indépendant et rival, tout autant qu’un Empire maritime par la Régence d’Alger, qui aurait menacé directement la Sublime Porte.

Aussi, la Turquie usa de toutes les armes politiques et diplomatiques à sa disposition pour empêcher la Régence de réaliser son dessein : devenir un véritable État souverain au sein d’un grand empire maritime maghrébin.

Pour cela, les Turcs se servirent de l’exemple des conceptions européennes en matière de délimitations frontalières, chose absolument inconnue des dynasties maghrébines, qui ne connaissaient que le principe des « confins ».

Les Turcs substituèrent aux « confins », la notion de « limite précise ». Ils furent à l’origine de la « distinction qui s’opéra au XVIe siècle, entre cette partie du Maghreb central et la Tunisie » (Ifriqya).

NB : Les appellations « Algérie » et « Tunisie » ont été inventées par les Français et datent de la conquête par la France en 1830, au XIXe siècle.

Les pachas d’Alger.

A partir du XVIe siècle, les Régence d’Alger et de Tunis connurent plusieurs révolutions. Les Pachas cherchèrent à se dégager de l’autorité de la Sublime Porte, rompant en quelques sortes leur allégeance avec le Sultan. Ils refusaient d’être dirigés par des fonctionnaires au nom du Sultan.

Plusieurs fois par semaine le Pacha réunissait le Divan et précédait tous ses actes par la formule : « Nous, Pacha et Divan de l’Invincible Milice d’Alger ». Mais ils ne contrôlaient plus les Janissaires et les raïs.

Plusieurs factions se disputaient âprement les affaires publiques. Ces conflits renforcèrent le pouvoir des Aghas, des Deys et des Beys.

Les Pachaliks africains, petit à petit autonomes, développèrent la « course » sans tenir compte des décisions émanant de la Sublime Porte.

Les deux Régences, Tunis et Alger, entrèrent dans des conflits armés, se disputant la primauté des activités des corsaires.

A Alger, les émeutes, massacres, complots se multiplièrent ; le Pacha n’étant plus qu’un gouvernement fantoche.

La tutelle des Janissaires.

Elle se renforça. Kheder Pacha tenta de secouer le joug avec le concours de Koulouglis, écartés des affaires publiques, et des Kabyles, considérés par les Turcs comme des populations inférieures.

Une milice de 22 000 ioldachs se forma et demanda des comptes au Pacha, lui reprochant de s’enrichir sur leur dos, en détournant leur solde et par les impôts.

Le Divan supprima au Pacha la prérogative du paiement de la solde, la désignation des caïds, ne conservant qu’un titre honorifique.

S’en suivirent des émeutes. « Le nouveau régime des milices instaura l’assassinat comme procédure régulière de succession ».

Quatre Aghas furent massacrés par l’Ojaq entre 1659 et 1671.

12 ans plus tard, les « raïs » s’en prirent à l’Agha Ali, à qui ils reprochaient sa faiblesse devant les Européens. Il fut exécuté ainsi que sa femme par la milice. Après cet épisode, les candidats à la succession d’Agha se raréfièrent.

Les révolutions en Ifriqya (Tunisie).

Régime analogue à celui d’Alger. Un Pacha à la tête de la Régence, et une milice turque, puis levantine, des Koulouglis, le tout commandé par un Agha indépendant du Pacha, une « taïfa des raïs », toujours flanquée des tribus Makhgzen chargées de lever l’impôt. Cette organisation similaire à Alger, générait les mêmes genres d’émeutes.

L’Ojacq comprenait 40 sections de 100 hommes, à la tête de laquelle un Dey. Ces milices souffraient de l’arrogance affichée des odobachi (lieutenants) et de leurs boulouk-bachi (capitaines) qui siégeaient au Divan et supplantaient le Pacha.

En 1590, éclata une révolte pour briser leur prépondérance. Les boulouk-bachi furent massacrés.

Un Dey fut élu pour commander la milice en collaboration avec l’Agha. Sitôt élu, le Dey ne cessa de chercher à supplanter le Pacha et devint le véritable chef du Gouvernement de la Régence.

3eme Dey, Othman, homme d’autorité « réduisit le Divan au rôle de chambre d’enregistrement et le Pacha au vain honneur de recevoir le caftan ».

Au XVIe/XVIIe siècle, la Tunisie (Ifriqya) vit la puissance des Beys supplanter celle des Deys.

Othman Dey, de (1590-1619), soumit les tribus rebelles. Youssouf, son gendre, fut un grand protecteur de la piraterie et lutta constamment contre les insurrections arabes.

Le titre de Bey devint avec Mourad, héréditaire.

« Dès lors, l’influence héréditaire des Mouradides ne cessa de s’affirmer ».

Hamouda Bey accrut son prestige, en mettant fin à des défections de tribus arabes et en rattachant Jerba au Pachalick de Tunis.

Les successeurs de Mourad s’installèrent au Palais du Bardo, en souverains. Vingt ans de guerre civile suivirent la mort de Mourad.

« Le pouvoir des Mouradides finit par sombrer dans un complot militaire ».

La différence entre la Régence de Tunis et la Régence d’Alger est notable.

Bien qu’agitée, l’Ifriqya (Tunisie) ne connut pas avec autant d’intensité, comme sa voisine, l’ anarchie où sombrait trop fréquemment et facilement la Régence d’Alger.

La Tunisie avait un passé et des traditions. Sous la dynastie Hafçid, elle ne s’était pas désintégrée. La Tunisie jouissait d’une culture citadine héritée des Carthaginois, d’un gouvernement de maintien de l’ordre, si bien que même l’autorité turque se « coulait dans le moule que l’Ifriquiya imposait à ses maîtres », ce, depuis des siècles. Il y avait une continuité administrative.

Au XVIIIe siècle, les Hosaïnides transformèrent la Régence de Tunis en un État corsaire, mais un Etat organisé.

Ce qui ne fut jamais le cas de la Régence d’Alger.

Aucun État souverain, stable et organisé, ne put naître de la tutelle turque dans le Maghreb central, (actuelle Algérie) malgré quelques tentatives, et de la désorganisation causée par les guerres intestines entre tribus rebelles, montées les unes contre les autres par les Turcs eux-mêmes, qui les utilisaient au nom de leurs propres intérêts.

Telle était la situation de la Régence d’Alger, lorsque les Français y débarquèrent, en 1830, au XIXe siècle.


Cet article a pu être rédigé à partir de la thèse de Pierre Gourinard, Historien, Docteur-ès-Lettre, intitulée « Les royalistes français devant la France dans le monde », présentée à l’Université de Poitiers en 1987 et de l’ouvrage du même auteur, édité en 1992 chez Lacour-Editeur, (préface de Jacques Valette professeur de l’Université de Poitiers).

Sources bibliographiques complémentaires pour les parties 2-3 et suite :

Encyclopédies Alpha, Larousse, Quillet.

Histoire de la civilisation Will Durant.

Le destin tragique de l’Algérie française – Collection dirigée par P. Miquel.

Charles-André Julien – Histoire de l’Afrique du Nord – Éditions Payot -1952

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