Qui veut donc affamer le monde ?

         Par Mourad Benachenhou

«Le Premier ministre ukrainien, Denys Shmyhal, a condamné, jeudi 20 juillet, la décision de la Pologne de prolonger l’embargo sur les exportations de céréales ukrainiennes vers l’Union européenne, la qualifiant de ‘‘mouvement inamical et populiste’’. ‘‘Pendant cette période critique, la Pologne a l’intention de continuer à bloquer l’exportation de céréales UA (ukrainiennes) vers l’UE. Il s’agit d’une décision hostile et populiste qui aura de graves répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale et l’économie ukrainienne’’, a-t-il écrit sur Twitter. Cinq pays d’Europe centrale souhaitent que l’embargo de l’Union européenne sur les importations de céréales en provenance d’Ukraine soit prolongé au moins jusqu’à la fin de l’année. L’interdiction doit expirer le 15 septembre.»
(Agence Reuters, 20 juillet 2023)

Le droit à l’information complète et sans censure, que celle-ci soit imposée par les autorités publiques ou qu’elle soit établie par consentement volontaire des propriétaires des médias et de leurs journalistes, fait partie des principes intangibles proclamés des «démocraties avancées» qui financent même des «organisations non gouvernementales», chargées de classer les pays selon le degré de liberté dont dispose leur presse.

La vérité et l’objectivité, grandes victimes de la crise militaire
Le citoyen de ces «démocraties» est censé posséder la capacité de réflexion lui permettant de faire la distinction entre «informations objectives», ne faisant que rapporter des faits avérés et de présenter des analyses prenant en compte des «opinions opposées» d’un côté, et «pure propagande» de l’autre, dont l’objectif est d’influer sur cette opinion pour la convaincre d’adopter des vues qui ne reflètent pas la réalité des situations et des évènements.
Ce droit à l’information ne saurait souffrir aucune exception, et est valide en temps de paix comme dans les situations de crises les plus aiguës.
À suivre les «médias internationaux» et leur couverture des évènements tragiques qui secouent l’Est européen, on a la pénible impression que la vérité et l’objectivité sont loin d’être des principes guidant les médias, et qu’ils trompent leurs lectrices et leurs lecteurs tout comme leurs auditrices et leurs auditeurs, et qu’ils se sont tout simplement mis à la disposition des autorités de leurs pays dont ils épousent aveuglément les points de vue et répètent, sans tenter de les passer en revue, le moindre de leurs déclarations qu’ils présentent au public comme des vérités absolues. Dans ce contexte, on ne peut que contester la validité de leur couverture de la crise et adopter à l’égard de leur contenu la position de doute absolu ; on peut même aller jusqu’à interdire leur accès à la lectrice et au lecteur, comme à l’auditrice et à l’auditeur des pays non impliqués dans cette crise, et qui en sont également «les victimes collatérales» au vu des retombées qu’elle a directement ou indirectement sur leur économie et sur leur situation sociale.
Le tout récent rebondissement dans ce conflit ne peut que susciter l’inquiétude des pays qui ne peuvent couvrir leurs besoins en produits céréaliers que par l’importation et dont la facture ne peut que s’élever. Les gouvernements, tout comme les médias des «démocraties avancées», parties directes au conflit, et faisant tout pour entretenir le feu de ce conflit, et même pour provoquer un embrasement généralisé à l’échelle planétaire, où la survie de la race humaine pourrait être en jeu, mettent le blâme de cette crise alimentaire qui fait planer sur les populations les plus pauvres de la planète un risque réel de famine, font porter la responsabilité de la situation à un seul pays, pour ne pas dire «un seul homme», «désigné» comme seul responsable du conflit, et refusent de reconnaître leur propre responsabilité dans la provocation de ce conflit.
Les gros titres de la «presse libre» tout comme les journaux des radios et chaînes de télévision des pays membres de la plus puissante alliance militaire ne font ni dans le détail ni dans la nuance pour qualifier la décision prise par leur «ennemi» et ameuter l’opinion publique internationale contre lui, plus particulièrement dans les pays qui risquent d’être les plus touchés par l’arrêt des exportations de céréales à partir de l’Ukraine.
Il est évident que l’on ne peut que déplorer les perturbations dans le marché international des céréales dues à l’interruption de ces exportations.

Faire porter le blâme à un homme pour la crise alimentaire mondiale menaçante : pure propagande de guerre !
Mais, en ne focalisant que sur une partie au conflit l’attention de leurs concitoyens comme des citoyens des autres pays du monde non concernés directement par la crise actuelle, les dirigeants comme les médias des «démocraties avancées» ne font pas preuve de la plus grande des bonnes fois et manquent à leur obligation de fournir toutes les informations ayant un rapport avec cette situation de crise, et de situer, de manière claire, les responsabilités des uns et des autres dans cette crise. On tentera ici de présenter les données relatives à cet état de fait, d’autant plus que les pays les plus vulnérables, auxquels on demande, par une campagne de «relations publiques» mondiale, de prendre fait et cause pour une seule des parties en conflit, sont ceux qui seront le plus gravement impactés par la crise alimentaire à venir.
1. La Russie est un des plus grands exportateurs de céréales et d’engrais dans le monde. Depuis février 2022, elle est frappée de sanctions économiques et financières par les pays partie directe au conflit, et causes directes de son intensification. La partie de produits céréaliers par laquelle elle contribuait à l’approvisionnement des marchés mondiaux a été quasi entièrement interdite d’accès à ce marché par ces sanctions. Elle ne peut ni procéder au transport maritime de sa production ni effectuer les transactions financières lui permettant de recouvrer les montants qui lui sont dus par ses clients.
Ses exportations par pipeline de son ammoniac, produit de base dans les engrais à usage agricole, interrompues à la suite d’un sabotage délibéré, sont arrêtées. Donc, avant même que surgisse la question des exportations de céréales en provenance de l’Ukraine, le marché mondial des céréales et des engrais était déjà perturbé par l’imposition de ces sanctions bloquant l’accès des produits céréaliers et des matières de base des engrais au marché international. Ces sanctions n’ont — faut-il le souligner encore une fois ? — aucune base légale dans le droit international, et leur mise en œuvre dans des cas similaires à ceux par lesquels elles ont été justifiées pour frapper la Russie n’est nullement probante : la jurisprudence, si l’on peut employer ce terme dans cette situation d’arbitraire, appliquée dans d’autres cas d’agressions, passés ou en cours, par des puissances extérieures contre des États souverains, est loin d’être avérée. On ne va pas faire ici la liste des «pays agresseurs» qui n’ont jamais fait l’objet de sanctions internationales, et qui, pourtant, sont des récidivistes non repentis et persistant dans l’invasion, la destruction et l’occupation illégale de pays «membres de l’ONU», ces pays réfractaires au droit international et à la charte des Nations unies, et multirécidivistes dans l’agression armée, sont trop connus pour qu’on ait à les rappeler à la mémoire des lecteurs. Pour conclure ce paragraphe, les sanctions contre la Russie ont une grande part dans l’état actuel du marché international des produits agricoles. La levée de ces sanctions permettra de réduire les tensions sur ces marchés, et d’aboutir à l’heureuse situation d’un surplus ayant un impact positif sur les prix mondiaux de ces produits.
2. Comble du paradoxe, alors que l’Union européenne donne de la voix pour condamner la décision russe de mettre fin à l’accord d’exportation des céréales ukrainiennes, négocié entre la Russie, les Nations unies et la Turquie, elle a, depuis une année, suspendu les exportations de ces mêmes produits ukrainiens vers les territoires de ses pays membres, car faisant concurrence à la production locale.
D’après la presse internationale, l’UE a décidé, le 15 juin de la présente année, de maintenir la suspension des exportations de céréales ukrainiennes vers les pays qui en font partie, et six de ces pays viennent de saisir ses instances pour maintenir en permanence cette suspension ! Si on comprend bien, tant qu’il s’agit de fournir une aide sous la forme de matériel ou d’entraînements militaires à l’Ukraine, l’Union européenne est prête à «mettre le paquet» sans restriction aucune et sans crainte de voir le conflit déboucher sur une confrontation nucléaire, qui est loin d’être une hypothèse d’école, mais représente une menace quasi immédiate, vu l’importance et le caractère vital des intérêts en cause.
Assurer la destruction «absolue» de l’Ukraine pour atteindre des objectifs stratégiques qui sont loin d’être assurés, vu le déséquilibre dans la balance de la puissance des pays en confrontation, ne pose, semble-t-il, ni cas de conscience ni problème de coûts.
3. Mais donner à l’Ukraine accès au marché céréalier européen pose problème, alors que cela lui permettrait, non seulement de réduire le poids de l’aide financière que lui accorde ses «alliés» pour poursuivre sa «résistance», mais également de libérer une partie de la production de ces pays en vue d’alimenter le marché international des produits céréaliers.
La crise ukrainienne a permis de créer une situation artificielle de rareté sur le marché céréalier mondial, et est ainsi devenue une occasion de spéculation sur ce marché au profit des pays qui se présentent comme ses »alliés» indéfectibles, certes, mais pas au point de sacrifier leurs intérêts économiques pour la soutenir. La guerre en Ukraine est devenue ainsi une occasion de surprofits au bénéfice de ses alliés et ses défenseurs les plus vocaux !

En conclusion
Les sanctions imposées par les pays, membres de la coalition soutenant l’Ukraine, ont imposé à la Russie, de manière unilatérale, et sans base légale ou jurisprudence acceptée par la communauté internationale, des sanctions économiques et financières, qui l’empêchent de mettre sur le marché international des céréales et des engrais, son surplus de production. Ces sanctions ont déjà eu un impact négatif sur les prix internationaux de ces produits.
D’autre part, l’Union européenne a, depuis plus d’une année, et à la demande de certains de ses pays membres, suspendu les importations de produits agricoles en provenance de l’Ukraine, aboutissant donc à l’augmentation des prix de ces produits sur cet espace politique et économique, permettant à ces pays de spéculer sur leurs produits, et en même temps, réduisant leurs propres surplus agricoles qui pouvaient être vendus sur les marchés internationaux.
Mettre le blâme de la situation éventuelle de crise alimentaire dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables sur la seule Russie, sans tenir compte des conséquences de décisions unilatéralement prises par les membres de la coalition et ayant un impact direct ou indirect sur le marché international des produits alimentaires ne reflète nullement la réalité de la situation dans cette affaire. Les instances internationales doivent s’attaquer à tous les aspects de cette question et exiger que les parties en cause prennent les mesures de mettre un terme à une situation que certains États mettent à profit pour engranger des gains monétaires importants, tout en mettant tout le poids de la responsabilité de cette situation de spéculation sur le dos d’un pays, si ce n’est d’un seul homme.
M. B.

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