Algérie-France. 132 ans de confrontation implacable (1830-1962). Essai de Aissa Kasmi, Editions Imtidad, Alger 2022, 324 pages, 1500 dinars
324 pages, 17 chapitres… qui se parcourent assez vite tant le récit est prenant. Un véritable roman de l’Algérie colonisée durant cent trente-deux ans par la France puis libérée grâce à un dur combat contre l’occupant et ce durant 7 ans, 4 mois et 18 jours de guerre: Au départ le refus par la France royale et impériale de régler des dettes détenues par l’Algérie… des dettes accordées alors sans aucun intérêt, dans un esprit d’amitié, de générosité et de bon voisinage… suivi d’un prétendu «coup d ‘éventail» (la belle excuse !) que le Dey aurait commis à l’endroit du consul Deval.
Tout cela alors que, déjà, en 1808, Napoléon avait entrepris grâce à ses espions une topographie de la côte algéroise avec la désignation de la baie de Sidi Fredj comme lieu idéal pour le débarquement. C’est dire le machiavélisme ! 35.000 hommes, 4.000 chevaux, 103 vaisseaux de guerre et 350 bâtiments de transport. Le reste est une longue et interminable liste de massacres, de vols et de viols, de spoliations des biens et des terres (au profit, pour la plupart, de «gens de peu», venus d’Europe), d’enfumades, d’exécutions souvent sans jugement avec une guillotine «importée» pour la circonstance, de déportations (plus de 2000 nationalistes déportés seulement en Nouvelle Calédonie), la conscription obligatoire des jeunes algériens afin qu’ils participent aux guerres européennes… face à des résistances populaires, souvent frontales, parfois adaptées mais jamais interrompues. Un racisme et un apartheid ne disant pas leurs noms ! Les populations indigènes réduits à des sous-humains, à des animaux et affublés de qualificatifs méprisants : bicots, ratons, bougnoules… On estime à 8 à 10 millions le nombre d’Algériens ayant péri à cause du joug colonial entre 1830 et 1954
Puis vint la Révolution armée avec au départ, en novembre 54, des moyens très limités mais portés par le courage et l’engagement. Avec ses milliers de héros (dont les «Six» et les «22»… et des centaines de sympathisants et de militants d’origine européenne, en Algérie et en France), ses centaines de milliers de martyrs, ses dizaines de lieux et de combats de légende, ses étapes fondatrices (20 août 55, Congrès de la Soummam en août 56, création du Gpra en septembre 58, manifestations populaires de décembre 60… ) et ses moments tragiques (dont la lutte menée contre les éléments du Mna en France même et en Algérie puis la politique de la «terre brûlée» de l’Oas). Là aussi, les qualificatifs méprisants reprirent : rebelles, fellagas, hors-la-loi, terroristes, fellouzes, bandits,… La torture institutionnalisée, les bombardements, des massacres, le napalm, des zones interdites et minées (9 millions d’engins posés le long des frontières ), les regroupements de populations, les camps de concentration, une guillotine qui reprit de plus belle son œuvre macabre…
1 million et demi de martyrs, 200 000 disparus sans tombes, 3 millions de personnes placées dans des camps, 400.000 prisonniers, 325.000 réfugiés, 8.000 villages détruits… Puis, mars et juillet 62. Avec l’Indépendance au bout du chemin… La quatrième puissance mondiale (800.000 militaires en permanence dont 23.000 placés aux frontières, 550 officiers supérieurs dont 60 généraux et 700 colonels et lieutenants colonels, plus de 1.500 commandants, 63.000 harkis… contre à peine 17 colonels et 65 commandants côté algérien, la plupart sans aucune formation militaire ni diplômes universitaires, et 1.000 milliards dépensés chaque année… contre 30 côté Fln)… pourtant dotée des armes les plus destructrices et adossée à l’Otan venait de «rendre les armes»… et remplacer sa quatrième République.
C’est tout cela que nous propose Aissa Kasmi avec la conviction du (jeune) combattant qu’il fut et la rigueur et la précision du chercheur en Histoire, désormais consacré, qu’il est.
L’Auteur : Né le 20 mai 1942 à Toudja (Laazib). A 17 ans, il se retrouve projeté fortement dans la lutte de libération nationale. Moudjahid dans la wilaya VI historique. Carrière dans la Police algérienne (1962- 1998). Retraité, très actif dans l’activité socio-éducative et l’écriture (plusieurs essais avec pour axe essentiel la recherche historique sur la lutte du peuple algérien contre le colonialisme)
Sommaire : Préface/ Préambule/ 18 chapitres/Bibliographie en langue française/ Bibliographie en langue arabe/Index des noms)
Extraits : «A l’issue de leur réunion chez les Bouchekoura à Raïs Hamidou, les six sont passés à Bab -El-Oued (rue de la Marne) où ils ont pris une seule photo souvenir, devenue historique : Ben Boulaid, 37 ans, Boudiaf, 35, Krim 32, Ben M’hidi 31, Bitat, 29, Didouche 27» (p 123), «Les dirigeants français étaient visiblement pris en otage par les européens d’Algérie «Pieds noirs» qui réclamaient à cor et à cri la mort immédiate de tous les «fauteurs de troubles» et de leurs soutiens, soucieux qu’ils étaient de préserver «l’Algérie française» pour toujours et par conséquent, garantir leurs fabuleux privilèges tout en maintenant les Algériens souffrir sous leur statut de «sujets français» (p 163), «Selon de nombreux confidents du Général de Gaulle, ce dernier tenait un double langage sur l’option à prendre quant à la question de l’indépendance de l’Algérie. En privé, il affirmait une chose, en public, il disait exactement le contraire» (p 170), «Les pieds noirs continuent) à clamer «Algérie française». Comme si cette formule magique allait les sauver.Mais l’Algérie française, ce n’est pas la solution, c’est le problème !Ce n’est pas le remède, c’est le mal !» (Charles de Gaulle, 19 décembre 1960,, témoignage de Alain Peyrefitte, 1960. Cité p 195), «Les Français ont besoin d’être savants. Il leur faut la science du monde pour essayer de démontrer que nous étions français. Quant à nous, pour les tenir en échec, il nous faut seulement ne pas oublier que nous sommes simplement algériens» (Saâd Dahlab,membre de la délégation algérienne aux négociations d’Evian, cité p 228)
Avis: Mettre en exergue «le caractère monstrueux du colonialisme français en Algérie, ainsi que les sacrifices incommensurables consentis par le peuple algérien pour résister vigoureusement au régime colonial avant de détruire et d’arracher son indépendance». Objectif atteint ! Un livre qui se base sur une documentation assez riche et ouvrage ayant fait le tour de la question.
Citations : «Cette société (note : coloniale) était raciste «tous azimuts». Ici, le Français crache sur l’Espagnol, qui crache sur l’Italien, qui crache sur le juif et, tous ensemble, nous crachons sur l’arabe» (Henri Alleg, 1981, rapportant le témoignage d’un membre de la communauté européenne d’Alger, cité, p 35), «C’est la première fois dans l’histoire des peuples qui luttent pour leur indépendance que le colonisé porte la guerre sur le sol (note : France) du colonisateur» ( Général Giap, héros vietnamien cité, p 185), «Les historiens de la colonisation ont souvent tendance à mettre sur le même pied d’égalité l’agresseur et l’agressé, l’occupant et l’occupé, le bourreau et sa victime. Dans leurs analyses, ils se plaisent à condamner plus la victime qui se trouvait pourtant dans tous ses droits, que celui qui l’agresse et l’opprime sans discontinuer pendant 132 ans» (p 260), «La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que l’envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui linflige plus encore que celui qui la subit. Céder à la violence et à la torture, c’est par, impuissance à croire en l’homme, renoncer à construire un monde plus humain» ( Général Jacques Paris de Bollardière après avoir quitté l’armée française en 1961- cité p 279)
Le Miroir. Aperçu historique sur la Régence d’Alger Document historique de Hamdan Khodja. Tafat éditions, Alger 2015
(ouvrage écrit par l’auteur en 1833, 297 pages, 600 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel seulement. Extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com/histoire/bibliotheque dalmanach)
Un livre émouvant que celui de Hamdane Khodja. Le livre d’un homme écartelé, sachant son incapacité à lutter contre une occupation du pays (de dix millions d’habitants, affirme-t-il) par un autre pays étranger et d’une autre religion de surcroît… mais en même temps, espérant on ne sait quelle compréhension ou aide extérieure pouvant abréger l’occupation ou les souffrances du peuple d’Algérie.
Il veut, par l’écrit et les relations, «attirer l’attention des hommes d’Etat sur cette partie du globe et afin de leur apporter nos connaissances et les éclairer sur quelques points que, sans doute, ils ignorent». De la naïveté, comme celle de tous les intellectuels «décalés», ne comprenant rien ou comprenant trop tard les idées militaristes ou expansionnistes des Etats, des politiciens et des groupes d’affairistes. Ou celle de membres de la «nomenklatura» sortant difficilement de leur «bulle». Il est vrai que l’écriture est réalisée trois années à peine après l’invasion… ce qui ne donne pas un recul suffisant pour saisir les enjeux géo-stratégiques du moment (…).
L’auteur dénonce surtout les mercenaires, sortes de coopérants techniques, sanguinaires qui, à part quelques exceptions – comme Hadj Ahmed Bey de Constantine – ont précipité la décadence du gouvernement avec une gouvernance de beys incompétents assoiffés de pouvoir et d’argent et méprisant les populations algériennes («les Arabes et les Kabyles», les habitants des plaines et ceux des montagnes ou les lieux escarpés, comme il dit), ont facilité l’ascension affairiste des juifs et des diplomates véreux comme Busnach et Bacri et Deval et l’interventionnisme étranger et ont accéléré la défaite (presque sans bataille) et l’occupation : «Les Turcs étant au pouvoir, avaient à leur disposition des trésors et une armée; les beys étaient avec eux, et ils possédaient la Kasba et les forts. Avec tous ces avantages, ils n’ont pas lutté contre les Français» (p 200)
L’Auteur : Hamdane Ben Othmane Khodja (1773-1842 ?) est un notable d’Alger et un «savant». Famille d’origine turque. Père jurisconsulte de renom et enseignant, jouissant d’une grande estime auprès de l’administration turque. (…) Son livre traduit fut publié à Paris en 1833, ce qui entraîna une «réfutation» anonyme (du maréchal Clauzel, dit-on) dans la presse de l’époque (…)
Avis: Pour compléter vos connaissances en Histoire (turque) du pays
Citations : «De même qu’il ne faut qu’un grain pourri dans un tas de blé pour le gâter entièrement, de même il ne faut qu’un homme corrompu pour entraîner au mal tous ceux qu’il fréquente et qui l’entourent» (p 120) «Que le chef soit sultan, roi ou gouverneur, il dirige et doit donner l’exemple. Ses actes iniques démoraliseront un peuple tout entier» (p 256)