Lors de la réunion des présidents sud-américains à Brasilia, le mandataire chilien a critiqué la situation des droits de l’homme au Venezuela.
Depuis son intronisation à la Présidence du Brésil en janvier 2023, Lula da Silva s’est évertué à relancer le processus de coopération régionale, dans un continent fragmenté et divisé. Dans cette optique, il a organisé le Sommet de l’Amérique du Sud qui a réuni les présidents de la zone les 29 et 30 mai 2023 afin de renforcer l’intégration et le dialogue entre les différentes nations, dont le Venezuela. Ce pays subit des sanctions économiques extrêmement sévères imposées par les États-Unis depuis des années, qui portent gravement atteinte aux droits fondamentaux des Vénézuéliens.
Le Président Lula a dénoncé l’ostracisme et la guerre politique, économique, diplomatique et médiatique dont est victime le Venezuela, pointant du doigt « le récit qui a été construit contre le Venezuela, d’anti-démocratie, d’autoritarisme », notamment pour des raisons idéologiques. Il a également fustigé le double discours de certains pays : « Il est très étrange (que) les exigences du monde démocratique vis-à-vis du Venezuela soient absentes pour l’Arabie saoudite ».
Le Président de l’Uruguay Luis Lacalle Pou et le Président du Chili Gabriel Boric ont critiqué les propos de Lula au sujet du Venezuela. Si la posture du dirigeant uruguayen, conservateur, est peu surprenante, celle du dirigeant chilien, de centre-gauche, a suscité davantage d’incompréhension. Ce dernier a insisté sur « la douleur de centaines de milliers de Vénézuéliens qui se trouvent aujourd’hui dans notre patrie », sans prononcer un mot sur les sanctions économiques étasuniennes qui étouffent le pays et qui sont la principale cause de cet exode. « Les droits de l’homme doivent être toujours et partout respectés », a-t-il conclu.
Deux réalités remettent en cause la sincérité des préoccupations du dirigeant chilien. Tout d’abord, le dernier rapport d’Amnesty International sur la situation des droits de l’homme en Amérique latine est accablant pour beaucoup de pays. Si l’on se base sur la réalité factuelle de cette étude, il n’est pas possible de pointer spécifiquement du doigt le Venezuela sur cette question. Les violations des droits humains sont nombreuses et gravissimes à travers tout le continent.
Ensuite, pour pouvoir s’ériger en juge, il est indispensable de disposer de l’autorité morale nécessaire. Or, le dernier rapport d’Amnesty International de 2022/23 sur le Chili aurait dû amener Gabriel Boric à faire preuve de plus d’humilité. En effet, l’institution a dénoncé l’impunité dont bénéficiaient les agents de l’État responsables de « violations des droits humains ». AI a également souligné que les forces de l’ordre s’étaient rendues coupables de « crimes contre l’humanité » et « de torture et autres mauvais traitements » durant la crise sociale de 2019. De la même manière, AI a fait part de nombreuses « arrestations arbitraires » : « Beaucoup [de personnes] ont été acquittées faute de preuves après avoir passé de longues périodes en détention provisoire ». AI a signalé également des cas de « torture et autres mauvais traitements » à l’égard de patients d’un hôpital psychiatrique et souligne que, loin de poursuivre les responsables de ces crimes, « le parquet de Valparaiso a demandé le classement définitif de l’affaire ».
Face aux caméras, Gabriel Boric avait exprimé sa compassion à l’égard des migrants et des réfugiés vénézuéliens. Il s’agissait en réalité d’une posture de façade destinée à la presse et dépourvue de sincérité. En effet, Amnesty International dénonce les violations « des droits des personnes refugiés ou migrantes » au Chili. « Les autorités ont repris les expulsions immédiates de personnes étrangères sans évaluer leur besoin de protection international ». AI a même adressé une lettre ouverte à Gabriel Boric exprimant sa « grave préoccupation quant à la situation dans laquelle se trouvent des personnes ayant besoin d’une protection internationale à la frontière entre le Chili et le Pérou », dénonçant le « déploiement des forces armées et l’instauration de l’état d’urgence », des mesures contraires « aux obligations internationales du Chili ».
Au regard de ces éléments, Gabriel Boric ne dispose pas de l’autorité morale pour disserter sur la situation des droits de l’homme au Venezuela. Ses déclarations sont davantage motivées par des considérations politiques et la volonté de s’attirer les faveurs de certains secteurs que par une préoccupation sincère sur le sort du Venezuela. Si le Président chilien a le souci du bien-être du peuple vénézuélien, il devrait condamner les sanctions économiques étasuniennes contre Caracas et exiger leur levée immédiate.
Salim Lamrani, Université de La Réunion
Salim Lamrani : Docteur ès Études ibériques et latino-américaines de Sorbonne Université, Salim Lamrani est Maître de conférences HDR à l’Université de La Réunion et spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Venezuela / Maduro a desserré l’étau américain
Selon une note de la société Eurasia Group, spécialisée dans les risques politiques, «le changement de posture régionale» sur le Venezuela rend «inconfortables» les «politiques isolationnistes» maintenues par Washington.

Le président du Venezuela Nicolas Maduro est revenu renforcé de sa participation à un sommet sud-américain au Brésil, où il a reçu le soutien du président Lula face aux sanctions américaines mais l’impasse des négociations avec l’opposition continuera à peser s’il veut s’en affranchir, selon les analystes. Maduro, qui sort de son isolement, bénéficie d’une bonne conjoncture avec les récents virages à gauche en Colombie et au Brésil alors qu’en parallèle, ses principaux adversaires se sont essoufflés, leur stratégie pour l’évincer du pouvoir n’ayant pas porté leurs fruits.»L’isolement politique est derrière nous. Même les gouvernements qui ont de grandes divergences avec Maduro ont choisi de maintenir ou de reprendre des relations diplomatiques», estime Mariano de Alba, conseiller principal à l’International Crisis Group. Il reste toutefois des obstacles à une normalisation. L’arrêt depuis novembre des négociations entre Maduro et l’opposition sur l’organisation de la présidentielle de 2024 ainsi que les «accusations récurrentes de violations des droits humains ne plaident pas en faveur de Caracas» disent les Occidentaux. Si à Brasilia, Lula a défendu son homologue vénézuélien, qualifiant de «narratif» les accusations d’autoritarisme sur le gouvernement Maduro, les présidents uruguayen, Luis Lacalle Pou, et chilien, Gabriel Boric, ne l’ont pas entendu de cette oreille. Le politologue Pablo Andres Quintero juge que «l’image de Lula renforce le récit politique de Maduro» et qu’elle peut l’aider à faire avancer son «agenda de réinsertion» international et à «faire pression» en faveur de la levée des sanctions.
Selon une note de la société Eurasia Group, spécialisée dans les risques politiques, «le changement de posture régionale» sur le Venezuela rend «inconfortables» les «politiques isolationnistes» maintenues par Washington.»L’idée de Lula est de sortir Maduro de l’isolement, mais ce n’est pas si facile (…). L’intégration économique est difficile avec les sanctions». La rencontre de Brasilia survient un mois après une réunion organisée par le président colombien Gustavo Petro pour tenter de «débloquer» les négociations entre Nicolas Maduro et l’opposition. Lula et Petro «acceptent les arguments de Maduro, mais reconnaissent en même temps que la situation actuelle n’est pas viable», indique Mariano de Alba.
L’analyste estime qu’un blocage conduirait le Venezuela «à une crise économique plus profonde» avec un impact migratoire encore plus grand alors que 7 millions de Vénézuéliens ont déjà quitté leur pays. L’administration de Joe Biden s’est dite prête à assouplir les sanctions en cas d’avancées dans les négociations avec l’opposition mais le président vénézuélien est resté sur sa ligne.»On se moque de savoir s’ils (les Etats-Unis) disent quelque chose ou non, s’ils nous reconnaissent ou non», a déclaré Maduro en mars.
Sa visite au Brésil était son premier voyage officiel depuis novembre et la Conférence sur le changement climatique en Egypte. Il y avait d’ailleurs croisé dans les couloirs le président français Emmanuel Macron, qui prône la «diversification» des sources d’approvisionnement occidentales en pétrole et l’ouverture vers le Venezuela ou l’Iran depuis la guerre en Ukraine.
Au niveau interne, Nicolas Maduro fait face à une opposition affaiblie et fracturée, après l’échec de la «présidence intérimaire» de l’opposant Juan Guaido, qui s’était autoproclamé président et avait été reconnu comme tel par les Etats-Unis et plus de 50 pays.»Il n’y a aucune garantie que nous aurons des élections compétitives l’année prochaine: nous devons faire bouger les choses et le gouvernement américain doit nous aider», a déclaré le candidat à la présidence Henrique Capriles. Il estime que l’isolement forcé du Venezuela a moins aidé «à récupérer la démocratie» qu’à la «stabilisation» de Maduro. Guaido, qui s’est réfugié aux Etats-Unis en avril, condamne lui tout rapprochement avec le Venezuela: «Ce n’est pas du +narratif+» comme a dit Lula, estime-t-il.